Ne
cherchez pas dans
l'oeuvre de Mylène une chanson, un texte, un clip
qui seraient directement dédiés à
l'homosexualité.
Plutôt
une présence en filigrane via des clins
d'oeil habiles, discrets qui ont
émaillé la carrière de
Mylène, attiré l'attention du public gay qui a
fini par succomber à celle qui ne deviendra pas une
chanteuse
pour gays mais une vraie icône gay.
Ça
commence fort avec Maman
a tort,
le premier single de
Mylène en 1984.
Les
interprétations de la chanson ont
été diverses à l'époque:
"Je pense que les
plus jeunes ont aimé le
côté comptine et qu'ils ont utilisé un
peu comme slogan "Maman a tort". A l'opposé, d'autres ont
aimé ce titre pour son côté tabou:
"j'aime ce qu'on m'interdit, j'aime les plaisirs impolis". Enfin,
j'imagine que certains ont pu encore avoir une autre
interprétation du texte (...) le texte a
choqué quelques personnes. Je trouve ça assez
stupide d'ailleurs"
(Mylène Farmer - Numéros 1 - Mai 1985)
Et ce qui a
probablement choqué ce sont certaines paroles de
Jérôme Dahan pouvant évoquer l'amour
saphique: "J'aime
l'infirmière maman"
Mylène
s'en expliquait ainsi:
"Cette chanson
n’a rien d’autobiographique; les
histoires de lesbiennes sont des histoires de tous les
jours…
Mais ce que je voulais dire, c’est
justement le non-dit : "Il ne faut pas raconter ça, il faut
éviter tel ou tel sujet, il ne faut pas parler
de…", toujours des interdits !"
(Mylène Farmer -
Longueur d'onde - 1984)
Des paroles
néanmoins ambigues puisque Mylène
elle-même livrait parfois un éclairage
différent:
"Je peux vous
raconter un peu la chanson. C’est quelque chose
qui me tient effectivement un peu à cœur.
Ça peut
arriver à beaucoup d’enfants qui sont dans des
centres hospitaliers et qui n’ont finalement pour,
j’allais dire pour mamans, des personnes qui
s’occupent de ces enfants. Ce sont des infirmiers ou
infirmières et ces infirmières donnent
à manger à ces enfants, les bordent au lit, leur
font un bisou avant de s’endormir, donc prennent la
place des
mamans. Donc, c’est une petite fille qui dit à sa
maman : "J’aime l’infirmière".
(Mylène Farmer - Champs-Elysées - 22
septembre 1984 /
Regarder
la vidéo sur la Web TV)
En 1986, dans le
clip Libertine
réalisé
par Laurent Boutonnat on peut voir
Mylène, devenue rousse , entièrement nue, en pile
et face devant la caméra, prendre un bain avec d'autres
courtisanes avant de se livrer à des ébats
torrides avec .... un homme !
Photo: Eric Caro (1986 -
Tournage du clip
Libertine)
C'est en 1987 que
Mylène va s'attirer massivement les faveurs de la
communauté gay grâce à
Sans
contrefaçon.
Certains gays
vont vite être conquis par le look titi
parisien à la Francisque Poulbot /
garçon manqué de Mylène
sur les photos d'Elsa Trillat. On retrouvera ce look
lors
des
nombreuses prestations en télévision de
Mylène en 1987 ou début 1988 qui arbore une
casquette
à la Gavroche et un costume à carreaux ou rayures.
L'androgynie
de
Mylène (qui est "caméléon") est aussi
mise en exergue dans le clip réalisé par Laurent
Boutonnat dans lequel un petit pantin désarticulé
dont on ne sait pas vraiment le sexe
prendra vie sous les traits on ne peut plus féminins de
Mylène.
Photo: Elsa Trillat (1987)
Difficile de ne
pas penser à la chanson de Sylvie Vartan,
"Comme
un garçon".
