Paradis
Inanimé - La mort lui va si bien ?
Dans
mes draps de chrysanthèmes
L’aube peine à me glisser
Doucement son requiem
Ses poèmes adorés
Dans mon lit, là, de granit
Je décompose ma vie
Délits, désirs illicites
L’espoir, le rien et l’ennui
Mais pour toujours
Pour l’amour de moi
Laissez-moi mon…
Emmarbrée dans ce lit-stèle
Je ne lirai rien ce soir
Ne parlerai plus, rien de tel
Que s’endormir dans les draps
Du noir
C’est le sombre,
l’outre-tombe
C’est le monde qui
s’éteint
L’épitaphe aura
l’audace
De répondre à mon chagrin
|
Paradis
inanimé
Long
sommeil, lovée
Paradis
abandonné
Sous
la lune, m’allonger
Paradis
artificiel
Délétère,
moi
délaissée
Et
mourir d’être mortelle
Mourir
d’être aimée
Paradis inanimé
(2008)
Paroles: Mylène
Farmer
Editeur: Isiaka
|
A la
découverte de cette chanson c'est sa musique, son
côté beaucoup plus rock (ou pop-rock) que les
autres titres de l'album Point
de Suture qui avaient été le plus
souvent mis en avant par les fans qui évoquaient alors
volontiers un retour aux sonorités de l'album Anamorphosée.
Une voix grave sur les couplets puis une mélodie qui
s'envole sur les refrains.
Il aurait été néanmoins fort dommage
de faire l'impasse sur le texte de Mylène.
La mort est le thème de cette chanson. La mort,
thématique récurrente de l'oeuvre de
Mylène.
Paradis
Inanimé démontre que
Mylène évolue avec les années, son
approche de la mort dans ce texte étant
profondément différent de ce que l'on pouvait
ressentir à la lecture de ses écrits dans les
années 80.
Mylène confiait encore récemment en interview que
"le fait d'être mortel' reste pour elle
insupportable ( "7 à 8" sur TF1 en janvier 2006).
Cependant, malgré ce "fardeau", les textes les plus
récents sur ce sujet
semblent moins empreints d'angoisse, de noirceur.
Accepter ce simple état de fait d'être mortel tout
aussi insupportable que cela demeure permet peut-être
d'apporter une quiétude à l'auteure.
Quiétude cependant bien relative comme en
témoigne cette chanson.
Ce texte donne l'impression que pour la première fois
Mylène ne propose pas le regard d'une vivante sur la mort
mais le regard d'une morte sur la vie mais aussi sur la mort.
Le corps est mort mais l'esprit est encore là. Il nous
parle. Ecoutons-le.
Pour la première
phrase, au lieu d'écrire "Un
drap de chrysanthèmes" Mylène
préfère: "Dans mes draps de
chrysanthèmes".
Belle image de ce corps qui choisit de s'envelopper une
dernière fois de ce qui peut matérialiser la vie
ou l'y rattacher.
"L’aube peine à me glisser - Doucement son requiem
": le requiem est une prière adressée aux
âmes des défunts avant un enterrement ou lors de
messes de souvenirs.
La Mort semble alors avoir encore du mal à
s'imposer à l'être. On peut aussi se demander si
l'esprit n'est pas déjà dans un ailleurs, un
ailleurs clos, lointain qui lui rend presque imperceptible les
dernières prières des vivants.
L'aube symbolise aussi ce nouveau jour qu'elle ne verra pas.
L'analyse du premier couplet laisse penser que la mort de l'auteure est
récente.
Ce qui renforce ce sentiment est l'utilisation en parallèle
d'un double champ lexical: le sommeil (lit, draps...) et la mort, plus
spécifiquement celui de l'enterrement (épitaphe,
requiem...).
Mais, ce n'est peut-être qu'un sommeil éternel qui
commence ici.
Peut-être l'état comatique de la chanson Dégénération,
état de transition vient-il d'être
dépassé. Le réveil n'a pas eu lieu.
Dans le deuxième
couplet, dans son "lit de granit"
(évoquant le tombeau), l'auteure dresse un bilan.
A noter l'admirable "je décompose ma vie" permettant
d'associer ou d'opposer, on ne sait, de façon
suggérée mais terriblement brutale le
passé, cette vie que l'on décompose pour n'en
retenir que l'essentiel et le futur de ce corps destiné
à devenir rien ou presque.
Notons le petit jeu de mots "dans mon lit-là" qui
évoque la fleur lilas. Parallèle avec les
"chrysanthèmes" du début, fleurs avec lesquels on
célèbre nos chers disparus, les lilas
étant
eux symboles de la pureté.
Pureté à présent
trouvée ou retrouvée ? Nous ne saurons pas.
