Concepteur des lumières de concerts
Eté 2005
Fanzine MF&Vous (Hors Série)
MF et Vous : Pour les lecteurs et
fans de Mylène Farmer, vous êtes un nom parmi
d'autres crédités sur les livrets d'albums et de
DVD. Quel a été votre parcours pour vous
retrouver aujourd'hui concepteur lumière ?
Fred Peveri : J'ai débuté ma carrière
très jeune, à l'âge de dix-huit ans,
après des études que j'ai achevées au
niveau bac C et curieusement, j'ai commencé en tant que
technicien au son ! Pendant plusieurs années, j'ai
touché aux divers secteurs du spectacle en tant que moto
reporter ou dans le domaine de l'animation. J'ai même
été manager d'une boîte de nuit
à l'étranger… Ma première
approche véritable avec la lumière en tant que
concepteur, je l'ai faite avec Yves Duteil pendant trois ans
à partir de 1985. Puis, j'ai rencontré
Jean-Jacques Goldman en 1988 par l'intermédiaire de Thierry
Suc. Il m'a confié la création de son spectacle
en 1991 et depuis je continue toujours à travailler avec lui
! Grâce à cela, mon carnet d'adresses s'est rempli
et j'ai pu rentrer en contact avec de nombreux artistes pour
réaliser les lumières de leurs spectacles les
années suivantes, de Jean-Louis Aubert à MC
Solaar, en passant par Claude Nougaro, Florent Pagny, Patrick Bruel,
Julien Clerc, Yannick Noah, Michel Sardou et Mylène Farmer,
bien sûr.
Y a-t-il un nom qui vous
convient mieux qu'un autre pour englober votre art : metteur en
lumière, concepteur des lumières, direction des
éclairages ?
Je dirais "concepteur lumière" ou "réalisateur
lumière". Plus qu'une évolution du terme, c'est
une évolution de notre art qui a eu lieu depuis dix ou
quinze ans. Du moins dans les spectacles majeurs comme ceux de
Jean-Jacques ou ceux de Mylène.
Votre attrait premier
vers la luminosité et la couleur provient-il du plaisir
à travailler avec un matériau
éphémère ?
Certainement ! Mais je pense que c'est aussi la grande latitude
à exprimer des sentiments en rapport avec la
sensibilité de chaque concepteur. Depuis plusieurs
années d'ailleurs, nombre d'artistes ou de producteurs me
demandent fréquemment de concevoir, en plus de leur
lumière, leur scénographie, le décor,
voire la mise en scène.
C'est le cas pour Lara
Fabian non ?
Oui, lors de ses tournées 2000/2001 et 2002/2003
où j'avais assuré le décor et la mise
en scène !
Votre première
incursion dans la carrière de Mylène Farmer date
de sa seconde tournée au milieu des années 1990.
Connaissiez-vous son parcours avant que l'on vous propose cette
collaboration ?
En réalité, j'étais
déjà présent au cours de la
première tournée de Mylène en 1989 en
tant qu'opérateur console ! Ce n'est que sur sa
deuxième tournée que j'ai
été engagé en tant que concepteur des
lumières. Je n'avais jamais croisé
Mylène auparavant mais, dans les années 1980,
j'avais été sensible à certains de ses
climats musicaux et aux textes propres à son univers. En ce
qui concerne les clips, on ne pouvait pas passer non plus à
côté, tant les atmosphères
étaient spécifiques, entre autres celle
de Libertine.
Étiez-vous
déjà assistant de la mise en lumière
de son spectacle de 1989 par Jacques Rouveyrollis ?
Oui. J'ai rencontré Jacques Rouveyrollis en 1982. A ce
moment-là, je suis devenu technicien en tant qu'assistant
aux lumières sur les spectacles de Barbara, Sylvie Vartan et
Johnny Hallyday. Jacques m'a permis de me "trouver" en terme de
sensibilité artistique. Je crois que ma
sensibilité était en moi avant notre rencontre
mais je reconnais qu'il m'a permis de trouver en moi le moyen de
l'exprimer. En revanche, ce n'est pas lui qui m'a
présenté au staff de Mylène. En fait,
c'est tout simplement son manager et producteur, Thierry Suc, qui m'a
permis d'intégrer l'équipe.
En octobre 1986, vous
êtes son assistant avec Abdel Thuil pour le concert de
Jean-Michel Jarre lors de la visite du pape Jean-Paul II. Quel souvenir
en gardez-vous ? Un grand moment de technique ou une émotion
toute particulière ?
Une émotion certainement et de surcroît
très forte, car le contexte artistique et technique
était vraiment particulier. Toute l'équipe
technique, nous avions reçu la
bénédiction par le Pape et le défi
technique était de taille ! Il y avait plus de cinq cents
techniciens au travail acharné pendant dix jours et un
matériel déployé sur plusieurs
hectares dans la vieille ville.
