Mylène Farmer (actrice)
: Quatorze ans ont passé.
C'est la première fois depuis quatorze ans que je
redécouvre ce film.
L'auteur a dit : "On ne peut embrasser Catherine sans embrasser la
folie". Inquiétant pari que d'interpréter ce
rôle,
pour moi, mon premier rôle.
J'ai, malgré moi, peu de souvenirs du tournage aujourd'hui.
J'ai
d'ailleurs très peu de souvenirs en
général.
Pourtant, je me souviens très bien des paysages
enneigés,
de magnifiques paysages. Je me souviens de ce froid hivernal qui
complique tout mais qui me replongeait instantanément dans
mon
lieu de naissance qui est le Canada. J'aime le froid. J'aime
particulièrement la neige. J'ai le sentiment qu'il me
protège, qu'il m'anesthésie.
Giorgino est un projet atypique, son sujet n'est pas
classique. Le film
est à la fois onirique, cynique,
désespéré et si
novateur, envisagé comme un conte mais qui se termine
tragiquement. C'est un film qui est singulier dans son rythme, qui est
d'une grande lenteur. C'est un film noir. Très,
très
noir, qui est vain, il n'y a pas de moralité. On est dans un
genre peu commun, le conte. Avec une imagerie très forte,
des
maquillages appuyés, une blancheur spectrale. C'est un film
très remarquable au sens premier du terme. Il
dérange
mais il ne laisse pas indifférent.
Laurent Boutonnat (réalisateur) : Giorgino,
j'aimais bien ce nom et, en plus, en
italien, c'est le diminutif de Giorgio. Et Giorgino, ça veut
dire 'Petit Georges'. Et, c'est un peu l'histoire de ce
garçon.
Et le thème de ce film, c'est l'histoire d'une
espèce
d'enfant ou, qui est pris par les autres pour un enfant.
Comment ce projet est né, de quoi il est né ?
C'est un
petit peu mystérieux. J'étais très
lié
à l'époque avec Gilles Laurent avec qui on a
écrit
ensemble Giorgino.
Petit à petit, on s'est mis à
inventer, à rêver, à fabriquer cette
histoire
étrange.
Jean-Pierre Sauvaire (chef décorateur) :
Laurent a commencé à me parler
précisément du film. On a commencé
à
regarder les images, les films en référence et,
sérieusement penser au film, au tournage, aux
décors, aux
repérages, à la lumière, comment on
allait traiter
ce film, quelles allaient être les directions artistiques
pour ce
projet.
Laurent Boutonnat : On a commencé le film par
les
extérieurs, janvier 1993. On savait qu'on avait à
peu
près deux mois et demi d'extérieurs dans la
neige. A
l'époque, on va tourner en Slovaquie. On a choisi cette
endroit
pour des raisons évidemment esthétiques mais
aussi parce
que on avait la certitude, après des études qu'on
avait
regardées sur 200 ans d'un enneigement à cette
période de l'année.
Jean-Pierre Sauvaire
: On avait
choisi cet endroit parce qu'on était à peu
près
certain d'avoir du mauvais temps, des ciels chargés. On
cherchait surtout pas en tout cas du soleil ni du beau temps ni du ciel
bleu. On cherchait du froid, de la neige, des ambiances comme
ça
un peu lourdes.
Laurent Boutonnat : Et, dans la première
semaine de tournage :
redoux. Redoux, donc, la neige commence à fondre. Je me dis
:
"dans deux semaines, y'a plus de neige et on peut plus tourner". Je
resserrais de plus en plus les plans en mettant du blanc dans le fond.
On a ré-enneigé avec des machines à
neige.
Didier Lavergne (chef maquilleur) : On s'est
retrouvés dans des
conditions extrêmes tous ensemble, bloqués dans un
même endroit et, c'était : "t'es dans la
tempête sur
le bateau et il faut que t'avances". Sinon, le film, il existe pas.
Non, non, c'était très atypique pour
l'époque de
tourner en Slovaquie, là.
Jean-Pierre Sauvaire : C'était très
compliqué,
d'abord parce qu'on apportait de la neige, mais il ne neigeait pas
parce
qu'il faisait froid, les machines gelaient. Donc, c'était
très, très compliqué.
