Critique de l'album Désobéissance par Lelou (28 septembre 2018)
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J'ai bien saisi qu'il faut des multitudes de dangers, de cocktails, pour s'animer, pour s'apaiser...
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Après la sortie de Rolling Stone qui dérouta
aussi bien le grand public que les ''fans'', quoiqu' enrichie d'une
chorégraphie de son cru mais qui me fit penser à
une danse chamanique, la révélation de la
pochette de l'album Désobéissance semblait
rassurer tout le monde en présentant une Libertine du XXIe
siècle. Au regard de ce tableau historique riche en symboles
qui rappelait immédiatement les clips Libertine et Pourvu
qu'elles soient douces, nous pouvions penser légitimement
à un retour aux sources. Malgré l'absence du
complice de toujours, Laurent Boutonnat...
Après plusieurs écoutes, à la question
de savoir si cette onzième lame correspond
réellement à un retour aux sources, je serais
tenté de répondre : ''Oui mais... Non.'' Oui et
non.
De l'avis de la majorité des auditeurs dont on peut lire les
commentaires ici et là, nous retrouvons, en 2018, LA
Mylène que l'on sentait un peu avoir perdue depuis quelques
albums. Les compositeurs de ce onzième chapitre ont su avec
brio s'approprier l'univers unique de la chanteuse, tout en faisant
subtilement pénétrer leurs propres univers dans
le sien. De ce juste équilibre se dégage une
harmonie qui, du premier au dernier titre, ne faiblit pas.
Rolling Stone est le préliminaire au long et intense orgasme
auditif qui durera 45 minutes. Mylène nous
prévient depuis des mois :
J'ai bien saisi qu'il faut des multitudes de dangers, de cocktails,
pour s'animer, pour s'apaiser...
Rolling Stone possède un petit je ne sais quoi
d'envoûtant bien que l'on puisse être un peu perdu
face à cette mélodie qui pourrait
apparaître froide et mécanique au premier abord.
Mais une alchimie entre la voix et la musique s'opère...
A présent que le ton est donné, Mylène
se lance.
La ritournelle Sentimentale en mode comptine enfantine permet de
retrouver l'univers de l'enfance si cher à
Mylène, rappelant ainsi son premier album Cendres de lune.
L'idée de retour aux sources se justifie ici, tout en
s'adaptant à l'époque grâce aux sons de
Feder. On comprend mieux, d'emblée, la photo de l'album...
Mylène confie ses sentiments :
J'ai peur de tout... Mais, je crois en la vie...
S'ensuit Désobéissance, véritable
hymne farmerien où l'on retrouve les envolées
aigues tant aimées de beaucoup de ''fans'', un refrain
fédérateur appelant, une nouvelle fois,
à l'Amour. Une deuxième alchimie
s'opère entre les mots, la mélodie de voix et la
musique très boutonnesque composée par le
mystérieux Léon Deutschmann. Ce dernier semble
avoir cerné la patte du ''frère jumeau'' pour en
proposer une continuité plus que respectable... Cette
chanson est déjà très attendue sur
scène ! 😊
LP apparaît pour un duo maintenant connu et reconnu, N'oublie
pas. Un titre magique et solaire qui aborde la mort d'un être
cher. Le constat sombre des couplets s'ouvre sur une envolée
de lumière, où la voix du cher disparu retentit
et dit : N'oublie pas, je suis une étoile qui te conduit, je
suis un point dans l'univers, un élément
fondamental dans ta constellation...
Puis soudain retentit une voix méconnaissable, et c'est
parti pour une longue expérience auditive nouvelle qui, pour
moi, durera au moins pendant quatre titres.
Je suis littéralement hypnotisé par le triptyque
Histoires de fesses / Get up Girl / Prière.
Dans la première, sur un rythme à la Stromae,
Mylène y énumère ses coups de gueule
et ses coups de cœur avec une certaine dérision,
dans des tonalités qui ne sont pas sans rappeler Porno
Graphique de l'album Avant que l'ombre... (2005). Histoires de fesses
n'a qu'un seul défaut : sa durée beaucoup trop
courte ! 😊
Dans Get up Girl, mon grand coup de cœur de l'album,
Mylène revient sur des périodes creuses de sa vie
et s'interroge : Que sais-je de l'Homme ? Pour moi, Get up Girl est
à Désobéissance ce que Light me up est
à Bleu Noir (2010). En effet, en 2010, Mylène
répondait positivement à une attente d'une partie
de son public en expérimentant le trip-hop avec le groupe
Archive, le temps de trois chansons qu'on met trop souvent de
côté injustement : Leila, Light me up et le plus
connu Diabolique mon ange. En 2018, Feder permet à
Mylène de faire avec de la bonne électro ce
qu'Archive lui a permis de faire en 2010 avec le trip-hop. Et c'est
particulièrement vrai dans Get up Girl, avec un passage que
d'aucuns s'accordent à définir comme un orgasme
auditif, voire le ''climax'' :
Mais pour les gens c'est du vague
Mais pour les gens je déraille
Et chaque fois une entaille
Mais la vie goes on and on...
