Comment êtes-vous devenue l'attachée de
presse de Mylène ?
On s'était rencontrées sur un plateau
de
télévision. J'étais
très amie avec
Bertrand Le Page (le manager de Mylène à
l'époque, NDLR). Et Mylène a exigé
auprès
de Polydor qu'ils m'engagent pour être
son
attachée de presse.
Vous étiez donc dans le service presse de Polydor, sa maison
de disques ?
Non. J'étais payée par Polydor, mais je
m'occupais exclusivement de Mylène Farmer. Et
uniquement
pour ce qui concernait les télés et les radios.
La presse
écrite, c'était surtout Bertrand qui
s'en
chargeait.
Sur quelle émission vous êtes-vous
rencontrées ?
Je m'occupais de Guy Béart à
l'époque.
Une émission lui était consacrée;
elle
était tournée chez lui. Mylène faisait
partie des
invités. Elle a chanté «Mon cher
Frantz» en
duo avec lui. (C'était sur Antenne 2 - devenue
France 2 depuis - en 1987; Mylène avait aussi
chanté
«Au
bout de la nuit», NDLR -
Regarder la
vidéo «Béart 87»).
Et sur le ton de la plaisanterie,
Mylène m'avait dit : «Mais quand vas-tu
t'occuper de moi ?». Je lui ai répondu
«
Quand tu veux » (rires).
De qui vous êtes-vous occupée à part
Mylène ?
De beaucoup d'artistes. Bernard Lavilliers, Daniel Balavoine,
Patrick Juvet, Michel Delpech, Claude Nougaro, Marie-Paule Belle,
Dorothée, Léo Ferré, Sheila…
Mylène se mélangeait-elle aisément aux
gens du show business ?
Pas du tout. Ce n'était pas son truc. Elle
n'allait
pas dans les soirées people. Hormis quand on en
était les
organisateurs, comme pour le lancement du clip de
«Tristana» au Privilège, en dessous du
Palace. Je me
souviens de
cette soirée car en me levant de table, j'ai
glissé
sur le marbre avec mes chaussures neuves et je me suis
cassée
la
jambe (rires). J'ai été dans le
plâtre
pendant un mois. Mylène a d'ailleurs
été
très présente et très gentille avec
moi pendant
cette période.
Donc Mylène n'était pas de toutes les
soirées parisiennes ?
Ah non ! Elle détestait ça. Comme moi
d'ailleurs.
On allait par contre dans les restos à la mode car Bertrand
adorait ça.
Que pensait le milieu de cette jeune chanteuse qui restait à
l'écart ?
C'était assez mitigé. Certains ne
l'aimaient
pas bien sûr. Elle avait un peu une image
d'emmerdeuse,
mais sans excès car elle était très
sympa.
Mylène fait carrière dans un milieu
qu'elle a
toujours fuit : pour moi, c'est la réussite
suprême.
A l'époque, elle faisait à peu
près toutes
les émissions possibles et imaginables, des grivoiseries de
Collaro aux confessions intimes de «Sexy folies».
Etait-elle facile à travailler pour une
attachée
de presse ?
Oui. Elle faisait tout avec plaisir. Mais il fallait que Bertrand et
moi soyons en régie pour surveiller les lumières
et le
cadrage. Elle était très exigeante,
très
perfectionniste. A ce point-là, c'est admirable.
C'est une énorme qualité.
C'est à vous que l'on doit le cultissime
«Mon zénith à moi» ?
Oui. C'était une émission merveilleuse.
Mylène avait très envie de la faire. Elle avait
donc tout
accepté et s'y était
énormément
investie. Tout était pesé, choisi et
pensé. Cette
émission avait fait scandale à
l'époque.
Mylène avait été pas mal
critiquée pour ses
choix – elle voulait parler de la sexualité des
prêtres, voir des hommes exécutés, les
têtes
coupées. C'était assez
gratiné (rires).
Cette émission a définitivement
installé son
personnage. Etait-elle comme ça dans la vie ou
jouait-elle un rôle ?
