Transformation
Mon amie de l'époque, une proche de Bertrand
Lepage, me confia : « Il y a une chanteuse qui est
en train de monter,
et je pense que ça correspond tout à fait aux
Casanovas que tu fais. » Elle a tout fait pour
me mettre en
relation. On a envoyé mes images de Casanovas
à
Mylène, qui m'a immédiatement
appelé, et on s'est rencontrés.
C'était en 1986, juste après Libertine.
C'était avant la transformation (ndlr : en
rousse), puisque tout ceci est parti de notre
collaboration (Christophe
va chercher une photo et nous la montre. La photo
représente un Casanovas, avec une coiffure dans le
même coloris que celle de Mylène).
Cette photo est un Casanovas,
elle a été faite en
1985... C'est une couleur abricot que j'ai
fait faire chez Denis Poulain, perruquier à
l'époque de l'Opéra de Paris.
Quand Denis Menendez – qui a été un des
plus grands maquilleurs des années 80 et qui est
décédé du sida en 1994 – a
créé cette coiffure pour ce
Casanovas-là,
il ne pensait pas que ça servirait
à Mylène Farmer ! Donc moi je te dis
aujourd'hui que c'est pas Laurent Boutonnat,
c'est pas Bertrand Lepage. Mylène était
brune à ce moment-là. La couleur abricot est une
couleur qu'on a fabriquée. Je l'ai
emmenée en voiture, je m'en rappelle
très bien, chez son coiffeur de
l'époque. On avait pris la carte postale (ndlr :
du Casanovas) et on a dit : « c'est abricot,
faites-nous la même chose » ! Et elle est ressortie
comme ça. C'était après
Libertine, dans lequel elle a un roux qui était
très loin de cette rousseur flamboyante qu'elle a
aujourd'hui.
Mylène et
l'objectif
Dès le jour où on s'est connus, il y a
eu un pacte de confiance. C'est sûr
qu'elle n'aimait pas les photos, mais je crois que
personnellement, elle y a pris du plaisir. J'avais
réussi - parce que je suis comme ça
avec les femmes, et elles me le rendent bien - à
prendre chez Mylène beaucoup de choses, parce que je suis
sans doute quelqu'un de doux, de sensible, avec lequel il y
avait quelque chose de privilégié. On a vraiment
fait un travail d'amour, un travail de confiance.
Ça a été un bonheur, j'en ai
un souvenir très fort. Et ça m'a
beaucoup apporté pour ma carrière. Mais je
maintiens que ça lui a apporté aussi des choses
énormes, on en parle encore. Je ne regrette pas un instant
les bonheurs que j'ai vécus avec elle. Je pense
que de son coté, c'était
sincère aussi. On s'amusait, ça
n'a jamais été une corvée. On a
été comme deux enfants qui sont au milieu
d'adultes et qui ne veulent pas grandir, et qui expriment
leur art... On rêvait notre vie, on allait au zoo,
on mangeait des sucettes, on allait au jardin
d'acclimatation, au cinéma, on allait acheter des
chaussures, on mangeait des chocolatines...
Tristana
Ça a été une campagne
napoléonienne !
Je me suis même évanoui ! Laurent était
là, il fascinait tout le monde, il avait une aura
incroyable. L'ambiance sur le tournage était
très bonne. C'était dur, le soir au
dîner, tout le monde était vraiment
cassé. Laurent a vraiment épuisé tout
le monde ! On était à la montagne, dans le
Vercors. Quand tu isoles les gens, il se crée une
famille, des liens, c'est pas comme quand tu vas tourner un
film en banlieue et que le soir, chacun rentre chez soi. Et puis
à cette époque, Laurent et Mylène
avaient tellement envie de faire du cinéma...
Ça se sentait, et le clip était
géré comme du cinéma.
