Interview
publiée dans les fanzines Mylène Farmer Magazine
en 2004 et IAO en 2005
Comme beaucoup de gens, je découvre Mylène Farmer
avec Libertine,
en 1986. L'univers est hyper
intéressant et le clip grandiose. C'est tellement
novateur ! J'ai alors vraiment très envie de la
rencontrer. Un ami commun, Frédéric Dayan, alors
attaché de presse du Palace, célèbre
boîte
de nuit parisienne, organise un dîner au
Privilège, le
restaurant du rez-de-chaussée. Quelques stars du moment sont
là - Carlos Sotto Mayor, Wadeck Stanczack - mais
aussi Richard Anconina et Mylène, accompagnée de
Bertrand
Le Page, son manager de l'époque. Nous sommes en octobre
1986. Vraisemblablement par timidité, Mylène
passe le
dîner la tête baissée; elle ne dit
pratiquement pas un
mot. A la toute fin de la soirée, je vais vers elle. On
discute
un peu, mais je ne sens pas de feeling particulier. Elle reste
tellement timide…
Printemps 1987. Tristana
est sur toutes les
lèvres. Le clip qui l'accompagne est une nouvelle fois
époustouflant. Je suis alors photographe
pour Paris-Match et je persuade la rédaction du
magazine de faire
un sujet sur elle. Mylène n'étant pas encore
très connue, ils sont donc assez réticents, mais
finissent pas
accepter. J'appelle Bertrand Le Page pour lui dire. Il me dit ok,
mais me précise qu'elle ne fait des photos qu'avec
Christophe Mourthé. Evidemment ça ne me plait pas
du
tout qu'un autre fasse un sujet dont je suis
l'instigatrice. Au final, ils sont ok pour que ce soit moi. On se
retrouve donc le premier week-end de juillet 1987 chez Bertrand pour
une séance photo. On fait alors la série
où
Mylène est allongée par terre, faisant des
croquis, avec
la petite poupée de bois à ses
côtés.
Le lendemain, j'envoie
les photos au labo. Je les
récupère dans la journée. Je demande
à
Mylène de venir les voir au journal - c'est plus pratique;
plus tard, elle 'profitera' de sa position
vis-à-vis de moi pour me faire déplacer avec une
table
lumineuse chez elle. Mylène arrive donc au journal avec
Bertrand. Elle regarde les photos. Elle en retire. Je me dis : "Mon
Dieu ! Elle n'aime pas". Finalement, elle n'en
retire pas tant que ça. Mieux, elle met des croix sur plein
de
diapos. Quand elle met une croix, c'est qu'elle aime
beaucoup. Pour la séance prise chez Bertrand, elle a mis
cinq
croix à certains ektas; elle est visiblement folle de cette
série ! Je crois qu'à partir de là,
elle
s'est sentie en confiance face à mon objectif. En tout
cas, un mois après, elle ne travaille plus avec Christophe
Mourthé. Le papier sort dans Match. Dès
lors, on commence à s'appeler beaucoup. Et à se
voir plusieurs fois par semaine. Mais pas dans les palaces ou les
grands restos. Elle n'a pas beaucoup d'argent à
l'époque; elle m'explique qu'elle n'a
toujours pas touché les royalties pour Libertine
parce que ça prend du temps ce genre de choses. Donc c'est
plutôt restos chinois. Et McDonald's à fond ! On
passe des journées entières chez elle, rue
Quincampoix,
assises par terre à manger des hamburgers en sirotant du
coca,
à regarder la télé, et surtout
à refaire le
monde, avec E.T. sur la tête qui nous pouille les cheveux. On
lui
donne des feuilles et des stylos, et il fait des dessins. Il est
incroyable ce singe; il sait même reboucher les feutres ! Je
devrais dire 'elle' d'ailleurs puisque c'est
une fille. Quelques mois plus tard, à Noël,
Mylène a
eu Léon. Elle m'a dit que quand il ferait des
bébés avec E.T., elle m'en donnerait un. Ma
mère, qui garde déjà mes chats et mon
chien quand
je pars en reportage, n'est pas vraiment pour ! En parlant de mon
chien, Popcorn, une petite célébrité
à Paris-Match, je me souviens que Mylène
l'aimait beaucoup. Elle n'était pas
spécialement fan des chiens. Mais c'était un
cocker
gold; il était roux comme elle !