Elle en a rajouté un peu. Elle n'était
pas aussi
tordue que ça (rires). Ceci dit, elle était
vraiment
secrète; une introvertie absolue. Je me souviens
qu'elle
ne parlait pas de sa famille, ni de son enfance;
c'étaient des sujets tabous. Je crois que
c'était vraiment sa nature profonde
d'être
à part. Et il est vrai qu'elle vivait avec deux
singes… et Laurent (rires).
Et son intérieur était-il conforme à
l'image gothique qu'on a pu s'en faire ?
Je ne suis jamais entrée chez Mylène.
Très peu de gens y allaient.
Pourquoi cela ?
Mylène était tellement bordélique
qu'elle avait honte (rires).
«Mon zénith à moi»,
c'était aussi la rencontre avec Zouc…
Oui. On était allées la voir ensemble au
Bataclan, et on
avait été séduites par son univers. Je
n'ai
pas pu assister au tournage du clip de «Sans
contrefaçon» car j'étais prise par
ailleurs, mais
Mylène
m'a raconté que Zouc était
arrivée en
ambulance pour pouvoir être couchée pendant le
voyage
(rires). Elle avait demandé un cachet énorme pour
tourner
le clip (rires).
Pourquoi ne plus avoir travaillé avec Mylène
après «Ainsi soit je…» ?
Parce que je l'ai quittée. Je me suis
fâchée
un jour… bêtement. Pourtant je
m'entendais
très bien avec elle; je l'aimais tendrement. Et,
même si ça peut paraître
étonnant, j'ai
beaucoup ri avec Mylène. Et Bertrand ! Surtout quand on
partait
en équipée sauvage en province, pour des galas ou
des
tournages d'émissions. On a passé des
soirées de rigolade intenses,
légèrement
arrosées de Champagne rosé (rires).
C'était un vrai déménagement
j'imagine…
Oui. Je me souviens notamment d'un déplacement au
Festival
du film de Cognac pour «Tristana» dans une
émission présentée par Patrick Poivre
d'Arvor (
Regarder la vidéo
Spécial Festival du film policier de Cognac - avril 1987,
NDLR). On est partis, Bertrand, Mylène et moi,
avec les
deux danseuses, et une malle en osier immense pour les robes. Je me
rappelle d'ailleurs qu'on s'est un peu disputés
avec la
productrice de l'émission qui ne voulait pas de
ces
tenues. Au final, on est tombées d'accord pour les
porter
quand même, et, pour se faire pardonner, elle nous a fait
monter
une bouteille de Cognac dans une des chambres du château dans
lequel l'émission se tournait. On a
entamé la
bouteille avec Mylène en attendant le tournage. On a
été rapidement très gaies (rires).
Vous parcouriez les routes de France en voiture ?
En train ou en avion. Pas en voiture car c'était
Bertrand
qui conduisait, et nous étions terrorisées par sa
façon de conduire. D'autant que
c'était le
plus souvent après avoir consommé pas mal de
Champagne
(rires).
Vous semblez avoir eu beaucoup de tendresse pour lui ?
Oui. C'était mon ami. C'est
quelqu'un que
j'aimais profondément et que je
défendrai
jusqu'au bout.
Vous êtes restée en contact avec lui ?
Jusqu'à la fin. Je lui ai même
laissé un message sur son répondeur deux jours
avant sa mort.
Pourquoi s'est-il tué selon vous ?
Il a vécu des périodes très
difficiles. Il a
essayé de faire une nouvelle Mylène, mais il
n'est
jamais tombé sur l'équivalent. Il
n'y a
qu'une seule Mylène…
Il a travaillé avec Ysa Ferrer, puis les productions
AB…
Oui. Il s'est aussi occupé d'un
restaurant, La
Cloche d'Or, à Pigalle. Il s'est
rapidement
retrouvé sans un centime, pourchassé par les
huissiers.