Vous étiez
aussi la même équipe pour le désormais
mythique concert de Barbara à Pantin en 1981. Barbara et
Mylène ont en commun d'être deux chanteuses des
plus charismatiques dans l'histoire de la chanson. L'aviez-vous
rencontrée ?
Oui, j'ai travaillé avec Barbara pendant plusieurs
années. Elle avait des relations très proches
avec "ses hommes" comme elle aimait le dire. Et nous en faisions partie
! Souvent, elle était présente sur la
scène dès le matin lors des montages techniques.
Quels souvenirs
particuliers gardez-vous des moments de scène
partagés avec Mylène ?
Nous sommes totalement immergés dans son univers. C'est
tout... On y adhère naturellement, et il me semble que si
deux termes devaient résumer les moments de scène
avec Mylène, ce serait "sensibilité" et
"performance".
Il y a eu des
ratés ?
Les ratés sont toujours à éviter, mais
personne n'est à l'abri ! Je ne vous raconterais pas sa
chute de scène à Lyon pendant la
deuxième tournée tellement l'histoire est connue.
En revanche, les moments de grâce sont légion.
Dès la première répétition
de sa première tournée, j'ai senti qu'avec
Mylène, il allait se passer quelque chose de
différent et de particulier par rapport au contexte musical
du moment. J'ai beaucoup de plaisir à travailler avec les
atmosphères de scène, la recherche et la
création de visuels. Quasiment chaque spectacle est un
plaisir. Ils sont tous particuliers et différents, mais deux
s'en détachent peut-être car je me sens plus
proche des artistes : ceux de Mylène et ceux de
Jean-Jacques. Ce sont deux personnes différentes mais deux
artistes à qui je dois beaucoup. Professionnellement bien
sûr, mais aussi humainement, ils m'ont donné la
réalisation de leurs mises en lumière, et donc
leur confiance !
Étiez-vous du
voyage lors des dates russes du Mylenium Tour par
exemple ?
Oui, et sur toutes les autres. Avec Mylène, je suis toujours
et tout le temps présent ! J'ai effectué un
nombre incalculable de dates de tournées, mais il arrive que
plusieurs spectacles se chevauchent, j'ai donc des assistants
(à mon tour !) et heureusement ! Car il est
évident que je pourrais pas réaliser ce que je
fais sans des gens proches de moi et sur lesquels je puisse me
"reposer" en toute confiance. Seul, on ne fait rien.
Mylène a dit
en interview qu' "après chaque concert, chaque membre de
l'équipe apprécie ponctuellement ou pas".
Avez-vous parfois ressenti une forme de distance avec les membres de
son staff technique ?
Non, jamais. L'ambiance entre techniciens, machinistes et musiciens
pendant les deux tournées était excellente. Tout
le monde nous envie !
Vous avez
collaboré à la tournée Mylenium Tour
qui
était le plus grand spectacle jamais transporté
en province dans l'histoire des performances live
françaises. N'est-il pas difficile de travailler sur
scène avec en son centre une statue colossale ?
Je n'ai pas la prétention de demander à
connaître le décor avant de dire oui à
un spectacle. Cela fait partie des défis artistiques et
techniques inhérents à tout spectacle. Le
problème de la statue était qu'elle
était très sombre. Mais de par sa taille et sa
couleur, elle m'a permis justement d'instaurer des climats
incomparables. Ne pouvant pas y échapper, je me suis servi
des difficultés pour donner un look à cette
tournée. Et donc de la signer !
Pour ces deux spectacles,
vous avez rencontré deux obstacles de taille : le
décor de la statue en 99 et le grand écran plasma
de 96. Comment avez-vous géré ces obstacles ?
Comme j'ai pu… Je me sers de l'obstacle pour
créer un visuel propre au spectacle. Maintenant, il y a
derrière nombre d'implantations et d'astuces pour
réussir à travailler efficacement. Ce n'est pas
toujours facile, mais bon... Voilà un des aspects magiques
de la lumière par rapport à d'autres corps de
métiers du spectacle, il faut être "opportuniste"
et suivre au plus près le travail avec l'artiste et les
décorateurs. Réfléchir, innover, oser !
Mylène passe
pour un bourreau de travail. Avez-vous eu de longues
réunions de préparation avec elle ?
Ce n'est en aucun cas une question de temps mais d'intensité
! Une réunion avec Mylène est un vrai travail
d'échange d'idées, de problèmes
évoqués et de solutions à trouver. On
va jusqu'au bout des défis qu'elle peut nous soumettre et
qu'elle impose. Elle vit son spectacle et donc elle est au
cœur des débats. J'ai travaillé
à peu près de la même façon
sur les deux tournées sauf que j'ai
été un peu plus proche de Mylène en
1999. Je n'ai pas vraiment à proprement parler de comptes
à rendre car j'ai carte blanche. Je parle avec
Mylène de ses désirs artistiques et
j'évoque les miens ! Thierry fait partie
intégrante de ces discussions aussi... Bref, c'est un pool
artistique.