Notons aussi le clin
d'oeil au texte de la chanson Appelle
mon numéro
(plage 2 de l'album Point
de Suture).
Ceci démontre la richesse de cet opus. La vie et tous ses
plaisirs que Mylène met en avant dans Appelle mon numéro
("compose ma vie") puis la mort dans Paradis Inanimé
("décompose ma vie").
Dans ces mémoires de sa vie, Mylène
écrit:
"L’espoir, le rien et l’ennui ".
L'ordre choisi est intéressant tendant à
démontrer que l'ennui est le pire de tout ce que
peut ressentir un vivant, pire que le rien il faut le faire quand
même !
Parallèle aussi évident avec la chanson Je m'ennuie (plage
3 de l'album).
Dans ce "bilan", Mylène évoque la lecture qui on
le
sait lui est si chère, lui
était presque... vitale.
"Emmarbrée dans ce lit-stèle": à
nouveau les champs lexicaux lit / mort sont associés
peut-être pour mieux les opposer (la stèle est un
monument monolithe parfois funéraire sur laquelle sont
gravées des hiéroglyphes).
"Emmarbrée" est un néologisme permettant
probablement d'insister sur un enfermement définitif.
Mylène se sentirait-elle prisonnière d'un
état qu'elle ne veut définitvement pas accepter ?
Mais aussi, un joli jeu de mots comme les affectionne
Mylène, le listel étant une
pièce décorative que l'on peut retrouver
notamment sur des monuments funéraires.
Visuel du
CD Promo Paradis
Inanimé Live
Sur le Tour 2009
Mylène portait une tenue
écorchée créée par
Jean-Paul Gaultier pour interpréter cette chanson.
Un costume parfaitement adapté.
La fin de la chanson
(pour les couplets) est terriblement sombre.
"Du noir - C’est le sombre, l’outre-tombe -
C’est le monde qui s’éteint ": la vie,
la lumière s'échappent inéxorablement.
Sa vie s'enfuit, plus rien ne pourra l'y rattacher.
Tout est noir, un tunnel sans fin, le vide.
"L’épitaphe aura l’audace - De
répondre à mon chagrin": l'inscription sur la
tombe ne serait-elle que le dernier lien avec le monde des vivants ?
Et, oui ! Mylène est triste de partir mais sa
peine semble
destiner à prendre fin, comme tout.
Intéressant aussi que Mylène écrive:
"c'est le monde qui s'éteint". Habituellement, ce sont les
vivants qui disent qu'un être s'est éteint.
Cette phrase rappelle qu'ici la parole est au mort qui voit le monde,
son monde s'effacer, disparaître.
C'est le néant qui l'envahit.
Dans le refrain,
"Paradis" figure trois fois.
Le Paradis est communément utilisé pour
évoquer le lieu destiné après la mort
aux Hommes ayant eu un "bon" comportement terrestre. Opposé
à l'enfer, il a volontiers et habituellement un
côté "rassurant".
Mylène choisit quant à elle de l'associer
à des adjectifs inattendus.
"Inanimé" pour rappeler que le corps est mort, ne bouge
plus, un état inéxorablement constant. "Pour
toujours" renforce le caractère définitf de cet
état. Il ne pourra plus jamais en être autrement.
"Abandonné" est encore plus étonnant, le Paradis
étant dans les esprits associé à un
"lieu" peuplé; Mylène s'y sent pourtant
seule, "délaissée".
La solitude, évoquée parfois par
Mylène dans la vie, la poursuivrait-elle jusque dans la mort
?
Quant à "Artificiel" il reste difficile à
interpréter ici. Le paradis ne serai-il qu'un artifice, une
simple vue de l'esprit des vivants ?
Paradis
Inanimé s'inscrit dans la lignée des
chansons de Mylène aux textes sombres associés
à une musique très rythmée comme par
exemple
Je m'ennuie
ou
C'est une belle
journée.
Certains fans ont d'ailleurs noté des allusions au suicide
dans ce texte.
Pas évident.
D'autres ont perçu un message en faveur de l'euthanasie et
ont
d'ailleurs observé que le bruit que l'on entend à
la
fin de la chanson dans sa version studio ressemble à celui
d'une machine que l'on débranche.
S'agirait-il d'un respirateur "artificiel" qui maintenait
Mylène dans un paradis "artificiel" ?
Pas évident encore mais, là est
l'intérêt de tels textes.
Laisser chez chacun son imagination voguer à souhait et
apporter son propre sens aux mots.
Les références littéraires sont peu
présentes dans ce texte.
Difficile cependant de ne pas penser immédiatement
à Chateaubriand et ses "Mémoires d'Outre-Tombe"
récit autobiographique et historique dont
l'écrivain voulait faire un témoignage posthume
et dans lesquelles il est considéré comme le
précurseur du romantisme français.
