Comment
êtes-vous arrivée sur le montage de Sans
contrefaçon
?
J'avais déjà travaillé, avec
Laurent
Boutonnat, sur le tournage de ses deux clips
précédents, Libertine
et Tristana.
Vous connaissiez Laurent
depuis longtemps ?
Non. Je l'ai rencontré en 1986 pour Libertine. Une
amie, responsable de post-production chez Movie Box
(société productrice des clips Libertine et Tristana, NDLR),
m'a proposé de monter le clip d'un jeune
réalisateur. Comme je n'avais jamais
monté de clip,
je me demandais si c'était un genre qui allait me
convenir. Je me rappelle que mon amie m'avait alors
convaincue en
me disant : Mais ne t'inquiète pas,
c'est un
petit clip d'un jeune et charmant réalisateur".
Avec le recul, c'est assez drôle (rires).
Comment s'est
passé le travail sur ce premier clip ?
Dans un premier temps, j'ai reçu le story-board du
film.
J'ai été très surprise
qu'il soit
très élaboré : chaque plan
était
dessiné très précisément.
Je n'ai pas
assisté au tournage. Puis il y a eu le visionnage des
rushes.
C'est là que j'ai rencontré
Laurent pour la
première fois; les plannings de chacun n'avaient
pas
permis qu'on se rencontre plus tôt.
C'était le
début d'une collaboration fructueuse.
Car vous avez
travaillé longtemps avec lui après cela ?
Oui, j'ai monté tous les clips de
Mylène
jusqu'à Beyond
my control
inclus, mais
aussi le film du Tour 89,
et le long-métrage Giorgino.
Mylène
assistait-elle au montage de ses clips ?
Elle venait de temps en temps.
Elle s'y
investissait ou faisait-elle juste un coucou furtif ?
Dans la mesure où elle était très
concernée, elle s'impliquait. Mais elle
était en
totale confiance avec Laurent donc elle n'avait pas grand
chose
à ajouter.
Vous travailliez donc en
binôme avec Laurent ?
Oui.
Le réalisateur
d'un film est toujours présent au moment du
montage ?
Il n'y a pas de règles. Avec certains
réalisateurs,
on discute longuement de la façon dont ils
conçoivent
telle ou telle séquence. Généralement,
on fait
ensemble une sélection des prises, et on pose quelques
options
de montage. Puis je travaille seule. Laurent, lui, était
là en permanence.
Au risque de vous
réduire à un rôle
d'exécutrice ?
Non, pas du tout. C'était un vrai travail en duo,
une
vraie collaboration. Laurent est quelqu'un de très
ouvert
à l'opinion des autres, même
s'il sait
très précisément ce qu'il
veut. C'est
quelqu'un de très rigoureux et de perfectionniste.
Avez-vous vu Laurent
évoluer au fil des années ?
Dans sa manière de travailler, pas tellement non. Il avait
dès le départ un réel
professionnalisme et une
vraie exigence.
Et le climat
général a-t-il changé au fur et
à mesure que le succès de Mylène
grandissait ?
J'imagine que la pression était
différente pour
Mylène et Laurent, mais je n'ai pas eu
à en
souffrir. Les conditions de travail étaient même
de plus
en plus confortables : le succès aidant, Laurent avait une
totale liberté. A la fin, on montait dans les locaux de sa
production, Toutankhamon. De ce fait, on n'avait aucune
contrainte de temps : on ne sortait de la salle de montage que
lorsqu'on était pleinement satisfaits du
résultat.
Un vrai luxe !
Comment avez-vous
perçu le duo Farmer/Boutonnat ? Mylène
vous semblait-elle une marionnette, à l'image de
celle de Sans
contrefaçon ?
Pas du tout ! Il y avait une vraie complicité entre eux.
Mylène paraissait apprécier la façon
dont Laurent
mettait en images ses chansons, et Laurent avait l'air
très inspiré par le personnage de
Mylène.
Après, qui a créé qui ?…
Comment les
décririez-vous, sur un plan humain ?
Ils sont très drôles chacun dans leur genre.
Laurent a
beaucoup d'humour ; Mylène est plus
pince-sans-rire. Par
ailleurs, ayant eu une relation plus distanciée avec
Mylène, je l'ai toujours trouvée
très
pudique, même secrète; elle parle très
peu
d'elle, même si elle a une forte
personnalité.
J'ai noté aussi, chez l'un comme chez
l'autre,
une droiture redoutable, exigeants avec eux-mêmes et avec les
autres.
En 1994, dans le magazine
«Studio», Mylène
décrivait un Laurent assez dur avec elle sur le tournage
de Giorgino.
L'avez-vous ressenti ?
