MF & Vous : Le
prendriez-vous mal si l'on vous disait que la musique est
un peu dans vos gènes ?
Esther Dobong : Absolument pas, car je suis née dans une
famille de
mélomanes. Mon père jouait de la guitare et nous
a fait
écouter très tôt de la musique. Je suis
entrée au Conservatoire à 5 ans.
J'étais
une bonne élève et j'ai rapidement
obtenu des prix
de piano. J'ai appris la guitare en autodidacte et
écrit
mes premières compositions vers 12 ans. Après
le
collège, je faisais des escapades dans un complexe de salles
de
répétitions. J'y ai croisé
des musiciens
célèbres comme Kamil Rustam qui a joué
depuis avec
toute la variété française et
internationale, et
qui vit aujourd'hui à Los Angeles où il
accompagne
Jessica Simpson ou Jennifer Lopez.
Vous étiez une musicienne pour le moins précoce.
Quand avez-vous découvert le chant ?
Je chantonnais naturellement, mais je n'avais jamais
étudié le chant. En revanche, j'ai
fréquenté très jeune ce milieu
infréquentable et j'écoutais tout,
jazz, soul,
folk, pop et rock. Je me suis découvert une passion pour la
basse, un instrument sensuel et rythmique. Depuis, je
m'accompagne à la basse en concert. On a
créé, avec mes sœurs, une formation
reggae, les
Blackheart Daughters, où je chantais et jouais de la guitare
et
de la batterie. Ma sœur Princess Erika a fait son chemin et
nous
nous sommes retrouvées après
l'enregistrement de Trop
de blabla en 1988. Je me suis fait
remarquer lors
de séances de voix en studio en créant des
chœurs.
Des artistes m'ont sollicitée, comme le violoniste
Jean-Luc Ponty (Tchokola en 1991 et le Festival de Montreux, ndlr), et
j'ai su que je ne me trompais pas quand j'ai
commencé à faire des télés
avec ceux qui
avaient bercé ma jeunesse comme Le Forestier ou Sylvie
Vartan.
Où en étiez-vous quand vous avez
été
engagée par Mylène Farmer en 1996 pour la
deuxième
tournée de sa carrière ?
J'avais décliné l'offre de
Jean-Luc Ponty qui
me proposait une tournée américaine car je venais
de
signer un contrat en solo. J'avais fait une pub pour Gini qui
m'avait ouvert des portes. J'ai
enregistré deux
singles assez power pop qui ont eu du succès en Angleterre.
On
m'a d'abord signé chez Polydor UK, puis
dans le
label IRS Records du groupe Police (qui abritait en son sein REM, ndlr)
où j'ai sorti une ballade plus
classique, Homeland.
Le projet a atterri chez
Chrysalis
où il est passé aux oubliettes. Je suis partie,
comme
Mylène à l'époque, aux
États-Unis et quand
je suis revenue, j'ai été
sollicitée par
elle.
Votre réputation de choriste studio vous avait-elle
précédée ?
Oui, car j'ai reçu un coup de fil de Thierry
Rogen.
Laurent Boutonnat voulait avoir mes coordonnées afin
d'écouter mon travail et pour dire la
vérité, je ne savais pas de quoi il
s'agissait. Les
médias ne parlaient pas encore du retour sur
scène de
Mylène
Farmer. Bien vite, j'ai compris qu'il
s'agirait
d'un événement de grande ampleur.
J'ai
envoyé une photo et une cassette audio avec quelques-unes de
mes
compositions. Nous avons organisé un rendez-vous avec
Mylène, on a parlé musique longuement, de son
dernier
album mais aussi de ma propre expérience. À la
fin de la
discussion, on a décidé de travailler ensemble.
Étiez-vous attirée par l'univers
musical construit par Mylène et Laurent Boutonnat ?
Je connaissais le travail de Mylène depuis longtemps et
j'aimais beaucoup ce qu'elle faisait. Je suis
toujours
très fan des albums qu'elle propose. Ce
qu'elle fait
est sublime et en plus, c'est une personne
particulièrement attachante. Elle est entière et
j'ai un plaisir non dissimulé à
travailler avec
elle. J'étais très attentive aux
chœurs
qu'on me proposait, car je voulais travailler avec des
artistes
de qualité. Je suis évidemment très
bien
tombée.
Votre duettiste sur cette tournée 1996, Carole Rowley, avait
un
CV très étoffé et avait
travaillé pour Real
World Records, le label de Peter Gabriel, que Mylène
admire...
J'ai eu la chance de rencontrer deux camarades
géniales
durant ces tournées. Je me souviens de bons moments
passés à Los Angeles avec Carole et les fous
rires que
nous avons souvent avec Johanna Manchec. En 1999, je
n'étais pas allée aux États-Unis,
j'avais
rencontré Johanna à Paris et j'ai
rejoint
l'équipe directement aux
répétitions
à Marseille. Avec Johanna, on s'entend
très bien et
on rigole beaucoup. C'est une excellente danseuse et une
très bonne chanteuse. Encore quelqu'un qui a une
belle
personnalité. J'apprécie Eric
Chevalier, Yvan
Cassar et Paul Bushnell, le bassiste d'Avant que
l'ombre… à Bercy, à qui
je
rendrai
forcément visite si je suis de passage en Californie.
