Conseiller historique sur le clip Pourvu qu'elles soient douces
Avril 2006
Fanzine IAO (Hors Série Pourvu
qu'elles soient douces)
Pourquoi a-t-on fait
appel à vous pour ce clip ?
À l’époque,
j’étais rédacteur en chef
d’une revue d’histoire militaire ancienne,
"Tradition Magazine". Un jour, mes collègues de la librairie
Armes & Collections, spécialisée dans les
ouvrages et les maquettes militaires, m’ont appelé
parce qu’une costumière cherchait de la
documentation pour un film se déroulant au XVIIIe
siècle. C’était Carine Sarfati, la
styliste de Mylène Farmer, et elle préparait le
tournage de Pourvu
qu’elles soient douces. Rapidement, elle
m’a proposé de rencontrer le
réalisateur. J’ai donc eu un rendez-vous avec
Laurent Boutonnat et ses assistants dans les locaux de la maison de
production du clip (Casa Films, ndlr), à la Porte Maillot.
Qu’attendait-on
de vous à ce moment-là ?
Il s’agissait de placer le film dans un contexte
très précis, celui de la Guerre de Sept ans
(1756-1763). J’ai rapidement compris que Laurent Boutonnat
tenait à faire un film le plus proche possible de la
réalité historique, visuellement parlant.
Cela vous a-t-il surpris ?
Oui, parce que ce n’est déjà pas
quelque chose de systématique dans le milieu du
cinéma, alors dans celui de la chanson, n’en
parlons pas ! Beaucoup de clips ne sont qu’une
‘bouillie’ d’images qui vient
‘habiller’ une chanson. Certes, je
n’ignorais pas que les clips de
Mylène Farmer échappaient à cette
triste règle, mais j’ai été
agréablement étonné de constater que
Laurent Boutonnat, manifestement passionné de
cinéma, voulait vraiment raconter une histoire en la
plaçant ‘dans l’Histoire’,
tout en respectant cette dernière. J’ai
également été frappé du
perfectionnisme de son travail.
À quel stade
en était l’équipe dans la
préparation du clip de Libertine II lorsque vous
êtes arrivé ?
Comme bien souvent dans ces cas-là, le conseiller historique
arrive au dernier moment. J’ai été
contacté en juillet pour un tournage en août : ils
avaient donc déjà bien avancé. Les
costumes des acteurs principaux avaient déjà
été choisis, mais ils commençaient
seulement à s’occuper des tenues pour les soldats.
Lorsque je suis arrivé, la première question qui
m’a été soumise fut celle de la couleur
des uniformes : ils avaient choisi le rouge pour les troupes anglaises,
ce qui correspondait parfaitement à la
réalité historique. En revanche, pour les troupes
françaises, ils étaient prêts
à commettre une erreur assez classique pour qui
n’est pas un spécialiste des uniformes de cette
époque : ils voulaient du bleu alors que
l’infanterie française de cette époque
était vêtue de blanc. J’ai donc
expliqué que le bleu était
réservé aux régiments
étrangers au service de la France (irlandais, allemands,
etc.).
D’où
l’intérêt de faire appel à un
spécialiste en uniformes…
Certainement, mais un conseiller historique est parfois un
‘empêcheur de tourner en rond’ et mes
demandes compliquaient la tâche de la styliste Carine Sarfati
et de son équipe : où trouver des habits blancs,
infiniment plus rares chez les
costumiers que les habits bleus ? De plus, le temps pressait…
Vous avez eu des
contraintes de temps ?
On en a toujours, mais notre gros problème
c’était surtout qu’à cette
époque – nous étions en juillet 1988
– beaucoup de producteurs préparaient des films ou
des téléfilms pour la
célébration du Bicentenaire de la
Révolution : les costumiers avaient
été littéralement
dévalisés et il était
extrêmement difficile de se procurer des uniformes fin XVIIIe
- début XIXe.
Comment avez-vous fait
alors ?