Laurent Boutonnat : On a prévu de tourner un
décor en
intérieur qui est toute la scène de l'auberge,
deux mois
ou trois mois après. A Prague, au studio Barrandov. Et,
très vite, j'ai demandé au décorateur,
Pierre
Guffroy, si il pouvait construire en même pas dix jours, le
décor de l'auberge.. parce uqe j'ai tous les acteurs qui
sont
là : les américains, les anglais, les
français.
Tout le monde est là et, dans dix jours, si ça
continue
comme ça, on ne peut plus tourner. Est-ce que, en dix jours,
vous pouvez me construire l'auberge, n'importe où, dans un
hangar, dans un... n'importe où, où vous voulez
pour
qu'on puisse continuer à tourner le moment où il
n'y
aurait plus de neige. Et, Pierre m'a dit : "Banco ! J'y vais !". Et,
avec son chef constructeur, René, ils ont construit en
à
peine dix jours l'auberge. Heureusement, on a eu ce décor.
Tous
les acteurs étant là, on a pu tourner toutes les
séquences d'auberge. Pendant ces quinze jours, la neige est
revenue et cette fois, c'était encore plus de neige et il
faisait
très, très froid. (rires) Quand on tournait en
extérieur, les moteurs des caméras gelaient, etc.
Dans l'écriture de Giorgino,
l'acteur qui est existant dans
l'écriture, c'était Mylène. ce n'est
pas quelqu'un
qui est arrivé après. Je suis dit : "Tiens, ce
serait
bien que Farmer puisse faire le rôle". Non, non, pas du tout
!
Mais, Mylène a vraiment été la
personne qui est
là depuis le début dans cette histoire
Pour avoir déjà beaucoup travaillé
avec
Mylène, la connaissant très bien, l'ayant
filmée
beaucoup, il y avait une vraie confiance. Je connaissais
très
bien certaines choses que je souhaitais et que je voulais capter chez
elle. Il y a souvent des gestes, des attitudes qu'on retrouve chez les
enfants autistes.
Mylène était dans ma tête depuis le
début
dans le rôle, dans l'écriture du rôle.
Et, bien
sûr, que ce n'est pas Mylène, non plus, le
personnage de
Catherine. C'était une vision aussi que j'avais de
Mylène, où j'aimais en tout cas voir
Mylène. On
n'a pas besoin de se parler énormément. je pense
qu'elle
comprend très vite ce que je veux. Quand on est
habitué
à travailler avec quelqu'un, les choses sont beaucoup plus
simples. Par contre, c'est vrai que souvent, avec les gens qu'on
connaît bien, les gens qu'on estime, les gens qu'on aime, on
est
souvent plus dur qu'avec les autres.
Mylène Farmer : Laurent a
créé une vraie
atmosphère. La personnalité de Laurent, elle
aussi est
atypique. Il a fait appel pour son tout premier film à deux
personnes qui jouaient pour la première fois. Laurent est
quelqu'un qui a le goût du risque et il sait emmener les
autres
dans un chemin long et tortueux de ses aventures. Il se met en danger
et déploie une énergie considérable
pour arriver
à ses fins. Laurent est multi-talent : il écrit,
il
réalise, il cadre, il compose la musique. C'est à
la fois
impressionnant et démesuré selon le point de vue.
Il est
troublant d'être dirigée en tant qu'actrice par un
réalisateur avec qui nous n'avons plus de secrets. Sur ce
film,
la direction d'acteurs reposait plus sur la confiance et passait par
des regards, des non-dits que par les mots. Je me dis avec le recul
que, finalement, ce manque de mots, cette absence de dialogue a
créé chez moi, donc chez Catherine un chaos
peut-être nécessaire ou intéressant
pour le
rôle. Je ne sais pas, c'est à lui d'y
répondre.
Laurent Boutonnat : Ce n'était pas un
rôle facile pour
elle. La scène des douches était difficile. Elle
avait
des longs moments à passer dans une baignoire en zinc dans
l'eau, fermée et avec une douche qui lui tapait sur la
tête. je veux dire, c'est toujours quelqu'un
Mylène qui va
jusqu'au bout.
