Chef décorateur du clip Pourvu qu'elles soient douces
Avril 2006
Fanzine IAO (Hors Série Pourvu
qu'elles soient douces)
Comment avez-vous
intégré l'équipe Farmer-Boutonnat ?
Mon frère, Frédéric, a joué
le marionnettiste dans le clip deSans contrefaçon.
Il est très vite devenu un de leurs meilleurs amis. Par la
suite, et par son intermédiaire, je suis entré en
relation avec eux, et j'ai commencé à travailler
avec Laurent sur des projets qui, au départ
étaient mal
définis, mais qui ont pris forme petit à petit.
Parmi
ceux-là, Pourvu
qu'elles soient douces
?
On a d'abord fait Ainsi
soit je...,
en studio, avec des décors peints assez magiques –
une
lune, une nuit de brouillard, une chouette, une piscine dans laquelle
Mylène coulait dans une robe diaphane... Un très
beau
tournage. C'est bien après que nous avons parlé
de Pourvu
qu'elles soient douces.
Votre deuxième
frère, David, vous assistait sur le tournage. Vous
êtes une famille d'artistes?
Définitivement oui. Mère musicienne,
père acteur,
caméraman, reporter. Une vraie famille bohème.
Pour ce
qui est de mon frère, il faut savoir qu'il a
également joué dans le clip car ils n'avaient pas
assez de figurants pour la scène d'orgie, tournée
la nuit.
Quelle formation
avez-vous suivi ?
Aucune, si ce n'est les arts décoratifs.
Comment s'est
organisé votre travail sur Pourvu
qu'elles soient douces
?
J'avais un seul interlocuteur : le réalisateur. On a
beaucoup parlé. Vraiment beaucoup. Il fallait être
sûr de bien aller dans la même direction.
Après,
ça a coulé de source.
Quelle a
été votre méthode de travail ?
Faisiez-vous des maquettes ?
Non. Je faisais de nombreux repérages sur les lieux de
tournage, puis des croquis à main levée.
Quels étaient
les souhaits de Laurent pour ce clip ?
Il voulait faire du cinéma dans le style de Sergio
Léone,
mais pour un clip. Il avait des souhaits de grandes batailles, de
chevaux. Je crois me souvenir, mais je me trompe peut-être,
qu'il avait la farouche volonté d'imposer
Mylène en héroïne de clips
cinématographiques, ce qui ne s'était jamais
fait.
Le succè de Mylène vient, en grande
partie, de
cette alchimie incroyable entre elle et le travail de
cinéaste
de Laurent. C'était clairement un avantgoût de ce
qu'il fait aujourd'hui, Jacquou le croquant.
Vous souvenez-vous
combien de temps, en amont du tournage, vous avez commencé
à travailler sur ce clip ?
Environ deux semaines.
Quelle a
été votre première mission ?
Trouver le lieu de tournage. Il nous fallait un endroit sans trace de
modernité et avec suffisamment d'espace pour des
batailles. Mais on n'avait aucune autorisation, ni des
municipalités, ni de l'Office National des Forêts
(ONF). On a donc opté pour un camp militaire. On a
visité
plusieurs casernes, mais ça ne convenait jamais. On a
finalement
obtenu le soutien de l'ONF et on a pu tourner dans la forêt
de Rambouillet, près de Paris.
Avez-vous dû
créer une clairière pour le campement ou
était-elle existante ?
La clairière existait bien sûr. Il
était hors de
question qu'on nous laisse détruire des pousses de
chênes ou d'autres arbres. Mais nous avons fait un
énorme travail de débroussaillage. Et on a rendu
un
espace nickel donc les gens de l'ONF étaient ravis ; on
leur a économisé du boulot (sourire).
J'imagine qu'il y a des
exigences et des contraintes particulières quand on tourne
dans
une forêt...
Bien sûr. L'ONF avait marqué les arbres et les
avait
entourer de grillage pour qu'on n'y touche pas. Niveau
sécurité, il fallait bien entendu la
présence
permanente de pompiers, d'autant plus qu'on faisait des
feux de camp. On a aussi eu recours à la gendarmerie car la
forêt de Rambouillet est publique ; il fallait donc bloquer
les
accès. On a également dû
gérer des
contraintes naturelles liées aux animaux, et au tournage en
plein air (la pluie notamment).
Expliquez-nous exactement
en quoi consiste votre job et à quels moments vous
intervenez...
Il s'agit de mettre en place un décor défini avec
le réalisateur, et ce avec l'aide d'assistants
et d'accessoiristes qui récupèrent tous les
éléments un peu partout, de la pipe au faux
jambon. Il
est impératif de beaucoup en discuter avec le
réalisateur
avant de monter le décor, car il faut prendre en compte les
déplacements de caméra et prendre les
décisions
qui s'imposent pour être au plus près de
l'image que l'on se fait de la scène.