Il est passé d'un superbe appartement, dans les
beaux
quartiers parisiens, à un petit studio à Toulon
où
il faisait dans la voyance. C'est là
qu'il
s'est donné la mort, avec de l'alcool et
des
médicaments.
Certains ont attribué son suicide à sa
séparation
d'avec Mylène. C'était quand
même neuf ans après !
Oui, mais il ne s'en est jamais remis.
Vous croyez donc que c'est lié et que ce
n'est pas
un hasard s'il s'est donné la mort
à quelques
jours de la sortie de l'album «Innamoramento» ?
Je n'en sais rien. Je ne crois pas beaucoup aux
coïncidences.
(silence) Leur séparation a été un
drame absolu
pour Bertrand. (silence)
Vous estimez que Mylène n'aurait pas du
s'en séparer ?
Je ne sais pas. Bertrand s'est donné corps et
âme
pour elle. Ceci dit, il est vrai qu'il
n'était pas
facile à gérer. Il se mettait souvent dans des
états épouvantables ; il consommait beaucoup
d'alcool et de cocaïne. Mylène a
accepté
ça pendant longtemps, jusqu'au jour où
elle ne
pouvait plus. Il faut savoir aussi que Bertrand se comportait assez
mal, dans les restaurants par exemple; il parlait très mal
aux
gens, il était très hautain, très
exigeant. Il
était insupportable. Mais je l'adorais !
Quelle est sa part de responsabilité dans le
succès de Mylène, selon vous ?
Il était son manager, son éditeur.
C'est lui qui a fait Mylène.
Il y avait Laurent Boutonnat aussi…
Oui bien sûr. Le trio Bertrand, Laurent, Mylène
était d'ailleurs très
compliqué. Il y en
avait toujours deux contre le troisième.
Qui contre qui ?
Ça dépendait des fois. Mais toujours deux contre
un. Et moi
il
fallait que je gère tout ça; ce
n'était pas
facile.
Mylène vous semblait-elle être une marionnette
entre les mains de Bertrand et Laurent ?
Ah non ! Ce n'est pas du tout l'idée que
je me fais
d'une marionnette. Elle savait écouter les
conseils des
uns et des autres, mais elle a toujours eu beaucoup
d'idées et beaucoup de goût. Et surtout,
Mylène a
toujours su ce qu'elle voulait et ce qu'elle ne voulait
pas. Elle
n'a jamais
été aux ordres de personne.
Pourquoi vous êtes-vous fâchée avec elle
?
C'était sur le plateau de «Jacky Show»
de
TF1. Mylène est arrivée et elle a
refusé de dire
bonjour à Jacky. Ça m'a beaucoup
énervée.
Ils étaient pourtant amis à
l'époque, non ?
Visiblement pas ce jour-là. J'ai dit à
Mylène : «J'en ai assez de tes
caprices». Et
je suis partie, en plein milieu de l'émission. Elle
m'a demandé : «Tu reviens ?». J'ai dit :
«Non !». Et je suis allée chez le
coiffeur me
faire une couleur, puis chez Flo m'acheter du caviar (rires).
Vous estimez que Mylène était capricieuse ?
Oui. Disons qu'elle était assez exclusive. Par
exemple,
elle voulait que Bertrand ne s'occupe que d'elle.
J'ai en mémoire aussi une émission des
Carpentier
en Tunisie (Regarder la vidéo
«Embarquement
immédiat en Tunisie - 15 novembre 1987»,
NDLR). Des journalistes nous suivaient pendant le voyage parce
qu'ils voulaient faire un sujet sur Mylène. Lors
de
l'escale à Tunis, elle a refusé
qu'ils se
mettent à notre table parce qu'elle voulait
qu'on
soit toutes les deux pour le dîner. Le reportage
commençait bien ! (rires) Je me souviens aussi
qu'elle
m'avait fait une scène parce que, lors
d'une
émission, la chanteuse Patti Layne, dont je
m'occupais
aussi, reprenait «Déshabillez-moi».
