Directeur musical sur
le Tour 89
Avril/Mai/Juin 2004
Fanzine Mylène Farmer Magazine - N°31
Mylène Farmer Magazine
: Comment êtes-vous arrivé sur le Tour 89 de
Mylène Farmer ?
Bruno Fontaine : Par l'intermédiaire de Thierry Suc qui
s'occupait de
cette tournée et avec qui je venais de travailler pour Alain
Chamfort. Il m'a contacté et m'a
demandé de
travailler sur la première tournée de
Mylène.
Avez-vous dit oui aussitôt ou avez-vous demandé
à y réfléchir ?
J'ai évidemment pris le temps de la
réflexion car
une tournée, c'est un vrai investissement au
niveau du
temps. Ce qui m'a convaincu, c'est la rencontre
avec
Laurent Boutonnat et Mylène. Ils m'ont
expliqué ce
qu'ils voulaient faire. J'ai rapidement
été
séduit.
Vous voulez bien nous en parler ?
J'ai d'abord rencontré Laurent. Je me
suis
très vite admirablement bien entendu avec lui parce que nous
avions des affinités musicales; on aimait beaucoup les
musiques
de films par exemple, notamment Bernard Herrmann (compositeur pour de
nombreux films d'Alfred
Hitchcock, ndlr).
Et la rencontre avec Mylène ?
C'était peu de temps après,
à l'ancien
studio Mega, Porte de la Muette, tandis que l'on
commençait une longue préparation pour cette
tournée. Je crois me souvenir que
c'était bien six
mois en amont. Il s'agissait notamment de préparer
des
bandes additionnelles et de travailler sur les arrangements.
Vous avez eu un bon feeling avec elle ?
Très bon oui. On a rapidement eu une relation amicale
basée, comme pour Laurent, sur pas mal
d'intérêts communs, que ce soit en
musique ou en
littérature. On avait notamment une passion commune pour
Cioran (auteur d'essais sur le néant tels que La tentation d'exister et
De
l'inconvénienet d'être né,
ndlr).
Dans un autre domaine, on appréciait tous les deux beaucoup
les
sushi. Pendant la tournée, et encore quelques temps
après, une vraie relation amicale s'est
nouée; on
se voyait pas mal.
Mylène donne l'image d'un être
torturé,
c'était encore plus vrai à
l'époque.
Avait-elle néanmoins des fous rires parfois sur la
tournée ?
Elle est beaucoup plus rigolote qu'on ne l'imagine.
On
s'est beaucoup amusé. Laurent aussi. Il a un
humour
incroyable.
Correspondait-elle à l'image que vous pouviez en
avoir avant de la rencontrer ?
Disons que je la voyais en icône assez lointaine et cet a
priori
s'est rapidement dissipé. C'est une
fille assez
simple finalement. A l'époque du moins car je ne
la
fréquente plus d'aussi près depuis un
moment.
Elle est très en marge dans le paysage musical
français. Qu'en pensez-vous ?
Je pense que c'est très sain qu'elle se
maintienne
ainsi à part des gens du métier. J'ai
toujours
trouvé qu'elle et Laurent avaient une
manière
très intelligente d'appréhender les
choses. La
façon dont ils ont fabriqué l'image de
Mylène est fascinante; je précise que je ne mets
aucune
connotation péjorative dans le terme 'fabriqué'.
Une image qui a évolué au fil du temps. Comment
avez-vous regardé ces changements ?
Je suis moins fan. Je préférais sa
première
période. Peut-être parce que j'y
étais
impliqué. Mais je trouvais que c'était
plus
original, plus authentique, plus européen. Je trouve
qu'elle a lissé son image depuis plusieurs
années;
elle s'est américanisée. Il reste
néanmoins
un vrai style affirmé et une vraie personnalité
dans tout
ce qu'elle fait pour elle ou pour les autres. Et la
production
est toujours très soignée. Le duo Farmer /
Boutonnat
fonctionne vraiment à merveille.
Comment fonctionnait le duo Boutonnat / Farmer sur le Tour 89 ?
Sans entrer dans les détails de leur vie privée,
il me
semble que c'était très fusionnel entre
eux. Ils
étaient assez touchants. Mais leur relation pouvait
être
très électrique parfois; ça l'est
sûrement
encore aujourd'hui.
Vous voulez dire qu'il y avait des accrochages
fréquents ?
Des conflits artistiques, oui. Ça se chicanait pas mal en
studio, lors
des préparations de la tournée ou pour la
post production. Mais c'était pour la bonne cause. Encore
une fois, je les trouvais très touchants. Lors des
premiers concerts, ils contemplaient leur œuvre.