A l'époque,
quand on n'est pas chez Mylène,
on organise des parties de Trivial Pusruit chez Bertrand. Surtout le
dimanche après-midi. On hait tous le dimanche ! En fin de
journée, pendant que les garçons se
prélassent,
Mylène et moi sommes de corvée de vaisselle.
Imaginez
Mylène avec des gants Mapa !
Mylène est fan de Peter Gabriel à
l'époque.
Elle prend des polaroïds de lui quand il passe à la
télé ! C'est aussi la période
où elle
a un livre fétiche qu'elle tient absolument à me
faire voir. Mais j'ai toujours refusé de le regarder.
C'est un bouquin de photos de monstres de la nature, du genre des
enfants nés avec des écailles de crocodile !
Ça
l'intéresse vraiment ! Ou plus exactement, ça
l'intrigue. Ce n'est vraiment pas de la curiosité
malsaine. Juste une envie de comprendre. Comme une enfant.
Vacances au soleil
Nous sommes en juillet. Mylène me demande ce que je fais
pour
les vacances : "On a loué une maison avec Laurent
(Boutonnat, NDLR)
dans le
Sud, à la Garde Freinet, tu veux venir ? Y'a plein de
chambres !". Ça ne fait pourtant que trois semaines qu'on se
connaît vraiment ! Passer un mois ensemble, ça me
paraît donc un peu tôt. Pour moi, c'est le meilleur
moyen pour qu'on se fâche. Je décline donc
l'invitation. En même temps, j'ai vachement envie
d'y aller ! Mylène insiste en me disant que je ne suis pas
obligée de rester le mois entier. J'ai de toute
façon un reportage sur Niagara programmé en
Hollande.
Mais je me suis arrangée pour enchaîner avec un
sujet sur
Francis Lalanne tout début août à
Saint Tropez, non
loin de la Garde Freinet. J'arrive donc une semaine après
eux. J'ai loué une voiture aux frais du magazine car ni
Mylène ni Laurent ne savent conduire à
l'époque. Je me rappelle d'ailleurs avoir
donné des cours de conduite à Mylène
pendant ces
vacances; on s'est pris je ne sais combien de fossés !
E.T. est en vacances avec nous là-bas. Il y a aussi un
couple
d'amis de Mylène et Laurent. Christophe Mourthé
et
sa copine passent également quelques jours avant que
j'arrive. Michel, le petit frère de Mylène, est
là aussi depuis le début. D'ailleurs, je partage
la
chambre mitoyenne de celle de Mylène et Laurent avec lui. Ce
sont des lits superposés, je précise. Laurent
n'arrête pas de charrier Michel à ce sujet, en lui
disant qu'il aurait intérêt à changer
ses
draps tous les matins. Le pauvre, il a environ dix-sept ans. Je me
rappelle qu'un soir, en discutant dans la chambre, lui sur le lit
d'en bas, moi sur celui d'en haut, il me dit : "Je
n'ai jamais vu ma sœur comme ça. C'est dingue,
vous vous connaissez à peine et elle t'invite dans son
intimité de façon naturelle. On dirait que vous
vous
connaissez depuis toujours."
Je boucle donc mon reportage avec Lalanne vite fait pour rejoindre
Mylène, Laurent et toute la clique. Mais quand Francis
apprend
que j'habite avec Mylène Farmer, il veut absolument venir.
Je crois qu'il était fasciné par son personnage
– comme tant d'autres. Avec l'autorisation de
Mylène, je l'invite donc à m'accompagner
à la maison pour faire quelques photos dans le verger.
Mylène m'assiste. En fait, elle me déconcentre
plus
qu'autre chose. Elle s'amuse à jouer les metteurs en espace
complètement allumés : "Francis,
prends une pêche et fais comme si tu lui faisais l'amour".
Lui est totalement à ses ordres. Il serait
d'ailleurs bien resté après la séance
photo,
mais elle ne l'a pas invité. On s'est bien
amusés en tout cas.
Et ça s'est confirmé par la suite. J'ai
vraiment passé de très bonnes vacances. Souvent
seule
avec Mylène d'ailleurs car Laurent passait le plus clair
de son temps avec un copain à lui, Gilles Laurent.
