Interview pour la sortie du film
Jacquou
le Croquant
au cinéma le 14 janvier 2007.
D'où vous est venue l'idée d'adapter Jacquou Le
Croquant ?
Il se trouve qu'un jour, il y a quatre ou cinq ans, j'ai
revu le
feuilleton par hasard. Je n'en gardais qu'un vague souvenir,
j'étais tout petit à l'époque. En le
revoyant,
j'ai été frappé par la force de
l'histoire et je
me suis dit qu'il y avait là matière à
un beau
film. Du coup, cela m'a ramené au roman d'Eugène
Le Roy.
Je l'ai acheté et je l'ai lu. C'est un roman très
noir
mais très fort...
Qu'est-ce qui, dans ce roman, vous donnait envie d'en faire un film ?
C'est un livre qui a une structure assez classique mais
dont les
éléments me touchent beaucoup, comme je pense
qu'ils
peuvent toucher tout le monde. Une enfance malheureuse
marquée
par la perte d'êtres chers, la solitude heureusement
brisée par de belles rencontres, la promesse de vengeance,
puis,
à l'âge adulte, l'amour et l'amitié, la
juste
revanche contre l'injustice, l'accomplissement d'un destin
romanesque... et aussi les champs, la campagne, la nature.
Dans quel esprit, avez-vous travaillé à
l'adaptation ?
Notre premier travail, avec Franck Moisnard, a
été
d'éliminer, de réduire... Car si on avait
adapté
le livre tel quel, le film aurait fait plus de huit heures ! Adapter,
ça veut dire choisir, changer, transformer, et parfois
simplifier. On n'a gardé que ce qui nous paraissait le plus
excitant, et le plus cinématographique. On a fondu plusieurs
scènes ensemble, on en a inventé d'autres, on a
cristallisé plusieurs personnages dans un seul... Alors que
dans
le livre, Eugène Le Roy raconte la vie de Jacquou
jusqu'à
90 ans, on a tout de suite été d'accord pour se
consacrer
à l'enfance et à la jeunesse de Jacquou. Et pour
traiter
de manière à peu près
équivalente ces deux
parties du film. La première partie - l'enfance - touche
à des émotions extrêmement fortes
liées
à la perte de sa mère et de son père,
à la
solitude, au désespoir. Dans la deuxième partie,
l'émotion devient action. Elle est alors de nature
différente, d'autant qu'entrent en jeu les relations
amoureuses... Mais les deux parties sont indissociables. Chacune
éclaire l'autre. Et lorsqu'arrive Jacquou adulte, il
bénéficie de tout ce qu'on a vu avant, et son
affrontement avec le comte de Nansac va prendre tout son poids...
Et alors, qu'avez-vous fait ?
Je suis allé le voir chez Pathé avec
un premier
traitement de Jacquou le Croquant... et le projet a
été
lancé. C'est un film d'époque, il y a des
reconstitutions, des décors, des costumes, des figurants,
tout
cela coûte cher... Très vite, on s'est
demandé
où le tourner. J'ai d'abord sillonné la Dordogne,
le
Périgord noir, où se déroule l'action
du livre. Et
puis, nous sommes allés repérer aussi
à
l'étranger... Et c'est en Roumanie, dans les Carpates, que
j'ai
trouvé des décors extraordinaires. On y a
tourné
une partie du film. Puis on est revenu tourner en Dordogne, sur les
lieux mêmes de l'action. On y a trouvé beaucoup de
gens
encore très marqués par l'importance du mythe de
Jacquou
le Croquant, véritable héros local, et
très
enthousiastes à l'idée de le faire revivre au
cinéma.
Comment avez-vous commencé le casting ?
C'était un an avant le début du
tournage. À
l'époque, j'avais déjà mon
idée de Jacquou
adulte... mais la première étape a
été de
trouver Jacquou enfant. La directrice de casting, Françoise
Ménidrey en a rencontrés entre 300 et 400,
qu'elle a
filmés. Très vite Léo a retenu mon
attention. Il
était timide et se cachait derrière ses cheveux
longs,
mais quand il était face caméra, il se passait un
truc
magique. Il avait beau être mal à l'aise, je
sentais
quelque chose de vraiment intéressant, une blessure dans le
regard et une vraie photogénie... Et en plus, il avait cette
correspondance physique crédible avec l'idée que
je me
faisais de Jacquou adulte... Gaspard.
