2021 marque le 30ème anniversaire de l'hymne pop culte des Français, la chanson de Mylène Farmer, Désenchantée.
Par János Janurik
Traduction française : Simon Holpert (Un grand merci à toi!)
Ma relation avec la pop française a longtemps été limitée ; elle n´était possible qu´à travers la télévision allemande mais certaines chansons des années 80 sont devenues des tubes en Hongrie, principalement avec Vanessa Paradis (Joe le Taxi), Desireless (Voyage, voyage) ou Début de Soirée (Nuit de Folie).
Jusqu'à la seconde moitié des années 90, la chaîne de télévision musicale française (MCM) était disponible en Hongrie, et je m'y suis intéressé surtout dans le but de regarder des clips. C'est ainsi que j'ai découvert Mylène Farmer, cette chanteuse à la voix si spéciale et à l'image unique. Elle figurait déjà à cette époque parmi les stars dans le monde francophone. Peu de personne la connaissait en Hongrie, bien qu'elle y eût tourné l'un de ses plus grands clips.
Revenons donc trente ans en arrière avec Désenchantée qui inspirera Neil Tennant des Pet Shop Boys, et en 2002, la reprise de Kate Ryan deviendra un incontournable des boîtes de nuit européennes ; et revenons également sur le tournage du clip de la chanson grâce au témoignage d´un figurant, qui était lycéen à cette époque.
Tournage du clip Désenchantée - Photographe : Marianne Rosenstiehl
Une artiste unique
Née au Canada mais ayant grandi en banlieue parisienne, Mylène Farmer, de son vrai nom Mylène Gautier, a vite pris conscience qu'elle ne désirait pas avoir la vie d'une jeune fille ordinaire. Après avoir quitté le lycée, elle a commencé à suivre des cours de théâtre avec Vincent Lindon et Isabelle Nanty et a mis en pratique cet apprentissage pour quelques spots publicitaires. Empruntant son nom d'artiste à une star hollywoodienne au destin tragique, Frances Farmer, Mylène a rencontré au début des années 80 Laurent Boutonnat débordant également d'ambitions artistiques. La puissance créatrice et le talent des deux ont permis d'en faire rapidement un duo d'auteurs reconnu en France.
Le premier album de Mylène Farmer, Cendres de lune, a mélangé avec réussite la musique pop new wave à succès (Libertine) et la pop synthé légèrement sombre et gothique (Plus grandir), mais ce n´est qu´avec son deuxième album, Ainsi soit je..., qu´elle arrive en tête des charts. Cet album se vend à près de deux millions d'exemplaires, et devient ainsi l'album le plus vendu des années 80 en France.
Parmi les singles, Sans contrefaçon et Pourvu qu'elles soient douces (simplement Douces en Allemagne) placent la chanteuse mystique en tête des hit-parades. Son album devient disque de diamant.
Le monde pictural créé par Laurent Boutonnat, ses vidéos poétiques et cinématographiques qui évoquent souvent Tarkovsky et qui n'ont jamais de fin heureuse ont également permis à Mylène Farmer de dépasser d'autres artistes contemporains grâce à la notoriété acquise par ces clips.
Mylène a par ailleurs proposé en 1989 sa première tournée qui s'est arrêtée à Bercy, salle où seuls les plus grands se produisaient.
Désenchantée, documents et témoignage rares
Le single Désenchantée est lancé avant l'album L'Autre... publié à la suite de la première tournée triomphale de l'artiste. On peut dire que la pop française a connu une apogée en France à cette période grâce à cet hymne qui s'adresse à la « génération désenchantée ». Sur un texte pessimiste qui évoque le philosophe et l´essayiste roumain Cioran (Sur les cimes du désespoir), Boutonnat a composé une excellente musique à base de synthétiseurs qui confère à la chanson une ambiance révolutionnaire. Cette atmosphère révolutionnaire se retrouve dans le clip de la chanson, tourné en Hongrie dans les villes de Budapest et de Apajpuszta en février 1991. Ce court métrage à grand budget, intégrant de nombreux de figurants, évoque à la fois Les Misérables, Oliver Twist et La Liberté guidant le peuple de Delacroix.
Couverture de la documentation du tournage en Hongrie / «ME-015 Désenchentée» (titre provisoire)
Le bâtiment de l'usine de Ferencváros que l´on peut voir dans le film - qui devenait un camp de travail - a été détruit depuis, mais comme le dit l'un des directeurs de production hongrois du clip, il a servi de lieu de tournage à de nombreuses productions au même moment.
Parmi les emplacements extérieurs se trouvait la grande plaine hongroise enneigée, que le réalisateur avait choisi de filmer pour conclure la vidéo sur une note poétique.
En plus de Mylène Farmer, un certain nombre d'enfants, petits et grands, étaient figurants dans la scène de la rébellion du camp et dans celle de la tourmente révolutionnaire. L'un d'eux (Zsolt László, que je connais par les cercles de fans de Depeche Mode) se souvient de ce tournage il y a 30 ans:
Le tournage en lui-même était super, nous étions sur le site d'une usine, l'ancienne conserverie de la rue Máriássy à Budapest. Et nous étions assis dans un hangar, puis parfois 1, 2, 5, 10, 50 enfants étaient appelés, selon la scène.