Chateaubriand (source: assemblee-nationale.fr)
"Paradis artificiel" nous évoque
Baudelaire (à noter que Mylène choisit le
singulier).
Baudelaire
poète cher à Mylène on le
sait depuis qu'elle choisit d'ouvrir son deuxième album
Ainsi soit je...
par
L'Horloge mis
en musique par Laurent Butonnat.
"Les paradis artificiels" est un essai paru en 1860 dans lequel sur un
style analytique, Baudelaire y décrit de
façon clinique les effets des drogues en particulier le
haschisch et l'opium.
"S'inspirant de son expérience, il y transcrit
l'idée que la drogue permet aux hommes de se transcender
pour rejoindre l'idéal auquel ils aspirent." (source:
litteratura.com)
Baudelaire sous l'effet du haschisch par
lui-même (1844)
Pour écrire un tel texte, Mylène devait-elle se
laisser
aller un instant à décoller de la
réalité, de la vie pour se façonner un
univers artificiel ?
Tous les thèmes chers à Mylène ou
presque sont présents dans ces paroles, même le
temps
d'un seul mot:
la mort, l'amour, l'autre, la solitude mais aussi son
indépendance et sa liberté d'agir comme elle le
souhaite ("Mais pour toujours -
Pour l’amour de moi -
Laissez-moi mon…" )
.
Ce sublime texte devrait définitvement faire taire ceux qui
oseraient encore prétendre que la plume de Mylène
aurait perdu de sa qualité.
Qu'ils aillent se cacher "Six Feet Under".
Peut-être
d'ailleurs, si l'on se fie à cette chanson, y feront-ils des
rencontres intéressantes ?
Point
de suture - L'amor lui va si bien ?
Les
jours de peine
Fredonnent un
Je ne sais quoi
La ritournelle
Des indécis, des quoi ?
Par habitude
J’ai pris ce chemin
D’incertitude
Où mes va sont des viens
Jours de sagesse
La voie unie et droite
Mais l’homme doute
Et court
De multiples détours
Vague mon âme
Va, prends ton chemin
L’attente est sourde
Mais la vie me retient
Les nuits sont chaudes
Mon sang chavire et tangue
Bâteau fantôme
Qui brûle
Je suis tempète et vent
Ombre et lumière
Se jouent de l’amour
Mes vagues reviennent
Mes flots sont si lourds
|
Prends-moi dans tes draps
Donne-moi
la main,
Ne
viens plus ce soir,
Dis,
je m’égare
Dis-moi
d’où je viens
Ne
dis rien, je pars
Rejoue-moi
ta mort
Je
m’évapore
Des
mots sur nos rêves
Déposer
mes doutes
Et
sur les blessures
Point
de suture
Vole
mon amour
Refais-moi
l’amor
Confusion
des pages
Je
suis naufrage
Point
de suture (2008)
Paroles: Mylène Farmer
Editeur: Isiaka
|
Paradoxale est un
adjectif qui qualifie parfaitement Mylène.
Si l'on devait citer une chanson mettant le mieux en exergue le
paradoxe ou le doute,
Point
de suture serait probablement celle-ci.
Chanson éponyme de l'album
Point de Suture,
c'est
l'une des
deux ballades présentes sur cet opus.
L'absence de "s" à "point" (que ce soit pour le titre de la
chanson ou celui de l'album) sème déjà
le
doute.
Mylène ne sait pas si les plaies du passé sont
refermées ou si elles resteront à jamais
béantes ("point" dans le sens de "pas" dans ce cas).
Elle l'expliquait dans son entretien avec Claire Chazal
le 31
août 2008 dans le "Journal de 20 heures" de TF1:
" J'ai pris volontairement le singulier pour "Point de suture", le
titre, parce qu'il y a cette ambiguité qui était
effectivement des plaies qu'on a du mal à recoudre et
l'espoir d'une guérison aussi."
Mylène précisait dans son interview au magazine
"Têtu" paru le 20 août
2008 l'origine du titre
"Point de suture":
"Dans le livret de cet album, il y a une réplique d' Al
Pacino qui incarne Carlito dans le film "L'Impasse".
Avant de mourir, en voix off, il dit: "Tous les point de
suture du monde ne pourront me recoudre." C'est aussi ce que je
ressens."
Le premier couplet débute
dans la
mélancolie:
"Les jours de peine-
Fredonnent un
- Je ne sais quoi
" : Mylène souffre mais ne semble pas en
appréhender la raison.
C'est le propre de la vraie mélancolie qui, à la
différence d'une simple dépression n'a rien de
passagère ou réactionnelle.
C'est un état profond de mal-être sans qu'une
cause
soit parfaitement identifiable.
On serait alors dans la mélancolie au
sens purement médical et psychiatrique du terme,
probablement différente de la mélancolie de "Je
t'aime mélancolie".
