VSD : Comment
avez-vous rencontré Mylène Farmer ?
Christophe Mourthé : C’était au
début de sa carrière, en 1984. Je venais de
créer, avec le maquilleur et coiffeur Denis Menendez,
"Casanovas" : des images de personnages dans le style du XVIIIe
siècle, dans des palais vénitiens. Bertrand
Lepage, manageur de Mylène, m’a invité.
Il voulait que je prenne une photo avec elle. Il pensait que mon monde
visuel était assez cohérent avec le sien.
J’ai donc rencontré Mylène. Elle
était incroyable.
VSD
: Et vous faites des photos ensemble ?
Christophe Mourthé : Pas tout de suite. Nous nous voyions,
nous discutions de nos univers respectifs. Et, plus nous passions du
temps ensemble, plus nous sentions l'un et l'autre que nous avions
beaucoup de points communs, que nous nous comprenions d'un regard. Au
bout de quelques mois, la relation est devenue très
fusionnelle. Laurent Boutonnat était très
occupé et, du coup, Mylène passait la majeure
partie de son temps avec moi. Une véritable passion
amoureuse a fini par naître. J'étais convaincu que
Mylène était la femme de ma vie.
VSD : Cette
passion était réciproque ?
Christophe Mourthé : Je crois. Nous vivions une romance
sublime, avec quelque chose de très enfantin, sans bien
savoir ni l'un ni l'autre les limites à ne pas
dépasser. Le secret, l'obligation de cacher
l'intensité de nos rapports nourrissaient aussi cette
histoire. Je crois d'ailleurs que cette intimité absolue m'a
permis d'obtenir des choses rares, uniques, lors de mes prises de vue
avec elle.
VSD : Justement,
comment se déroulaient vos séances de photos ?
Christophe Mourthé : Tout était simple, facile.
Mylène était radieuse, riait. Elle se livrait
totalement devant l'objectif. Nous nous amusions à commenter
les clichés ratés. Je crois savoir qu'elle est
beaucoup moins cool aujourd'hui, qu'elle exige la destruction des
clichés qui ne lui plaisent pas. Je distribuais des dizaines
d'images « libres de droits » pour illustrer des
articles. Mylène me payait tout, les photos, les sorties,
tout. Elle était aussi très exclusive dans notre
collaboration.
VSD :
C'est-à-dire ?
Christophe Mourthé : Elle acceptait mal que je travaille
pour d'autres artistes. J'ai eu droit à une
véritable crise le jour où elle a appris que
Jakie Quartz souhaitait travailler avec moi. Quand Mylène a
su que j'avais accepté, elle m'a demandé combien
cette séance devait me rapporter et m'a fait un
chèque du montant exact en me glissant : « Tu
n'iras pas ! » J'étais amoureux, j'ai
cédé.
VSD : Et quels
étaient vos rapports avec Laurent Boutonnat ?
Christophe Mourthé : Je le voyais très
peu, à la différence de Bertrand Le Page qui
était très présent. Nous passions
souvent des soirées entières, Mylène,
Bertrand et moi. Des soirées largement arrosées
de Dom Pérignon et d'autres choses. C'étaient les
années 80 et, pour la plupart des gens du show-biz,
c'était normal. Bertrand Le Page était un type
brillant, génial, mais aussi très
autodestructeur. C'était ça l'environnement de
Mylène à l'époque. Seul Laurent
Boutonnat était clean à ce moment.
VSD : Vos rapports
privilégiés ont-ils eu une influence sur elle ?
Christophe Mourthé : J'ai vraiment apporté ma
pierre à l'édifice. C'est en grande partie
grâce à moi que Mylène a
adopté la couleur rousse en s'inspirant de l'un de mes
« Casanovas ». D'ailleurs, quand je regarde la star
d'aujourd'hui, je n'ai pas l'impression d'un grand changement. Son
photographe « officiel » n'a pas
transformé cette image. Il l'a juste renforcée,
mais Mylène est devenue plus aseptisée, une
icône intouchable.
VSD : Pourquoi avoir
cessé cette collaboration ?
Christophe Mourthé : Il y a eu un clash ou, plus exactement,
une déchirure. Nous sommes partis en vacances ensemble.
Laurent Boutonnat devait venir avec nous. Évidemment, je
craignais le pire, vu l'intensité de mes relations avec
Mylène. J'ai donc demandé à une amie
de m'accompagner. Mais les rapports entre les deux filles sont
très vite devenus explosifs. L'ambiance était
très tendue. J'ai craqué et je suis
allé finir mes vacances ailleurs avec mon amie. Mon histoire
avec Mylène devait s'arrêter là.
VSD : Depuis, vous l'avez
revue ?
Christophe Mourthé : Jamais ! Mylène m'a
rappelé à la fin des vacances. Elle voulait
continuer à travailler avec moi. J'avais accepté
un rendez-vous auquel je ne suis pas allé. Quelque chose
s'était cassé et il m'était impossible
de devenir, auprès d'elle, un « simple »
photographe. Cette rencontre m'a collé à la peau
pendant des années. Ce fut une période de vrai
bonheur et un moteur dans ma carrière. Mon seul regret :
avoir laissé passer une femme.