Mylène
était d'ailleurs toute contente de me dire : "C'est lui qui
a fait la voix de Pinocchio dans le film avec Gina
Lollobrigida quand il était petit !". Les deux
hommes
travaillaient sur le scénario de ce qui, je crois,
deviendra
Giorgino
quelques années plus tard.
Ils
passaient donc leurs journées dans le bureau pendant que
Mylène et moi nous prélassions au bord de la
piscine.
D'ailleurs, on a laissé tomber le maillot de bain au bout
de deux jours ! Je me rappelle qu'on mettait souvent la radio au
bord de la piscine. Un matin,
Déshabillez-moi
de
Juliette
Gréco est passé et j'ai commencé
à
faire un petit striptease au bord de la piscine pendant que
Mylène était dans une chaise longue. On a bien
ri.
Mylène reprend la chanson quelques mois plus tard sur
l'album
Ainsi
soit je…. Avant cela,
elle
le chante à l'Opéra pour les Oscars de la Mode.
C'est en octobre 1987. Si vous connaissez les images, vous savez
qu'on voit son sein qui dépasse à un moment.
Mylène en était malade !
Elsa Trillat
et Mylène Farmer - Eté
1987
Naissance d'un tube
Mais revenons sur la Cote d'Azur. Pendant ces
vacances, on a pas mal roulé en voiture avec
Mylène.
D'ailleurs, je me rappelle que je mettais tout le temps de la
musique, en particulier une compil de Marie Laforêt,
Les
cornichons de Nino Ferrer sur lequel on
s'éclate
comme des folles, et surtout Sylvie Vartan que j'aime depuis que
je suis toute petite. Notamment
Comme un garçon.
Elle me dit alors que petite, elle avait les cheveux courts et que tout
le monde la prenait pour un garçon et que, pour que la
confusion
soit encore plus troublante, elle se mettait souvent un mouchoir au
creux du pantalon. Plus tard, je lui demande si elle prévoit
une
nouvelle chanson pour bientôt. Elle me répond
immédiatement : "En tout cas, j'ai
déjà le titre et ça va te faire
plaisir : "Sans contrefaçon, je suis un garçon".
Tu
m'as tellement bassiné avec ta Sylvie Vartan !".
Le titre sera finalement raccourci. Pour les couplets, on s'est
mis au bord de la piscine avec un dico de synonymes et elle m'a
dit : "Tu vas voir comment on écrit une chanson !". Et on a
commencé à faire rimer les
mots. Ça
s'est enchaîné très vite ! En une
demi-heure,
on avait inventé son prochain tube. Le soir même,
Laurent
qui avait apporté un petit synthé, voit les
paroles; en
quelques minutes, il trouve l'accroche musicale sous nos yeux !
Pour la voix de l'intro, "Dis maman, pourquoi je suis pas
un garçon ?", c'est un petit clin d'œil
à un private joke entre Mylène et moi. En fait,
quand on
descendait au bourg pour faire quelques courses, et notamment le coca,
notre drogue à toutes les deux, je défiais
Mylène
la timide de s'adresser à la vendeuse de
l'épicerie avec cette voix de gamine. Et elle le faisait !
Imaginez la parlant à l'épicière avec
la
voix de l'intro de
Sans
contrefaçon
: "Bonjour madame la marchande de légumes de
poireaux" ! C'était tordant. En feuilletant les magazines,
notamment Elle, on a
repéré un costume
à carreaux et un costume à rayures.
Mylène a
aussitôt dit à Bertrand, son manager, que
c'était ce qu'elle voulait pour les visuels de
Sans contrefaçon.
Mylène est remontée sur Paris avec moi, dans la
voiture
de location. E.T. a fait tout le voyage sur mon épaule. Tous
les
gens qu'on croise nous regardent; Mylène ne comprend pas
trop pourquoi. Comme si c'était si commun de se balader avec
un singe dans une voiture ! A un moment, je dis à
Mylène
: "C'est bizarre, je sens comme un truc mouillé
dans le dos". Je m'arrête dans une station service
pour prendre de l'essence. Je vois alors que le dossier de mon
siège est recouvert d'un truc vert et collant. J'en
ai aussi plein dans le dos. Cette 'saleté'
d'E.T. s'est vidée sur moi ! Mylène est morte
de rire.
