Mylène Farmer - Beyond my control - Analyse du clip
Le clip Beyond my control
illustre parfaitement le texte de la chanson (ce qui n'est
pas toujours le cas des clips de Mylène).
On y retrouve des images ou symboles déjà
utilisés ou qui le seront dans d'autres clips : le
sang évidemment (clip Je
te rends ton amour en 1999), les loups (clip Tristana
en 1987), la femme
opprimée qui
essaie de prendre le dessus sur l'homme (clips Je t'aime mélancolie en 1991, Sans logique en 1989, California en 1996...), le feu
destructeur / purificateur (le décor du Tour 89 détruit dans le clip Allan
).
Analyse du clip Beyond my
control par Eymeric
Manzinali (extrait de "Styx Magazine"
spécial
L'autre... paru en avril 2011)
Mettant en
scène la folie amoureuse, Laurent Boutonnat et
Mylène Farmer choisiront pour Beyond my
control un scénario
dépouillé pour un travail de montage complexe.
Oeuvre brute mais raffinée dans la composition de ses
images, le dernier clip de L'autre...
est aussi
l'un des plus sulfureux de la carrière de Mylène
Farmer et à l'origine d'une polémique
médiatique.
Beyond my
control sera le
deuxième single de l'album à évoquer
les relations amoureuses. D'une manière pourtant
diamétralement opposée à
Regrets ,
ne serait-ce qu'au
vu du clip, sulfureux mais néanmoins séduisant,
qui l'accompagne.
A la manière de
Regrets
pourtant, le synopsis
en est simple et suit le texte de la chanson, tout en proposant un
travail très tourné sur
l'esthétique. Mylène Farmer confiera d'ailleurs
sur NRJ, quelques mois avant la réalisation du clip que
cette chanson a une écriture plus
cinématographique que les autres. Ce sont des images assez
précises et rapides, comme ça, qui
suggèrent tout de suite un état. C’est
vrai que j’imagine tout à fait le
scénario. (NRJ 05/04/1991)
En plein préparatifs de Giorgino ,
Laurent Boutonnat ne consacre que deux jours au tournage, avec une
équipe réduite au maximum.
Marianne Rosenstiehl, qui réalisa les photographies de
plateau, dira très justement qu'il est
une succession d'images liées par la
chanson ("OK !", juin 1992). Il
présente effectivement Mylène Farmer en femme
trompée, de la jalousie à la vengeance,
infligeant un dernier baiser sanglant à son amant. Le clip
alterne entre vue de la rousse en sorcière sur un
bûcher, ébats de l'amant et loups s'attaquant
à des charognes.
Dominées par la couleur rouge, par un onirisme charnel,
pulsionnel, les images de Beyond
my
control vaudront à Mylène
Farmer la réticence de M6 et d'une partie de la presse. Ces
dernières auront retenu la crudité de
scènes d'ébats et le sang. La chaîne
généraliste ne diffusera le clip que la nuit
à la différence de la chaîne
câblée MCM et de Canal Plus, chaîne
à péage. Si la position de M6 peut trouver une
justification, dans la large fourchette d'âge de son audimat,
l'attitude des journaux se fera plus fourbe. Une partie condamnera dans
le texte une nouvelle provocation gratuite, tout en
réduisant ce clip, certes très violent, en trois
mots qui font vendre du papier : sexe, hémoglobine
et scandale. Avec un clip tel que celui-ci, Mylène Farmer ne
finît également pas de raviver certains fantasmes
formulés à son égard:
sexualité de mante religieuse et goût du morbide.
Il convient pourtant de ne pas se laisser enfermer dans les apparences.
D'aller au delà d'une interprétation trop facile
et de ne pas s'arrêter à la construction du clip,
certes très simple et frontale. Car la séduction
opérée par le montage, que l'on doit à
Laurent Boutonnat et à sa monteuse attitrée
Agnès Mouchel, ainsi que la composition des images, vont
révéler d'autres qualités.
