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Laurent Boutonnat - Interview - Première Octobre 1994



INTERVIEW DE LAURENT BOUTONNAT
Première - Octobre 1994
Interview par Kristina Larsen






Interview pour la sortie du film Giorgino au cinéma.


Laurent Boutonnat : C'est difficile de savoir d'où viennent les choses. [Il marque une pause infinie et tire sur sa pipe de corne blanche.] Je ne peux pas dire pourquoi. Peut-être comment ? A 17 ans, j'avais écrit un script qui s'appelait déjà Giorgino. Il y a sept ans un producteur m'a proposé de l'argent pour un long-métrage, argent que je n'ai jamais vu d'ailleurs. J'ai repris le script. Enfin j'ai écrit autre chose... C'est très flou. Jamais je ne me suis dit : "je vais raconter l'histoire d'un mec qui..." Vous ne savez jamais ce que vous avez envie de raconter. Il y a des gens qui disent ça... c'est louche.


Première : Vous avez une fascination évidente pour la folie et l'étrangeté.
Oui. Moi, depuis tout petit, la folie me turlupine un peu.


Pourtant, vous ne l'utilisez qu'à des fins esthétiques.
Je ne pense pas que ce soit un film sur la folie. Plutôt... sur l'enfance.


Giorgino, le héros, s'occupe d'enfants inadaptés. Pourquoi pas d'enfants tout simplement ?
Qu'est-ce que je peux dire , Ce sont des gens qui sont comme lui, à l'écart du monde... Et puis, ça le rend sympathique. [Il rit.] Mais vous savez... tout ça, ça fait partie d'un tout. L'enfance, c'est la solitude. Être orphelin ou inadapté, ça se rattache à l'enfance.


Comment définiriez-vous le personnage de Catherine [Mylène Farmer] ? Est-elle malade, sauvage, traumatisée, débile ?
[Il réfléchit quatre bonnes minutes, puis, à court...] Il faut que je définisse mes personnages ? Il faudrait que je vous parle de son passé alors ?


Non, d'elle...
Bah... Elle est un peu tout. Peut-être qu'elle est un peu autiste. Le problème pour les autistes, c'est qu'on ne connaît pas bien la frontière entre extrême intelligence et maladie mentale.


Vous avez déjà rencontré un autiste ?
Non. [Il réfléchit.] Enfin, ouais. un. Un enfant de gens que je connais.


Cette fille, quel âge a-t-elle ?
Dans la vie ?


Non, le personnage !
Ah, je ne sais pas. Elle peut avoir entre 17 et 25 ans.


Ce n'est pas tout à fait pareil...
C'est pas important pour moi.


Mais, pour une femmme, se faire déflorer à 17 ou 25 ans, c'est différent...
Peut-être, mais pour moi, ça ne me gêne pas du tout. Surtout à cette époque-là. sauf si elle avait 45 ans, bien sûr! Là-dessus, on part avec ou on part pas... Je ne pense que l'attachement pour un personnage vient de la connaissance et de la compréhension qu'on a de lui ou de son comportement. C'est peut-être quelqu'un de 25 ans qui est resté avec un esprit de 17 ans, ou l'inverse. Catherine, c'est ce que vous voulez ! Ce qui compte, c'est votre perception du film. Cette fille est comme ça, c'est tout. Et puis, moi, je raconte l'histoire d'un homme. Peut-être que c'est l'histoire des derniers jours d'un homme. Je ne sais pas ce que c'est.


Vous êtes quand même censé raconter une histoire, un conflit...
Oui. Mais comment raconterune histoire d'amour au cinéma ? Je pense que ça passe par des images et la musique.


Quelle différence faites-vous entre un clip et un film ?
La longueur... Lle temps... C'est plus long.


Les femmes sont horribles dans votre film...
Bah, elles sont méchantes mais elles sont des raisons d'être méchantes. C'est rien que du malheur tout ça.


Quand même, elles font toutes peur. Vous pensez que les femmes sont diaboliques ?
Ça dépend. Je ne sais pas. Et puis, vous exagérez, il y a l'aubergiste qui a l'air bonne. Bon, d'accord, il y a ce groupe de femmes qui sont vraiment hard. Mais c'est souvent comme ça dans la vie. Non, vous rigolez, mais c'est vrai. Et aussi dans la vie d'aujourd'hui. Il y a toujours des clans... Je ne parle pas des femmes en général. Mais dans les petits villages, il y a des commères, des femmes qui font du mal. Alors, vous imaginez, dans un village composé uniquement de femmes ! C'est comme ça dans mon film parce que c'est la guerre, mais c'est un hasard.


Ce n'est pas un hasard puisque vous êtes l'auteur et le metteur en scène. C'est vous qui choisissez.
J'ai choisi ? Non. Ah non, je n'ai pas choisi. [Il réfléchit.] Ah, peut-être.


Un peu comme dans un rêve.
Ah ! Mais j'ai souvent pensé que ce film était un rêve. Ou plutôt une espèce de cauchemar.


Comment travaillez-vous avec votre "femme" ?
Je ne réponds pas à cette question indiscrète.


Bon, alors, qu'est-ce que ça change de travailler avec la personne dont on partage la vie ?
C'est vous dites qu'elle partage ma vie.


C'est quand même quelqu'un avec qui vous avez de l'intimité ?
De l'intimité, certes... Mylène est, disons, très malléable. Alors, travailler avec elle, c'est un vrai bonheur. J'aime les acteurs qui ne sont pas tout le temps en train de discuter. Pas le style "oui, mais...". Mais c'est vrai que ce n'est pas facile de travailler avec les gens qu'on connaît. On ne fait pas de cadeau.


Pour Catherine, vous n'avez pas du tout cherché à créer un personnage différent de Mylène Farmer ?
De toutes les façons, c'est elle. Alors ! A part changer sa couleur de cheveux... Je ne sais pas. Si elle avait à jouer un bossu ou une putain de la rue Saint-Denis, peut-être. Mais, là, dans ce cas, il n'y a pas de composition particulière.


Pourquoi avoir tourné en anglais ?
A cause des acteurs. Je voulais Louise Fletcher et Joss Ackland depuis le début. Et puis, il s'est avéré que l'acteur principal [Jeff Dahlgren] était américain.


Aucun acteur français ne convenait ?
Il y a eu un casting à Londres, à Paris et à Los Angeles. Jeff Dahlgren a été choisi d'après ses essais... Quand vous parlez de la langue, moi, j'aime bien l'anglais. Ça sonne bien dans la musique, ça sonne bien également au cinéma.


Vous dites que vous avez eu des problèmes à monter ce film ?
Oui. Ce n'était pas un film simple à monter. Le sujet n'était pas évident de par sa noirceur. Et puis, c'était un gros budget.


Combien a-t-il coûté ?
Assez cher.

Vous ne savez plus ?
Ecoutez... Entre 55 et 80 millions de francs.


C'est pour ça, que vous l'avez produit ?
Bah, oui... A un moment donné, je l'ai produit. Enfin, Polygram l'a produit. Parce qu'à un moment donné il y a des choses qu'on doit faire. C'est souvent inexpliqué mais c'est parce que c'est vital. Vous savez, on ne sait pas très bien ce qu'on est. [Il s'arrête de parler en fumant sa pipe.]
... Je vais peut-être faire une analyse finalement ! [Il sourit.]


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