Qu'est-ce qui vous faisait penser que Gaspard Ulliel ferait un bon
Jacquou adulte ?
C'est quelqu'un qui crève l'écran !
Il y a quelque
chose qui me séduisait beaucoup chez lui. On s'est
rencontrés, je lui ai donné le
scénario. Il a
hésité, il m'a dit oui, il m'a dit non, il m'a
redit oui,
il m'a redit non... Il venait de faire Un Long dimanche de
fiançailles, il craignait d'enchaîner deux
«gros» films, deux films en costumes, deux films
«spectaculaires» et populaires. En plus, il lui
fallait se
battre, il n'était pas très chaud. Et puis, de
conversations en rencontres, il a finalement accepté !
Gaspard
dégage quelque chose de magique. Jacquou, c'est quelqu'un
qui se
bat, qui se venge, mais qui, en même temps, est un peu
dépassé par ce qu'il lui arrive. Ce n'est pas un
super-héros. Gaspard a rendu Jacquou extrêmement
touchant
et ça ne tient pas qu'à l'histoire qu'on raconte
mais
à la bonté que Gaspard lui-même
dégage,
à la lumière de son regard... En plus, sur un
plateau,
c'est un bonheur !
source : commeaucinema.com
Et comment
c'était de travailler avec un enfant comme Léo ?
J'ai été très impressionné
par sa
détermination et sa capacité de travail. Il est
à
la fois capable d'aplomb et de retenue, sans parler de son pouvoir
d'émotion...
D'ailleurs,
ça n'a pas
été très facile au début
pour Léo.
Comme s'il lui fallait un peu de temps pour réaliser ce
qu'on
attendait de lui. Et, au bout d'une quinzaine de jours de tournage,
quelque chose s'est libéré chez lui. Il a
été incroyable.
N'avez-vous pas
hésité
à confier le rôle du "méchant", le
comte de Nansac,
à Jocelyn Quivrin qui devait vieillir de quasiment quinze
ans
entre les deux périodes du film ?
En fait, je ne le connaissais pas. C'est la directrice de casting qui
m'en a parlé et m'a montré une photo de lui.
Lorsque j'ai
vu son visage, son allure, j'ai dit : "C'est le comte de Nansac, mais
bien sûr il est trop jeune..." On était
plutôt parti
en effet sur l'idée d'un type de 40 ans qui pouvait faire
aussi
bien 35 que 50. Et puis, elle m'a donné une cassette de
Rastignac qu'il avait fait pour France
Télévisions et je
l'ai trouvé formidable. On s'est donc quand même
rencontrés. Je lui ai donné le
scénario à
lire et... une autre proposition de rôle ! Mais je
n'étais
pas convaincu, et, en fait, lui non plus ! Je ne pouvais pas
m'empêcher de le voir en Nansac. Alors, on a fait des essais
de
vieillissement avec Didier Lavergne le maquilleur pour voir si
ça fonctionnait. Ça marchait très
bien. On
percevait déjà tout ce que Jocelyn allait
apporter, par
son attitude, sa façon de bouger, sa manière de
jouer...
En plus, tout d'un coup, avoir ces deux jeunes comédiens,
Gaspard et Jocelyn, face à face ça rendait le
projet pour
Pathé encore plus excitant, ça lui apportait une
modernité évidente. Ils ont tout de suite
accroché. Et je pense qu'on ne s'est vraiment pas
trompé.
Et pour le reste du
casting, ensuite, comment avez-vous procédé ?
Albert Dupontel est un ami de longue date, que j'estime et que j'aime
beaucoup. Nous avions déjà travaillé
ensemble. En
plus d'être un très bon acteur, avec une palette
de
rôles étonnants, il a aussi un contact formidable
avec les
enfants. C'était essentiel pour la relation de Jacquou avec
son
père. Et aussi un côté très
physique qui
correspondait parfaitement à son rôle d'ancien
officier
voltigeur de Napoléon.
Marie-Josée Croze, je l'avais beaucoup aimée dans
Les Invasions Barbares.