Je n'étais pas sur le tournage. Je suis
restée au
studio Barrandov à Prague pour gérer les rushes
et
préparer le montage. Ceci dit, vu l'enjeu
énorme
pour Laurent, et dans la mesure où il avait une relation
personnelle avec Mylène, j'imagine qu'il
était plus enclin à exiger d'elle la
perfection.
En règle
générale, montiez-vous de manière
classique ou sur ordinateur ?
On a toujours travaillé de manière traditionnelle
(table
de montage film), et ce jusqu'à Giorgino
inclus.
Quelle était
la chose la plus difficile à chaque montage ?
De démarrer. Chaque montage a ses propres
résistances. Et il faut toujours commencer par le
commencement !
Est-ce plus complexe de
monter un clip qu'un long-métrage ?
Non. C'est différent. Ce sont deux genres qui ont
leur
propre grammaire. Dans le cas d'un clip, la musique nous
donne la
ligne à suivre.
Est-ce que Laurent
tournait beaucoup ?
Pas mal. Pur un clip, cela représentait plusieurs heures de
rushes. Pour Giorgino,
c'était autour de 80 heures !
Il y a donc beaucoup de
plans qui partent à la poubelle ?
Oui, mais c'est normal. Chaque séquence est
découpée en plans. Chaque plan
nécessite de
nombreuses prises. Ce qui génère un
métrage
évidemment supérieur à la
durée finale du
film.
Que deviennent tous les
rushes ?
Ils sont conservés au laboratoire. Au-delà
d'une
certaine période, ils sont soit
récupérés
par la production, soit détruits.
Où avez-vous
fait le montage de Sans
contrefaçon ?
Il me semble que c'était aux Dames Augustines,
à Neuilly.
C'est
là que vous montiez en général ?
Non. Certains clips ont été montés
à la
production, rue d'Aumale, dans le IXe arrondissement de
Paris; il s'agissait des locaux de Movie Box, là
où Laurent a plus tard installé sa
société,
Toutankhamon. Libertine
a été
monté à la GLPIPA, à
Levallois. Pourvu
qu'elles soient douces à S.I.S.
à la
Garenne Colombe.
Combien de temps vous a
demandé le montage de Sans contrefaçon
?
Trois semaines, je crois.
Vous estimez que
c'est long ou normal ?
Aujourd'hui, avec le recul, ça me paraît
luxueux.
Mais en même temps, cela me paraît le temps
nécessaire vu le travail fourni et le résultat.
Il
s'agit d'un montage très
précis, d'une
histoire qui se raconte. Il fallait le temps de la réflexion.
Quel est le montage
d'un clip de Mylène qui vous pris le plus de temps
? Pourvu
qu'elles soient douces. Le montage a
duré cinq semaines. Ceci dit, le montage de Regrets a pris
relativement beaucoup de temps lui aussi. Ce qui peut
paraître curieux car il doit compter une quinzaine de plans
environ, alors que Pourvu
qu'elles soient douces
en contient, je crois, près de cinq cents. La
réflexion
ne se comptabilise pas : trouver l'émotion juste,
trouver
le bon rythme. Un film qui joue sur la lenteur demande plus de recul.
Quel est le clip qui vous
a demandé le moins de temps ?
Je ne sais plus. Je crois que Libertine
s'est fait assez vite…
C'est pourtant
un véritable court métrage…
Oui, mais la situation était particulière. Pour
Laurent,
il était important, voire vital, de réussir ce
clip. De
mon côté, c'était ma
première
expérience dans ce domaine. On se devait donc
d'être
efficaces. On travaillait beaucoup et on se parlait peu -
d'autant qu'on ne se connaissait pas bien. Et comme
à cette époque, la société
de production
louait un studio de montage extérieur, il ne fallait pas
perdre
de temps.
Combien de temps vous a
demandé le montage du film En concert ?
Il s'est étalé sur presque un an, avec
quelques
pauses - en raison de difficultés pour démarrer,
et
du temps pour monter deux clips live, Allan et Plus grandir.
Des
difficultés pour démarrer ?
Oui, on a eu du mal à trouver le ton, car il
s'agissait
d'un concert; c'était un genre nouveau
pour Laurent
et moi-même. Peut-être que le fait de ne pas
être
soutenu par une histoire était déroutant.
Comment faisiez-vous pour
prendre du recul lors d'un montage lorsque vous pensiez
être dans une impasse ?
On s'arrêtait. Et on reprenait le lendemain, avec
les
idées plus claires. Pour Regrets qui, par sa
lenteur, nous donnait du fil à retordre, le temps de
réflexion se passait souvent à jouer aux
échecs.
