Concepteur
des images de scène du Tour
2009
Automne 2009
Fanzine IAO
Après votre
collaboration sur les Bercy de 2006, pensiez-vous retravailler un jour
avec Mylène ?
Non, pas particulièrement. Nous faisons des
métiers
où il faut toujours présenter quelque chose de
nouveau - nouveau décor, nouveau créateur de
costumes.
Alors je me suis dit qu'il en serait de même pour la
création des images pour les écrans. La plupart
des gens
pense que lorsque vous faites quelque chose de très
marqué en terme de style, il vous est impossible de vous
dépasser et de faire autre chose. Et puis, je pensais que
l'aspect exclusif de cette collaboration était parfait ;
cela rendait l'expérience unique donc rare.
Avez-vous
malgré tout dit "oui" sans
réfléchir ?
J'ai dit "oui", et, surtout il m'était
impossible de refuser... Vous savez, il est très
rare de
pouvoir travailler sur un projet de commande aussi vaste où
l'on vous laisse un grand espace de création.
Mylène
et Laurent ont le même sens de la rigueur dans le travail.
C'est plus que flatteur pour un artiste, d'autant
qu'ils travaillent toujours dans le respect de leurs
collaborateurs.
Vous a-t-on
précisé d'entrée qu'il
s'agirait de stades ; saviez-vous qu'il y aurait aussi des
salles ?
J'ai été approché en septembre 2008.
Les
places pour la tournée et pour les stades étaient
déjà en vente, donc oui, j'étais au
courant.
Aviez-vous
réalisé d'emblée que votre
travail serait un élément majeur du spectacle,
faisant
presque office de décor et de lumières
à lui tout
seul ?
Non. Pourtant j'avais tous les plans depuis le début de la
conception du décor, mais c'est en entrant dans la salle
du Palais Nikaia de Nice que je l'ai
réalisé !
Là seulement j'ai compris à quel point cela
faisait
beaucoup d'écrans... Et puis j'ai
demandé à voir les images sur les
écrans et
là j'ai failli basculer en arrière !
Quand avez-vous
concrètement commencé
à travailler sur ce spectacle ?
La conception s'est étalée de novembre
à fin
décembre. Et la réalisation de janvier
à avril,
qu'il fallait gérer avec la réalisation du clip
C'est dans l'air.
Puis une seconde étape pour la
conception du spectacle en stades, de début juillet
à
début septembre.
Laurent et
Mylène vous ont-ils dit
précisément ce qu'ils attendaient de vous ?
C'est étrange car je crois que l'on n'a pas
besoin de beaucoup de mots pour se comprendre. Nous sommes
très
vite en cohésion. D'une part parce que Mylène et
Laurent sont très clairs dans leur tête et d'autre
part parce que nos univers naviguent dans les mêmes eaux.
Que saviez-vous
exactement du contenu du spectacle (chansons,
décors, costumes...) avant de vous lancer ?
Je connaissais le décor et les croquis des costumes. Nous
avons
beaucoup discuté de ce que nous aimions sur le moment et des
différentes idées que le spectacle allait
aborder.
Ensuite, comme pour Bercy, j'ai demandé à
digérer la réunion pendant quinze jours. Le temps
de me
faire ma propre idée de chaque morceau et de pouvoir
proposer,
pour chaque tableau, des thématiques visuelles au travers
d'un cahier de tendances. Différentes images issues de mes
précédents travaux ou de l'iconographie de
l'histoire de l'art.
Quelles ont
été ensuite les
différentes étapes de votre travail ?
Je suis d'abord parti des bases graphiques et ce dès le
début du mois de janvier 2009, puis en février
nous avons
tourné les images. Ensuite, de mars à fin avril,
c'était la réalisation finale des
différents
montages.
Où et quand
Mylène est-elle intervenue ? Quel a
été son apport et quel a
été le vôtre
?
Comme vous le savez, Mylène s'implique beaucoup, et autant
que Laurent, dans la conception des spectacles... Le travail
de
collaboration se fait en échanges de choses que l'on aime,
des choses qui nous rapprochent et qui vont ensuite donner la
cohérence entre mes idées et la
globalité du
spectacle. Mylène fonctionne aussi sur l'évidence
des choses. Vous savez, nous faisons un métier
très
instinctif, le calcul n'a pas de place dans la création.