Jeff Dahlgren
: Mylène
est quelqu'un de très talentueux. Son écriture,
sa
manière d'être, de mener à bien son
métier
et sa vie. C'est vraiment quelqu'un d'unique. Après ma
rencontre
avec Laurent, je suis certain qu'il lui a parlé pour lui
dire
qu'il pensait à moi pour le rôle, que nous
pourrions bien
nous entendre tous les deux. Ce qui était capital car la
relation entre les deux personnages de Giorgio et Catherine est au
cœur de l'histoire. Elle m'a toujours aidé, elle
m'a toujours
tendu la main, et grâce à elle, ça
s'est
très bien passé.
Laurent Boutonnat
: J'ai
pensé pour le rôle de Giorgio à
beaucoup d'acteurs
différents. Un jour, j'ai rencontré par hasard
Jeff parce
que c'était l'ami d'une amie, un soir à
dîner, etc.
J'ai été frappé par son visage, par
son regard et,
quand je suis allé faire des essais, des tests avec des
acteurs
à Los Angeles, j'ai proposé à Jeff de
venir si
ça l'intéressait, etc. Et, pour ces essais,
c'était vraiment un petit texte qui avait quelque chose
à
voir avec le film, un espèce de petit monologue et, j'avais
juste amener un manteau et un chapeau. Et, Jeff, je l'avais
trouvé bien mais, d'autres acteurs m'avaient un peu plus
impressionné au moment des essais et,quand je suis
rentré
à Paris, la chose très curieuse, c'est que, le
lendemain
matin avec le décalage horaire, je me suis levé
très tôt et, là, j'ai
regardé la cassette
des essais. Et, la personne la plus impressionnante à
l'écran était Jeff. Là, j'ai vu
Giorgino.
J'étais vraiment impressionné parce qu'il
dégageait... il avait une espèce de chose
angélique, touchante, blessée et il faisait rien.
Mais,
je crois qu'il comprenait bien, il suivait. C'était assez
souple, assez simple.
Jeff Dahlgren
: J'ai
endossé l'habit de Giorgio avec plus de facilité
que je
ne l'aurais cru au début. Bizarrement, au fur et
à mesure
il a pris le contrôle sur ma propre personnalité.
Et
çà de la préparation jusqu'au
tournage. Un ami
commun m'a présenté Mylène
à Los Angeles.
j'ai ensuite rencontré Laurent quand il est venu nous y
rejoindre. Je ne parlais alors que de musique, de danse, car c'est de
là que je viens, mais je n'avais jamais
été
acteur. Et c'est là que je me suis dit : "que va-t-il
m(arriver
?". C'était impressionnant.
Laurent Boutonnat
: Au
début, il était un petit peu...
forcément un petit
peu tendu, d'autant qu'on a commencé par des
scènes un
peu difficiles. Pour se mettre en condition, dès fois, il
buvait
un peu, de la bière, des choses comme ça. Et
puis,
finalement, très vite, il s'est aperçu que ce
n'était pas nécessaire. Ça a
été
très, très agréable de travailler avec
lui. Au
final, le casting s'est avéré d'une
très grande
liberté vu que le financement du film n'était pas
lié ni à des studios, ni à des gros
groupes. J'ai
été extrêmement libre. La seule
personne que
j'avais en tête, que je connaissais depuis Vol au-dessus d'un
nid
de coucou, c'était Louise Fletcher. Et, à
l'époque
- mais j'étais tout jeune, je devais avoir, je sais pas...
dix-huit ans - j'avais écrit un scénario et
j'avais vu
dans un annuaire de cinéma qu'elle était
représentée en France par un agent. Et, j'avais
appelé cet agent et, j'ai déjeuné avec
elle.
Alors, j'étais vachement impressionné. Elle avait
lu mon
script parce qu'elle parlait un petit peu français... Elle
avait
lu le script, elle trouvait ça très bien, elle
était adorable. Bon, les choses se sont pas faites. J'avais
dix-huit ans, je voulais faire un film... bon c'était un
peu....
Mais, ça m'est toujours resté dans un coin de la
tête. Et, cette petite histoire a fait que, au moment de Giorgino,
j'ai pensé très vite à elle.