J'avais
vraiment l'impression d'avoir en face de moi deux
gamins
émerveillés qui réalisaient leur
rêve.
C'était d'autant plus
émouvant que je savais
combien ils s'étaient investis
là-dedans, à
tous points de vue. Je garde un souvenir précis de Laurent
à la fin du premier concert, à Saint Etienne : il
était totalement
bouleversé. Comme
s'il venait de voir leurs réalisations prendre vie.
Qu'avez-vous pensé du public de Mylène
Farmer sur cette tournée ?
Ça m'a totalement scotché ! Il y avait une sorte
de
vénération pour elle qui était
hallucinante; j'imagine que ça n'a fait que
s'accentuer
depuis. Je me souviens que chaque soir, quand elle apparaissait sur
scène, c'était la Madone. Je me
rappelle aussi de
l'hystérie avant la dernière chanson (Je voudrais tant que tu
comprennes, ndlr). Il y avait parfois un quart d'heure de
rappel ! Je
n'ai
jamais vécu un truc aussi fou !
Dans quel état se trouvait Mylène
après chaque spectacle ?
Les dernières minutes du concert étaient
très
chargées émotionnellement. Après la
chanson
finale, on lançait un instrumental que Laurent et moi avions
presque improvisé en studio avant la tournée, en
à
peine deux heures. Il s'appelait Mouvements de Lune;
c'était une sorte de long adagio.
Quelque chose
de vraiment très intense. Mylène était
chaque soir
très bouleversée à sa sortie de
scène.
D'autant qu'il y avait pour elle quelque chose que,
par
définition, elle ne pourra plus connaître : la
découverte qu'elle pouvait le faire. Elle en
était
très inquiète pendant les sessions
préparatoires,
elle avait peur que sa voix ne tienne pas. Elle a beaucoup
bossé. Elle a pris des cours de chant pour renforcer sa voix.
A-t-elle gagné en assurance au fil des dates ?
Bien entendu. Mais je l'ai surtout vue s'apercevoir
qu'elle était totalement nourrie de ce que lui
renvoyait
son public. C'est forcément quelque chose
qu'elle ne
pouvait pas savoir avant.
Comment était l'ambiance dans la troupe ?
Excellente ! Les danseurs et les musiciens s'entendaient
à
merveille. J'avais déjà
travaillé avec la
plupart d'entre eux avant. D'ailleurs, pour
l'anecdote, John Heliwell, le saxophoniste du groupe
Supertramp,
aurait dû être sur le coup, mais il ne
s'est pas
vraiment adapté à la troupe. C'est donc
Patrick
Bourgoin qui est arrivé en catastrophe avant la
première
date.
Mylène restait-elle dans sa tour d'ivoire ou se
mélangeait-elle à l'équipe ?
Elle voyageait séparément pour pouvoir
réellement
se reposer, mais sinon elle était assez proche de la troupe.
L'ambiance était vraiment très bonne.
Même
si, au bout des deux tiers de la tournée, les relations
entre
Mylène et Bertrand Le Page, son manager, sont devenues assez
tendues. Je crois d'ailleurs qu'elle s'en
est
séparée après le dernier Bercy. Il est
vrai que,
pour des raisons que j'ignore et que je ne veux pas
connaître, j'ai vu Bertrand totalement basculer
à un
moment de la tournée. J'ai l'impression
qu'il
voyait son bébé lui échapper et
qu'il aurait
voulu avoir plus de crédit pour ce qu'il avait
apporté à Mylène. C'est ma
théorie en
tout cas. Quoi qu'il en soit, ça a
créé un
climat assez lourd. Mylène et Laurent me semblaient moins
détendus sur la fin. Ça a réellement
perturbé les
quinze derniers jours de la tournée.
Vous avez ensuite participé au mixage pour le live ?
Assez peu.
Pour ce qui est du film, il me semble que vous avez
tourné dans une salle vide pour que Laurent puisse obtenir
tous
les plans qu'il désirait, puis que le tout ait
été mixé à un vrai
enregistrement en public
? Est-ce vrai ?
Oui ! J'avais totalement oublié ça.
C'était au Forest, à Bruxelles.
Ce n'est pas une pratique très courante. Cela vous
a choqué ?
Non. C'est un grand luxe.
Ce doit être surréaliste tout de même de
donner un concert devant une salle vide ?
Non, je trouve ça d'un professionnalisme
hallucinant.
Comment cela s'est-il passé exactement ? Vous
enchaîniez les chansons comme lors d'un vrai
concert et
Mylène saluait un public fictif ?