Quand je l'ai rencontrée, j'ai été
très
frappé par le magnétisme qu'elle
dégage, mais
aussi par sa ressemblance étonnante avec Léo.
C'était tout naturellement la mère de Jacquou.
Pour
Olivier Gourmet, qui joue le prêtre qui recueille Jacquou et
qui
l'élève, il s'est passé un peu la
même chose
que pour Jocelyn. On me disait qu'il était trop jeune pour
le
rôle. Quand je l'ai rencontré, je ne me posais
vraiment
plus de question. C'était évident ! Quant
à
Tchéky Karyo, je trouve aujourd'hui qu'il dégage
quelque
chose de bon et de sage qui convenait parfaitement au rôle du
Chevalier. Je pourrais vous parler longtemps de chacun d'entre eux :
aussi de Malik Zidi dont la présence très forte
était indispensable au personnage de Touffu qui ne parle pas
beaucoup, de Gérald Thomassin, Jérôme
Kircher, Dora
Doll...
Il y a
également deux nouvelles venues, entre lesquelles le
cœur de Jacquou va balancer...
Effectivement nous avons trouvé deux jeunes actrices avec
peu
d'expérience. La première, Judith Davis, joue le
rôle de Lina, l'amour de Jacquou depuis qu'ils sont enfants.
Et
la seconde, Bojana Panic, joue La Galiote, la fille du comte de Nansac
qui doit être l'opposé de Lina. Autant l'une est
lumineuse, blonde aux yeux bleus, amicale, chaleureuse, autant l'autre
est brune aux yeux noirs, mystérieuse et dangereuse...
Judith,
je l'ai trouvée assez vite. Il y avait comme une
évidence
: sa beauté, sa grâce, son regard...
C'était Lina.
Pour le rôle de La Galiote, ça a mis plus de
temps. J'ai
vu beaucoup de jeunes actrices, de photos, des bouts d'essai... Et puis
Juliette Ménager, qui a travaillé aussi au
casting, m'a
montré une cassette vidéo avec cinq filles
d'origine
étrangère. Parmi elles, il y avait Bojana. Elle
est Serbe
et mannequin. J'ai demandé à Juliette qu'elle lui
fasse
passer des tests en anglais. Elle était très
bien. J'ai
vu tout de suite à la façon dont elle
répondait
aux directions qu'elle comprenait vite, qu'elle était plus
que
juste et qu'elle avait une forte présence. On l'a
engagée, elle a appris le français en deux mois
à
raison de 4 heures par jour tous les jours. Cela lui a permis de jouer
en français, de comprendre ce qui se disait et ce qui se
faisait.
Avez-vous fait une
lecture avec tous les acteurs avant le tournage ?
Non très peu. En fait, on a plus parlé au moment
des
scènes elles-mêmes qu'avant. Ce que j'aime bien
c'est
saisir ce qui peut se passer sur le plateau. C'est pour ça
que
je ne fais pratiquement pas de répétitions - sauf
pour
des scènes très physiques ou des mises en place
compliquées. Je préfère filmer tout de
suite. Il y
a souvent dans ces moments-là quelque chose de neuf, quelque
chose qu'on n'avait pas forcément
appréhendé ni
prévu et qu'il ne faut pas laisser passer. Ce sont des
choses
qu'il est très difficile ensuite de retrouver...
On sait l'attention que
vous portez
à la lumière, aux décors et aux
costumes. Vous
avez pourtant choisi des collaborateurs avec lesquels vous n'aviez
jamais travaillé...
Ça s'est fait comme ça. Un concours de
circonstances qui
fait qu'on s'est rencontrés et que j'ai eu envie de
travailler
avec eux. La seule personne avec qui j'avais déjà
travaillé et que j'aime beaucoup, c'est Didier Lavergne, le
chef
maquilleur, mais tous les autres, y compris Olivier Cocaul, le chef
opérateur et Stan Collet le chef monteur, ce sont de
nouveaux
collaborateurs. Pour la lumière, comme pour les images,
j'aime
bien les choses un peu brutes, que ce soit beau mais à
condition
que ce soit vivant.