D'ailleurs, l'on sent que Mylène et Feder
eux-mêmes aiment ce passage, qu'ils
répètent vers la fin deux fois de suite comme si
c'était en fait le refrain. Mais le véritable
refrain, en anglais, apporte un autre charme, et peut faire penser
à la french-touch électro, comme les
Château-Marmont qui en 2009 composèrent Une enfant
du siècle pour Alizée, et notamment le titre
Limelight. On y retrouve des similitudes...
Cette chanson possède aussi le timbre mélodieux
et envoûtant d'un California (1995), même si on ne
peut pas vraiment comparer les deux puisqu'ils se situent dans deux
registres musicaux différents...
Avec la chanson Prière, Feder apporte clairement de nouveaux
éléments dans l'univers farmerien, avec ces voix
et ces rythmes mi-jazz mi-funk, un peu à la Gramatik, en
guise de préambule à une Prière
électro urbaine envoûtante. Hypnotique,
là encore ! Ce qui me plaît dans ce titre, c'est
la volonté d'apporter des airs en apparence festifs et
dansants mais qui deviennent mélancoliques quand les mots de
Mylène surgissent, évoquant la maladie...
J'oublierai la vie une fois dedans...
Puis vient le fameux poème de Baudelaire, Au lecteur. Bien
placé dans l'album ; comme une respiration... On y entend
Mylène comme jamais on ne l'avait entendue - sauf
peut-être à l'occasion de la lettre lue
à Jean Rochefort, dans un autre ton... Les nappes
instrumentales de Feder sont tout à fait
appropriées à la lecture de ce texte, la voix de
Mylène semble en jaillir presque naturellement, comme un
élément naturel de la composition. On est
tenté de comparer avec L'Horloge, Mylène avait
fait mouche à l'époque, allant jusqu'à
séduire un certain Léo Ferré... Le
poème s'incluait parfaitement à l'univers de
Mylène. Je pense que c'est également le cas cette
fois-ci avec Au lecteur, pointant le pire des vices... vices...
vices... L'Ennui...
Dans la chanson suivante, Des larmes, Mylène fait d'ailleurs
référence au Gouffre de Baudelaire. Ce
deuxième titre composé par LP et Mike del Rio,
dont il semble qu'on entende les voix, trafiquées,
à certains moments, offrent encore une occasion à
Mylène de s'essayer à un autre genre tout en
restant cohérente avec elle-même. Avec un texte
bien fourni et une musique électro-pop faite pour plaire aux
radios ''mainstream'', Des larmes a cependant tout à fait sa
place dans l'album.
Parler d'avenir, autre morceau de Léon Deutschmann, nous
offre de nouvelles envolées myléniennes. On
pourrait presque penser qu'il a été
conçu pour rassurer ceux qui de son public sont le moins
enclin au changement de style, mais ce serait ignorer là
aussi le côté novateur qu'apporte Deutschmann
à l'univers de Mylène qui a d'ailleurs
co-composé la musique...
On a besoin d'y croire. D'y croire en grand, en XXL ! 😊 Comment ne pas
entendre cet hymne à l'amour universel datant de 1995 quand
on entend Mylène clamer : On a besoin d'y croire / Moi j'ai
besoin d'y croire ? Mylène a, là encore,
co-composé la musique, mais cette fois avec Feder. Un
excellent titre dansant et optimiste, auquel des voix d'aliens
insufflent un brin de ''joyeuse mélancolie''...
Retenir l'eau, traditionnelle ballade de fin d'album, me
plaît mieux que Si j'avais au moins..., que Point de suture
et que Je te dis tout. J'ai beaucoup aimé les ballades de
Mylène jusqu'à l'album Innamoramento, moins par
la suite. Et je suis de nouveau ému par celle-ci,
plutôt réussie...
Pour moi, Désobéissance est l'album que
j'attendais depuis au moins Innamoramento (1999).
C'est-à-dire un album qu'on écoute
intégralement de A à Z sans se lasser jamais, et
dont on retire quelques pépites encore meilleures que les
autres pour les passer en boucle, de jour comme de nuit. 😊 Mais il y a
quelque chose en plus, cette fois-ci. Cet équilibre, cette
harmonie évoquée au début. Un dosage
parfait entre ce qu'elle sait faire de mieux et ce qu'elle a voulu de
ses compositeurs. Un trip jouissif qui donne envie de chanter, de
créer, d'aimer, de vivre. Je n'ose encore m'avancer, mais il
se pourrait bien que cet album devienne l'un de mes
préférés, sinon mon
préféré. A vérifier dans
quelques années... Le truc que jamais je n'aurais cru
possible... Alors, pour ce réenchantement total, merci
Mylène ! Merci pour ce putain d'album !
Désobéissance ! Et d'abord,
désobéissance à nos
préjugés...
Lelou