Liste des figurants (numéro 76 = Zsolt László)
Le tournage se déroulait sur toute la journée, du matin au soir, et nous avons eu de très bons sandwichs, du cappuccino et du chocolat chaud, donc en tant que groupe d'adolescents, c'était Byzance.
J´ai gagné tellement d'argent que j'ai pu m´acheter le premier baladeur de ma vie pour écouter Depeche Mode bien sûr.
Je ne connaissais pas Mylène Farmer, je n'ai commencé à connaître qu'une ou deux chansons plus tard, y compris ce clip, et je l'ai aimé assez progressivement.
Je me souviens aussi du tournage en tant que fille aux cheveux roux courts qui est de toute façon mon genre.
Parfois, il fallait casser des voitures sur le plateau, et c'était très agréable quand on est un enfant.
J'ai dû aussi courir devant un bâtiment en feu.
Script du clip (manuscrits de Laurent Boutonnat)
La dernière scène de course a dû être tournée plusieurs fois dans un endroit en extérieur (Apajpuszta), Il faisait assez froid, et nous n'étions pas trop habillés car les vêtements étaient déchirés en plus. On passait souvent devant Mylène pour s'amuser, on la doublait, puis on nous a dit que si nous voulions rentrer à la maison il ne fallait pas le faire.
Donc, je garde un très bon souvenir de ce tournage. »
Zsolt, l'ancien enfant figurant a également participé à ce court métrage. Il porte un chapeau et un gilet.
https://www.youtube.com/watch?v=BAPGMtOGdg8
Èternelle(s)
Après Désenchantée, Budapest a accueilli le tournage d'un autre clip de Mylène Farmer en février 1991. Il s'agit de celui la ballade Regrets dans laquelle Jean-Louis Murat est le partenaire de la chanteuse.
Le clip de ce duo , tourné dans l'un des cimetières les plus connus de Hongrie, le cimetière juif de la rue Salgótarjáni, montrait les deux chanteurs dans un univers en noir et blanc. Le single est sorti durant l'été 1991 en France.
L'équipe française du clip avait déjà été attirée par la Hongrie pour le tournage d´une partie d'un film à la renommée internationale,Cyrano de Jean Paul Rappeneau avec Gérard Depardieu dans le rôle principal.
En Hongrie, durant le tournage du clip Désenchantée, Laurent Boutonnat cherchait de son côté un lieu de tournage potentiel pour son film Giorgino.
Couverture du scénario «Giorgio» (titre provisoire) - (Le script en hongrois en possession de l'auteur de l'article, est celui avec lequel Laurent Boutonnat était venu à Budapest pour le "vendre" ; il était toujours écrit sous le titre provisoire « Giorgio » (voir photo), et - si vous pouvez en croire la date - il a été créé en 1989. Le scénario final de 1992 existe avec des différences mineures par rapport à la version proposée sur le site de Jodel Saint-Marc.)
Ce mélodrame difficile à résumer et très sombre a finalement été tourné en Slovaquie. Le tournage très physique et douloureux, a conduit en 1994 à la rupture de l'osmose jusqu'ici parfaite du duo Farmer-Boutonnat.
Mais la success-story n?est pas pour autant terminée, comme en témoignent les huit albums studio de Mylène Farmer sortis depuis. Si tous n?ont pas été co-écrits avec Laurent Boutonnat qui s'est fait par ailleurs plus rare derrière la caméra, la position de leadership de Mylène qui se prolonge sur plusieurs décennies, semble toujours inébranlable sur le marché de la pop française.
Désenchantée est un moment cathartique incontournable des concerts de l'artiste depuis sa sortie. À ces moments magiques, l'auteur de l'article y a pris part à plusieurs reprises.
#NP propose pour la première fois la version live Avant que l'ombre... à Bercy de Désenchantée en HD
Quant à l'impact de la chanson, il faut savoir que la naissance du hit Disappointed d'Electronic (Bernard Sumner, Johnny Marr et Neil Tennant) est liée à la découverte de Mylène Farmer par le chanteur des Pet Shop Boys lors de sa tournée de 1991. Il a alors acheté L'autre... et un an plus tard sortait le single Disappointed dont le refrain pourrait se traduire ainsi en français : «Désenchanté, une fois de plus, désillusionné, encore»
La jeune génération et l'Europe au-delà du monde francophone ont pu découvrir le nom de Mylène Farmer et Désenchantée en 2002. La chanteuse belge d'Eurodance Kate Ryan avait alors proposé une adaptation de la chanson, qui s'est hissée au sommet des charts en Allemagne, en Autriche, en Hongrie et en Norvège.
L'hymne Désenchantée a depuis connu bien des reprises avec des approches diverses, mais la meilleure à ce jour reste la version de Mylène Farmer. Tout le mérite en revient à elle et bien sûr à Laurent Boutonnat.
La compilation Histoires de, parue fin 2020, qui retrace le parcours de la chanteuse depuis ses débuts, est une belle opportunité de découvrir ou tout simplement de se remémorer l'oeuvre de Mylène Farmer.
Un article écrit par un fan hongrois de Mylène, János Janurik
Note : Les copies d'archives jointes à l'article proviennent du procès-verbal du tournage hongrois de Désenchantée, qui enrichit la collection de l'auteur de l'article.
Un anonyme
le 18/03/21 à 12:02 top comm'