Est-ce que Sans
contrefaçon
vous a
demandé un travail particulier, notamment par rapport au
fait
qu'il a été tourné en
extérieur et
qu'il était donc tributaire des caprices
climatiques ?
Non car les problèmes de continuité de
lumière
sont du ressort du chef opérateur. Mais j'ai
l'impression de toute façon que la
météo
avait été assez constante lors du tournage. Il y
a aussi
l'étape de l'étalonnage du
film après
montage qui est censée équilibrer les couleurs,
la
lumière et la densité du film.
Vers la fin du clip, le
marionnettiste court après Mylène
sur la plage. Pourquoi avoir choisi
d'accélérer les
images ?
Je n'ai pas souvenir du moindre trucage sur ce montage. Je
crois que cela s'est fait au moment du tournage.
Le rythme du clip est
assez lent par rapport à celui de la chanson. Etait-ce une
volonté ?
Oui et non. Il faut être en adéquation avec
l'histoire que l'on raconte car elle a son rythme
interne.
Cela peut impliquer certaines longueurs de plans.
Certes, mais
l'époque était alors à
l'affirmation d'un style MTV, une forte tendance
à
accélérer le rythme des images...
Oui, mais on n'était pas dans cette logique
où tous
les plans se valent. Laurent faisait un film et racontait une histoire,
avec des pleins, des déliés, des respirations,
des
changements de rythme.
Vous trouviez plus
valorisant de travailler sur les clips de Mylène ?
Plus intéressant surtout ! C'était un
vrai montage,
pas juste un travail de coupe. Je pense que dans l'Histoire
des
clips, ceux de Mylène resteront.
Du fait d'avoir
ces clips prestigieux sur votre C.V., avez-vous
été beaucoup sollicitée par
d'autres
artistes désireux d'avoir des clips à
la Farmer ?
Peut-être. Néanmoins, personne ne l'a
égalée.
Pour quels autres
chanteurs avez-vous monté des clips ?
Marc Lavoine pour les chansons extraites de l'album Paris, les
Innocents, et Jean-Louis Murat pour le film Murat
en plein air.
Combien existe-t-il de
copies de chaque clip de Mylène ?
Au-delà du négatif de tournage, il existait au
minimum
une copie du film, lorsqu'une projection en salle
était
prévue. Sinon, la diffusion télé se
faisait à partir de
masters vidéo.
Vous arrive-t-il de
revoir tous ces clips ?
Cela m'arrive. Et à chaque fois, je les trouve
vraiment
bien. Avec le temps, ils n'ont pas pris une ride, et tout le
monde peut être fier du résultat.
Duquel
êtes-vous particulièrement fière ?
De tous ! Chacun dans son genre est une étape.
C'est aussi
très mêlé à des
époques de ma vie.
Peut-être que pour Beyond my control,
on
était déjà dans la
préparation de Giorgino.
Mais, au niveau du montage, il n'en a pas
été négligé pour autant.
Il est regrettable que le
générique de Désenchantée
soit en blanc alors qu'il est
sur fond de neige. C'est illisible...
Je crois que Laurent avait toujours plus en tête le grand
écran que le petit. C'est le cas de beaucoup de
films.
Comment se fait-il que
nous n'ayez plus travaillé avec
Mylène ou Laurent après Giorgino ?
Je pense que l'échec de ce film a
été une
terrible épreuve pour Laurent et qu'il a voulu
tourner la
page.
Les avez-vous revus
depuis ?
Non.
Estimez-vous que Giorgino est un film raté ?
Non ! Je le trouve magnifique avec d'énormes
qualités esthétiques et
cinématographiques. Ce
n'est pas parce qu'un film est un échec
commercial
qu'il est mauvais. Laissons le temps faire son travail. On en
reparlera plus tard. Peut-être deviendra-t-il un film
mythique...
Combien de temps a
duré le montage ?
Neuf mois. Juste pour l'image.
N'est-ce pas
trop long ?
Au contraire. Dans ce cas de figure, c'était trop
court.
Peut-être avait-on besoin de plus de recul, de
réflexion,
donc plus de temps. Un long métrage, ça ne se
monte pas
comme un clip.
Vous vous
êtes mis au montage tout de suite après le
tournage ?
Non. On a commencé en juin 1993, soit un mois
après la fin du tournage.
Aimeriez-vous
retravailler avec Laurent ?
Pourquoi pas ? Il me semble que nous ne sommes pas
fâchés. Mais dans la vie, les gens et les choses
évoluent.
Comment
réagissez-vous au fait qu'on vienne vous
interviewer au sujet de clips tournés il y a une vingtaine
d'années ?
Je réalise à quel point les clips de cette
période
ont marqué le public. Tant mieux ! Cela
m'étonne et m'amuse en même temps.