Ici, une mélancolie que l'on
n'aime guère.
L'hésitation , l'indécision semblent à
leur paroxysme: "indécis", "incertitude"
à tel point que ça deviendrait une
rengaine, une "ritournelle".
"J'ai pris des chemins d'incertitude où mes va sont des
viens": Mylène suggère ou
détourne l'expression "va-et-vient".
Là
voilà engagée dans une longue route sur laquelle
elle ferait un pas en avant puis, un pas en arrière.
On commence à ressentir
la présence de l'Autre, sa responsabilité dans
cet état chronique d'indécision comme si
Mylène lui disait "Pars" puis "Reviens".
Le deuxième couplet semble débuter
dans un
certain
apaisement: "Jours de sagesse -
La voie unie et droite".
Bien trompeur puisque c'est à présent l'autre,
"l'homme" qui hésite.
En écrivant "Vague mon âme", Mylène
évoque en nous, immédiatement, le "vague
à l'âme" c'est à dire à
nouveau la tristesse, la mélancolie.
Mais elle met aussi en avant, encore, cette hésitation,
son esprit qui erre, "vague", sans réel objectif ou logique.
C'est aussi le début de l'usage d'un champ lexical
lié à la mer.
La fin du deuxième couplet est aussi l'instant de la
décision:
"Va, prends ton chemin
- L’attente est sourde
- Mais la vie me retient".
Mylène lui dit de partir. Elle ne sait si il reviendra mais
elle continuera à vivre.
Le refrain débute par un jeu de mots: "Prends
moi dans tes
draps" (et non, tes bras).
Une lettre qui change tout, Mylène semblant vouloir
privilégier l'acte sexuel avec l'autre.
Jeu de mots d'autant plus intéressant que Mylène,
la ligne suivante, laisse la place à un simple geste de
tendresse:
"Donne moi la main".
On pense alors à la mise en images de la chanson Point de suture par
Alain Escalle sur le Tour 2009 et ces corps d'un homme et d'une femme
s'entrelaçant.
Puis, c'est à
nouveau l'hésitation,
Mylène semblant reconnaître qu'elle perd tout
repère et s'adressant directement à celui qui est
la cause de ses maux:
'"Ne viens plus ce soir -
Dis, je m’égare"
Cet état ne fait que s'accentuer:
"Dis-moi d’où je viens
- Ne dis rien, je pars
- Rejoue-moi ta mort
Je m’évapore
"
Mylène semble perdue. Elle voudrait l'entendre lui
répondre ("dis-moi") avant finalement de le condamner au
silence
et à accepter son propre départ ("ne dis rien, je
pars").
"Rejoue" témoigne que ce n'est probablement pas la
première fois que Mylène lui demande de
disparaitre,
s'évaporer.
Toujours ce va-et-vient.
Dès lors, nous ne savons pas, et Mylène non plus
probablement, si ses "blessures" se refermeront ("point de suture").
Dans la suite de ce refrain, en écrivant "Vole mon amour" on
ne
peut affirmer si Mylène enfonce le clou en demandant
à
l'autre de partir loin ou si elle suggère qu'il s'en est
allé avec
son amour qu'il lui aurait volé et dont elle se serait
à
tout jamais privée mais peut-être aussi
guérie.
Mylène aime jouer sur les mots, on le sait et elle prouve
à nouveau.
Elle écrit: "Refais-moi l'amor" et reconnaissons que tous ou
presque avant de lire le texte nous avions compris "Refais-moi la mort".
"Refais-moi la mort" aurait été dans la
continuité parfaite de "Rejoue-moi ta mort".
"Refais-moi l'amor" est diamétralement opposé. A
nouveau l'indécision, le va-et-vient.
"Refais-moi l'amor" met donc habilement en exergue à la fois
le paradoxe et le doute.
Dans le
troisième et dernier couplet l'incertitude est
toujours là et le champ lexical associé
à la mer l'illustre parfaitement.
La souffrance de Mylène semble s'amplifierr. Serait-elle sur
le point de chavirer ?
On retrouve aussi l'ombre et la lumière que
Mylène aime tant évoquer.
Mais, elle ne les oppose pas et les associe même: "Ombre et
lumière - Se jouent de l'amour".
Comme si, Mylène était destinée
à souffrir
par amour et ne trouver définitivement aucun refuge.
Quant à la fin du couplet, serait-ce un constat final ?
Ce
va-et-vient si pesant pour elle semble cependant destiner à
durer.
Indéfiniment ?
Nous attendons
vos réactions et vos propres analyses (si vous souhaitez nous
envoyer une analyse détaillée:
mylenenet@orange.fr,
nous la publierons sur le site).
Un anonyme
le 02/10/24 à 00:34