Alain Escalle - Interview (2009 - Clip "C'est dans l'air")
Le tournage du clip s'est déroulé à Saint-Ouen, à côté de Paris, pour la partie fond vert (les images réelles, celles de Mylène, sont tournées sur fond vert pour permettre ensuite d'intégrer les images de synthèse, celles des squelettes notamment, NDLR) et à Paris dans un studio pour enregistrer la chorégraphie pour la motion capture (traitement informatique).
Combien de temps a-t-il demandé ?
De la conception à la finalisation, le clip aura demandé plus d'un mois de travail, avec plusieurs équipes de fabrication 3D et 2D. Le tournage en lui-même a pris quatre heures en ce qui concerne les chorégraphies (celle de C'est dans l'air pour le clip et le concert, et celle d'un autre morceau pour le spectacle), et une journée pour le tournage sur fond vert (qui implique Mylène, NDLR). Une très longue journée en l'occurrence; cela s'est prolongé très tard dans la nuit car nous avons d'abord travaillé sur les images du concert et, après des ennuis de caméra en panne, nous avons fini le tournage au petit matin.
Vous devancez mes questions. Vous avez donc tourné le clip et les différentes images pour le concert en même temps.
Oui, le tournage pour les images du concert a commencé à 8h du matin pour se terminer à 19h. Puis nous avons commencé le travail sur le clip qui, lui, s'est fini à 4h du matin.
Le clip est arrivé en télés le 15 avril. Quand l'avez-vous terminé ?
Une semaine avant, le 7.
Sauf erreur de ma part, Mylène n'est pas une grande habituée des tournages sur fond vert, à part sur Fuck them all et peut-être Q.I. Etait-elle à l'aise ?
Je crois que le fait d'être devant un fond vert ne change pas grand chose. Il n'y a rien de révolutionnaire dans cette technique. Elle est régulièrement utilisée depuis vingt ans. Dans notre cas, cela faisait partie intégrante du style graphique que je désirais et puis, il fallait faire un clip qui utilise les éléments préexistants fabriqués pour le concert. Je désirais cet esprit de photo montage et de collage brut et graphiquement très expérimental. Le plus dur pour toute l'équipe fut le tournage tardif car il venait après une bonne journée de travail autour des images du concert.
Quand avez-vous commencé à parler de la conception du clip avec Mylène ?
Assez vite, début février 2009, car alors que je présentais mes premières images pour la tournée, Mylène a tout de suite été intéressée par le visuel que j'ai proposé sur la chanson pour le concert. En l'occurrence, des matières expérimentales très graphiques sur le thème de l'électricité statique et le crâne, tête de mort de Mylène qui chante C'est dans l'air sur l'écran principal en vanité.
Qui a eu l'idée du scénario ?
L'idée était de créer un élément catalyseur entre le clip et cette partie importante du concert, et comme vous l'aurez compris tout s'est très vite mis en œuvre, presque je dirais même dans l'urgence, car il fallait cumuler la création du clip en parallèle avec le travail de création gigantesque réalisé pour le concert – plus de huit heures d'éléments graphiques réalisés en seulement trois mois. Le clip est beaucoup plus composé de concepts abstraits que d'un réel scénario. Tout est parti de l'idée de mon crâne qui chante : en le voyant, Mylène a tout de suite eu envie d'une chorégraphie avec des squelettes, en me laissant très libre somme toute pour le reste. L'idée du crâne était là, les matières graphiques aussi, j'ai proposé à Mylène des éléments supplémentaires d'archives (tests et explosions nucléaires) qui permettent d'introduire un second niveau de lecture plus sérieux qui contrebalance ainsi le côté très second degré des chorégraphies de squelettes. Après, c'est le travail habituel de toute construction. Mylène reste évidemment très présente dans toute cette élaboration.
Avez-vous eu une ou des sources d'inspiration précises pour l'élaboration du clip ?
Non, aucun élément ou référence en particulier… Simplement des concepts visuels qui sont dans notre inconscient collectif. Comme dit précédemment, tout s'est mis en place avec logique, à partir des éléments visuels du spectacle.
Me trompe-je en disant que le clip illustre essentiellement l'esprit de "On s'en fout, on finira au fond du trou" ?