Si une idée s'impose, il n'y a aucune raison de la
rejeter, sauf si elle ne trouve finalement pas sa place dans le
spectacle. En revanche, si une idée pose des
questionnements,
c'est très certainement qu'elle finira au panier.
Les tiroirs de tout créateur regorgent de carnets de croquis
ou
d'esquisses de projets non aboutis.
Pouvez-vous nous parler
de ces idées abandonnées ?
Des idées abandonnées pour un projet seront
peut-être les bases d'un autre, alors je
préfère me taire. Mais, ceci dit, je ne me
souviens pas
de quelque chose qui soit réellement abandonné.
Certaines
idées ont parfois migré de certains titres vers
d'autres, c'est tout. Souvent pour épurer la partie
piano voix.
Certaines chansons
ont-elles été plus difficiles
à travailler que d'autres ?
Non, une fois qu'une idée s'est imposée, elle
reste comme une évidence. Lorsque rien ne vient, c'est
souvent qu'il vaut mieux ne pas illustrer. Tant que je ne suis
pas sur un projet, l'inspiration est sèche, car elle
n'est pas nourrie pas les contraintes de la commande.
J'affectionne beaucoup les contraintes car, lorsqu'elles
sont claires, cela vous rend plus libre.
Hormis les images
impliquant Mylène (l'œil de
l'intro, les lèvres de Pourvu
qu'elles soient
douces...), d'où viennent les autres images non
virtuelles ?
Certaines proviennent de séquences tirées de mon
prochain
film, sinon il n'y a pas d'autres images réelles,
à part le couple doré sur Point de suture et
les
silhouettes dansantes de Désenchantée.
Pour
replacer les
choses dans leur contexte, c'était un tournage de deux
jours où nous avons intégré le
tournage du clip
C'est dans l'air.
Combien d'heures d'images
ont été
tournées ?
Je ne peux pas vous dire combien car je n'ai jamais
compté, mais je peux vous préciser que nous avons
au
final presque dix heures d'images retravaillées pour
l'ensemble du concert, qui se sont ensuite réparties sur
les soixante-dix écrans vidéos du
décor.
La setlist
n'était pas la même en province, en
Russie et dans les stades. Aviez-vous prévu des images
supplémentaires ?
Oui, car cela était prévu dès le
départ et cela faisait partie de deux commandes bien
différentes. J'ai fabriqué certaines images
supplémentaires
pour
des titres comme L'instant
X ou California.
Et pour certains autres titres qui ont
été répétés mais
qui n'ont finalement pas été
intégrés au spectacle.
Lesquels ? C'est une belle
journée fut abandonnée quelques
jours
avant
le show pour des raisons de cohérence avec le spectacle.
Avez-vous du 'improviser'
des images en Russie ou en stades
en raison de changements de dernière minute ?
Non. Tout était réellement prévu. Les
seules improvisations ont concerné l'avant-spectacle
en stades : la tête de mort sur fond rouge sang à
l'entrée du public, puis la matière pour la
première partie, Bale de Rua.
Vous avez
réutilisé des images de chansons
abandonnées pour les stades au profit de nouvelles venues,
comme
les flammes de Si
j'avais au moins... devenues eau pour
L'instant X.
Pourquoi n'avoir pas recyclé celles de
Je te rends ton amour
?
Ces images de tortures, qui font partie de mon prochain film Le livre
des morts, n'ont certes pas été
réutilisées, mais j'ai utilisé
certaines
textures mouvantes rouge sang pour l'intermezzo de Je
m'ennuie.
Au-delà des
changements inhérents au passage de
la salle
au stade, avez-vous souhaité changer des choses dont vous
étiez insatisfait après la tournée du
printemps ?
Pas d'insatisfaction, juste la rigueur d'aller plus loin
dans le travail et son aboutissement. Quelques changements sur Point de
suture qui se finit sur une croix de flamme, et sur
Désenchantée qui est traité
différemment.
Puis j'ai profité de cette nouvelle mouture pour utiliser
des images du clip C'est dans l'air afin d'enrichir
le montage.
Certains critiques
évoquent une
référence au Chien
Andalou de Buñuel pour la séquence
de l'œil lors
de
l'ouverture du show, et une autre aux tableaux de Francis Bacon
pour les images illustrant la chanson Point de suture.