Il a fallu aller jusqu’à Marseille ! Nous y avons
enfin déniché les tenues dont nous avions besoin,
mais d’autres problèmes se sont alors
présentés : les uniformes rouges
destinés aux troupes anglaises étaient, en fait,
des uniformes de Gardes Suisses au service du Roi
de France, mais la silhouette pouvait coller. En revanche, pour les
uniformes français, nous n’avons trouvé
que des habits de la période Révolution-Empire,
bleus avec des revers blancs (sur la poitrine), des parements
(à l’extrémité des manches)
et des retroussis (au bas des basques) rouges qui évoquaient
beaucoup plus la silhouette du fantassin napoléonien que
celle des soldats du Roi. Nous avons donc dû nous contenter
de ce qui était disponible, mais j’ai alors
demandé, sans grande conviction car je m’attendais
à un refus, s’il était possible de
modifier ces costumes pour qu’ils se rapprochent un peu plus
de la réalité de l’époque.
À ma grande surprise, Carine Sarfati et les membres de son
équipe ont accepté et je dois dire que
j’ai été bluffé par leur
professionnalisme que je tiens à saluer ici : elles ont
décousu et ôté tous les revers blancs
et leurs boutons et elles ont recousu ces derniers de façon
différente. Je peux vous dire que retravailler une
cinquantaine d’uniformes de ce genre en si peu de temps est
un exploit !
Et pour les uniformes
blancs ?
J’ai proposé à Laurent Boutonnat de
contacter un groupe de reconstitution militaire de Maubeuge,
l’association Renaissance Vauban afin qu’ils
participent au film en tant que figurants. Ses membres
présentaient l’avantage de posséder des
uniformes blancs au règlement de 1767, donc
légèrement postérieurs à
ceux de la Guerre de Sept Ans, mais dont la silhouette était
parfaitement crédible. Par ailleurs, ils étaient
armés de fusils à silex conformes à
ceux de l’époque, en état de tir et
dont ils savaient parfaitement se servir, ainsi que de reproductions de
canons d’époque, également en
état de tir. En tout, une vingtaine de participants
parfaitement habillés, équipés,
armés et entraînés, ce qui nous a bien
facilité le travail.
Qui étaient
les autres figurants ?
Il s’agissait de ‘civils’
recrutés dans la région et de militaires
‘prêtés’ par le 501e RCC
(Régiment de Chars de Combat) caserné
à Rambouillet, non loin du lieu de tournage. Donc,
à l’exception des quelques civils qu’il
a fallu entraîner, tous les figurants, militaires ou
passionnés, étaient des gens sachant manoeuvrer,
marcher au pas et utiliser des armes. C’était un
atout non négligeable.
Le conseiller historique
que vous êtes devait être plutôt
satisfait ?
À vrai dire, oui, car au départ, je
m’attendais au pire. Bien sûr, un tas de
détails clochaient : les fleurs de lys cousues aux basques
des habits des anglais ; les soldats, tant français
qu’anglais, armés de sabres du modèle
1816 alors qu’ils auraient dû porter une
épée ; les costumes des officiers comportant des
épaulettes d’un modèle largement
postérieur à l’époque, etc.
Il faut savoir qu’un conseiller historique, quand il est
appelé au dernier moment et que le budget de la production
n’est pas pharaonique, ne peut que sauver les meubles quant
à la réalité historique absolue : il
fait ce qu’il peut avec le temps et l’argent mis
à sa disposition. Ceci étant, je dois vous dire
que grâce à son souci de coller au plus
près cette fameuse réalité historique,
le film de Laurent Boutonnat est sacrément plus
crédible que bien des productions dotées
d’un budget infiniment supérieur.
Vous avez
assisté à l’ensemble du tournage ?
Non, j’ai été présent
pendant quatre jours, dans la forêt de Rambouillet, pour
superviser les scènes de camp et de bataille. Je me souviens
qu’à certains moments, nous avons
été embêtés par la pluie, ce
qui est dommage en plein mois d’août !
En quoi consistait votre
travail sur place ?
Cela commençait très tôt le matin,
à l’hôtel : la production avait
loué les salles habituellement
réservées à des séminaires
d’entreprise et les avait transformées en salles
d’habillage de coiffure et de maquillage. Dès 6
heures du matin, il fallait aider l’équipe du film
à habiller, équiper et coiffer tous les
figurants, et leur distribuer les armes. Une fois sur le tournage, il
s’agissait pour moi de placer les gens correctement, de leur
montrer comment se tenir, comment évoluer, de
vérifier les tenues et les chapeaux.