C'était hallucinant, il y avait des camions
partout, des chevaux et des effets spéciaux. Laurent mettait
la moto sous un cheval, la moto sur une motoneige, il y avait un
loup... c'était d'une richesse
incroyable. Il n'y avait que les Américains qui
faisaient des clips comme ça. C'était
un vrai tournage de long-métrage. Tout ça
n'était que des répétitions
pour Giorgino.
Accident
On était un groupe très soudé. On
dînait tout le temps ensemble le soir. On dînait
beaucoup chez Bertrand (ndlr
: Lepage). Il avait une Austin, on faisait
des virées. On allait à Barbizon, on allait
manger dans les restaurants des peintres... Mais on voyait
peu Laurent paradoxalement. Moi, je voyais Laurent à part.
J'allais avec lui chez Polygram suivre le Top 50 sur les
ordinateurs et on se régalait de
l'évolution de Mylène dans les
classements. Un jour, on a eu un accident de voiture ! Le conducteur
m'a pris à parti, depuis sa voiture, et
à ce moment-là, Laurent s'est
énervé. Il est sorti de la voiture, et comme il
fait 1m80, il est allé voir le mec : «
qu'est-ce que tu veux ? » (Christophe mime
la scène). C'était devenu silence
radio, et le type était tout raplapla dans son
siège...
Vacances
On est parti en vacances à la Ferté-Allais et
Laurent nous a rejoints après avec Gilles Laurent.
C'était en 1989. Ils écrivaient
Giorgino
à ce moment-là. Ils
s'enfermaient des heures. Nous, on ne les voyait jamais, on
était au bord de la piscine ! Laurent disait quand
même des trucs à Mylène, le soir. Ils
en parlaient à table. Je me souviens
particulièrement d'un soir où on
était à table. Je m'en souviens
très bien, car je me suis fait mordre par ET ce
soir-là ! Y'avait une table, et Laurent faisait
ça (Christophe
martèle un tempo) et il a
créé la rythmique de
Désenchantée.
Il a dit à
Mylène : « je t'ai trouvé
ça, qu'est-ce que tu en penses ? »
Après, ils ont fait deux-trois corrections. Laurent, il
était en permanence à la recherche de choses.
C'est pour ça qu'il la
délaissait un peu, d'ailleurs. Il était
constamment dans ses trips.
Série de photo
À l'époque, comme je faisais de
l'érotisme, on avait été
approché pour que Mylène pose nue. Comme
Mylène était très pudique, elle ne
voulait pas entendre parler de ça. C'est pour
ça qu'on a voulu faire croire que
c'était des photos nus ! Cette série de
photos s'est faite dans un studio, rue des Acacias dans le
17è. J'avais envie de faire des choses un peu
à la Harcourt. Je commençais à
travailler le noir et blanc. Comme elle me faisait confiance,
j'ai eu la chance qu'on expérimente
ça ensemble, ce qu'elle ne ferait
sûrement pas aujourd'hui pour
d'autres... Après, je suis devenu un
grand photographe de noir et blanc. En tout cas, ça a
été la dernière séance avec
Mylène. Je me suis aperçu plusieurs
années après que ce que je faisais
était intéressant. C'est Zizi Jeanmaire
qui un jour m'a dit « vous, vous serez un grand
photographe », parce que je montais toujours sur un tabouret,
quitte à me rebaisser après. Donc ça
oblige les gens à lever la tête, à
aller vers la lumière. J'ai une façon
d'éclairer les yeux qui est très
spéciale. Mais tout ça a commencé avec
Mylène, elle m'a aussi aidé
à ça. C'est une expérience
de lumière qui m'a vraiment apporté.
Mylène aimait beaucoup cette série. Elle aimait
beaucoup les photos qu'on faisait ensemble. Mylène
et moi, on est fabriqué pareil, mais nos chemins se sont
séparés. Maintenant, si elle a envie à
nouveau, la porte est ouverte, et je pense que l'on pourra
s'apporter encore de belles choses...