Dès le
départ, elle était vraiment liée au
rôle
qu'elle a dans le film. Elle était quelqu'un vraiment de
totalement ouverte, attendant tout de vous, écoutant, se
laissant guider. Elle était très
agréable avec ce
côté très professionnel qu'ont beaucoup
les
américains, d'ailleurs.
Jean-Pierre Sauvaire :
Quand je
la voyais sur le plateau le matin, j'étais effectivement
captivé plus par elle que par les autres. Il y avait quelque
chose d'un petit peu pas mystique mais magique qui se
dégageait
de sa personnalité, de son regard. Et, effectivement, je
dois
dire que c'était un grand bonheur, une grande chance
d'être auprès d'elle. Très,
très grande
dame. Très belle femme. Formidable, vraiment formidable.
Laurent Boutonnat :
Puis, il y
avait beaucoup d'acteurs différents. La majeure partie des
femmes qu'on voit dans l'auberge, etc. étaient toutes
anglaises
et, elles étaient incroyables. Les acteurs anglais ont
vraiment un truc
particulier. Et puis, des acteurs tchèques aussi. Frances,
quand
je l'ai vue, elle était exactement ça, ce
mélange
de sensualité, d'hystérie, de noirceur. J'ai pas
eu
d'hésitations.
Didier Lavergne
: Il faisait
tellement froid que, France Barber, il y avait une scène
où elle devait pleurer, elle ne voulait pas que je l'aide et
bon, elle a pleuré naturellement et, la larme s'est
figée, a gelé sur sa joue, dans l'instant ;
c'est-à-dire qu'elle est tombée, elle s'est
arrêtée là (il montre la joue, ndlr),
il y avait la
larme et quand on en a voulu lui enlever, ça lui a fait une
cicatrice, une mini-cicatrice.
Laurent Boutonnat
: Et, les
autres acteurs... Joss Ackland, par exemple est quelqu'un que j'avais
vu jouer dans plusieurs films. Il jouait toujours des
méchants,
des types très durs, des parrains siciliens. J'avais
toujours
trouvé que ce type avait quelque chose de touchant dans son
visage. Et, en même temps était
inquiétant avec ses
grands yeux, comme ça. Ça m'a paru naturel dans
un
deuxième temps de lui proposer le rôle du
prêtre.
Puis, le rôle aussi d'un réalisateur, c'est aussi
de
rassurer. Les acteurs, souvent, sont des gens qui ont besoin
d'être rassurés. Ce qui était amusant,
c'était les rapports entre Jeff et Joss Ackland, par
exemple.
Joss Ackland était, est un vieux Monsieur, un acteur
confirmé qui a fait beaucoup de choses, qui est un homme
assez
dur avec les autres. Mais... Donc, c'était assez amusant.
Parce
que Jeff avait ce côté américain un peu
'Fuck You',
etc. mais en même temps très respectueux. Ils
avaient un
rapport très étrange tous les deux.
Jeff Dahlgren
: Je me souviens
de la scène avec Joss Ackland dans le cimetière
il
faisait si froid dehors que quand on se mettait à tourner,
nos
lèvres étaient paralysées. Plus rien
de notre
visage ne bougeait, et nous devions rester dans le froid pour finir la
scène, tandis que nos visages se figeaient toujours plus.
C'était si extrême que c'en était
vraiment
drôle.
Laurent Boutonnat
: Jeff a
été très incroyable parce qu'il
débarquait
de Los Angeles où il devait faire 35° et il
débarque,
il arrive tout d'un coup en Slovaquie où il faisait
-20°,
-30°. Donc, ça fait un très,
très gros
écart de température. Je pense qu'il n'avait pas
une
grande habitude du froid.
Didier Lavergne
: Je pense que
c'était un personnage extrêmement zen dans sa
tête
et qui savait s'adapter et qui savait supporter des conditions
extrêmes. Je ne l'ai jamais entendu se plaindre.
C'était
quelqu'un d'assez confortable à tourner.
Laurent Boutonnat
: C'est un type absolument charmant, Jean-Pierre. A
l'époque, il avait, je crois 82-83 ans.
Jean-Pierre Sauvaire
: Il avait
du mal à mémoriser son texte. Donc, ce qui se
passait, on
le faisait répéter un moment, jusqu'au moment du
clap.