J’entraînais les figurants à marcher au
pas et à présenter les armes comme cela se
faisait à l’époque.
Pourquoi
étiez-vous en uniforme ?
Tout simplement parce que, durant certaines scènes de
bataille, il était plus simple pour moi de diriger les
figurants de l’intérieur du rang ; cela me
permettait de donner les ordres de manière naturelle et en
temps réel : quelle allure ne pas adopter, à quel
moment accélérer, à quel moment tirer
ou croiser les
baïonnettes pour charger, etc. En gros, mon travail consistait
à faire que tout sonne vrai : un fusil à silex ne
se manipule pas comme une canne à pêche…
Dans le making of du
clip, on vous voit d’ailleurs donner une leçon de
tir à Sophie Tellier, la rivale de Libertine…
Oui, car lorsque l’on ne connaît pas les armes
à silex, on peut être très surpris :
même chargées à blanc, elles sont
très lourdes (plus d’un kilo), la
détente est très dure (il faut appuyer
très fort), le fonctionnement du mécanisme de
mise à feu déstabilise la prise en main de
l’arme, et le départ du coup est très
violent (ça balance une flamme de 20 cm et occasionne un
recul important). J’ai également dû
insister sur les consignes de sécurité
élémentaires qui échappent souvent aux
gens qui ne sont pas habitués à manipuler des
armes à feu.
Cela a
été difficile pour
l’éternelle rivale de Libertine ?
Sophie Tellier partait confiante car elle avait
déjà tiré au pistolet dans le premier
clip. Mais elle avait alors utilisé une arme de duel
beaucoup plus fine et beaucoup plus légère, et
qui était dotée d’un
mécanisme de mise à feu à percussion
plus souple et donc moins déstabilisant. Elle
s’est rapidement rendue compte de la différence
(rires). Pour l’anecdote, il faut savoir que dans le
premier Libertine, les pistolets de duel à
percussion utilisés ne correspondent absolument pas
à l’époque puisqu’ils
n’apparaîtront qu’aux alentours des
années 1830.
D’où
venaient les armes du clip de Pourvu qu’elles soient
douces ?
Une vingtaine de vrais fusils à silex avec leur
baïonnette ont été loués chez
un armurier de cinéma pour les plans rapprochés ;
le reste de l’armement destiné aux figurants
évoluant en arrière-plan était
constitué de faux fusils, mais… à
silex : le souci du détail qui fait vrai ! Nous disposions
évidemment des fusils des membres de l’association
Renaissance Vauban, armes avec lesquelles ont été
exécutés tous les tirs réels
(à blanc, bien sûr). Concernant les cavaliers, ils
étaient équipés de sabres et comme il
était impossible, en si peu de temps et avec un budget
serré, de leur procurer des armes à feu
spécifiques à la cavalerie, j’ai fait
appel à un ami, Raphaël Huard, un artisan-armurier
de Champagne- au-Mont-d’Or, qui fabrique de superbes
répliques d’armes à silex. Il nous a
prêté des mousquetons de cavalerie et des
pistolets pour le tournage. Quant au pistolet utilisé par
Sophie Tellier, la production avait d’abord
envisagé de louer une arme d’époque
authentique, mais cela coûtait trop cher, surtout
à cause de l’assurance prévue en cas de
détérioration. J’ai donc
apporté une reproduction de pistolet à silex
modèle An IX de ma collection personnelle, cadeau de mon ami
Raphaël. J’ai d’ailleurs une anecdote
amusante à propos de ce pistolet : Laurent Boutonnat, qui
m’avait vu tirer avec cette arme, était
fasciné par le bruit et la flamme qu’elle
produisait. Il m’a demandé de le lui
prêter et il s’est amusé, pendant une
partie de la journée, à donner les
départs de scène en tirant en l’air ;
je rechargeais entre chaque prise (rires).
Le décor,
réalisé par les frères Lagache, vous
paraissait-il correspondre à la
réalité historique ?