De retour sur Paris, Mylène enregistre
Sans
contrefaçon. Puis, on fait les photos pour la
pochette du
45 tours. Mylène souhaite poser sur des voies de chemin de
fer
désaffectées, avec mon chat, Malcolm, un
chartreux
adorable. Elle se voit bien en noir& blanc ou en
sépia,
lookée façon gamin de Paris à la
Poulbot.
Finalement, on fait des clichés en studio avec son costume
à
rayures et avec celui à carreaux. C'est le premier qui aura
les
honneurs de la pochette.
Mylène
Farmer - Photo : Elsa Trillat - 1987
- Pochette du single Sans
contrefaçon
Ainsi soit Nous
En octobre, Mylène et Laurent préparent le
tournage du
clip de
Sans
contrefaçon,
prévu pour
décembre. Hélas, à ce
moment-là, je suis
rattrapée par des problèmes de santé.
Le 19
octobre, je les appelle pour les prévenir que j'entre en
dialyse; Mylène se fait alors mouler le visage pour la
fabrication
de
sa marionnette qui servira pour le clip. A peine rentrée,
elle
me rappelle pour me parler et m'assurer de son soutien. Pendant
dix jours, je suis hospitalisée pour les examens d'usage.
Quelques-unes des vedettes que je photographie
régulièrement pour Match
me rendent
visite : les Niagara, Vanessa Paradis qui m'offre un
synthétiseur,…
C'est une période pendant laquelle Mylène et moi
nous rapprochons encore plus car elle vient quasiment tous les jours
prendre le relais de ma mère pour m'aider à
manger
et me tenir compagnie. Quelques jours avant la sortie de
Sans
contrefaçon, elle m'apporte les
éditions 'Or' promotionnelles du 45 tours. Quelle
fierté de
voir ma photo ! Elle m'appelle aussi tous les soirs, histoire de
papoter avant de dormir. Un soir, elle me dit qu'elle vient
d'écrire un texte en une demi-heure pour son prochain
album. Elle me le lit au téléphone.
C'est
Ainsi
soit je…. Elle écrit la plupart
des titres
de son prochain album pendant cette période et me tient au
courant quotidiennement de son avancée.
Plus j'y pense, plus je me dis que l'album
Ainsi
soit je…, c'est le nôtre. Bien
sûr, je
n'ai pas écrit les chansons, je ne les ai pas
chantées non plus. Mais je me suis sentie
impliquée dans
le processus de sa création. J'ai vraiment
le sentiment d'avoir eu une influence sur la direction
qu'il a prise. Notamment
Sans
contrefaçon
ou la reprise de
Déshabillez-moi.
Une fois,
Brigitte, la sœur de Mylène, m'a dit que
Sans logique,
c'était pour moi. Est-ce vraiment
le
cas ? Si oui, c'est Mylène qui est, à la fois
satanique et angélique, mais c'est à moi
qu'elle crèverait volontiers les yeux d'un coup de
ciseau !
Décembre 87. Comme prévu, j'entre en dialyse.
Mylène est très contrariée car elle
doit partir
à Cherbourg pour tourner le clip de
Sans
contrefaçon. Elle ne souhaite ni me forcer
à
venir ni me l'interdire. Elle pense simplement que ça va
m'affaiblir. Elle a raison. C'est donc la mort dans
l'âme que je renonce à aller prendre les photos du
tournage. Quel dommage :
Sans
contrefaçon,
c'est un peu notre truc à tous les trois, Laurent,
Mylène et moi. Pour l'anecdote, je me rappelle qu'au
début, Mylène voulait que l'histoire du clip
tourne
autour d'un camp de concentration; comme j'étais
très maigre, elle m'avait
dit qu'elle aurait un rôle pour moi !
En janvier, elle m'annonce toute fière
l'avant-première du clip au Max Linder, un cinéma
parisien. Une projection de presse. Rendez-vous à 11h00.
Elle veut que j'y sois. Mais je suis en dialyse toute la
matinée donc ça me paraît compromis.
Mylène
est assez triste. Le jour venu, je fais le forcing auprès de
mes
médecins qui acceptent exceptionnellement de me laisser
sortir
une heure avant. Je prends un taxi. J'arrive sur place.