Le clip illustre la chanson, tout en ayant un regard détaché et amusé, un second degré nécessaire pour éviter un message trop simpliste ou trop anecdotique.
En voyant le clip, on hésite entre le message politique ("Attention messieurs les dirigeants, vous allez nous tuer avec vos guerres"), écolo ("On danse tous sur une tombe à ciel ouvert, on est tous des morts en sursis sur une planète qu'on saccage", d'où le titre) ou plus prosaïquement hédoniste ("On va tous mourir un jour alors dansons, chantons, profitons de la vie tant qu'on peut"). Pouvez-vous nous éclairer ?
Tout est dans le texte et dans les images, il n'y a pas plus à y voir, vous savez… Il faut parfois savoir garder un peu de recul et d'autodérision sur notre vie mais aussi sur notre travail… Les créations ne sont pas toujours des œuvres prétentieuses appelant un discours d'artistes qui intellectualisent une démarche. Personnellement, je déteste cela… Je n'aime pas expliquer, car tout est dans le résultat.
Les éléments graphiques reprenant le système solaire sont-ils là pour replacer le genre humain dans un cadre un peu plus vaste, histoire de le ramener à son statut de poussière dans l'univers ?
Je vais me répéter, mais il y a simplement ici une visualisation graphique de l'énergie pure et primitive.
Parlez-nous des formes sphériques omniprésentes dans le clip et sur les pochettes des disques. Doit-on y voir la terre, un œil, une éclipse, une explosion ?
Une boule d'énergie comme symbole du cercle omniprésent dans l'univers… Tout comme le carré ou la croix… Nous aurions pu aller plus loin dans l'accumulation de ces formes géométriques et primitives. Il faut y voir un rapport à l'universel, point final.
Expliquez-nous le processus de 'fabrication' des images de squelettes…
J'ai fait un casting sauvage dans un cimetière de la proche banlieue Parisienne… Et nous n'avons gardé que les personnages les plus drôles et les plus motivés. Non, je plaisante. Ce sont des danseurs numériques qui ont été dessinés en images de synthèse par une équipe de modeleurs et qui furent ensuite animés par des graphistes animateurs chez Mikros Image, un grand studio de post-production avec qui j'ai travaillé à mes tous débuts.
J'imagine que la chorégraphie des squelettes est d'abord effectuée par un homme. Qui était-ce ?
Mylène est la créatrice de la chorégraphie. Nous avons filmé Mylène pour enregistrer le motion capture de ses mouvements. Mais nous avons aussi travaillé avec Christophe Danchaud (danseur, chorégraphe et maquilleur de Mylène, NDLR) pour des improvisations sur la musique.
Avez-vous des précisions à nous donner sur le trucage de la tête de Mylène qui devient squelette à un moment du clip ?
En fait, j'ai fait une prise au ralenti du visage de Mylène qui chante, mais cette prise s'est avérée peu satisfaisante. Mais elle présentait de très intéressants accidents en termes de gestuelle, comme ce fameux mouvement de tête qui m'a tout de suite fait penser aux crash tests des essais automobiles. Cela m'évoquait par la même occasion le souffle d'une explosion nucléaire.
Pourquoi le choix du noir & blanc ?
Je désirais un rendu complètement expérimental, mêlant des images abstraites au visage de Mylène et aux images d'archives. Le noir et blanc s'est imposé naturellement en référence au cinéma expérimental et à la technique du grattage de pellicule. Je voulais aussi un rendu sans aucun effet de paillettes visuelles. Et un résultat qui ne s'inscrive pas dans un contexte actuel. Loin de tout effet de recherche de l'air du temps.
Mylène est plus livide que jamais dans ce clip. Etait-ce volontaire (pour le côté cadavérique) ?
C'est dans le ton imposé de la chanson et de la diction monocorde des couplets.
Etait-il prévu dès le départ que le clip serve de base aux pochettes des différents supports singles ?
L'envie de la pochette est venue des premières présentations du clip. C'est un choix de Mylène et je pense un besoin qu'elle avait d'imposer le style graphique du clip en cohésion aux images du concert.
Me confirmez-vous que la pochette où l'on voit Mylène est une capture et non une photo ?