Qu'avez-vous fait
concrètement sur ce tournage ?
Je me suis occupé de tous les éléments
concernant
la déco. Ça va de la branche d'arbre
posée
par terre à la charrette à canon, en passant par
le
mobilier.
Quelles ont
été les difficultés principales ?
Pour la scène des ‘douces' (quand
Mylène
montre ses fesses, NDLR), on a dû construire une tente bien
plus
grande que celle qu'on avait imaginée à la base
car
il fallait qu'il y ait suffisamment de place pour un travelling
et une équipe de tournage. On a dû aussi changer
la toile
de la tente car elle ne laissait pas assez passer la lumière.
D'autres soucis ?
Il a fallu creuser un bassin et chauffer de l'eau boueuse pour le
combat entre Libertine et sa rivale. Et il a fallu nourrir une
grenouille pendant une semaine pour le générique
du
début (rires).
Vous l'avez
trouvée sur place ?
Non ! On a eu un mal fou à la trouver car Laurent voulait
une
grenouille qui ait une tête expressive quand elle croasse
(rires). On a dû la faire venir de chez un éleveur
américain !
Qu'est-elle devenue
après le tournage ?
Mon frère David l'a
récupérée pour
ses enfants. Mais elle est morte six mois après je crois.
Pourquoi Laurent
voulait-il une grenouille ?
C'était un clin d'oeil aux ‘ frogs'
(grenouilles, en anglais, NDLR) ; c'est ainsi que les anglais
surnomment les français.
Combien de temps a
duré le tournage ?
Une semaine. Deux en ce qui concerne ma partie puisqu'il faut
compter le montage et le démontage du décor, et
le
‘rendu' forêt propre.
Comment était
l'ambiance ?
Formidable. Jamais de disputes ou de coups de gueule. Ce n'est
pas le genre de Laurent de toute façon. On n'a jamais
autant ri. Je me rappelle notamment d'un acteur qui était
arrivé ivreau casting et qui a été
pris pour jouer
un lieutenant anglais...ivre (rires). Pendant la scène de
l'orgie, il s'est bu presque tout le vin à lui tout
seul ! Mais il avait cette ivresse digne et consciente, à
l'anglaise. Il nous a beaucoup fait rire.
Mylène
était-elle facile à travailler ?
Je l'ai trouvée magnifique de ténacité
et de
courage, n'hésitant pas, par exemple, à rester
dans
l'eau jusqu'à minuit, en tremblant de froid.
Se mêlait-elle
au groupe ?
Elle était très concentrée sur son
travail, donc
plutôt protégée par
l'équipe. Mais
quand on fait partie de son cercle, elle est tout à fait
nature,
prête à rire en permanence. Elle
possède une grande
générosité, mais pas avec tout le
monde.
Vous faisiez partie de
son cercle ?
Oui. Pendant plus de deux ans, j'ai passé beaucoup de
temps avec Mylène et Laurent. Je dînais
très
souvent chez eux. J'emmenais Mylène à Thoiry voir
les animaux. Je lui faisais aussi quelques courses car il faut savoir
que, à l'époque, ni Mylène ni Laurent
n'avaient le permis de conduire, donc si personne ne les livrait,
ils se nourrissaient n'importe comment, genre saucisses sous
plastique (rires). Ils allaient donc beaucoup au restaurant.
Quels rapports
Mylène entretenait-elle avec ses fans ?
Elle avait du mal à le vivre je crois. Elle recevait des
lettres
hallucinantes : des demandes d'amour, des demandes
d'argent. Un jour, je suis allé chez elle et il y avait
bien 2500 lettres sur sa table ! On en a ouvertes quelques-unes ;
c'était souvent pathétique, et parfois
terrifiant.
Elle me disait : "Tu vois, c'est moi qui provoque tout cela.
Quand j'y pense, c'est un abîme."
Comment
définiriez-vous Laurent ?
C'est un inquiet rentré, qui est
déterminé,
calme et qui déteste la violence des rapports. Il est
très intelligent. Je ne suis pas
étonné de ses
quelques origines russes. C'est une personne que
j'apprécie énormément, et que je vois
moins
en ce moment, en raison de notre éloignement
géographique
(Franck a quitté la région parisienne pour la
Côte
d'Azur, NDLR).
Vous êtes
toujours en contact ?
Oui. Encore récemment, on a dîné non
loin de chez
moi chez un ami russe commun. Il est venu avec mon frère,
Frédéric ; ils sont restés
très proches. On
a beaucoup parlé de Jacquou le croquant.
