Interview pour la sortie du film
Giorgino
au cinéma.
Laurent Boutonnat :
C'est difficile
de savoir d'où viennent les choses. [Il marque une pause
infinie
et tire sur sa pipe de corne blanche.] Je ne peux pas dire pourquoi.
Peut-être comment ? A 17 ans, j'avais écrit un
script qui
s'appelait déjà Giorgino.
Il y a sept ans un producteur m'a proposé de l'argent pour
un
long-métrage, argent que je n'ai jamais vu d'ailleurs. J'ai
repris le script. Enfin j'ai écrit autre chose... C'est
très flou. Jamais je ne me suis dit : "je vais raconter
l'histoire d'un mec qui..." Vous ne savez jamais ce que vous avez envie
de raconter. Il y a des gens qui disent ça... c'est louche.
Première :
Vous avez une fascination évidente pour la folie et
l'étrangeté.
Oui. Moi, depuis tout petit, la folie me turlupine un peu.
Pourtant, vous ne
l'utilisez qu'à des fins esthétiques.
Je ne pense pas que ce soit un film sur la folie. Plutôt...
sur l'enfance.
Giorgino, le
héros, s'occupe d'enfants inadaptés. Pourquoi pas
d'enfants tout simplement ?
Qu'est-ce que je peux dire , Ce sont des gens qui sont comme lui,
à l'écart du monde... Et puis, ça le
rend
sympathique. [Il rit.] Mais vous savez... tout ça,
ça
fait partie d'un tout. L'enfance, c'est la solitude. Être
orphelin ou inadapté, ça se rattache à
l'enfance.
Comment
définiriez-vous le
personnage de Catherine [Mylène Farmer] ? Est-elle malade,
sauvage, traumatisée, débile ?
[Il réfléchit quatre bonnes minutes,
puis,
à court...] Il faut que je définisse mes
personnages ? Il
faudrait que je vous parle de son passé alors ?
Non, d'elle...
Bah... Elle est un peu tout. Peut-être qu'elle est un peu
autiste. Le problème pour les autistes, c'est qu'on ne
connaît pas bien la frontière entre
extrême
intelligence et maladie mentale.
Vous avez
déjà rencontré un autiste ?
Non. [Il réfléchit.] Enfin, ouais. un. Un enfant
de gens que je connais.
Cette fille, quel
âge a-t-elle ?
Dans la vie ?
Non, le personnage !
Ah, je ne sais pas. Elle peut avoir entre 17 et 25 ans.
Ce n'est pas tout
à fait pareil...
C'est pas important pour moi.
Mais, pour une femmme, se
faire déflorer à 17 ou 25 ans, c'est
différent...
Peut-être, mais pour moi, ça ne me gêne
pas du tout.
Surtout à cette époque-là. sauf si
elle avait 45
ans, bien sûr! Là-dessus, on part avec ou on part
pas...
Je ne pense que l'attachement pour un personnage vient de la
connaissance et de la compréhension qu'on a de lui ou de son
comportement. C'est peut-être quelqu'un de 25 ans qui est
resté avec un esprit de 17 ans, ou l'inverse. Catherine,
c'est
ce que vous voulez ! Ce qui compte, c'est votre perception du film.
Cette fille est comme ça, c'est tout. Et puis, moi, je
raconte
l'histoire d'un homme. Peut-être que c'est l'histoire des
derniers jours d'un homme. Je ne sais pas ce que c'est.
Vous êtes quand
même censé raconter une histoire, un conflit...
Oui. Mais comment raconterune histoire d'amour au cinéma ?
Je pense que ça passe par des images et la musique.
Quelle
différence faites-vous entre un clip et un film ?
La longueur... Lle temps... C'est plus long.
Les femmes sont horribles
dans votre film...
Bah, elles sont méchantes mais elles sont des raisons
d'être méchantes. C'est rien que du malheur tout
ça.
Quand même,
elles font toutes peur. Vous pensez que les femmes sont diaboliques ?
Ça dépend. Je ne sais pas. Et puis, vous
exagérez,
il y a l'aubergiste qui a l'air bonne. Bon, d'accord, il y a ce groupe
de femmes qui sont vraiment hard. Mais c'est souvent comme
ça
dans la vie. Non, vous rigolez, mais c'est vrai. Et aussi dans la vie
d'aujourd'hui. Il y a toujours des clans... Je ne parle pas des femmes
en général. Mais dans les petits villages, il y a
des
commères, des femmes qui font du mal. Alors, vous imaginez,
dans
un village composé uniquement de femmes ! C'est comme
ça
dans mon film parce que c'est la guerre, mais c'est un hasard.
Ce n'est pas un hasard
puisque vous êtes l'auteur et le metteur en scène.
C'est vous qui choisissez.
J'ai choisi ? Non. Ah non, je n'ai pas choisi. [Il
réfléchit.] Ah, peut-être.
Un peu comme dans un
rêve.
Ah ! Mais j'ai souvent pensé que ce film était un
rêve. Ou plutôt une espèce de cauchemar.
Comment travaillez-vous
avec votre "femme" ?
Je ne réponds pas à cette question
indiscrète.
Bon, alors, qu'est-ce que
ça change de travailler avec la personne dont on partage la
vie ?
C'est vous dites qu'elle partage ma vie.
C'est quand
même quelqu'un avec qui vous avez de l'intimité ?
De l'intimité, certes... Mylène est, disons,
très
malléable. Alors, travailler avec elle, c'est un vrai
bonheur.
J'aime les acteurs qui ne sont pas tout le temps en train de discuter.
Pas le style "oui, mais...". Mais c'est vrai que ce n'est pas facile de
travailler avec les gens qu'on connaît. On ne fait pas de
cadeau.
Pour Catherine, vous
n'avez pas du
tout cherché à créer un personnage
différent de Mylène Farmer ?
De toutes les façons, c'est elle. Alors ! A part changer sa
couleur de cheveux... Je ne sais pas. Si elle avait à jouer
un
bossu ou une putain de la rue Saint-Denis, peut-être. Mais,
là, dans ce cas, il n'y a pas de composition
particulière.
Pourquoi avoir
tourné en anglais ?
A cause des acteurs. Je voulais Louise Fletcher et Joss Ackland depuis
le début. Et puis, il s'est avéré que
l'acteur
principal [Jeff Dahlgren] était américain.
Aucun acteur
français ne convenait ?
Il y a eu un casting à Londres, à Paris et
à Los
Angeles. Jeff Dahlgren a été choisi
d'après ses
essais... Quand vous parlez de la langue, moi, j'aime bien l'anglais.
Ça sonne bien dans la musique, ça sonne bien
également au cinéma.
Vous dites que vous avez
eu des problèmes à monter ce film ?
Oui. Ce n'était pas un film simple à monter. Le
sujet
n'était pas évident de par sa noirceur. Et puis,
c'était un gros budget.
Combien a-t-il
coûté ?
Assez cher.
Vous ne savez plus ?
Ecoutez... Entre 55 et 80 millions de francs.
C'est pour ça,
que vous l'avez produit ?
Bah, oui... A un moment donné, je l'ai produit. Enfin,
Polygram
l'a produit. Parce qu'à un moment donné il y a
des choses
qu'on doit faire. C'est souvent inexpliqué mais c'est parce
que
c'est vital. Vous savez, on ne sait pas très bien ce qu'on
est.
[Il s'arrête de parler en fumant sa pipe.]
... Je vais peut-être faire une analyse finalement ! [Il
sourit.]