Danseuse sur le Tour 89
Février/Mars/Avril 2006
Fanzine IAO - N°7
IAO : Comment êtes-vous
arrivée sur cette
tournée ?
Edwige Chandelier : Je connaissais Sophie Tellier
(l'éternelle rivale de Libertine,
ndlr). On avait travaillé ensemble
sur
plusieurs spectacles, comme L'Amérique,
de Fred
Astaire à nos jours, une sorte de
rétrospective
des comédies musicales. Sophie y était surtout
chanteuse,
et moi danseuse. C'était entre 1987 et 1989.
Elle vous a donc pistonnée auprès de
Mylène ?
Non. Elle m'a simplement informée qu'on
recherchait
des danseurs pour le premier spectacle de Mylène Farmer.
J'ai donc donné photos et CV. Au
départ, ce devait
être une audition un peu privée parce que
Mylène ne
voulait pas se retrouver avec des milliers de personnes. Finalement, il
y avait au moins 500 personnes ! C'était LA
grande
audition de l'année car on savait que ceux qui
seraient
choisis auraient du boulot pour un an. De surcroît,
Mylène
était la seule à proposer un spectacle
très
théâtralisé et très
chorégraphié, donc c'était
très
intéressant pour des danseurs.
Vous vous intéressiez à son travail avant cette
tournée ?
Ah oui, j'adorais ! J'aimais bien ses chansons, ses
clips, son univers.
Où et quand a eu lieu l'audition ?
Je crois que c'était en février 1989.
Et ça
se déroulait dans les grands studios de
répétition
du Théâtre des
Champs Elysées.
Mylène était-elle là ?
Oui, elle regardait beaucoup, mais intervenait très peu.
Comment s'est passé ce casting ?
Sophie avait préparé une petite
chorégraphie... sur Sans
Logique je crois.
On passait par groupes de dix filles devant Mylène et
Sophie, Il
me semble que Bertrand Le Page, le manager de Mylène,
était là aussi. Ça a duré
des heures !
Après une première audition, assez peu de filles
sont
restées. Mylène a alors demandé
à nous
revoir. On a passé une seconde audition, quelques jours plus
tard. Trois filles et quatre garçons ont
été
sélectionnés.
Les danseurs ont été les mêmes tout au
long de la tournée ?
Non car un garçon et une fille nous ont
lâchés au
moment de la tournée en province, à
l'automne 89;
ils ont juste fait le Palais des Sports au mois de mai.
Pourquoi cela ?
Je crois qu'ils avaient des engagements par ailleurs.
Mais vous n'êtes pas tenus par contrat
d'aller jusqu'au bout de la tournée ?
Si, bien sûr. Je ne sais pas comment ça
s'est
passé avec la production. Peut-être ont-ils
trouvé
un arrangement à l'amiable.
Qui est parti ?
Marianne Filali a prévenu deux ou trois jours avant le
début de la tournée. Elle a
été
remplacée au pied levé par Dominique Martinelli
qui avait
déjà fait quelques télés
avec
Mylène. Chez les garçons, c'est Pascal
Montrouge
qui a quitté le navire; il a été
remplacé
par Yann Jonas.
Quand ont commencé les répétitions ?
Deux ou trois semaines après les dernières
auditions.
Dans un premier temps, on a répété
près
d'un mois, dans ces mêmes studios du
Théâtre
des Champs Elysées. Puis on est parti
répéter dix jours à
St Etienne où
l'on a donné un concert avant de faire le Palais
des
Sports.
Mylène était-elle là pour les
répétitions ?
Au début, non. On était seuls avec Sophie qui
nous
apprenait les chorégraphies que Mylène et elle
avaient
préparées. Mylène nous a rejoint
quelque temps
plus tard, quand on maîtrisait les pas.
Comment était-elle dans ces moments-là ?
Elle était très gentille, très
agréable.
Mais ce n'était pas évident pour elle,
dans la
mesure où elle n'avait pas de formation de
danseuse. Elle
a énormément bossé.
C'était de longues journées ?
On répétait six ou sept heures par jour. Et
Mylène
avait, en outre, des répétitions avec les
musiciens et
les choristes.
Au même endroit ?
Non. Je crois me souvenir que c'était aux studios
Hocco, à Vitry sur Seine.
Etait-ce un spectacle
intéressant pour vous, en
tant que danseuse ?
Oui ! On intervenait assez peu en scène - six ou
sept
fois - mais à chaque fois, il s'agissait
de
chorégraphies assez longues car les chansons
étaient
rallongées. Donc c'était un spectacle
assez
enthousiasmant pour nous car il laissait une grande place aux
chorégraphies.
Les pas ont-ils changés au fil de la tournée ?
Non. Tout était très calé.
Mylène avait
besoin de repères très précis. On a
juste fait
quelques petites modifications lorsqu'on a
répété
pour la première fois dans le décor, à
St Etienne. Car c'était un
décor imposant
dans lequel il n'était pas facile de se glisser.
Pour
certaines chorégraphies, comme Sans
contrefaçon, on partait du dessous de la
scène. Tout cela ne
pouvait
être aménagé qu'une fois dans
les lieux, on
ne pouvait pas le prévoir avant.
Y a-t-il eu d'autres imprévus ?
Oui ! Lors de notre premier filage, les fermetures éclair
des
costumes ont éclaté à cause des
chorégraphies. Du coup, il a fallu faire descendre tout
l'atelier de Thierry Mugler à St Etienne pour
refaire une partie des costumes afin qu'on puisse bouger
dedans.