Vous auriez
aimé qu'il vous appelle pour ce film ?
Je ne suis plus dans le métier. Je dessine et
réalise des
projets en bois pour de riches particuliers. Et j'expose mes
sculptures et mes dessins. D'ailleurs, Laurent est venu voir une
de mes expos.
Et Mylène ?
Je la vois beaucoup moins. J'ai failli faire des travaux pour
elle dans sa maison en Corse, mais elle a finalement
préféré faire bosser des locaux. Elle
a sans doute
eu peur des représailles (rires).
Laurent vous a-t-il
demandé des travaux pour chez lui ?
On a dessiné une piscine pour sa
propriété dans
l'Oise, mais ce n'est pas encore fait. Laurent met toujours
un temps fou pour se décider. C'est le gros
problème avec lui (sourire).
Avez-vous
retravaillé avec eux après Pourvu qu'elles soient douces ?
Laurent m'a appelé pour Sans logique. Il fallait 45
tonnes de paille et de terre. Mais ce n'était pas trop ma
partie ; j'ai donc juste filé un coup de main. Il y a eu
aussi la séance photo pour l'affiche du Tour 89, avec la
grille. Ensuite, j'ai participé à
l'aventure Giorgino.
Pourquoi n'avez-vous pas
travaillé sur les clips de la période L'autre... ?
Je crois que ça correspondait à une
période
où j'étais plus intéressé
par les
longs métrages. Et j'avais été
appelé
par Patrick Bouchitey pour Lune
froide.
Qu'avez-vous fait
sur Giorgino ?
C'est Pierre Guffroi qui s'est occupé de ce
film. Moi, j'ai fait un gros travail de repérages en
amont, seul ou avec Pierre. J'ai visité de nombreuses
villes en France, pris des dizaines de photos et fait pas mal de
recherches dans les hôpitaux qui recevaient les poilus de
retour
du front. J'ai visionndes films aux Invalides (où se
trouvent le musée de l'armée et un
hôpital
militaire, NDLR) et trouvé des grandes salles
carrelées
sinistres, à mi-chemin entre le bloc opératoire
et la
salle de tortures. J'ai d'ailleurs eu la surprise d'y
retrouver intactes des vieilles baignoires qui servaient au
‘traitement' des hommes revenus fous du combat (ces
baignoires fermées avec juste un trou pour la tête
qu'on retrouve dans le film, NDLR).
Combien de temps vous ont
pris ces repérages ?
Près de trois mois. J'en ai fait un dossier de 200 pages
dont ils se sont servis pour construire le décor du film qui
s'est finalement tourné en Europe de l'Est.
Vous regrettez de ne pas
avoir été davantage impliqué ?
Je regrette surtout de ne pas avoir continué à
travailler
avec Pierre Guffroi que j'ai trouvé passionnant.
J'aurais probablement fait carrière dans le
cinéma.
Mais j'en ai décidé autrement.
Qu'avez-vous fait
depuis Giorgino
?
Des films de pub (notamment pour Van cleef et Arpels avec Bettina
Rheims), du dessin de mobilier pour Habitat pendant quatre ans. Et
j'ai vécu six ans aux Antilles.
Comprenez-vous que
Laurent et Mylène fassent carrière dans la
chanson et non dans le cinéma ?
J'avoue que non. Mais je suis persuadé que Laurent va
faire carrière dans le cinéma. C'est sa passion.
Il
a une immense culture ciné. Il en parle tout le temps. Je me
rappelle d'un film qu'on a vu ensemble et qui l'a mis
K.O. : Requiem
pour un massacre (film russe d'Elem Klimov, NDLR).
Pourquoi n'a-t-il que
deux films à son actif selon vous ?
Je pense qu'il doit encore se trouver. Il est sans doute encore
trop influencé par un certain cinéma. Celui de la
démesure. Il veut toujours en faire un peu trop. Et il faut
reconnaître que ce n'est pas un grand directeur
d'acteurs. Il faut donc qu'il apprenne tout ça. Je
suis sûr qu'avec l'âge, il y parviendra. Il
sera un immense réalisateur.
Et Mylène, la
voyez-vous faire carrière au cinéma ?
C'est bien possible car elle a ça dans le sang. Mais je
crains qu'elle ne soit trop étiquetée
‘chanteuse'.
Suivez-vous sa
carrière depuis ?
Je ne me suis jamais intéressé à sa
carrière. Je suis son parcours comme on suit quelqu'un
qu'on aime bien. Si je peux me permettre, je trouve qu'elle
reste trop dans son attitude de départ. Elle
n'évolue pas assez.