Quel est le show auquel vous êtes le plus attachée
?
Chaque spectacle avait ses particularités. La
première
tournée était une découverte. Il y
avait une
fraîcheur dans mes rapports avec le staff, on riait beaucoup,
notamment avec les danseurs. Le
Mylenium Tour était bien
plus
recueilli, tant en coulisses que sur scène. Il n'y
avait
pas de retenue, mais probablement plus
d'intériorité. Quant aux concerts de
janvier
dernier, j'étais totalement en confiance.
J'ai senti
pour ce Bercy une sorte d'accomplissement et
d'aisance... Une consécration logique.
Mylène
était beaucoup plus à l'aise
malgré le
défi que représentaient ces treize dates.
Avez-vous constaté les progrès vocaux de
Mylène sur Avant
que l'ombre…
à Bercy ?
Pour ma part, j'estime que Mylène n'a
pas de "progrès" à faire. Quand on est une
artiste comme
elle, sa voix est une couleur et un parti pris. Je la trouve
très juste. Elle chante comme elle est
profondément.
L'important n'est pas de vocaliser comme Whitney
Houston,
c'est d'être soi-même. Prenez
Mick Jagger, il
est loin de la perfection, mais il a sa griffe vocale !
Quelles sont justement les chansons du répertoire Farmer qui
vous ressemblent le plus ?
Sur Avant que
l'ombre… à Bercy,
j'aimais bien
l'intro Peut-être
toi et
surtout C'est
une belle journée que je trouve
très
réussie. J'appréciais aussi les parties
où
l'orchestre jouait seul. Mais ma chanson
préférée est L'autre….
Elle me fait craquer systématiquement.
D'ailleurs, sur la première tournée,
à
chaque fois qu'elle la chantait, je me mettais à
pleurer.
C'est une des chansons qui me touchent le plus, et
j'aimerais bien la reprendre...
Quels sont vos souvenirs les plus poignants parmi ces trois spectacles ?
Sur Avant que
l'ombre… à Bercy, nous
étions
plus de 200 hommes et femmes à travailler. Quand on
part
en tournée, on est en moyenne 80 personnes dans
une
ambiance familiale, avec des liens qui se créent. Il y a
toujours des émotions particulières. Durant le
Mylenium
Tour, je me souviens du bonheur que nous avons ressenti
quand on a
appris vers la fin de la première partie de la
tournée
que nous partions en Russie. Le pays sortait
d'années
difficiles. L'émotion est venue plus du public que
de
nous. Et sur la première tournée, quand
Mylène a
eu son accident à Lyon, on a été
interrompu
pendant quelques mois. On était tellement heureux de
repartir
ensuite sur la route avec elle et de reprogrammer des Bercy !
Après dix ans de bons et loyaux services, s'il
fallait définir Mylène en quelques mots ?
Je ne suis pas très bonne au jeu des définitions.
Je
dirai qu'elle rayonne de l'intérieur et
qu'elle donne tout d'elle-même. En peu de
mots,
c'est dire beaucoup sur sa personnalité.
Autre femme de poigne à forte personnalité :
Marianne
James, pour qui vous avez enregistré récemment
des
chœurs sur Corps
et âme
pour son premier
album...
Marianne connaissait la famille car ma plus jeune sœur
était assistante de production de L'Ultima Recital.
Jacques Ehrhart, son réalisateur, m'a
appelée pour
un arrangement de voix gospel. J'ai entendu un guitare/voix.
Marianne m'a parlé de l'ambiance
qu'elle
désirait. Je lui ai fait écouter quelques
maquettes et
j'ai enregistré toutes les voix de ce gospel.
Où verra-t-on votre nom ces prochains mois ?
D'abord sur scène... Et sur la pochette
de mon album
solo. Depuis que j'ai un site Internet, je suis
même
sollicitée par des rappeurs américains en Floride
! Je
crois qu'il est difficile d'avoir au même
moment une
carrière solo et une carrière de choriste. Il
faut
choisir, se faire violence et se donner une discipline de principe
pour mener ses projets à bien. J'ai donc
décidé de me concentrer sur mes chansons. Je
voudrais
enregistrer le plus vite possible et sans vous en dire trop... une
partie de l'album devra être
réalisée avec un
producteur de Las Vegas. Je garderai toutefois le contrôle de
la
production artistique. Ce sera un travail de longue haleine sous le
signe du métissage. Je suis née à
Paris,
d'origine camerounaise, avec des influences que je qualifie
de "cosmiques" : jazz, reggae, soul, classique,
musique
africaine, musique sacrée et rock. Il y aura tout
ça dans
cet album !