Laurent Boutonnat - Interview - Starfix Avril 1986
INTERVIEW DE LAURENT BOUTONNAT
Starfix (Avril 1986)
Interview par Christophe Lemainre
Interview portant essentiellement sur le clip Plus Grandir.
Starfix : Un clip
dérangeant,
fascinant, avec une trame, une atmosphère, un
début et
une fin. Si rare de nos jours.
Laurent
Boutonnat : Pour moi le clip est un moyen pour raconter une histoire
Son premier long La ballade de la
féconductrice :
Il est passé trois fois à la
commission de
contrôle, ce qui n'arrive jamais. La première
fois, ils
voulaient l'interdire complètement, puis il est
passé en
commission plénière où on a voulu le
X-er.
Finalement, sa sortie a été restreinte
à une salle
avec une interdiction aux moins de 18 ans. J'en avais 17.
Après le succès de Maman
à tort,
il écrit le script de Plus Grandir, puis l'a fait
story-boardé.
Je n'aime pas les story-board, je préfère le
découpage technique. Celui-ci m'a servi à
décrocher les capitaux chez Polygram / Polydor. J'avais des
facilités à négocier car
j'étais producteur
de Mylène et que l'on venait de signer chez Polygram pour
trois
albums. C'est une sorte de co-production, il y a une partie qu'on me
donne et une autre qu'on m'enlève de mes royalties.
Finalement,
j'ai fait le clip pour 330 000 francs, ce qui est un petit budget
Une jeune femme
(Mylène) pousse
un landeau dans un cimetière automnal puis
s'arrête devant
sa propre pierre tombale. Un flash-back nous la montre dans l'aile d'un
château en proie à ses propres fantasmes.
Fantasmes principalement religieux (j'ai été
longuement
en pension chez les jésuites) et liés surtout au
monde de
l'enfance. Tu sais, toutes ces petites choses qui, petit, te font peur.
J'ai tenté de les retranscrire dans mon clip comme cette
statuette phosphorescente de vierge qui s'anime ou les apparitions
des naines. En écoutant bien on
s'aperçoit que le
texte parle de la mort, de l'enfance et de la perte de la
virginité. En même temps, on peut bien
sûr
extrapoler et en parler en termes différents
La preuve que Boutonnat a
fait mouche est que son clip a terrifié les
médias :
"Bonsoir les clips" n'en a pas voulu parce qu'il le trouvait trop
morbide, ce qui est le comble vu son créneau horaire.
Refusé dans les juke-box à clips. Une compagnie
américaine, qui est en train de monter un long
métrage
avec une sélection des meilleurs clips de tous les pays,
m'ont
renvoyé la cassette en disant qu'ils l'adoraient mais qu'il
ne
fallait pas toucher à la religion.
Le tournage s'est
déroulé en cinq jours, un en
extérieurs (cimetière de St-Denis) et quatre
en intérieurs.
On a du tourner en studio car j'ai
utilisé le scope et qu'il faut
énormément de recul, le double par rapport au
format normal. Les studios Sets, où nous avons
filmé, sont principalement réservés
à la pub. Ils nous ont permis d'utiliser leur
matériel de décos : panneaux, cartons, etc.
Pour faire le plan de la poupée dans l'eau, on s'est fait
prêter une énorme bassine de 500 kg avec un grand
hublot qui s'est mise à fuir pendant le tournage. Tout
ça pour trois secondes de projection.
La photo, superbe,
est de Jean-Pierre Sauvaire, un nom à retenir selon
Boutonnat.
C'est un type très doué. Comme il
vient de la pub, il est habitué à tout faire
(noir et blanc, couleurs, effets spéciaux,
scope). Pour moi il est encore plus pro qu'un chef-op de
cinéma. Le résultat était tellement
parfait qu'il n' a presque pas fallu d'étalonnage.
Fort de cette
réussite,
Boutonnat espère bien monter d'ici la fin de
l'année, un
vieux projet de long-métrage :
Au départ, j'étais avec un producteur qui
travaillait
beaucoup avec Parafrance. Il m'avait proposé de monter un
film
de terreur "à la Corman" pour un budget de 150 briques,
tourné en deux semaines. Une série z pour le
circuit
Parafrance qui à l'époque sortait une
floppée de
films de ce style dans tous les genres. Ça ne s'est pas
fait.
J'ai alors écrit un script en quinze jours, un conte pour
grandes personnes que je suis en train de remanier.