Tout d’abord
il y a eu Jean Marais, Line Renaud,
l’équipe des Bronzés, Thierry Le Luron
et Yves
Mourousi. Puis Fellini, Zeffirelli, Dario Fo, Gassman, Strehler, les
filles du Crazy Horse - J’avais 19 ans à peine. Il
n’y a pas d’âge pour photographier des
stars. Des
vraies stars. Par la suite, il y a eu Arielle Dombasle pour Playboy,
Jean-Marie Bigard en Penseur de Rodin, Renaud, les adieux de Sheila,
Pétula Clark pour un Olympia, les Bee Gees à
Paris,
César ou Nougaro, Leslie Caron et Michèle Morgan,
Zizi
Jeanmaire et son truc en plumes, Amanda Lear et Marie
Laforêt,
Patricia Kaas, Hélène Ségara, Lio ou
Patrick Juvet.
Qui d’autres encore ? Combien sont-ils ?
Mais c’est surtout pour Mylène Farmer que je
reçois
encore des lettres de fans, 15 ans après. Une courte
histoire
qui allait marquer l’histoire d’un photographe et
de son
modèle. Cette collaboration tellement forte qu’on
peut
même qualifier de fusion me colle à la peau depuis
toujours, depuis que nous nous étions rencontrés
chez
Bertrand Le Page. Nous étions intimidés,
étonnés,distants. Bertrand prit les choses en
main, et
confirma le bien fondé de notre rencontre. Celui-ci avait un
grand talent, c’était de découvrir des
talents - Et
de les faire fusionner. Avec Mylène, nous devions nous
apprivoiser, mais nous savions déjà aussi que
notre
rencontre était une bonne rencontre.
Notre première séance de photo eut lieu dans un
fameux studio de la rue des Acacias à Paris.
Tout le show business et tout le cinéma sont
passés dans
cette rue. La grande époque de Salut les Copains et tout
ceux
qui font rêver les fans. J’y ai moi même
déshabillé Arielle Dombasle pour Playboy et
réalisé la plupart de mes portraits de vedettes.
Mylène dû se satisfaire d’une toute
petite cabine de
maquillage non chauffée et Denis Menendez travailla sur son
teint de porcelaine. Elle m’apparut dans la
lumière tel un
ange.
Malgré l’intense activité qui
régnait dans
le studio, elle fût douce, complice
déjà,
extravertie pour cette fois, et avait compris que nous ferions vraiment
un bout de chemin important ensemble. Elle vit ma façon
d’éclairer une femme et elle comprit
qu’en
m’ayant choisi, elle avait trouvé en moi le
parfait
complément à son univers. Nous nous sommes revus
beaucoup, avons partagé des instants de tous les jours,
appris
à nous connaître. Manger une glace ou des bonbons,
aller
au zoo ensemble, faire les magasins, c’était
simple mais
c’était important.
Nous sommes des artistes à l’âme fragile
avec un univers si singulier à fleur de peau.
Je lui fis connaître mon monde et elle me fit comprendre le
sien.
Nous nous comprenions si bien que l’osmose était
parfaite.
Mon travail d’images plaisait à Mylène.
Pour notre
bien à tous deux. Mylène a pu
s’abandonner
totalement au regard d’un objectif qui ne la mitraillait pas,
qui
la considérait en douceur.
Involontairement, j’ai apposé quant à
moi sur ma
muse une griffe, une patte, et surtout une couleur, celle de cette
fameuse chevelure qui fit sa marque de fabrique.
Quand j’ai connu Mylène, elle venait
d’obtenir un
succès populaire avec la chanson « Libertine
». les
cheveux était d’une couleur rousse mais assez mal
définie.
Trois ans auparavant, c’est le maquilleur et coiffeur de
génie Denis Menendez, mon ami, qui avait
créé pour
moi une couleur de cheveux inhabituelle.
J’avais réalisé en 1984, pour ma
série, les
fameux « Casanovas » une image de ma soeur Virginie
dans un
château très connu de la région de
Blois. Cette
image présentée avait séduit
Mylène, comme
toutes les autres photos de la série. C’est ce
travail
photographique qui a déclenché chez elle le
désir
de travailler avec moi. La couleur de la perruque que portait virginie
est - car personne ne le sait à ce jour - abricot. Comme le
rouge que l’on trouve sur un abricot un peu mur. Sur les
indications de Denis, les ateliers Poulain,
célèbres
perruquiers de théâtre des années 80,
ont
réalisé cette couleur insensée.
Nous étions au printemps de l’année
1987.
Personne n’a décidé cela en particulier
ou tout le monde indirectement.
En tous les cas, Mylène avait toujours une reproduction de
la
photographie de Virginie sur une étagère bien en
évidence pour mémoire. Elle y
réfléchissait
sans doute.
C’est donc tout d’abord un simple de coiffeur de la
rue
Jean Mermoz à Paris qui a reproduit cette teinture sur les
indications de Mylène, photo en main.
Aujourd’hui, il est aisé de comprendre
l’importance
de cette période pour l’image de
Mylène. Seul
Michel Polnareff en France avait compris avant elle
l’importance
du look pour un artiste et de nos jours, une simple paire de lunettes
blanches est synonyme de Polnareff. La couleur abricot sera toujours
associée au mythe Farmer.
Je n’avais pas encore à
l’époque de statut de
photographe. Seul le N et B fige à jamais sur du papier un
Cocteau, une Marilyn, une Piaf, un Zorro ou un Steve McQueen
et
renvoie cette personne au rang de Star immortelle.
Elle permet à son auteur de rentrer dans la cour des grands
tel un Newton ou un Doisneau.
Elle était ma star et je me devais de
l’immortaliser comme
telle. Je désirais lui prouver que
j’étais le
meilleur pour elle, pour nous.
Il s’agissait de mes premières grandes photos en N
et B.
Je connaissais le travail d’Alekan, le meilleur directeur
photo
des grandes années du cinéma,les films
d’Hitchcock
ou ceux d’Eric Von Stroheim. Que seraient
aujourd’hui une
Grâce Kelly, un Harry Baur ou un Gabin sans ses talents
inouïs? Je pris aussi exemple sur Harcourt, le studio de
photos
des Stars mythiques. J’y ai ajouté une touche
personnelle
à base de réflexion de miroirs et je tenais le
cadeau
parfait pour ma muse. J’étais heureux.
Elle est devenue une Star de l’image. J’en suis
très fier.
Le noir et blanc figeait ainsi Mylène à jamais.
Je l’ai ressenti si fort en faisant ces images
qu’aujourd’hui elles restent uniques et pour
longtemps encore.
Le regard et toute cette sensualité qui s’en
dégagent sont incroyables.
Peu de fois, Mylène a tant donné dans une photo,
invitation au rêve, au désir, instants magiques
d’une intimité partagée
qu’elle ne donnera
plus que dans ses chansons.
Mylène reste gravée en moi.
Elle m’écrivit un jour cette dédicace
intime mais
tellement vraie: « tu es un petit diable qui me prends mon
âme. Etre photographiée par toi est un plaisir et
un
honneur. »
La vie nous a éloigné, Mylène et moi,
mais cela devait être ainsi.
L’histoire est close.