Et pour les costumes et les décors, c'est pareil. J'aime
bien
les décors et les costumes "sales", dont on sent qu'ils ont
vécu. Christian Marti, le chef décorateur, et
Jean-Daniel
Vuillermoz, le créateur des costumes ont fait un travail
énorme et très cohérent. Ça
a
été difficile pour eux parce que nous avions peu
de temps
pour la mise en route des chantiers et pour la fabrication des
costumes. Ensemble, on a beaucoup parlé, on s'est
inspiré
de beaucoup de tableaux et gravures, évidemment les peintres
du
XIXème, Millet et les autres, mais aussi beaucoup de
tableaux
russes, et notamment l'œuvre d'un peintre qui s'appelle Ilia
Répine dont j'aime énormément les
atmosphères, même si ce sont des datchas qu'il
peint et
pas des maisons du Périgord !
Quand vous
réalisiez des clips,
on pouvait dire que la musique était le moteur des images.
Pour
Jacquou le Croquant, le fait que le moteur soit l'histoire a-t-il
changé votre manière de travailler ?
Non. Parce que, même quand je faisais des clips, j'ai
toujours
tourné sans musique ! En fait, je m'amusais à
faire des
petits films qui avaient un vague rapport avec la chanson et sur
lesquels, après, je montais la musique. De toute
manière,
pour moi, comme j'ai toujours touché et à la
musique et
à l'image, les deux sont liées. Ainsi, composer
la
musique pour Jacquou le Croquant, ça s'inscrit tout
naturellement dans le processus de fabrication du film. Ce n'est pas
une chose en plus. C'est une étape au même titre
que la
préparation, le tournage, le montage...
Aviez-vous une
idée précise de la musique quand vous avez
commencé le tournage ?
J'ai composé pas mal de choses avant le tournage. C'est
souvent
chez moi lié à l'évocation des images.
Quand on
travaillait sur le script ou avant le tournage, j'ai composé
des
thèmes que m'inspiraient certaines séquences.
J'engrangeais et au moment du montage, j'ai adapté ce que
j'avais composé aux images. Mais le travail était
loin
d'être terminé !
Faites-vous partie des
metteurs en scène qui réécrivent le
film au moment du montage ?
Pour moi, le montage est un travail aussi important que
l'écriture du scénario. D'ailleurs, le rapport
qu'on a
alors avec le monteur est de la même nature que celui qu'on a
avec le scénariste. Il y a des scènes qui sont
très belles dans un scénario, qui sont encore
plus belles
quand elles sont filmées, et qui, pourtant, lorsqu'elles
s'enchaînent avec d'autres scènes s'effacent
d'elles-mêmes. Mais ça on ne le sait que lorsqu'on
les
voit montées l'une à la suite de l'autre... Un
film,
ça bouge sans arrêt, entre le moment où
on le
rêve, où on l'écrit, et le moment
où on le
tourne, où on le monte. Ce qui est agréable,
c'est
lorsque, à la fin du processus, ressurgissent les premiers
sentiments qui vous ont poussé à faire le film.
Ces
premières impressions que j'ai eues quand j'ai lu le livre
et
qui ont réveillé chez moi des sensations de mon
enfance.
Tous ces éléments qui m'ont attiré,
qui m'ont
donné envie de faire Jacquou le Croquant et qui ne sont pas
forcément d'ordre rationnel : ce sont parfois des petits
morceaux de scène de rien du tout. Tout ça,
ensuite, a
été balayé par les
problèmes de
financement, de préparation, par l'aventure
énorme du
tournage. Jusqu'au moment où ça revient. Mais
là
encore, entre toutes les finitions, surtout que je suis un peu
maniaque, le travail n'est jamais fini. On pourrait ne jamais terminer.
En fait, un film, ça ne se finit pas, ça
s'abandonne
!
Maintenant que le film
est terminé, avec le recul, qu'est-ce qui vous touche le
plus dans le personnage de Jacquou ?
Je crois que ce qui me touche le plus, c'est ce qu'il est devenu avec
Gaspard et aussi Léo. Ce personnage de chair et de sang qui
existe à travers eux. J'en reviens toujours à la
même chose : Gaspard et Léo ont rendu Jacquou
particulièrement humain.