MF & Vous :
Mylène Farmer a fait un passage par le Cours Florent. Vous
avez, vous aussi, suivi une formation pluridisciplinaire bien avant que
Star Academy et autres Popstars n'existent...
Johanna Manchec Ferdinand : J'ai suivi une formation dans une
école privée de spectacle. J'ai fait le Festival
d'Avignon, travaillé au Cirque d'Hiver et obtenu mon
diplôme. Je me suis ensuite frottée à
l'école de la vie. J'ai débuté au
piano-bar La Périgourdine, un soir où mon
meilleur ami a demandé au patron de me laisser
interpréter Summertime.
J'ai été engagée le soir
même, malgré un maigre répertoire. Au
début des années 1990, j'ai travaillé
au mythique cabaret des Trois Maillets. J'étais
très attirée par ce lieu rempli des
fantômes de Sydney Bechet ou de Nina Simone. J'ai appris
à chanter et aussi à susciter l'attention des
clients vers 3 heures du matin. Cette expérience me sert
tous les jours dans ma vie d'artiste. J'y ai croisé Nicolas
Montazaud, le percussionniste de Mylène sur Avant que l'ombre…
à Bercy.
De ces débuts
d'interprète soliste, comment êtes-vous devenue
choriste ?
Par hasard et plutôt tard ! Une amie chanteuse m'a
demandé de l'accompagner à l'audition pour le
Stade de France de Johnny Hallyday en 1998, mon premier engagement aux
côtés de cet immense artiste. Ensuite, j'ai
auditionné pour le Mylènium
Tour : autre rencontre choc dans ma vie artistique avec
Mylène Farmer. J'avais évidemment entendu parler
de Mylène et j'ai découvert davantage son univers
en travaillant avec elle sur ses chansons et sur la mise en
scène de sa musique. J'ai été
agréablement surprise de la sensibilité qui se
dégageait de ses concerts. Comme lors de ma
première collaboration avec Johnny, je me suis
retrouvée au service d'une artiste renommée et
j'ai découvert le fonctionnement de ces grosses machineries,
tous les artistes de l'ombre et techniciens qui travaillent en
coulisses pour cette grosse entreprise...
Vous aviez
rencontré Mylène lors de l'enregistrement
de Dessine-moi
un mouton, Souviens-toi
du jour…, L'amour naissant et Mylènium.
Vous souvenez-vous de cette prise de contact ?
Vous me le rappelez... On a fait tellement de concerts depuis ! C'est
par l'intermédiaire d'Yvan Cassar que je me suis
retrouvée dans cette chorale de studio. Nous
étions cinq filles, et notamment Angeline Annonier.
J'apprécie son talent et nous travaillons d'ailleurs
ensemble sur quelques textes de mon premier album. Nous avions
enregistré ces voix à Los Angeles et Paris.
Mylène et Laurent Boutonnat étaient
présents durant les deux séances.
Quels souvenirs
gardez-vous de cette première tournée
débutée avec Mylène en 1999 ?
Une incroyable aventure. J'ai été si chanceuse de
me retrouver dès le départ sur une telle
tournée avec cinq dates à Bercy, il me semble. De
plus, nous nous sommes rendus en 2000 en Russie et ce fut une belle
expérience. On était habitué
à des français surexcités alors que
là, tous étaient assis au calme. J'ai
trouvé le public de Moscou et de
Saint-Pétersbourg très émouvant.
Certainement le poids de l'histoire... J'ai adoré
accompagner Innamoramento
et California
où nous nous retrouvions, avec Mylène et Esther,
toutes les trois sur l'escalier central. On partage des moments
inoubliables avec l'artiste sur certains titres.
Après le Mylènium
Tour, la
Tour Eiffel, l'Olympia et la tournée de Johnny en 2000, puis
Bercy, le Parc des Princes et sa nouvelle tournée en 2003,
vous avez joué le rôle-titre de Simenon et
Joséphine
au Forum de Liège fin 2003...
J'ai adoré jouer le personnage tumultueux de
Joséphine Baker dans cette comédie musicale. Ce
spectacle m'a réconfortée et m'a
redonné confiance pour prendre plus de risques dans mon
métier et j'ai une pensée particulière
pour une personne qui m'a beaucoup encouragée. Le
scénario était dense. On mettait une histoire en
musique, et non l'inverse. Il s'agissait de raconter, avec un vrai
orchestre symphonique qui jouait live dans la fosse, la liaison intense
entre l'écrivain Georges Simenon et Joséphine.
Qui vous a rappelé pour Avant que
l'ombre… à Bercy ?
Mylène et Yvan m'ont convoquée pour les
premières répétitions. Nous avions
tous la pression étant donnée la taille du
spectacle. Nous avons fait ce qu'il fallait pour que ce trac ne prenne
pas le pas sur le reste.
Quel a
été le plus beau moment d'émotion
durant le concert de janvier dernier ?