Mylène,
qui devait chanter ce titre, a dû changer de chanson et
m'en a voulu, alors que je n'y étais
pour rien.
Donc vous ne l'avez pas quittée pour une simple
histoire de «bonjour» ?
Non. Disons que c'était la goutte
d'eau… Le
fait est que, à l'époque en tout cas,
Mylène
n'accordait pas facilement sa confiance, et ne
déléguait pas à n'importe
qui.
J'imagine que c'est toujours pareil
aujourd'hui. Elle
cherchait donc toujours à me prendre en faute, et moi je ne
peux
pas supporter ce genre de choses.
Quel regard avez-vous sur cette séparation
aujourd'hui ?
C'était une pulsion toute bête. Et un
entêtement idiot : j'ai refusé de
revenir quant elle
me l'a demandé. C'est un de mes plus
grands regrets.
Parce que vous avez vu le chemin qu'elle a parcouru depuis, ou
parce que vous teniez à elle ?
Les deux. Je l'aime encore aujourd'hui. Et je
l'aimerai toujours. Elle avait des attentions. Je me
souviens
qu'elle m'avait rapporté une montre
d'un
voyage en Orient par exemple.
Vous aimeriez vous
occuper de Mylène aujourd'hui ?
Je n'aurais pas beaucoup de travail (rires). Elle ne fait
aucune émission.
Qu'en pensez-vous ?
Je crois qu'elle déteste ça.
Certes, mais elle pourrait faire un petit effort ne serait-ce que pour
saluer le public, non ?
(silence) Très sincèrement, je pense
qu'elle
s'en fout. Je crois qu'elle ne se sent redevable de
rien
envers son public.
Quelle relation avait-elle avec ses premiers fans à
l'époque ?
Elle suscitait des réactions pas très saines dans
le
public. Je me souviens d'une histoire terrible. Un week-end,
j'ai reçu un coup de fil d'un policier.
La fille de
son cousin, une fan de Mylène, avait fait une fugue pour
aller
se suicider sur le paillasson de son idole. Au final, la jeune fille
est venue chez Mylène, et sa famille l'a
récupérée. Mais quel week-end pour
Mylène
et moi ! (rires)
Et lorsque vous faisiez toutes ces télés
à
l'époque, comment réagissait-elle aux
demandes
d'autographe ?
Ça l'embêtait. Elle s'y pliait quand
Bertrand et moi
la poussions à être un peu plus sociable (rires).
Comprenez-vous qu'elle n'ait pas de fan-club
officiel ?
De mon temps, elle en refusait déjà totalement
l'idée. Parce que je crois que cela impliquait un
certain
nombre de contraintes dont elle ne voulait pas. Et puis je pense que
les fans, ça la mettait mal à l'aise.
Ce
n'était pas quelque chose qu'elle vivait
très
bien.
Vous suivez sa carrière ?
Oui bien sûr. Je trouve qu'elle ne s'est
pas beaucoup
trompée. Mais je ne l'ai jamais vue en concert.
Pourquoi ?
Je ne sais pas. (silence) Ça me ferait bizarre. Mais j'ai vu
des
DVD, et c'est extraordinaire ce qu'elle fait.
C'est
d'autant plus incroyable qu'elle est partie avec de
tous
petits moyens : elle ne maîtrisait pas tellement le chant.
Mais
elle a fait son chemin, sans aucune compromission.
Au moment où vous vous occupiez d'elle,
sentiez-vous
qu'elle allait devenir ce qu'elle est
aujourd'hui ?
Non. Je pensais qu'elle allait faire une carrière
formidable. Mais à ce point-là,
c'était
difficilement imaginable. Quelle autre chanteuse des années
80 a
fait un tel parcours ?!
L'avez-vous revue depuis que vous avez
arrêté de travailler ensemble ?
Oui, une fois. On a essayé de remettre ça, mais
la magie était passée.
C'était quand ?
Je ne sais plus. Je n'ai pas la mémoire des dates.