Beyond my
control présente la
première particularité d'un rapport entre les
images rarement aussi travaillées dans la filmographie de
Laurent Boutonnat. Si, comme le dit Marianne Rosenstiehl, la succession
des images est liée par la chanson, elle le sera aussi par
des enchaînements dynamiques. Les mouvements souples et
ralentis, subtilement chorégraphiés, des
personnages vont se confronter à un montage rapide des
images. Les nombreux fondus enchaînés ainsi que
les points de raccords entre les différents plans, vont
quant à eux donner une incroyable fluidité au
tout. A titre d'exemple, au corps rejeté en
arrière de la rivale, dans les bras de l'amant,
succédera un plan montrant Mylène Farmer au
bûcher, rejetant sa tête elle aussi en
arrière, sous le coup de la douleur infligée par
le feu.
Cette séduction des images renforça sans doute la
censure qui frappa le clip. Elle provoque effectivement un sentiment
étrange, de désir et de
dégoût, lorsque apparaissent au milieu de cet
ensemble fluide, chorégraphié, des plans montrant
des charognes en train d'être dévorées.
La deuxième partie du clip est d'ailleurs significative sur
ce point : la violence gagne en ampleur et le montage en
vitesse. Les images répulsives sont superposées
à celles représentant des ébats de
plus en plus fougueux. Actes d'amour et de violence, dans la
même sensualité. Le baiser de Mylène
Farmer au début du clip en annonce la fin : il se
fait animal, vampirique.
Beyond my control
met en
scène, à côté de
Regrets ,
un autre versant de
l'amour. En faisant un clin d'oeil aux Liaisons dangereuses,
et au
personnage de Valmont, le clip place cet amour sur le terrain de la
conquête. Il superpose, à la manière de
l'œuvre de Laclos, une intrigue amoureuse avec un vocabulaire
guerrier. La comparaison s'arrêtera pourtant là si
l'on s'en tient aux seules images, bien qu'elle puisse se poursuivre
dans la chanson en elle-même. Le clip est effectivement bien
éloigné du caractère rationnel du jeu
amoureux des Liaisons dangereuses, qui répond à
la logique, au détachement et aux calculs
d'intérêts. Cette rationalité,
contrebalancée par des pulsions, des émotions
toutes humaines, fera bien entendu la richesse du personnage de
Valmont. Mais là où le roman parle de pacte, de
stratégies, le clip de Laurent Boutonnat offre une vision
animale de la conquête amoureuse. Il y sera question
d'instincts et de territoires.
On comprend ainsi mieux la superposition des pas de Mylène
Farmer à ceux d'un animal. Elle est une louve
blessée en reconquête de son territoire. Observant
son amant la tromper, elle sent monter en elle une pulsion qui la
dépasse et qui envahit sa perception. Utilisant une nouvelle
fois la métaphore animale, Laurent Boutonnat place ce clip
sous des auspices oniriques, dans une représentation
imagée, subjective, de la réalité. Les
ébats des corps, volontiers indécents,
fiévreusement chorégraphiés, sont
d'autant plus intenses qu'ils sont perçus des yeux d'une
femme jalouse, dont l'imagination s'embrase. Les actions des loups
figurent la violence sourde qu'elle ressent, violence qui basculera du
côté de la réalité lorsque
celle-ci fera couler le sang.
A la manière de
l'Empire des sens d'Oshima,
Beyond my
control
représente également
l'ambiguïté du désir, qui est
ravivé lorsque l'on sent que l'être
aimé nous échappe, et qui trouve son
apothéose dans la mort et la destruction. Le
mépris de l'homme sera à l'origine de la haine
qui envahit le personnage incarné par Mylène
Farmer, mais aussi d'une plus grande intensité de son amour.
Intensité qui atteint un point de non-retour dans la
violence. Une envie de possession exclusive de la femme sur l'homme est
également exprimée. Elle passera par
l'émasculation dans le film d'Oshima, la morsure fatale dans
Beyond my control .
La conclusion de ce dernier sera pourtant bien différente de
l'Empire des sens. La femme castratrice, selon le mot de la fin, est
retrouvée et conduite en prison, alors qu'elle se baladait
dans la rue, complétement euphorique. Laurent Boutonnat nous
montre au contraire le réveil, à la vue du sang,
de la raison face à la folie criminelle et une femme au
visage grave, attaché au poteau d'un bûcher. Un
bûcher désormais éteint, sans plus de
désir, pour une femme qui affronte, ses fantasmes
retombés et lucide, la réalité.