Mylène a
accordé avec Sting une interview
à l'un des plus grands quotidiens d'Allemagne, "Die Welt".
Mylène n'avait accordé dans le passé
que deux interviews en Allemagne : en
février
1996 à la radio FFN et en
mars
1996 pour le "Vogue" allemand (une interview
croisée avec Amélie Nothomb).
L'album
Interstellaires
s'est classé pour sa première
semaine à la 79è place du top albums Allemagne.
Mylène.Net vous propose la traduction de cette nouvelle
interview dans son intégralité en
français.
Elle est l'icône
de la musique pop la
plus couronnée de succès en France, il est une
star mondiale.
Maintenant, Mylène Farmer et Sting chantent en duo. Une
conversation
de couple sur les barbes des hipsters et des machos, sur l'homophobie
en Russie et sur comment danser malgré une fracture de la
jambe.
Un
hôtel de luxe près de l'Arc de Triomphe
à Paris : Sting ouvre la
porte d'une suite, mais laisse tout d'abord passer la chanteuse
française Mylène Farmer. Tous deux forment un
couple pour une
chanson : ils ont récemment
ré-enregistré une vieille chanson de
Sting. En anglais et en français.
Stolen Car
- l'histoire
d'un voleur de voitures, d'un chef d'entreprise et de sa
maîtresse.
En France, la chanson s'est hissée au numéro un
dans les charts
iTunes. Elle figure également sur le nouveau CD
Interstellaires
de Mylène Farmer qui vient de sortir. Un
mélange pop éclectique
de guitares, de reggae et de ballades - reliés par cette
voix de
femme douce et triste. Farmer et Sting prennent place sur un
canapé
en cuir. L'un à côté de l'autre. Le
journaliste est assis en face
d'eux. On a l'impression d'être en thérapie de
couple. Mais ce ne
sera pas aussi grave que ça.
Welt am Sonntag : Madame
Farmer, vous vous êtes récemment cassé
une jambe. Comment
allez-vous ?
Mylène Farmer : Merci, je vais déjà
beaucoup
mieux. C'est lors d'un accident il y a cinq mois qu'elle a
été
fracturée à deux endroits.
Welt am Sonntag : Avez-vous
remarqué ce qui est
arrivé au Foo Fighters et chanteur Dave Grohl - lorsqu'il
est tombé
de la scène en Suède, s'est cassé la
jambe et qu'il a joué peu de
temps après avec des analgésiques et un bandage
réalisé à la
hâte ?
Mylène Farmer : Bien sûr, je l'ai vu comme la
plupart des gens. J'ignore absolument comment il a pu supporter cela.
Ce fut vraiment très courageux.
Sting : Je crains que depuis lors
beaucoup de personnes croient être en mesure de booster leur
carrière avec de telles cascades. On se casse la jambe de la
manière
la plus spectaculaire possible pour attirer l'attention sur soi
(rires).
Welt am Sonntag : Mais cela a aussi des
inconvénients : Grohl va devoir passer le reste de la
tournée des
Foo Fighters en position assise avec la jambe
plâtrée.
Mylène
Farmer : C'est vraiment incroyable. Je n'aurais jamais pu monter sur
scène et donner un concert avec une jambe cassée.
Inimaginable. Je
suis déjà très contente d'avoir
réussi à participer au tournage
de la vidéo avec Sting avec des béquilles.
Sting : Il faut
ajouter que contrairement à toi, Dave Grohl n'a pas besoin
de porter
de talons hauts lorsqu'il se produit avec une jambe cassée.
Lors de
notre tournage vidéo, Mylène a dû
marcher avec des talons
aiguilles sur un sol pavé alors que sa jambe
n'était pas encore
complètement guérie.
Welt am Sonntag : Ce qui a eu pour
conséquence,
comme on a pu le lire sur le net, que Sting a dû la serrer
tout
contre lui en dansant, afin qu'elle ne tombe pas.
Mylène
Farmer : Exact. Ok, je vais vous dire maintenant ce qui s'est
vraiment passé : je me suis intentionnellement
cassé la jambe,
juste pour pouvoir m'accrocher à Sting pendant le tournage
et lui
souffler à l'oreille : "S'il te plaît, serre-moi
fort."