Mylène me voit. Toute contente, elle dit : "C'est
bon, Elsa est là, on peu commencer !". J'avoue
être assez flattée par la remarque. La projection
commence. A la fin, Mylène voyant que je ne peux applaudir
– j'ai le bras gauche bandé suite aux dialyses
– prend ma main droite et tape dedans avec sa main gauche; on
applaudit comme des sœurs siamoises. On sort du Max Linder
vers
14h00. On a hyper faim. Je propose à Mylène
de manger
des sushi; elle n'en a pas trop envie. Je lui dit : "Fais-moi
confiance. Je suis sûre que tu vas aimer".
Direction Osaka, vers la Comédie Française.
Là,
elle tombe amoureuse des sushis. Je lui aurai au moins
laissé
ça. Les semaines passent. Mais je vais toujours me faire
dialyser trois fois par semaine. Je décide de vendre ma
voiture.
Mylène veut me la racheter. Elle n'a même pas le
permis ! "Mais je l'adore tellement ta Mini !
J'apprendrai à conduire !". Finalement, le
concessionnaire me reprend la voiture quand j'en rachète
une nouvelle. Mylène est très
énervée. Ça
me fait rire.
Les photos de la pochette de l'album
Ainsi soit
je… sont shootées début
février
chez Bertrand Le Page. Je vais chercher Mylène chez elle,
rue
Quincampoix. Elle sort avec des bigoudis sur la tête et sa
poupée sous le bras; c'est surréaliste ! On fait
l'essentiel des photos devant un grand miroir : une
première série où elle se regarde dans
la glace et
une autre où elle se retourne vers moi.
L'électricité saute à trois reprises
car je
travaille uniquement au tungstène, jamais au flash; c'est
une lumière permanente qui donne une image plus
dorée,
mais qui consomme beaucoup. En plus, la radio reste branchée
pendant toute la séance. Je me souviens d'ailleurs que
c'est l'époque où François Feldman
commençait à cartonner fort; son nouveau single
passe
à la radio, Mylène me regarde et me dit : "Tu vas
voir que ce truc va finir N°1 !". Elle n'a
pas eu tort. Bref. Je fais développer les photos. On les
regarde. Mylène choisit exclusivement celles où
elle se
regarde dans le miroir. Laurent et moi, on
préfère les
autres. En fait, comme tout le monde, Mylène ne
connaît
d'elle que l'image qu'elle se renvoie dans un miroir,
donc elle se reconnaît mieux dans celles-là que
dans les
autres. Finalement, on a le dernier mot avec Laurent.
Mylène
Farmer - Photo : Elsa Trillat - 1988 -
Pochette de l'album Ainsi
soit je...
En mars 1988, sort l'album
Ainsi
soit je….
Je craque tout particulièrement sur
L'horloge. Je dis
à Mylène qu'elle devrait le
sortir
en 45 tours. Elle ironise sur le fait qu'on serait les seules
à l'acheter ! A la même période,
elle
déménage de la rue Quincampoix à la
rue de Monceau.
Je vis alors chez mes parents, place de la République
Dominicaine, de l'autre côté du parc Monceau.
Autant
dire qu'on devient alors voisines et qu'on se voit encore plus -
si possible vu qu'on se voit déjà quasi
quotidiennement ! Son nouvel appartement est immense : 300m
2
pour elle et Laurent ! Presque une
pièce entière est transformée en cage
géante pour E.T. et Léon. Maintenant, il faut le
remplir
cet appart ! Car Mylène n'a presque rien
gardé de Quincampoix. Je lui propose alors d'aller
chercher l'essentiel. On part donc faire quelques courses aux
Galeries Lafayette. Nous voilà dans ma nouvelle voiture.
Mylène à côté de moi, les
pieds sur le
tableau de bord. Elle s'étonne alors que tout le monde
nous regarde. Je lui dis : "T'as vu comment t'es
habillée ?". Mylène n'a rien
trouvé
de mieux que de s'habiller avec le costume à carreaux des
télés de
Sans contrefaçon,
casquette y compris. Pour passer inaperçue, c'est
raté ! Elle ne se rend pas compte que son disque fait un
carton
et que tout le monde l'identifie très bien… On
est
passé par le Monoprix pour prendre des produits
ménagers. Mylène ne s'y connaît pas
trop donc
je lui dis de prendre conseil auprès d'une vendeuse. Elle
n'ose pas. J'y vais. La vendeuse me demande si c'est
bien Mylène Farmer. Je lui dis que oui. Elle souhaite alors
annoncer au micro que Mylène est dans le magasin. Je lui
déconseille vivement et éclate de rires.