Combien vous faut-il de
temps pour d'abord penser, puis créer, les conditions
matérielles à la création d'un projet
de lumières ?
En termes de temps, c'est assez variable et le plus souvent, ce sont
les boites de production qui décident. En moyenne, je
réfléchis trois ou quatre mois et la
création en elle-même peut se faire en une
semaine. Montage technique compris ! En fait, un spectacle comme
le Mylenium Tour
nécessite de plans techniques précis, des
pré programmations basiques pour moi mais le travail se fait
plus en finesse une fois l'installation effectuée.
Les
répétitions du Mylenium Tour avaient
lieu à Marseille au Dôme. On raconte qu'il a
manqué quelques jours pour que tout soit parfait pour la
première...
C'est complètement faux. Bien entendu, la
maturité d'un show n'arrive qu'après plusieurs
dates mais comme pour tous les spectacles. De plus, une chose
appartient au premier spectacle. Une émotion
particulière au premier spectacle. Pour l'artiste, pour nous
et pour le public, c'est très intense.
Combien de filages
avez-vous pu faire ? Travaillez-vous tableau par tableau ?
De mémoire, environ cinq. Tous les tableaux sont
travaillés et retravaillés
séparément, puis arrivent les filages pour
affiner les enchaînements. Les tableaux qui m'ont
posé le plus de problèmes sont ceux où
mon travail devait être en adéquation avec les
images vidéo, et aussi ceux où il fallait trouver
la juste valeur des lumières sur les
chorégraphies.
Le projet du Mylenium Tour était de
conceptualiser un concert autour des quatre
éléments fondamentaux. Y a-t-il une
difficulté à obtenir certaines couleurs plus que
d'autres sur scène ?
Pas vraiment en termes de couleurs, mais plus en termes
d'évocation. Il est certain que certains spectres de
couleurs ont un rendu difficile.
Des titres comme L'Âme-Stram-Gram
en
début de spectacle ou Je te rends
ton amour
et Souviens-toi
du jour...
à la fin du show étaient nimbés de
rouge. Des couleurs qu'on voit assez peu habituellement, non ?
Pas pour moi. Toute couleur a sa place, il faut juste trouver le bon
endroit !
Pour le public, la
tournée 1996 et le Mylenium Tour
sont deux
spectacles antagonistes, le premier mettant en avant le
côté "star et paillettes", le second se
rapprochant plus des thèmes de ses débuts. Dans
la traduction technique et en comparant les deux travaux, avez-vous eu
l'impression de deux spectacles qui étaient
opposés ?
En ce qui concerne la lumière, il y eut quelques
éléments différents, plus
"pêchus" dirons-nous sur la tournée 1996, car plus
adaptés au tour de chant choisi. Je me dois de transposer en
lumière les sentiments évoqués par les
chansons choisies.
Revoyez-vous
Mylène depuis ?
Oui, mais souvent à l'occasion de réunions de
travail.
Avez-vous
été contacté pour les
lumières du prochain spectacle ?
Oui.
Peut-on savoir le cas
échéant, sans dévoiler "le secret des
dieux", quels sont les thèmes qu'on vous a
demandé de travailler ?
C'est difficile de vous répondre, mais sachez que
j'essaierai de créer au mieux les ambiances
évoquées par les chansons de Mylène.
Vous avez
officié aussi sur le spectacle d'Alizée.
Deviez-vous rendre des comptes directement à
Mylène et Laurent Boutonnat cette fois ?
J'ai participé à ce spectacle avec, pour la
première fois, Mylène "à
côté" de moi. C'était très
intéressant car je pense que, scéniquement, nous
avons tous les deux des vues semblables. Ce fut une excellente
collaboration. Quant à Laurent, c'est toujours un grand
plaisir de le voir, et bien entendu nos échanges de points
de vue sont permanents.
Quelles ont
été les consignes à respecter pour le
spectacle Alizée
en concert ? On imagine moins de conceptualisation que
pour les titres de Mylène...
Dynamisme et sensualité. Mais je tiens à dire que
c'est un spectacle qui a été travaillé
avec le même soin que ceux de Mylène.
Y a-t-il eu des
difficultés techniques inhérentes à la
structure du talon aiguille géant ?
Il a en effet fallu travailler spécifiquement sur sa mise en
lumière, la réalisation par tracé
laser et sa construction, très bien faite d'ailleurs.
Y a-t-il une
différence entre des shows à
l'américaine du type Farmer et les concerts de Goldman avec
qui vous collaborez depuis longtemps ?
L'esprit est le même. A 100 %. Seules les
chorégraphies différent ! Bien entendu, le
registre des chansons est différent, mais les sentiments
sont là et donc pour moi, il n'y a pas de
différence. Vous parlez de "shows à
l'américaine" mais moi je pense qu'en France, avec des
moyens inférieurs aux spectacles anglo-saxons, nous
créons des ambiances et des émotions qu'on ne
retrouve que très rarement ailleurs.