Concepteur des
décors
du Mylenium Tour
Février/Mars/Avril 2006
Fanzine IAO
Comment avez-vous
été contacté pour
travailler sur le « Mylenium Tour » ?
Thierry Suc, le producteur de Mylène Farmer,
m'avait
demandé, par l'intermédiaire de Roger
Abriol, le
directeur de production, si j'accepterais de collaborer
à
ce spectacle. J'avais reçu une cassette
vidéo de
son concert précédent et avais
été
très impressionné par l'enthousiasme
quasi
idolâtrique qu'elle inspirait aux spectateurs.
Quelles
étaient les premières instructions
données quant au décor de la tournée ?
Généralement, tout se décide et
s'organise à partir de la première
esquisse.
Parlez-nous de cette
première esquisse…
J'avais représenté Mylène
comme une
déesse portant elle-même la scène.
C'était un geste spontané.
J'agis souvent de
cette façon, ne serait-ce que pour provoquer un
échange
d'idées. Je l'avais fait en me
rapprochant du style
de Giger, peintre dessinateur surréaliste des
années
1970, parce qu'on m'avait dit que Mylène
l'appréciait. Plus tard, nous sommes
d'ailleurs
allés à sa rencontre chez lui, à
Zurich.
Tout est donc parti de ce
croquis ?
Oui. C'est avec cette première esquisse que je
l'ai
rencontrée au cours d'un rapide voyage (Je
tournais un
film à l'étranger à cette
époque).
Cela a été notre premier contact et le
départ de
la mise en œuvre du décor.
Comment s'est
passé ce premier contact avec
Mylène ?
Le premier contact a été très
succinct… j'étais entre deux avions ! Par la
suite,
j'ai
rencontré Mylène à intervalles
réguliers.
Elle a suivi de très près la phase de conception
et
d'études techniques qui se déroulait
avec
l'ensemble des participants (les lumières, les
effets
spéciaux vidéo, numériques et
mécaniques,
la construction de la scène, celle du décor).
Elle y a
participé avec beaucoup de disponibilité, de
connaissance
scénique et de conviction quant à ce
qu'elle
désirait. L'idée de son
entrée en
scène par la tête vient d'elle, par
exemple.
Et qui a eu
l'idée de la tête qui bouge,
la main qui bouge, la flamme dans la main ?
Ce sont des idées qui viennent au cours des
réunions de
travail, avec Mylène et d'autres collaborateurs,
sans que
l'on puisse citer les auteurs parce qu'elles sont
souvent
les réponses à des besoins artistiques,
techniques ou/et
de spectacle. Mylène est la dernière
décideuse,
voire l'auteure de certains concepts.
A la base, votre
idée était donc que la statue
représente Mylène… Pourriez-vous me
donner plus de
détails sur les différents chemins que vous avez
emprunté avant d'arriver au résultat
final ?
Dès que j'ai eu présenté la
première
esquisse que j'avais faite avant de rencontrer
Mylène, le
projet de la statue a été globalement
validé.
Puis, au cours des réunions dont je parlais à
l'instant, les modifications, les idées et
contraintes
diverses ont été abordées. Le premier
projet de
statue représentait Mylène tenant le plateau sur
ses
jambes repliées. Par la suite elle a
préféré la traduire comme Isis,
déesse
mère, sœur et femme d'Osiris dans la
culture de
l'Egypte ancienne. J'imagine que Mylène
a
décidé, au bout de quelques temps, de ne pas
exagérer le fétichisme dont elle est
l'objet.
D'autres idées
(notamment des utilisations
différentes de la tête et des mains de la statue)
ont-elles été envisagées puis
abandonnées ?
Oui. J'avais proposé de mettre les musiciens sur
un autre
plateau, tenu par la main gauche, mais c'était une
mauvaise idée parce qu'ils doivent être,
c'est
une évidence, à proximité de
l'artiste. A
part cette proposition, les autres éléments,
tête
et bras, ont été prévus pour les
fonctions que
vous avez vues. L'ouverture du ventre, en revanche, a
été pratiquée pour le passage de
l'escalier
avec une tolérance minimale de quelques
millimètres de
sorte qu'on pouvait imaginer qu'il fasse partie du
corps
lui-même.
Combien de personnes ont
travaillé sur cette statue ?
Je l'ignore, mais tous corps de métier confondus,
je pense
qu'environ 150 personnes y ont
participé.
C'est un chiffre moyen. Dans le cinéma, on peut
atteindre 400/500 personnes sur de grosses productions!
Combien de temps ont
demandé la conception et la fabrication
de la statue ?
Six mois.
En quelle
matière était-elle faite ? Quelle
était sa hauteur ?
Sculptée en polystyrène par un sculpteur
spécialisé (Francis Poirier), armée
par des
structures en bois et métal, couverte de résine,
peinte,
patinée et mécanisée pour les
mouvements de la
tête, d'un bras et du ventre. C'est
l'atelier
Arte Fact, dirigé par Dominique Lebourge, qui a
réalisé ce décor près
d'Orange. Elle
devait mesurer environ11 mètres, je ne me rappelle pas
exactement.