(Rires) Plus sérieusement : il a bien veillé sur
moi.
Welt am Sonntag : Pour
votre duo Stolen Car,
Sting a dû chanter dans
une tonalité plus élevée pour que vos
deux voix s'harmonisent. Il
faut dire qu'il a déjà une très haute
voix. Avez-vous eu une
astuce pour le convaincre ?
Mylène Farmer : Non, j'ai dû
rassembler tout mon courage avant de lui demander s'il pourrait
chanter dans une tonalité plus haute. Cela allait tout
simplement
mieux avec ma voix. Si nous avions chanté la chanson dans sa
tonalité d'origine, j'aurais dû chanter avec une
voix plus basse.
Cela aurait été désagréable
pour moi. Il a immédiatement dit :
"Oui, bien sûr, je vais le faire."
Sting : "Oui,
madame. D'accord." Lorsqu'une femme me demande de chanter plus
haut, je le fais. Je suis un gentleman.
Mylène Farmer : Je pense
que ça ne lui a pas été dommageable.
Avec cette nouvelle tonalité,
sa voix a des nuances tout à fait différentes. Le
morceau est plus
intéressant que lorsqu'il le chante dans la
tonalité que nous lui
connaissons.
Welt am Sonntag : Comment l'avez-vous
vécu,
Sting, est-ce que ce fut difficile ?
Sting : Ce fut difficile
parce que j'étais en tournée pendant la
période d'enregistrement
et que j'ai un peu trop sollicité ma voix. Mais une telle
chose
n'est généralement pas un problème
pour moi. Je suis un chanteur
professionnel. Je devrais être capable de chanter dans une
tonalité
différente. Les changements de tonalité sont
très intéressants,
car une chanson peut instantanément obtenir ainsi une
tonalité
émotionnelle totalement différente. Je trouve que
la nouvelle
version sonne mieux que mon ancienne version de 2003. Mylène
m'a
poussé vers de plus hauts sommets. Ma voix a une
clarté différente.
Welt am Sonntag :
Un retour vers une époque où
votre voix était plus haute, plus agressive ?
Sting : Pas
forcément. Je continue de chanter
Roxanne
dans la même
tonalité dans laquelle j'ai écrit la chanson. Je
remercie Dieu de
parvenir encore et toujours à chanter "haut" . Mais je
reconnais que lorsque je
compose de nouvelles chansons aujourd'hui, je les écris
habituellement dans une tonalité plus basse, parce que je
suis en
train de développer une voix plus basse.
Welt am Sonntag :
Votre duo en a surpris plus
d'un, car personne ne savait qu'il y avait un lien entre vous.
Comment vous êtes-vous connus ?
Mylène Farmer : J'ai vu
Sting il ya quelques années lors d'un spectacle à
la St. Like's
Church de Londres. Ce fut très poétique et
impressionnant. L'année
dernière, je me suis envolée pour New York et j'y
ai vu la mise en
scène de sa comédie musicale
The Last
Ship - très sombre,
très émouvante. Nous nous sommes
rencontrés ensuite, et lorsque je
lui ai demandé s'il accepterait que nous fassions quelque
chose
ensemble, il a répondu : "Pourquoi pas ? "
Sting : Je
suis ami avec le manager de Mylène, il a mis en
scène il y a
quelques années à Paris l'opéra
Welcome
to the Voice
auquel je participais. Je m'étais réjoui de
constater que Mylène
était venue voir mon oeuvre de Broadway
à New York. Lorsqu'elle m'a
demandé de proposer une chanson,
Stolen Car
m'est
immédiatement venu à l'esprit, je l'avais
écrite il y a douze ans.
Je m'étais toujours imaginé qu'une femme devrait
en chanter le
refrain : "Emmène-moi danser ce soir." La petite amie d'un
chef d'entreprise marié le chante parce qu'elle ne
reçoit pas assez
d'attention. J'ai toujours attendu LA femme qui pourrait chanter
cela.
Welt am Sonntag : Madame Farmer, vous avez
réécrit
des parties de la chanson de Sting et vous les avez traduites en
français. Avez-vous eu des doutes quant à savoir
si cela allait
bien s'harmoniser ?