Sont-elles
avérées ?
Même si c'est très flatteur, il n'y a aucune
référence au Chien
Andalou qui est un plan
d'œil crevé. Cela n'a rien à voir. Un
plan d'œil reste un plan d'œil ; il en existe
certainement par milliers. L'idée était
simplement
de signifier un œil qui scrute le public et qui ait un effet
étouffant, comme pour une opération avant
l'anesthésie... Pour ce qui est de Point de suture,
on est visuellement très loin de Francis Bacon qui peignait
des
corps difformes. Ici, mon idée première
était
beaucoup plus dans l'imagerie sadomasochiste, d'où
cet aspect amour / haine que l'on retrouve autant dans la
chorégraphie que dans les costumes corsets.
Pouvez-vous partager avec
nous d'éventuelles
références ou inspirations assumées
pour ce
spectacle, qu'elles émanent de vous ou de Mylène ? L'Enfer de Dante.
Tout ce qui a trait au corps, à
l'anatomique, à l'imagerie médicale, aux
écorchés, à la vanité...
L'idée du passage
de la vie
à la mort et de la thématique en
figure de style.
Que l'on retrouve dans
les images d'intro ?
Oui. L'expérience de mort imminente et du tunnel de
lumière, les âmes errantes qui n'ont pas encore
trouvé la paix... La délivrance. Les
âmes qui
nous hantent encore. Ces démons qui nous assaillent au
moment
où l'on ne s'y attend pas. L'œil
inquisiteur qui incise, tapis dans l'ombre. Celui qui nous
regarde dénudés, tels que nous sommes, et devant
lequel
il est impossible de mentir sous peine de se trahir soi-même.
Pour revenir à
Point de suture,
un des plus beaux tableaux
du
spectacle à mon sens, pouvez-vous nous dire qui sont les
deux
danseurs et qui a signé la chorégraphie ?
J'ai moi-même signé la chorégraphie,
mais
passons vite là-dessus car en tant que
réalisateur je
dirige, donc quand c'est chorégraphique, il est normal
pour moi de m'exprimer en termes de gestuelle avec les
comédiens. Mais c'est avant tout un travail de guide pour
diriger des improvisations autour de certaines thématiques
que
je mettais en place. J'ai donné des figures
imposées pour les mettre sur des rails, j'ai
montré
certains mouvements, je les ai accompagnés. Puis je les ai
laissés faire. Les deux protagonistes sont Flavien
Crebessegue et
Hélène Pecqueur. Ce sont des amis à
moi - Hélène, qui est actrice et
modèle, a
d'ailleurs déjà participé au tournage
des
images pour Bercy 2006. Ils ne sont pas danseurs professionnels, mais
je les ai choisis pour leur personnalité et leur
photogénie, ce que leur image dégageait.
Ces images sont-elles une
allégorie de l'amour et de la
haine, perpétuellement sur un même fil, une
incarnation de
ce sentiment qui vous caresse et vous dévore à la
fois ?
Une allégorie de la vie. Je recherchais quelque chose de
beau,
mais il fallait aussi une certaine idée de la violence, de
l'agressivité pour ne pas tomber dans une imagerie trop
lisse ou mièvre, car avec ces thématiques c'est
le
plus gros danger. J'avais besoin de faire évoluer la
gestuelle en mouvement de balancier entre volupté et
agressivité, calme, torture, et ce jusqu'au divin
(l'homme en croix improvisé au tournage).
Autre moment magique (le
plus beau, à mon humble avis) : l'après Ainsi soit je....
On
y voit une errance, lente et émouvante qui venait
à merveille soutenir le parcours de Mylène
pendant
l'instrumental Avant que
l'ombre..., en particulier en
stades quand elle marche lentement de l'avant-scène
jusqu'au haut des marches. Le tout se termine par une image de
tête de mort habillée de
rouge. Quel était le postulat de départ de cette
séquence : un long cheminement vers la mort ?
Cette image est tirée
de la séquence finale de mon prochain film, Le livre des
morts,
que j'ai commencé il y a deux ans, juste après
Bercy. Ce sera un film sur les camps de concentration et une vision
dure mais poétique de toute extermination humaine. Elle
n'est pas née de la lente marche de Mylène dont
vous parlez car j'ai travaillé les images avant que la mise
en scène ne soit faite. Pour ce
qui
est de l'image finale, il s'agit tout simplement
d'une prise de vue en direct sur l'une des deux statues. Ce n'est pas
une image de moi.