Le 14 mars, jour de mon anniversaire, alors qu'elle est encore
dans les cartons, Mylène m'invite à passer une
nouvelle soirée dans son appart. Elle m'apporte
alors un grand carton : "Laurent et moi, on a un petit
quelque
chose pour toi". J'ouvre. Je reconnais le visuel de la
pochette de
Sans
contrefaçon. C'est
le
disque d'or pour plus de 500 000 ventes, avec mon nom inscrit en
toutes lettres.
De mon côté, je suis toujours en dialyse
à ce
moment-là. A ce sujet, Mylène me dit un truc
très
touchant. Un soir, on va dîner chez Osaka toutes les deux
avant
d'aller chercher Laurent qui bosse alors sur un truc non loin de
chez moi. Lors de ce dîner, Mylène me demande :
"Où puises-tu toute ton énergie ? Je n'en ai pas
un
quart ! Malgré tous tes ennuis de santé, t'as
toujours la pêche ! Tu veux pas m'en donner un petit peu ?".
J'adorerais qu'elle me répète
ça aujourd'hui que je suis à nouveau malade. Je
suis tellement épuisée que ça me
ferait un bien
fou.
Le 9 mai, je fais une nouvelle dialyse. Une de plus ! Quand je repars
chez moi, je me dis que c'est la dernière. J'en peux
plus. L'après-midi même, j'apprends
qu'un rein est disponible et que je vais pouvoir être enfin
transplantée sur le champ ! Immédiatement,
j'appelle Mylène pour la prévenir; elle
m'encourage en faisant un peu d'humour pour
dédramatiser le truc. Après
l'opération,
j'apprends par Suzanne, la femme de ménage de ma
mère, qui travaille aussi chez Mylène, qu'elle a
annulé tous ses rendez-vous et qu'elle est restée
prostrée toute la journée près du
téléphone à attendre de mes nouvelles
! Je suis
hospitalisée pendant dix-sept jours.
Bénédicte, la
sœur de Laurent, qui travaille à la
Pitié où
je suis hospitalisée, me rend visite tous les jours. Je suis
très touchée. Malheureusement, pendant ce temps,
Mylène part au Maroc - pour une
émission de
télé, je crois - puis tourne le clip de
Ainsi soit je…
près de Paris. Laurent
m'informe qu'ils font une projection de la vidéo au
Studio 13 le lendemain de ma sortie de l'hôpital et
m'invite à y aller sans prévenir
Mylène pour
lui faire une surprise. J'arrive, et là, elle ne me voit
pas tout de suite tant elle est entourée. La projection
passe.
Ce n'est qu'après qu'elle me remarque. On se
jette dans les bras l'une de l'autre. Et là, elle me
dit : "Elsa, tes yeux ont changé. Y'avait la mort
avant,
et maintenant y'a la vie".
Malgré cette magnifique phrase, quelque chose s'est
cassé entre nous ce jour-là. Ce qui m'a
énervée, c'est cette cour autour de
Mylène : "Oh regarde Mylène, je suis
habillé
comme toi !". Je n'ai jamais pu supporter ce genre de choses. Je ne
parle pas du public, mais des danseurs, maquilleurs, coiffeurs qui se
sont mis à la copier et à la coller. Je lui ai
dit mille
fois de ne pas marcher dans ces trucs-là, que
c'était le genre de trucs qui pouvaient rapidement lui
faire péter un câble. Dès qu'ils
étaient tous là à tournoyer autour
d'elle,
elle devenait complètement différente; elle
faisait sa
reine - ce qu'elle fera de plus en plus après. Ça
a
été l'élément
déclencheur de
notre 'rupture'. Je ne retrouvais plus ma
marchande de
légumes de poireaux…
La rupture
Un mois après, on fait une séance photos avec des
loups.
Bertrand Le Page organise ça dans une sorte de zoo en
province, vers
Le
Mans; ça s'appelle La Flèche je crois.
Mylène porte une superbe robe verte en velours à
la
Scarlett O'Hara. Elle entre dans le domaine des loups avec un
dresseur et se retrouve avec un loup et une louve. Moi je reste de
l'autre côté de la barrière et je
shoote.