Savez-vous le budget
nécessaire pour ce seul
décor ?
Je ne m'en souviens pas, mais
d'expérience, je l'estime à
environ 300 000 euros.
Où et quand la
statue a-t-elle été
montée pour la première fois ?
En août 1999, à l'atelier Arte Fact,
à
l'extérieur parce qu'elle
était plus haute
que les ateliers ! Puis en septembre, au Dôme de Marseille,
pour
la première représentation.
Mylène
était-elle effrayée
à l'idée de faire une entrée
si haut ?
Non, elle est très courageuse !
Ne trouvez-vous pas son
entrée un brin mégalo ?
Si, bien sûr, mais si on n'est pas
mégalo en faisant du spectacle...
Vous dites avoir
été stupéfait par la
ferveur du
public de Mylène en 1996… Un décor
pareil et une
entrée pareille n'ont-ils pas renforcé
cet aspect 'grand-messe' ?
Si, bien sûr. C'était le but et cela
fonctionnait
bien. Je m'en suis aperçu avec bonheur au cours de
la
première.
L'entrée et la
sortie de scène semblent
extrêmement importantes pour Mylène, le
comprenez-vous ?
Très bien. C'est une règle de base dans
le
spectacle. Déjà le théâtre
grec était
très attentif à cet usage. Mylène est
une
véritable et énorme bête de
scène !
Une telle statue ne
risquait-elle pas de vampiriser le spectacle ? Elle
laissait peu de place à d'autres
éléments de
décor… et après une telle
entrée, le reste
pouvait aisément sembler fade…
Un élément est important dans un spectacle de
ce type :
les éclairages. Ils permettent de les mettre en valeur ou
des
les atténuer. Fred Peveri les a remarquablement
conçus et
gérés.
Etait-ce
particulièrement stressant de travailler
sur ce projet ?
Je n'étais ni plus ni moins stressé que
sur
d'autres spectacles. La lourdeur des
responsabilités ne
m'est perceptible qu'artistiquement.
J'aimerais bien
recommencer cette expérience musicale parce
qu'elle
m'a laissé un heureux souvenir.
Le fait d'avoir
collaboré avec Mylène
Farmer vous
a-t-il ouvert de nouvelles portes, ou, à contrario, en
a-t-il
fermé ?
Ni l'un ni l'autre. Certains de mes proches
n'ont pas
compris que je participe à ce projet mais je m'en
fiche !
Pourquoi ne l'ont-ils pas
compris ?
Parce que dans certains milieux 'cultureux' comme
le
théâtre, Mylène Farmer est
considérée
comme un produit commercial. C'est con mais c'est
la vie !
Il me semble que la
statue existait en deux exemplaires, pourquoi cela ?
La statue était unique, ce sont les supports (plateau, grill
technique, structure de maintien de la statue) qui étaient
en
double. Cela permettait de jouer de ville en ville jour
après jour.
Comment se passait le
transport ? La statue était-elle
totalement démontable ?
Elle était construite en plusieurs parties
(peut-être six
ou sept). Chacune était transportée par camion.
C'était assez spectaculaire de voir un bras dans
un seul
camion, par exemple.
Etiez-vous sur l'ensemble
de la tournée
?
Uniquement à la première. Je
commençais « Le
pacte des loups » immédiatement après.
Il y a eu quelques
problèmes techniques, notamment lors de
la
première à Marseille. Je me souviens aussi du
concert de
Lausanne où la tête a eu du mal à
s'ouvrir
pour la grande entrée. Vous rappelait-on en urgence dans ces
cas-là ?
J'ignorais tout cela. Non il y a des
techniciens-décors
qui suivent la tournée, ils sont présents pour
ça
en plus de leur activité de montages et
démontages.
Quel souvenir gardez-vous
de votre collaboration avec Mylène
?
A-t-elle une place particulière dans votre parcours ?
Oui parce que c'était mon premier contact avec le
'show-business', qu'il a été
positif et
qu'il m'a donné l'occasion de
collaborer avec
une femme de qualité.
Restez-vous en contact
avec elle ?
Non, c'est la loi du genre.
Que sont devenus la
statue, les maquettes et les dessins ?
Elles ont été détruites comme
c'est
l'usage. Je garde les dessins, les études et les
maquettes. Elles sont dans un grenier (avec les autres) dans ma maison
de campagne.
Une question
bêtement matérialiste : quand
Mylène
fait faire une petite reproduction de la statue pour un objet visant
à assurer la promotion de son double album live,
êtes-vous
consulté ? Donnez-vous votre autorisation ? Touchez-vous des
droits d'auteur ?
Non, ce n'est plus mon problème depuis longtemps
au moment
de cette décision. Je ne touche pas de droits
d'auteur
parce que ce n'était pas prévu dans mon contrat.
Mais
j'en ai reçu une et je la garde ! (sourire)