C'était la grosse panique car on était
à
quelques jours de la première.
Comment était l'ambiance pendant la
tournée ?
C'était très agréable.
C'est vrai que
les musiciens restaient de leur côté, et nous,
danseurs,
du nôtre. Mais ça marchait très bien
comme
ça.
Mylène participait-elle à cette vie de groupe ?
Oui. On dînait souvent ensemble. Du moins quand elle
était
dans le même hôtel que nous car parfois,
à cause de
fans qui la pistaient, elle allait dans un autre hôtel.
Elle faisait la route avec vous, dans le bus de la tournée ?
Non, elle était en voiture avec Bertrand Le Page, son
manager,
et Thierry Suc, le tourneur. Il est arrivé qu'elle
prenne
un ou deux danseurs avec elle en voiture. Et elle est venue deux ou
trois fois avec nous dans le car.
Vous la sentiez proche de vous ?
Oui, même si nos rapports restaient essentiellement
professionnels. Elle avait un certain charisme qui imposait le respect;
elle n'inspirait pas la tape dans le dos. Mais ça
ne nous
empêchait pas d'avoir des discussions
très
intéressantes. Elle venait parfois avec nous dans les loges,
elle nous coiffait, elle nous offrait des petits cadeaux. Je me
rappelle par exemple qu'on avait fait un peu de promo
à la
télé pour le spectacle - même
s'il
n'en avait pas vraiment besoin puisqu'il s'est
rempli
très vite - et Mylène nous a offert les
tenues qui
avaient été créées pour
l'occasion
par Plein Sud. Et à la fin de la tournée, on a
tous eu un
stylo Bulgari, et un peignoir griffé "Mylène
Farmer - Tour 89".
Avez-vous eu un repas de fin de tournée ?
Il y a eu une soirée à Bagatelle
après le dernier
Palais des Sports, en mai. Puis une énorme soirée
après le tout dernier concert à Bercy, en
décembre.
Et en comité plus restreint ?
Après la tournée, pour les besoins d'un
clip,
Laurent voulait brûler le décor. Il l'a
donc fait
reconstruire dans un champ à la Ferté Alais, en
région parisienne. Et après le tournage, on a
fait un
grand repas tous ensemble - Mylène, Laurent, les
musiciens, la production et les danseurs.
C'était l'occasion pour
Mylène de faire un discours pour remercier tout le monde ?
Non, je ne crois pas que ce soit son genre. Elle était
très discrète. Mais on a bien rigolé.
C'était quelqu'un de marrant, et pas
juste un
personnage sombre; c'était certes en elle, mais
elle
n'était pas que ça dans la vie de tous
les jours.
Vous travailliez avec d'autres artistes de
variété à
l'époque ?
Oui, j'avais fait six mois de promo
télé avec
Jeanne Mas, au moment de Sauvez-moi.
L'ambiance
était totalement différente. Ce
n'était pas
quelqu'un de très agréable.
D'autant
qu'elle avait un rapport avec les filles assez
particulier... un rapport de rivalité.
Quelle relation avez-vous eu avec les fans de Mylène ?
Dans la mesure où Mylène partait rapidement
après
sa sortie de scène, on servait souvent de palliatif aux fans
qui
l'attendaient après le concert. On en retrouvait
à
l'hôtel, au restaurant; ils nous suivaient partout.
Même après la tournée, je recevais des
lettres et
des coups de fil chez moi - je ne sais pas comment ils faisaient pour
avoir mes coordonnées. Mais je n'ai pas
donné suite
parce que ça me faisait assez peur ce fanatisme.
Pourquoi ? Les fans étaient violents ?
Non, pas du tout. Mais ils étaient souvent dans un
état
émotionnel qui me perturbait car j'ai du mal
à
comprendre le fanatisme à ce point.
Vous n'avez jamais collaboré à nouveau
avec Mylène après le Tour 89 ?
Si, une seule fois. C'était juste après
la
tournée, pour les besoins du clip de Allan.
Mais c'est pourtant un clip Live...
Oui mais Laurent Boutonnat voulait y incorporer des images
supplémentaires. Mais une scène a
été
coupée pour le clip final.
Laquelle ?
Boutonnat avait filmé les danseuses de la
tournée, hormis
Sophie, dans un grand hangar entièrement rempli de boue - 60
à 70 cm de boue. Nous
étions des espèces de mortes-vivantes avec des
grands
suaires blancs. On marchait dans la boue, puis on se couchait dedans,
de sorte que l'on semblait presque nues. Boutonnat nous
filmait
de très près avec une super 8. On a vu les
rushes; les
images étaient assez dures, même violentes.
C'était tellement trash qu'elles
n'ont pas
été retenues au montage. Je me rappelle
qu'en
revanche, ils ont gardé les images du cheval qui avaient
été tournées au même moment.
Mylène a assisté au tournage ?
Oui. Elle est même venue nous aider après car on
peinait
à se débarrasser de cette boue qui nous collait
à
la peau. Elle nous a séché les cheveux et nous
a
coiffées.
Qu'avez-vous fait depuis cette tournée ?
J'ai arrêté la danse presque
aussitôt
après. Je me suis lancée dans les relations
presse. Puis
dans le chant. Aujourd'hui, je chante (des chœurs
pour
Serge Lama, Hervé Vilard, Disney...) et j'enseigne
le
chant dans des écoles de formation.