Entre le moment du clap et le moment où on dit : "Action",
il se
passait quelques secondes et, il avait oublié.
Jeff Dahlgren
: Quand j'ai
rencontré Jean-Pierre Aumont je me suis
particulièrement
bien entendu avec lui. J'adorais qu'il me raconte ses histoires avec
Ginger Rogers, Marilyn Monroe, toutes ces vieilles histoires qui lui
étaient arrivées sur les quelques 70 films qu'il
avait
tournés. Il m'a même invité chez lui
dans le Sud de
la France, mais je n'ai pas pu y aller. Quand j'ai ensuite voulu y
aller, il était trop tard il nous avait quittés
et je
m'en suis voulu.
Laurent Boutonnat
: Dans sa
façon de jouer, ça rajoutait ce
côté
fantomatique de ce personnage qui, finalement, je pense est une
espèce de fantôme dans cette histoire.
C'était
un type incroyable, drôle... Heureusement que c'est lui qui a
joué ce personnage. Je crois d'ailleurs que c'est le dernier
rôle qu'il a fait pour le cinéma. Il a du tourner
pour la
télévision mais pour le cinéma il me
semble que
c'est la dernière chose qu'il ait fait.
Jeff Dahlgren
: La
complexité du personnage de Giorgio vient de la
très
grande diversité des facettes qu'il dévoile tout
au long
du film. En pleine forme et joyeux à un moment, puis tout
d'un
coup paralysé la séquence d'après. Je
savais que
j'aurais 127 ou 129 scènes à tourner.
C'était
beaucoup de travail. j'ai saisi l'ampleur de la chose en arrivant sur
le tournage, quand on a commencé dans les immenses studios
de
Prague où on avait reconstitué
l'intégralité de l'orphelinat. En arrivant, j'ai
réalisé que j'avais tellement de
scènes avec
Mylène et Jean-Pierre Aumont que j'ai tout d'un coup saisi
toute
l'ampleur de la chose.
Laurent Boutonnat :
Ces
plateaux des studios de Barrandov à Prague sont des
très
vieux plateaux, très, très hauts. Des vrais
plateaux de
cinéma ! Et en plus, il y avait des systèmes, je
me
rappelle, de poulies et de chaînes accrochées
à
chaque arbre qui étaient des vrais arbres, qui avaient
été ramenés, etc. De temps en temps,
on
déplaçait des arbres ailleurs pour masquer des
fonds,
masquer un projecteur, il y avait toute une logistique assez complexe.
On avait vraiment l'impression d'être dans la neige, le froid
en
moins bien sûr.
Jean-Pierre Sauvaire
: On
occupait à peu près tous les plateaux de
Barrandov, parce
qu'on avait ce décor principal des marais qui
était
énorme, qui faisait 1 500 ou 2 000m2,
c'est-à-dire
tout un plateau. Et, la particularité de ce
décor, c'est
qu'évidemment pour qu'il y ait des fosses, pour
créer des
marais avec des niveaux de profondeur, il fallait qu'il soit construit
en hauteur . Donc, ce décor était en hauteur,
construit
à environ deux mètres de haut. Donc,
déjà,
il y avait toute une infrastructure de base pour pouvoir supporter ce
décor. Donc, c'était exceptionnel,
c'était un
très, très gros travail de construction des
décors
et de raccords lumières et de raccords d'ambiance aussi pour
les
acteurs et de... Mais, passionnant ! Passionnant !
Laurent Boutonnat
: On avait
ce côté très sourd du son parce que il
y avait de
la fausse neige partout et, c'était très sourd,
très calme, très... Une curieuse ambiance quand
on
tournait ces scènes.
J'ai pu sur Giorgino,
faire
construire les décors que je souhaitais. D'ailleurs, on a
fait
avec Pierre quelque chose qui n'est pas logique dans l'architecture et
dans les villages en France. C'est-à-dire que les
églises
sont toujours dans les villages. Mais, là, dans l'histoire,
je
voyais le village, l'église en dehors du village et, ensuite
l'orphelinat. On a trouvé ces décors dans les
Carpates...
enfin dans les Tatras qui sont les Carpates slovaques. Cette
petite route et ces paysages enneigés à l'infini.