Absolument oui. Je m'en souviens très bien
maintenant. On
prenait à peu près le temps des applaudissements
entre
chaque chanson et on enchaînait. C'était
comme si.
Cela vous est-il arrivé une autre fois dans votre
carrière ?
Non, jamais. C'est vraiment un très grand luxe.
Quelle place tient le Tour 89 dans votre parcours professionnel
?
Une place toute particulière. D'abord parce que
j'en
suis très fier, d'autant que
c'était le
premier de Mylène et qu'il est le fruit d'une
collaboration très
intéressante avec elle et Laurent, deux êtres
passionnés et passionnants. C'était un
spectacle
énorme; la seule chose comparable à laquelle
j'ai
participé, c'est Johnny Hallyday à
Bercy deux ans
avant. Ce Tour 89
est également particulier pour moi car
c'est
une période assez douloureuse de ma vie; au moment des
dernières répétitions, quelques jours
avant la
première date, j'ai perdu mon père. Ce
spectacle
est donc très chargé émotionnellement
dans ma
mémoire.
Le fait qu'il soit assez morbide - des
lumières
sombres, un cimetière comme décor - ne
devait pas
vous faciliter la tâche alors ?
Non, ça allait. A la limite, c'était
même presque une manière d'exorciser.
Avez-vous un regret quant à votre travail avec
Mylène ?
Que la vie nous ait ensuite emmené dans des directions
différentes. J'aurais aimé que
l'on se perde
moins de vue; je pense qu'elle l'aurait
souhaité
aussi. C'est vraiment une des rares personnes avec qui
j'ai
travaillé que j'aurais beaucoup de plaisir
à
revoir, même en dehors des activités
professionnelles.
Vous avez retravaillé ensemble après le Tour 89,
sur l'album L'autre…
Oui, mais il s'agissait d'une petite contribution,
sur un seul morceau (le piano sur Désenchantée,
ndlr).
Et lorsque Laurent a fait Giorgino, vous a-t-il
contacté pour la bande-son ?
Non et je ne l'ai pas vraiment poussé à
le faire
non plus car je développais alors des projets plus
personnels.
Que pensez-vous du film ?
Au-delà d'une esthétique
irréprochable, je
ne le trouve pas extraordinaire. Le contenu est un peu fin. Selon moi,
Laurent est un peu sorti du cadre. Et puis, j'ai
l'impression qu'il est trop resté dans
l'univers des clips. Ceci dit, il a un talent fou et je suis
sûr que son prochain film sera totalement
différent.
Et le fait qu'après l'échec
de Giorgino, il en ait racheté
tous les droits pour
qu'il ne puisse pas sortir en vidéo ou passer
à la
télé, ne trouvez-vous pas que ça fait
un peu
caprice d'enfant gâté ?
Je trouve ça d'une élégance
folle ! En plus, ça lui confère un
côté culte.
Avez-vous été contacté pour la seconde
tournée de Mylène, en 1996 ?
Oui, mais je n'ai pas pu la faire, j'avais
d'autres
engagements. Je travaillais sur On connaît la
chanson d'Alain Resnais et j'avais
d'autres projets
pour le cinéma qui prenaient forme. Je me souviens avoir
très longuement hésité, mais
j'ai
été obligé de dire non. J'ai
beaucoup fait
de concerts et de tournées dans ma vie, et à
partir de
cette période, j'ai
préféré recentrer
mon activité sur des choses qui me permettraient de moins
bouger
de Paris.
Vous êtes allé l'applaudir sur ses
tournées de 1996 et 1999 ?
J'étais invité à chaque fois
par Thierry, mais je n'ai hélas jamais pu y aller.
Donc vous n'avez plus jamais revu Mylène ou
Laurent depuis 1991 ?
Si. J'ai fait des pianos sur le mixage studio du dernier
album live.
Ceux d'Yvan Cassar n'étaient pas assez
bons ?
Je ne sais pas. Je crois qu'il y avait un petit
problème.
Et depuis ?
On m'a sollicité pour accompagner
Mylène au piano
lors d'une cérémonie des NRJ Music
Awards, mais je
n'étais pas libre.
Donc vous restez en relation constante avec Mylène et
Laurent ?
Oui, mais de façon assez lointaine. J'ai surtout
des
contacts réguliers avec Paul van Parys (de Stuffed Monkey,
la société de Mylène, ndlr) que j'aime
beaucoup. En tout cas, le jour où je suis allé au
studio
Guillaume Tell pour faire les pianos de ce live, j'ai
beaucoup
aimé retrouver Mylène et Laurent;
c'était
comme si on ne s'était jamais quitté.