Pour ne pas être dans le champ, le dresseur
s'éloigne, tout en conseillant à
Mylène
d'être plus proche du mâle qui est plus calme. Sa
robe, le loup, les rochers dans le fond: c'est magnifique. Mais
soudain, la femelle, folle de jalousie, se jette sur Mylène
et
l'attrape par les cheveux. Heureusement, le dresseur est
suffisamment rapide pour que ça n'aille pas plus loin. Je
développe les photos. Elles sont belles, mais elles ne
paraîtront jamais nulle part - c'est
Mylène
qui les a aujourd'hui je crois. En fait, je ne sens plus le
truc: je ne reconnais plus Mylène. Pour moi, il y a
clairement
un avant et un après
Sans contrefaçon.
Les gens ont commencé à devenir
hystériques avec
Mylène à partir de ce titre, et plus
généralement du deuxième album. Et
Mylène a
commencé à changer. J'ai connu ça avec
d'autres stars avec qui j'étais copine et que je
n'ai plus reconnues au bout d'un moment - Sophie
Marceau (dont j'ai fait rentrer son frère Sylvain
à
la maquette de Match), Emmanuelle
Béart (avec
qui j'ai fait mon déménagement),… Il
n'y a guère que Sandrine Bonnaire qui soit restée
la même. Mylène ne sortait plus sans sa cour; ils
étaient tous habillés comme elle, ils parlaient
comme
elle - j'ai trouvé ça ridicule !
Le jour où je vais chez elle pour lui montrer les photos
avec
les loups, on est tranquilles et, tout à coup, sa bande de
copier-coller déboule. Je quitte rapidement les lieux
tellement
je trouve ça insupportable. Arrivée en bas, je
monte dans
ma voiture et j'éclate en sanglots; je comprends que ce ne
sera plus jamais pareil. Je rentre chez moi. Je prends le
téléphone et j'appelle Mylène. Je lui
dis
très exactement ce que Sophie Marceau m'a dit deux ans
avant : "Je t'appelle pour te dire que je n'ai plus
envie de te revoir." On parle longuement. Je lui explique
clairement que je ne supporte pas de voir comment elle
évolue au
contact de ses adorateurs : "Tu ne vois pas qu'ils sont
faux, qu'ils jouent un rôle ?!". Elle me
répond qu'elle en a tout à fait conscience et me
conseille d'aller dormir, persuadée qu'on y verra
plus clair après. Le lendemain, je reçois un coup
de fil
de Bertrand au journal : "Elsa, je ne veux pas savoir ce qui
se
passe entre Mylène et toi, mais elle m'a appelé
à 5 h du matin complètement
affolée,
n'arrivant pas à dormir. Alors, appelle-la tout de suite
et dis-lui que vous allez vous revoir !". Je
m'exécute. Elle décroche le
téléphone
et me coupe rapidement la parole : "J'ai
réfléchi. Je crois que tu as
entièrement raison.
Ne nous voyons plus !". Elle est en revanche d'accord pour
continuer à faire des photos ensemble. Ça me
paraît
difficile à gérer, mais il était
prévu de
longue date qu'on aille au Canada deux ou trois semaines
après pour faire un reportage dans sa maison d'enfance. Un
calvaire !
Déjà, on ne voyage pas ensemble dans l'avion.
Arrivées à Montréal, on loge dans le
même
hôtel, mais on ne se parle pas. J'apprends qu'elle
organise une sushi-party dans sa chambre pour elle et sa cour. Je
n'y suis pas conviée. Pour faire souffrir, c'est la
reine ! Quand il s'agit de louer une voiture pour aller
jusqu'à la ville où elle a passé son
enfance, Bertrand me dit que c'est à moi de la payer.
J'ai beau lui expliquer que je n'ai que du liquide et pas
de carte bancaire sur moi, ça n'y change rien. Je suis
donc contrainte de donner tout mon argent pour la voiture. Je
n'ai dès lors plus un centime pour le reste du
séjour, y compris pour manger. L'horreur ! Le pire,
c'est que, de retour à Paris, Bertrand m'appelle
pour me dire que Mylène ne veut pas que les photos soient
diffusées, sans même les avoir vues ! Contrainte
par le
magazine qui a investi dans le reportage, j'en ai finalement
passé une dans Match. De toute
façon, je
les trouve moches ces clichés; on sent que ni elle ni moi
n'avions envie de les faire.