Sans hésiter la chanson Avant que l'ombre…
interprétée derrière le rideau d'eau.
Il se dégageait une atmosphère très
prenante, une émotion très
particulière sur scène. Je pense que cela
apparaissait au public comme une sortie grandiose. Nous sur
scène, nous avions toujours le cœur
serré. Franchement, je ne pouvais pas m'empêcher
d'avoir les larmes aux yeux. Mylène avait une
fragilité dans la voix qui laissait passer tant de
sensibilité, comme on peut en ressentir lors d'un au revoir.
À ce moment-là du show, les plateformes sur
lesquelles nous étions installées descendaient et
on ne distinguait plus que l'ombre de Mylène qui gravissait
l'escalier. Superbe.
Vous étiez
physiquement beaucoup moins proche qu'elle que sur le Mylènium Tour...
Pas vraiment. Elle nous rejoignait souvent, notamment sur L'Amour n'est rien....
Pour Désenchantée,
nous traversions la passerelle pendant l'intermède musical
et la rejoignions sur la scène centrale en reprenant le
refrain "Tout est chaos…". C'était un beau moment
en plein cœur de Bercy et il me tarde vraiment de voir
comment rendaient ces titres. On ne découvre le spectacle
qu'après le public car on ne profite pas de tout le travail
créatif de son et de lumière. J'ai
redécouvert le Mylènium
Tour en visionnant la vidéo live.
Les fans de
Mylène deviennent un peu les vôtres. Est-ce
troublant ?
Non, c'est une forme de reconnaissance. Certains reviennent
systématiquement aux premiers rangs et on finit par
créer une complicité avec eux. Nous partageons
l'amour qu'ils ont pour l'artiste et c'est vrai qu'eux arrivent
à nous rencontrer plus facilement que leur idole.
Les médias
évoquent souvent les similitudes entre Johnny Hallyday et
Mylène Farmer. Vous qui les côtoyez tous les deux,
qu'en pensez-vous ?
D'abord leur immense professionnalisme. Mylène est plus
réservée au premier abord. Johnny est un artiste
extraordinairement talentueux et attachant, les qualificatifs manquent
pour décrire tout ce qu'il représente. Ils ont
envie que ceux qui participent à leurs spectacles soient
rigoureux. Au fil des jours, on crée autre chose qu'une
simple relation de professionnel à professionnel... Ils ont
en commun la simplicité en coulisses et la
générosité envers leur public sur
scène. Ils transmettent une énergie incroyable
lorsqu'ils sont sous les projecteurs, et en termes de
carrière artistique, ils sont l'exemple à suivre.
Vous travaillez avec
Esther Donbong'Na Essienne sur les spectacles Farmer. Est-ce un luxe de
n'être que deux "sexy ladies", comme dirait Johnny, sur un
spectacle ?
C'est un plaisir en tout cas. On est toujours en duo pour
Mylène. En revanche, ce choix est inédit pour
cette tournée plus "roots" de Johnny, nous étions
habituées à être plusieurs choristes.
J'ai une tonne de souvenirs avec Esther ! Il me faudrait des heures...
Je me souviens de rires en répétitions sur le Mylènium Tour.
Christophe Danchaud nous faisait répéter une
gestuelle sur Innamoramento.
On devait joindre nos mains pendant que Mylène retournait au
creux de la main de la statue. Je me suis retournée dans le
mauvais sens et je me suis retrouvée face à face
avec Esther, mais comme elle est plus grande que moi, j'avais le nez
dans sa poitrine. Impossible dès lors de s'arrêter
de rire ! Mylène nous regardait l'air de dire...
La comédie
musicale Simenon et
Joséphine n'aura duré que cinq
jours, tout comme Avant
que l'ombre… à Bercy n'aura
vécu que treize soirées uniques. Existe-t-il un
manque quand tant de répétitions se soldent par
si peu de concerts ?
En tant que chanteuse, danseuse et chorégraphe, je travaille
sur des spectacles dans l'évènementiel avec ce
même sentiment d'éphémère.
Je m'investis également dans la direction artistique de la
société de production que nous avons
créée avec mon manager et mari. Notre plaisir est
de faire découvrir d'autres artistes talentueux ou de
voyager pour créer des concerts uniques pour de
prestigieuses soirées privées, comme à
Dallas il y a quelques mois. C'est important de ne pas se perdre dans
les arcanes du métier. Je crois au pouvoir de
l'expérience et je donne autant d'importance à ma
vie artistique qu'à ma vie privée... Les jours
off, je retrouve avec intensité ma vie de femme,
d'épouse et de maman.
Que reste-t-il
à vos souhaiter ?
Que la chance soit toujours au rendez-vous, notamment pour
l'enregistrement de mon album. Je consacre beaucoup
d'énergie à présenter des
mélodies et des textes qui tiennent la route, nourris de
toutes mes influences, sans limite à ma création.
J'espère que mes chansons trouveront leur public...