Jean-Philippe Varin
était le dresseur des loups sur le filmGiorgino(il
avait aussi travaillé sur le clip Beyond
my control en 1992).
Quand la production m'a
contacté, en septembre 1992, pour
cette scène finale, avec des centaines de loups qui
accouraient
vers le cimetière, je n'y ai pas cru ! Dans le film,
théoriquement ce sont des loups qui sont censés
courir
vers le cimetière où se trouvaient
Mylène Farmer
et Jeff Dahlgren, mais en fait, ce sont des chiens gris. Avec des
loups,
c'était carrément irréalisable, parce
que
très dangereux. Les réalisateurs demandent
souvent des
choses, et dans le domaine des scènes avec des animaux, ils
ne
se rendent pas compte de ce que cela implique. Quand vous mettez vingt
ou trente chiens ensemble, vous avez déjà des
problèmes de hiérarchie, de mâle
dominant, de
bagarres, etc. Alors, rendez-vous compte, avec 200 chiens !
Le premier problème a été de
réunir un si
grand nombre d'animaux. Tous ces chiens, il fallait bien que je
les trouve quelque part ! Au départ, les éleveurs
n'étaient pas très chauds pour me laisser leurs
bêtes, qu'ils soignent en vue de gagner des concours ; en
plus, les éleveurs sont concurrents entre eux et se
détestent souvent. J'avais bien prévenu Laurent
de ce que
ça allait coûter, et de l'aspect inhabituel de sa
demande. J'ai donc mis deux mois et demi avant de trouver des
gens qui étaient d'accord pour me prêter leurs
animaux, dans toute la France. J'ai dû prendre des
assurances énormes sur chaque chien, m'assurer qu'il
y aurait des vétérinaires dans le convoi, etc. Le
second
problème, c'est qu'il a fallu que chaque
éleveur qui acceptait de prêter ses
bêtes accepte
également d'assurer le dressage dans son propre centre,
selon nos méthodes, puisque je ne pouvais pas prendre tous
les
chiens chez moi. Peu à peu, nous avons réuni
chaque
groupe de chiens par régions, pour finalement faire une
grande
répétition finale avec tous les animaux, en
éliminant ceux qui étaient trop agressifs. Le
dernier
problème, c'est que notre départ a
été retardé d'au moins un mois et
demi,
parce que le pauvre Laurent n'avait pas la neige sur place ! On a
donc dû attendre, tout en continuant l'entraînement.
Nous sommes finalement partis de France pour rejoindre la
Slovaquie,
en mars 1993, avec deux semi-remorques, qui transportaient en tout 204
chiens, sur trois étages de chenil.
C'était assez impressionnant. Le voyage, qui
s'étalait sur 2 000 kilomètres, a duré
trois jours. On a traversé l'Autriche, mais on ne pouvait
pas traverser la Suisse, par exemple, parce que la
législation
sanitaire de ce pays l'interdit. Toutes les trois heures, les
semi-remorques s'arrêtaient sur un parking
d'autoroute. On construisait un chenil avec des grilles, et on
faisait sortir les chiens, un camion après l'autre, pour
qu'ils puissent manger, boire et faire leurs besoins.
Heureusement, les chiens s'entendaient bien, et on a pu en mettre
certains deux par deux par cage.
Le tournage de cette scène finale a eu lieu dans le parc
naturel
des Tatras, en Slovaquie, qui était gardé par des
types
avec des fusils à lunettes. Tout chien qui foutait le camp
était abattu ! Rendez-vous compte de l'ambiance ! Au
départ, Laurent voulait que les chiens soient à
800
mètres du cimetière, et qu'ils arrivent en ligne.
Ce n'était pas possible avec ce nombre, car certains sont
plus rapides que d'autres. On a donc décidé que
les
bêtes convergeraient à leur rythme vers le
cimetière. Comme les chiens devaient se déplacer
seuls
dans la neige, on a construit une sorte de grillage tout autour du
parc, hors caméra, afin qu'ils ne puissent pas
s'échapper.
Pour que les animaux se déplacent vers le même
endroit, le cimetière, on
a utilisé des stimuli sonores, auxquels les chiens avaient
été habitués pendant leur dressage en
France. À
l'appel de ces stimuli, ils avaient leur nourriture. Les gamelles
étaient placées derrière les
caméras. Donc,
pour se replacer dans le contexte du film, les chiens avaient leur
récompense une fois qu'ils avaient traversé le
cimetière. Les 200 chiens étaient
répartis
par groupes de 3, et on avait construit des grands panneaux devant
eux. Au signal, les techniciens qui devaient déclencher les
stimuli grâce à un mégaphone
étaient
enterrés dans la neige, et ils devaient
tégalement faire
tomber à distance ces grands panneaux, pour
libérer les
chiens. On a tourné la scène trois fois, et les
chiens
sont tous allés au bon endroit, sauf pour une
scène,
où l'on a eu que deux groupe de chiens, au lieu de trois,
puisqu'un panneau n'était pas tombé ! La
scène est coupée avant qu'on puisse
s'aperçevoir que les chiens ne sont pas des loups. Au
départ, il a été question de les
teindre, mais
là encore, teindre 200 chiens, bonjour le travail !
Une fois la scène tournée, donc hors film,
Mylène
et Jeff se sont retrouvés entourés par les
chiens, mais
sans pouvoir les toucher, puisque les chiens voulaient manger
après avoir été "stimulés".
Si Mylène les avait caressés, sa main aurait
été pour eux un bout de viande... En
tout cas, elle
n'a pas du tout eu peur, car elle aime beaucoup les animaux. Tout
s'est finalement passé sans problème, dans une
très bonne ambiance.
Actuellement, ce type de scène n'existerait plus. On
ferait ça avec vingt chiens,
démultipliés par
images de synthèse. Laurent Boutonnat est le seul
à ma
connaissance, avec Luc Besson, à vouloir du "vrai"
pour ses films...