Oui, c'est bien une capture du clip.
Que pensez-vous de l'exploitation faite du clip pour ces pochettes ?
Ma préférence va aux pochettes des promos et du maxi avec la tête de mort.
Etait-ce difficile pour vous de faires des images au service d'une musique alors que vous êtes habitué à l'inverse ? Vous sentiez-vous esclave d'un rythme ?
Ce n'est pas mon premier clip. J'en ai déjà fait à l'étranger, soit comme graphiste et directeur artistique (Enigma, Sandra) soit comme réalisateur. Sinon, détrompez-vous : mon style de travail est très protéiforme, j'inclus l'écriture du concept au travail sonore et à la fabrication des images… Donc je ne me sens pas prisonnier du genre. C'est simplement une part du cahier des charges. Aucun esclavage ressenti. C'est au contraire enivrant et motivant.
L'accueil des fans est plutôt mitigé, en particulier sur l'apparence de Mylène et notamment sa coiffure…
Mais l'avis des fans de Mylène est toujours mitigé. Je ne vais pas me faire des amis parmi eux, mais j'ai l'impression que quoi qu'elle fasse, il y a toujours des mécontents. C'est la vie. Ce qui est important pour tout créateur c'est de savoir pourquoi il fait les choses. Juger un détail, une couleur d'ongle, la longueur d'un faux cil, la couleur d'un rouge à lèvre, c'est stupide. Il est étrange de voir l'énergie malsaine que certains mettent en œuvre pour critiquer le travail des autres et en l'occurrence celui de leur idole qu'ils idéalisent peut-être beaucoup trop. Ce n'est qu'un clip, rien de vital dans toute cette affaire ! Lorsque l'on attend trop de quelqu'un, on ne peut qu'être déçu. J'ai aussi l'impression que certains fans ont la sensation d'être les créateurs de l'univers de Mylène et donc d'avoir autorité sur ce qu'elle propose. C'est bizarre et contradictoire. Il faut s'investir beaucoup moins dans ce type de réactions et être le créateur de sa vie, sans trop se poser de questions et surtout ne pas vivre à travers la vie d'une autre.
Il semble aussi que beaucoup attendaient un clip plus vivant, compte tenu du rythme enjoué de la chanson…
Et oui, le problème est bien qu'ils attendaient quelque chose de trop précis, tout en ne sachant rien, puisque les fans n'ont pas toutes les cartes en mains. Et s'il fallait écouter tout le monde, rien ne se ferait. Il faut juger la démarche globale d'une artiste comme Mylène.
Il semble que vous partagiez avec Mylène un goût pour la provoc', la transgression des tabous, les choses pas évidentes, difficiles d'accès…
Dans un monde où le processus artistique est banalisé par Internet ou la télé-réalité, c'est aujourd'hui le seul moyen d'exister un peu. Mais il n'y a pas à épiloguer pendant des heures. C'est plus une tournure d'esprit, une façon de penser. L'envie de la différence.
Aimeriez-vous faire l'unanimité ?
Faire l'unanimité, c'est le plus grand danger, c'est essayer de plaire à tout le monde en nivelant par le bas les propos et l'aspect final d'une œuvre. C'est aussi faire des compromis. Je déteste les compromis. C'est aussi être dans le faux. Faire l'unanimité, c'est ne pas être sincère avec soi-même.
Qu'avez-vous fait depuis Bercy 2006 ? Et quels sont vos projets ?
Depuis Bercy, j'ai entrepris la création de mon propre studio de création d'images pour commencer le travail de création sur mon projet personnel, "Le livre des morts", sur la thématique de l'extermination humaine dans le monde. J'ai aussi réalisé un clip pour un groupe étranger, Moringa 3, tout en travaillant pour quelques projets de films publicitaires à l'étranger. Depuis la création du Studio AE, j'ai aussi travaillé pour le concert de la chanteuse Ysa Ferrer à la Nouvelle Eve, à Paris, et pour un énorme spectacle à Dubaï, "Freej Folklore". Avant de reprendre le travail avec Mylène pour la tournée des stades à la rentrée, je prépare mon second tournage pour "Le livre des morts" que je pense post-produire à partir de l'automne.