Mylène
Farmer au Québec en 1988 -
Photo de Elsa Trillat évoquée dans l'interview et
publiée dans Paris-Match en 1988
A partir de là, plus de nouvelles. J'ai beau
écrire
des lettres, je n'ai jamais de réponse. Nous sommes
à la fin de l'été 1988. Je n'ai plus
jamais revu Mylène depuis. Sauf une fois, en 1991,
à
l'aéroport de New York. Je suis avec Emmanuelle
Béart. On fait la queue en file indienne pour embarquer dans
le
Concorde. Emmanuelle se retourne et me chuchote : "C'est
pas Mylène Farmer juste derrière toi ?". Je
regarde dans le miroir, et qui je vois, la tête
baissée ?
Mylène ! On avance doucement vers la porte de l'avion. A
un moment, j'ai le courage de me retourner et de lui dire
bonjour. Elle me répond poliment, juste poliment. En
revanche,
elle salue Emmanuelle avec enthousiasme. Puis on s'installe dans
l'avion. Emmanuelle me dit d'aller lui parler : "C'est trop
bête. Vous êtes dans le même
avion". Je me lève, je traverse l'allée.
Hélas, elle est du côté hublot. Je peux
difficilement me mettre sur les genoux de son voisin pour aller lui
parler. D'autant qu'à chaque fois que je passe, elle fait en
sorte de regarder le paysage. Et quel paysage ! Y'a beaucoup de
choses à voir quand on est en Concorde ! Tant pis.
Arrivée à Roissy, je laisse mon chariot
à bagages
à Emmanuelle et je vais la voir. Je lui demande si on peut
aller
déjeuner ensemble un jour prochain. "Non". Juste
boire un café alors ? "Non". Je lui
explique que
ça fait trois ans, qu'on a changé depuis. Et
là, elle me regarde droit dans les yeux à travers
ses
petites lunettes bleues et elle me dit : "Changé
?
Pourquoi veux-tu qu'on change ? J'ai eu trop de mal
à la tourner, cette page, je ne peux pas revenir en
arrière." Elle reste gentille et douce dans sa
façon de me parler, mais ça n'en fait pas moins
mal. Puis Laurent arrive pour la chercher...
L'année suivante, je la croise dans un
supermarché
de Santa Monica, à Los Angeles. Je suis avec une
collègue
de Paris-Match qui me déconseille
d'aller
lui parler, m'assurant que, Mylène logeant chez une
connaissance, elle irait prendre la température. Elle me
confirme rapidement que Mylène ne souhaite pas
spécialement me voir. En revanche, elles deviennent copines
toutes les deux. Quelques jours plus tard, je tombe malade. Ma
collègue m'accompagne à
l'hôpital. Elle
appelle Mylène pour la prévenir de ce qui se
passe car
elles devaient dîner ensemble ce soir-là. Et
là je
réalise que Mylène se souvient de tout car elle
pose des
questions très précises du style : "Combien
a-t-elle de créatinine ?",… Elle
propose
même de prévenir un médecin
français
qu'elle connaît sur Los Angeles. J'ai trouvé
ça très touchant. Vraiment ! C'est le dernier
contact que
j'ai eu avec Mylène, fût-il par procuration.
Il y a deux ans, dans une station de ski près de St Gervais,
Le Betex, je descends du télésiège et
je tombe nez
à nez avec Laurent. Il est avec un couple d'amis. Il
n'a pas changé d'un iota. Je lui demande s'il
se souvient de moi. Il me répond : "Oui, bien
sûr !". Je lui propose qu'on prenne un verre à la
station
le soir même ou le lendemain. Il est ok. Je ne l'ai jamais
revu.
Mylène reste présente dans ma vie de tous les
jours.
J'observe son chemin et je lui garde une place dans mon
cœur. Nine, ma petite nièce de cinq ans, commence
à
prendre le relais. Elle a adoré
C'est une belle
journée. Pour elle, Mylène Farmer
c'est la
plus belle du monde ! Ça me fait plaisir de voir que
Mylène
arrive à séduire encore une nouvelle
génération.
Au-delà des disques et des photos, Mylène m'a
laissé en souvenir une chouette en terre qu'elle a faite
elle-même. Elle adorait les chouettes. Elle disait que
ça
portait bonheur...