Mylène Farmer : C'est pour ainsi dire une
adaptation. Je suis resté très proche de
l'original.
Sting :
C'est comme un espéranto musical. Même si je ne
comprends pas tous
les mots que chante Mylène, je peux ressentir les
émotions qu'elle
transmet à travers la langue française et son
rythme.
Mylène
Farmer : C'était compliqué. Cette chanson ne
s'est pas faite
en une
heure ou deux. C'était passionnant. Et aussi un peu
effrayant.
Sting
: Pourquoi cela l'était ?
Mylène Farmer : Eh bien, parce que
c'est une chanson de toi. On ne doit pas bâcler une chanson
de
Sting.
Welt am Sonntag : Et allez-vous continuer
à
chanter tous les deux ?
Mylène Farmer : Peut-être que Sting
viendra une fois comme invité à l'un de mes
concerts - ce serait
merveilleux. Mais il est déjà bien
occupé. Je suis infiniment
heureuse que cela ait marché avec ce duo.
Sting : Je suis
actuellement en studio, c'est vrai.
Welt am Sonntag : Votre dernier album
The Last Ship en 2013 se composait de
chansons pour votre
pièce de Broadway du même nom, vous avez
enregistré votre dernier
album pop en 2003 avec des chansons plus personnelles. Ça y
est,
c'est le grand retour ?
Sting : Honnêtement, je dois avouer
qu'actuellement je donne la priorité au travail en studio.
J'ai
réuni une équipe de musiciens et je m'amuse tout
simplement. Je ne
peux en dire davantage.
Welt am Sonntag : Mme Farmer, en France et
dans
d'autres pays francophones vous remplissez les stades, vous avez du
succès en Europe de l'Est. En Allemagne, le nombre de vos
fans est
moins grand. Cela ne vous dérange pas ?
Mylène Farmer : Cela
ne me surprend pas car c'est de ma faute. Lorsqu'on m'a
demandé il y
a des années si je voulais faire la promotion de mes albums
à
l'étranger, y compris en Allemagne, j'ai refusé.
Welt am Sonntag : Pourquoi ?
Mylène Farmer
: Parce que cela me coûte encore de parler de
moi-même dans les
interviews. Principalement. En France je ne donne également
que très
peu d'interviews. Si je m'étais plus impliquée en
Allemagne, cela
aurait été sûrement
différent.
Sting : Mylène est une grande
star mondiale de langue française. Il est important de le
reconnaître.
Welt am Sonntag : Comme les chanteurs
anglophones,
vous ne connaissez pas de telles limites, vous êtes un acteur
sur la
scène internationale. Est-ce que cela vous donne parfois
mauvaise
conscience ?
Sting : Cette situation a davantage à voir avec
l'hégémonie des États-Unis. Le pays
est une puissance politique et
militaire, mais en même temps une force culturelle
également. Le
jazz, le blues et le rock'n'roll sont toutes des expressions
américaines. Nous avons pu nous approprier plus facilement
les
Anglais que les Français ou les Allemands.
Welt am Sonntag : Donc, pas de mauvaise
conscience
?
Sting : Nous ne devrions pas chercher un débat
d'équité
dans ce contexte. Cela n'a rien à voir avec
l'équité, ce sont des
accidents de l'Histoire. Bien sûr, j'ai eu de la chance de
grandir
en Angleterre dans les années 1950, lorsque nous avons
entendu la
musique américaine. Et c'est ainsi que plus tard j'ai pu
vendre ma
musique aux États-Unis. Donc, c'est comme si je l'avais
vendue dans
ma ville natale minière de Newcastle. Mon impression est que
l
'étendue
de la culture est maintenant passée au niveau international.
Il y a
une plus grande variété, pas seulement de la
musique
anglo-américaine. Tout au long de l'histoire il y a toujours
eu ces
répartitions. La musique a été
longtemps marquée principalement
par des compositeurs italiens. Ensuite, le relais a
été pris par la
France, puis l'Allemagne, avec Beethoven, puis Bach, l'Angleterre. Je
vois cela comme un mouvement constant. La langue française
est une
valeur importante qui devrait être plus entendue. Mais cela
vaut
pour toutes les langues. Toutes les langues sont belles. Elles ont
toutes de la poésie. Toutes les langues ont leur Schiller et
Goethe.
