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Laurent Boutonnat - Interview ("Le Parisien") - 26 novembre 2022



    INTERVIEW DE LAURENT BOUTONNAT

    26 novembre 2022
    "Le Parisien / Aujourd'hui en France" - Interview par Eric Bureau


Interview publiée le lendemain de la sortie de l'album L'Emprise (auquel Laurent Boutonnat n'a d'ailleurs pas collaboré). Premier entretien accordé par Laurent Boutonnat au sujet de sa collaboration avec Mylène depuis près de trente ans.


Le Parisien / Aujourd'hui en France : Quand et comment avez-vous rencontré Mylène Farmer ?
Laurent Boutonnat : En 1984. Je l’avais croisée une première fois lors d’une soirée… La deuxième fois, c’était avec Jérôme Dahan (auteur et compositeur). Jérôme et moi avions la vingtaine. J’avais une formation classique, du piano depuis l’âge de 5-6 ans, mais j’avais envie de faire du cinéma, d’être réalisateur. J’avais fait un long-métrage à 16 ans (La Ballade de la féconductrice), qui a été interdit aux moins de 18 ans et est sorti dans deux salles à Paris. Jérôme aimait beaucoup le cinéma mais lui voulait faire des chansons. Un samedi soir, où on s’ennuyait, on a commencé à tapoter sur un synthé que j’avais chez moi. Jérôme s’est mis à jouer quatre  accords et moi un gimmick.

C’était Maman a tort
Jérôme a sorti un texte, "Un, maman a tort, deux, c’est beau l’amour…" On s’est dit : "tiens, il y a un truc". On a cherché une jeune fille pour la chanter. Et un jour, Jérôme me parle de Mylène, qu’il connaissait. À l’époque, elle faisait des photos, elle était un peu comédienne, elle faisait du théâtre, des pubs, Jérôme était un peu amoureux d’elle. Et il l’a fait venir chez lui pour faire un test au piano…

Comment ça s’est passé ?
Mylène était charmante, mais elle parlait très très peu, elle avait une étrangeté, elle était assez marquante dans ses silences… On n’avait pas un centime, on a emprunté de l’argent pour mixer le titre dans un grand studio. Avec la chanson, on a fait le tour de toutes les maisons de disques sur la mobylette de Jérôme. Et on s’est fait jeter de partout, sauf de Barclay et de Vogue, sans que cela aboutisse. La chanson choquait quand même un peu… Et puis le dernier label qu’on a vu, RCA, a fini par la signer… Maman a tort a dû se vendre à un peu plus de 100 000 exemplaires, on était hyper contents.

Pourquoi avez-vous quitté RCA pour Polygram ?
Le deuxième single n’avait pas marché, et RCA ne s’intéressait pas beaucoup à nous. Polygram nous a signés pour trois albums… Et c’est à ce moment-là qu’on s’est séparés de Jérôme Dahan. Il est tombé amoureux d’un mannequin américain pour qui il avait écrit une chanson. Il voulait faire des titres en anglais, travailler à l’international. Je me suis donc retrouvé tout seul à faire un album avec Mylène, ce que je n’avais jamais fait de ma vie. Alors je me suis mis au piano et j’ai composé. J’ai aussi fait quelques textes, comme Libertine.

Mylène Farmer s’est rapidement mise à écrire…
Au milieu du premier album, Mylène s’est mise à écrire comme ça, du jour au lendemain. C’était Plus grandir, impressionnant, un déclic… Elle n’a plus jamais arrêté… Elle a un vrai sens des mots, elle est douée pour cela. C’est difficile, d’écrire une chanson.

En mars 1986 sort Libertine
Le clip était impossible à monter financièrement, personne n’en voulait, mais j’ai réussi à le faire en vendant la coédition de l’album et du suivant. Je me souviendrai toujours de la première projection au patron de Polydor et à l’attaché de presse star de l’époque. Le clip était en Scope, faisait douze minutes et ils me disent : "C’est très beau, mais que voulez-vous qu’on fasse ? Il y a du sang, du sexe et la chanteuse qui se fait flinguer à la fin ? Qui va passer ça ?" Et pourtant, il s’est passé l’inverse. Avec l’arrivée de TV 6 (qui deviendra M 6), ça a été diffusé non-stop. Six à huit fois par jour.

Comment travailliez-vous avec Mylène ?
En général, je composais la musique, je la lui jouais ou lui envoyais, et elle travaillait sur le texte. Après, on peaufinait ensemble… Et on filait en studio. C’était toujours très fluide.

Comment l’avez-vous vue évoluer en tournée ?
Elle a mis du temps à aimer la scène. Je crois que c’est en 2009, quand on a fait la Russie, les Zéniths puis le Stade de France, qu’elle m’a dit pour la première fois qu’elle prenait vraiment du plaisir sur scène.

Ses concerts ont parfois des allures de messe avec ses fans…
Non, pas de messe. Mais quand vous êtes au milieu de la foule, comme je le suis à la console son, et que tout le monde chante avec elle, l’émotion est incroyable. Parfois on m’a demandé : "Mais quand elle pleure, elle pleure vraiment ?" Ses émotions sur scène sont réelles. Mylène ne triche pas.

Ce qui vous lie aussi, c’est l’amour du cinéma…
J’ai pu faire tous ces clips parce qu’on les finançait en grande partie avec les royalties de nos chansons. Ce n’était pas du marketing, c’étaient des envies d’images et d’histoires. Et on bénéficiait d’une diffusion énorme, qu’aucun film ne pouvait avoir. Pour Pourvu qu’elles soient douces, la suite de Libertine, on a investi près de 2 millions de francs. Dans le travail qu’on a fait avec Mylène, l’idée de l’argent est très très secondaire. Le but était de faire des choses marquantes, générer de l’émotion.

En 2000, vous avez produit Alizée ensemble…
Oui, ça a été super ! J’avais fait ce titre que Mylène avait bien aimé et sur lequel elle a écrit un texte, Moi… Lolita. Évidemment, elle n’allait pas chanter ça. On s’est dit qu’on allait chercher une jeune fille. Et un soir, je zappais sur une émission de télécrochet sur M 6 ("Graines de star"), et je tombe sur une petite brune… Alizée. Mylène et moi étions excités par ce projet ! L’envie de faire un enfant, si j’ose dire, car c’est un peu ça, au final.

Vous n’assurerez pas la mise en scène des stades de Mylène en juin et juillet 2023. Pourquoi ?
Pour des raisons de planning et d’organisation… J’ai plusieurs projets en cours, un film sur une partie mouvementée de la vie d’Oscar Wilde, un thriller érotique et l’adaptation en série d’Ambre, un roman historique américain…

Vous retravaillerez ensemble ?
Je ne sais pas, peut-être… On verra.

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