On a
trouvé un lieu parfait avec des vues sur la montagne, etc.
pour
construire le village. Et, l'endroit idéal pour construire
l'orphelinat. Donc, ça, c'est formidable.
Jean-Pierre Sauvaire
: La
collaboration artistique avec Pierre Guffroy, le chef
décorateur
où, là aussi c'était une
collaboration, je dirais
exceptionnelle . On travaillait sur plan, sur des vrais plans, des
plans qui faisaient un mètre de haut par des fois cinq
mètres de long. On plaçait les projecteurs sur
plan. Si
toutefois on ne trouvait pas de solutions, Pierre me proposait des
solutions techniques qui, moi me permettaient de positionner mes
projecteurs. On a fait un très, très gros travail
en
préparation. Et puis, il y avait une très,
très
collaboration avec Pierre au niveau de la matière du film,
c'est-à-dire des textures, des couleurs, des patines. Et
chaque
fois, à chaque prise et, quelquefois jusqu'au dernier
moment, on
retouchait tout ça pour que ce soit conforme en tout cas
à l'idée qu'on se faisait de l'image qu'on
voulait.
C'était un film lourd, c'était un film avec une
ambition
artistique forte. C'était un film un petit peu à
part
dans le paysage du cinéma français.
Didier Lavergne
: Je
connaissais le travail de Laurent à travers ses clips. Il y
avait une nouvelle facture. Moi, j'imaginais à travers de ce
que
j'avais vu de ses clips, que c'était quelqu'un qui avait un
univers donc, ça m'intéressait dans cet univers.
Laurent
est aussi atypique dans sa manière de tourner que dans ses
scénarios.
Jean-Pierre Sauvaire
: Chaque
scène était chaque fois une véritable
prouesse
artistique, technique, de mise en scène aussi. Puis, la
scène de fin, notamment, avec des chiens, qui
était
très difficile à mettre en boîte parce
qu'il n'y
avait pas de trucage numérique à
l'époque. Donc,
il y a je ne sais combien de chiens, 200 ou 300 chiens qui sont venus,
qui ont été
récupérés dans toute
l'Europe avec des convois entiers. Il fallait que ce soit des
chiens identiques, qui aient à peu près le
même
gabarit, la même couleur et qui, dans la scène de
fin se
dirigent vers le même endroit, vers le cimetière.
Donc, il
y avait 200 ou 300 chiens, comme ça qui ont
été
lâchés dans la nature; Mais, il fallait quand
même
que ces chiens soient canalisés vers un point
précis avec
des maîtres-chiens qui les appelaient, qui les dirigeaient.
Laurent Boutonnat
: Il est bien
évident qu'aujourd'hui, un projet comme ça, je ne
le
ferais pas comme ça. Je ne partirais pas comme je suis parti
à l'époque. Je pense que si il n'y avait pas
cette
nécessité, cette volonté à
cette
période-là de faire ce film, ce film n'aurait
jamais
existé. Il n'aurait jamais du se faire. Son
économie, la
façon dont les choses se sont montées
n'étaient
pas rationnelles. Donc, il n'aurait pas pu exister.
Mylène Farmer
:
C'était impressionnant aussi que travailler avec des acteurs
aussi talentueux que Jean-Pierre Aumont ou Louise Fletcher. Ils ont eu
la générosité d'accueillir avec
bienveillance deux
acteurs débutants. Moi-même et Jeff Dahlgren.
D'ailleurs,
je n'oublierai jamais un fou rire avec lui, interminable. Il devait
dans une scène descendre un escalier se dirigeant vers moi
et
disait combien il me trouvait belle. A chaque fois qu'il se retrouvait
à mon niveau, un fou rire nous prenait. Nous avons du
recommencer, recommencer, encore et encore jusqu'à ce que
nous
ne trouvons plus le moyen de nous calmer et du ramasser un clou plus
que douteux par terre et que j'ai mis dans ma main pour avoir mal. Nous
avons enfin pu faire la prise.
Il y aurait tant de choses à dire sur Giorgino. Ce fut
difficile, parfois douloureux. Mais, j'aime ce film.