Le seul détail qui m’ait chiffonné,
c’était la couleur de certaines tentes qui
étaient kaki alors qu’elles auraient dû
être blanches, mais il était hors de question de
les changer et nous les avons utilisées telles quelles. Par
ailleurs, j’ai fait placer une sentinelle à
l’entrée de la tente du capitaine. Ceci mis
à part, le camp était tout à fait
crédible.
Ce clip a
également été pour vous
l’occasion d’un reportage photo…
Oui. J’avais demandé à pouvoir publier
un article sur ce tournage dans mon magazine, pour son
côté reconstitution historique. Ils ont
accepté et m’ont laissé une totale
liberté pour prendre les photos que je voulais.
J’ai travaillé pendant les
répétitions ou les périodes de repos
afin de ne pas gêner le tournage. Et, chose importante, je
demandais toujours l’autorisation avant de photographier. Je
n’ai volé aucune image.
C’était
la première fois que vous étiez consultant sur un
tournage ?
Oui. C’est également pour cela que je souhaitais
garder des souvenirs de cette aventure.
Vous avez
renouvelé l’expérience depuis ?
J’ai été appelé pour trois
longs métrages : Jefferson
à Paris de James Ivory, avec Nick Nolte et
Gwyneth Paltrow, en 1994, Les
enfants du siècle de Diane Kurys, avec Juliette
Binoche et Benoît Magimel, en 1998 et, plus
récemment, Madame
Sans-Gêne du regretté Philippe de
Broca, avec Mathilde Seigner, Bruno Slagmulder et Bruno Solo, en 2002.
Comment s’est
passé le travail avec Mylène Farmer ?
À l’époque, elle était
déjà connue, mais n’était
pas encore l’idole qu’elle est devenue depuis.
Néanmoins, elle avait déjà la
réputation d’être très
secrète. J’ai effectivement trouvé une
personne très discrète, sur la réserve
et concentrée sur son travail, mais néanmoins
ouverte, et avec qui il était très
agréable de discuter. J’ai mangé une ou
deux fois à sa table et nous avons eu des
échanges tout à fait normaux : elle
répondait volontiers à mes questions de novice du
cinéma et je l’ai trouvée
intéressante et sympathique. Lorsque j’ai
quitté le tournage, elle a pris la peine de me remercier et
m’a spontanément et gentiment fait la bise. Elle
m’a également invité à la
première du clip et m’y a salué
très normalement lorsque nous nous sommes
rencontrés. Et pourtant, je peux vous dire qu’elle
était nerveuse ce jour-là ! On est bien loin de
l’image d’une star
surprotégée… Pour ma part,
j’ai rencontré une grande professionnelle,
perfectionniste, volontaire et patiente. J’ai notamment le
souvenir de la scène où le petit tambour se fait
fouetter : Mylène était en chemise de nuit, pieds
nus. Nul n’ignore qu’au cinéma, on passe
un temps fou à attendre entre les plans, lesquels
nécessitent des mises en place longues et
compliquées (décor, éclairages, etc.).
Et bien, entre les prises, elle attendait tranquillement, dans cette
tenue peu confortable, sans jamais broncher. Je n’ai jamais
eu l’impression qu’elle se prenait pour une diva.
Lorsque les gens de l’équipe ou les figurants
venaient se faire photographier à ses
côtés ou demandaient des autographes, je ne
l’ai jamais vue refuser. Bref, comme tous les vrais grands,
c’est une personne normale et accessible.
Qu’avez-vous
pensé du clip la première fois que vous
l’avez vu ?
C’était fabuleux. Projeté en 35 mm dans
une grande salle, c’était extraordinaire.
C’est vrai que mon tout premier regard a
été plutôt professionnel – je
vérifiais que je n’avais pas fait trop de
bêtises – mais j’ai rapidement
été subjugué par la magie de ce clip.
La salle a d’ailleurs applaudi longuement.
Alors, pas trop
d’erreurs ?
Non ça va (sourire). En y regardant de près, un
spécialiste y trouvera évidemment toujours plein
de choses à redire, mais dans l’ensemble, compte
tenu des circonstances, nous avons bien travaillé. Le rendu
était très réussi. Il n’y a
guère qu’une chose qui m’ait un peu
déçu, ou du moins frustré,
c’est le faible nombre de scènes de batailles
retenues au regard du nombre de plans que nous avons tournés.