Welt am Sonntag : Mme Farmer, hors de
France, vous
avez très bien réussi, notamment en Russie.
Avez-vous dans vos
performances à Moscou ou Saint-Pétersbourg aussi
joué votre « Sans
contrefaçon - je suis un
garçon » ?
Mylène Farmer :
Oui, toujours. Pourquoi ?
Welt am Sonntag : Votre chanson tourne
autour de
la recherche de l'identité sexuelle. Vous êtes
devenue notamment
une icône du mouvement gay et lesbien. Depuis la loi anti-gay
de
Vladimir Poutine, la déclaration publique sur les gais et
les
lesbiennes est une infraction punissable. Avez-vous ressenti l'effet
de ces restrictions ?
Mylène Farmer : Non. J'ai toujours
pu chanter en Russie toutes les chansons que je voulais.
Sans
contrefaçon a été l'une
d'entre elles. Et je l'ai chantée de
nombreuses fois. Je n'ai jamais été
menacée ou rappelée à
l'ordre de quelque façon que ce soit.
Welt am Sonntag : Le
député de droite à la
Douma Alexander Starovoitov voulait intenter un procès
à U2 -
concernant la propagande pour les homosexuels. C'était
à l'occasion
de la couverture de Songs of Innocence,
leur
dernier CD : on voit le batteur Larry Mullen, serrant son fils adulte
- les deux hommes torse nu.
Mylène Farmer : J'en ai
entendu parler. Je peux seulement dire que personnellement cela ne
m'est jamais arrivé.
Sting : Il est curieux de voir comme
certaines parties du monde évoluent vers une plus grande
tolérance,
tandis que d'autres restent à l'âge des
ténèbres. Nous ne devons
pas permettre que les homosexuels soient mis à part dans la
société
ou même traités comme des criminels. Cela n'a pas
de sens. Nous
devons parler chaque fois que quelque chose comme cela se produit.
Parce que c'est ça l'avenir : l'acceptation. la
tolérance la
compréhension. Si un politicien stupide en Russie dit qu'il
va
poursuivre U2, il ne cherche qu'à se faire de la
publicité.
Welt am Sonntag : Il a obtenu de la
publicité.
L'info a fait le tour du monde entier.
Sting : Oui, il
n'aura obtenu que de la publicité. Je ne peux pas le prendre
au
sérieux.
Welt am Sonntag : Sting, vous vous
êtes longtemps
abstenu de diffuser des messages politiques dans vos chansons. Au
lieu de cela, vous avez chanté dernièrement :
« Il n'y a pas de
religion, si ce n'est le sexe et la musique. »
Mylène Farmer
: Vraiment ? Cela sonne pas mal, je le chanterais bien tout de
suite.
Sting : Vous voyez, c'est pour cela que Mylène et moi nous
nous entendons si bien. Séparer le sexe de la religion est
une
erreur. Il devrait y avoir un lien entre le sexe et la religion. Le
sexe crée la vie, la vie passe par les relations - et
même la
religion. Avant l'ère chrétienne le sexe
était merveilleux et
amusant. Il a été
vénéré comme une sorte de cadeau, non
pas
comme quelque chose que nous devons cacher, comme on le voit dans de
nombreuses religions. Sexe et musique - c'est ma religion.
Mylène
Farmer : A moi aussi.
Sting : Amen.
Welt am Sonntag : Joli mot de fin. Je dois
vous
poser encore une question au sujet de votre barbe.
Sting : Ma
barbe ?
Welt am Sonntag : Aujourd'hui ce
sont seulement les
gens branchés qui la portent, ce qui les met en
évidence comme les
punks et les porteurs de coupe mulet.
Mylène Farmer : Je
trouve sa barbe TRÈS sexy.
Sting : J'ai porté la barbe pendant
des années, puis rasée de nouveau et je l'ai
ensuite laissée
repousser pour le rôle au théâtre. Je
suis un pré-hippie. (rires)