A l'instar de la pleine
lune à Genève, juste
avant Dégénération
?
Oui. Elle a été captée en direct, puis
reproduite
dans les concerts suivants. C'est quelque chose que je
n'aurais pas proposé dans la mesure où il y avait
déjà eu le soleil sur le Mylenium Tour, mais
c'était un soir de pleine lune et la tentation
était probablement grande.
S'il est des
illustrations évidentes, comme sur Appelle
mon numéro,
d'autres, aussi belles soient-elles,
prêtent à questionnement. Notamment le jeu
d'échecs sur Libertine. Pourquoi ce choix ?
Parce qu'il s'est imposé à moi, comme une
évidence. L'idée du jeu, du
libertinage... Le
jeu d'échecs est très comparable au jeu de cour :
la reine qui se joue de ses sujets jusqu'à prendre son
roi... Elle démonte toutes les pièces
à la
manière d'un film de sabre chinois. C'est une
thématique très ludique qui est
justifiée par les
règles du jeu d'échecs, mais aussi par le design
du
décor et des cases qui assumaient elles aussi
l'idée du damier de l'échiquier sur lequel se
déplacent les pièces du jeu d'échecs
et sur
lesquelles s'ouvre la chanson.
Est-ce que le travail sur
ce show a été plus
difficile pour vous que Bercy 2006 ?
Plus riche, mais pas plus dur. La création passe de toute
façon par des moments intenses de souffrance pour arriver au
bonheur mérité du travail bien fait.
Quel est votre tableau
préféré ? De
quoi êtes-vous le plus fier ?
L'introduction, Paradis
inanimé, Je m'ennuie et son
interlude, Point de
suture, Ainsi soit je..., Je te rends ton
amour, Dégénération,
Désenchantée.... Mais c'est
difficile de juger ses enfants. J'aime
finalement le travail réalisé dans sa
globalité.
Et puis, je ne m'attache pas nécessairement à mon
seul résultat, mais aussi à
l'expérience
éprouvée qui fait grandir.
Combien de fois avez-vous
vu le spectacle ?
J'ai assisté à toutes les
répétitions, puis j'ai vu les concerts de Nice,
Genève, Paris et Bruxelles.
Quelle sensation vous a
envahi en voyant votre travail dans
l'immensité d'un Stade de France ?
Tout d'abord, du mal à réaliser
l'évènement... En
général,
c'est le DVD du spectacle qui fige l'instant et du coup la
mémoire. L'équipe a été
très
heureuse après tous ces mois de tournée.
Où se situe ce
spectacle dans votre parcours, en termes de
gigantisme et de travail demandé ?
Pour moi le gigantisme, c'est l'ardeur et la rigueur dans
le travail, que ce soit énorme ou intimiste, avec un gros
budget
ou peu d'argent. Lorsque l'on veut faire des choses,
c'est toujours possible de s'exprimer. Mais il faut tout
entreprendre de la même façon : pleinement et de
tout son
être, avec ardeur. Car, seul le résultat compte.
Les
contraintes créent le style, il ne faut jamais lutter contre.
Où en est Le livre des morts,
votre prochain film ?
Je me remets au travail. Le tournage reprend ce mois-ci (octobre
2009, ndlr). Je vais encore une fois tourner avec des danseurs comme je
l'ai fait pour Point de
suture et
Le conte du monde flottant.
Nous avons obtenu trois subventions pour pouvoir continuer le projet,
ce qui me rend fier, ou en tout cas me rassure un peu sur la
qualité du projet…
Avez-vous d'autres
projets ?
Un très lointain projet de long-métrage qui
restera
secret pour l'instant car il me faut me documenter et puis
attendre la finalisation du
Livre des morts d'ici trois ans.
Sinon, je pense tirer plusieurs expositions et installations de
certaines images du film. Ensuite, l'avenir dira quelles sont mes
envies. Le futur est surtout fait de rencontres qui vous
amènent
à créer ou à découvrir de
nouveaux
horizons. Car même si on a du talent, on n'est rien sans
les autres, il ne faut pas l'oublier. Et rester humble.