La photographe
Elsa Trillat confirmera cette impression en racontant
ses vacances avec Mylène sur la Côte d'Azur durant
l'été 87 et la genèse
de ce tube:
"Pendant ces
vacances, on a pas mal roulé en voiture avec
Mylène. D'ailleurs, je me rappelle que je mettais tout le
temps de la musique, en particulier une compil de Marie
Laforêt, "Les cornichons" de Nino Ferrer sur lequel on
s'éclate comme des folles, et surtout Syvlie Vartan que
j'aime depuis que je suis toute petite. Notamment "Comme un
garçon". Elle me dit alors que petite, elle avait les
cheveux courts et que tout le monde la prenait pour un
garçon et que, pour que la confusion soit encore plus
troublante, elle se mettait souvent un mouchoir au creux du pantalon. (anecdote
que Mylène
raconte également dans différentes interviews,
ndlr)
Plus tard, je lui
demande si elle prévoit une nouvelle
chanson pour bientôt. Elle me répond
immédiatement: " En tout cas, j'ai
déjà le titre et ça va te faire
plaisir: "Sans contrefaçon, je suis un garçon".
Tu m'as tellement bassiné avec ta Sylvie Vartan ! (...)
Pour la voix de
l'intro, "Dis maman, pourquoi je suis pas un
garçon ?", c'est un petit clin d'oeil à un
private joke entre Mylène et moi. En fait, quand on
descendait au bourg pour faire quelques courses, et notamment le coca,
notre drogue à toutes les deux, je défiais
Mylène la timide de s'adresser à la vendeuse de
l'épicerie avec cette voix de gamine. Et elle le faisait !
Imaginez-la parlant à l'épicière avec
la voix de l'intro de "Sans contrefaçon": "Bonjour madame la
marchande de légumes de poireaux"! C'était
tordant. "
(IAO - N°1 - 2005)
Photo: Joel Casano (1987
- Tournage du clip Sans
contrefaçon
)
Le
texte écrit par Mylène fait mouche.
Comment
pour certains gays ne pas se retrouver derrière ces
mots ?
Cette
difficulté, parfois, d'assumer, son
identité,
affronter ou supporter le regard des autres:
"Tout seul dans
mon placard /
Les yeux cernés de noir /
A l'abri des regards /
Je défie le hasard"
Ou
même, subir l'exclusion:
"Tour
à tour on me chasse / De vos fréquentations"
Les doutes, mais
aussi une détermination à faire
fi d'une
société qui reste bien souvent figée
dans les préjugés:
"Dans ce monde
qui n'a ni queue ni tête /
Je n'en fais qu'à ma tête
(...)
Je n'admets pas
qu'on menace /
Mes résolutions
/ Je me fous bien des qu'en dira-t-on
"
La
référence au Chevalier d'Eon espion du
XVIIIè siècle connu pour se travestir en femme et
qui fut condamné par Louis XVI à terminer sa vie
sous l'identité d'une femme.
Un texte qui n'a
pas pris une ride, d'autant plus fort ou subtile que
l'homosexualité semble avoir une omniprésence
latente
sans être jamais directement citée.
Mylène Farmer
et Zouc
Photographe: Joel Casano (1987 - Tournage du clip Sans contrefaçon
)
Sans
contrefaçon va
devenir un hymne gay.
Dès sa sortie, les remixes (il y a le "Boy Remix" et le
"Girl
Remix", Mylène n'est pas sectaire !) font fureur dans les
clubs gays. Plus de vingt ans après, la diffusion de la
chanson ou des remixes met encore le feu dans n'importe quelle
soirée (gay ou pas d'ailleurs, ne soyons pas sectaires !).
En 1994, Sans
contrefaçon est la chanson phare du film
"Pédale Douce"
réalisé par Gabriel
Aghion. On la retrouve évidemment sur la B.O et c'est elle
qui ouvre puis conclut le film, reprise en choeur par Fanny Ardant,
Patrick Timsit
et Richard Berry.
Pour le Tour
1996,
Mylène chante Sans
contrefaçon entourée de drag
queens
juchés sur des talons compensés.
Photo: Claude Gassian
(Tour 1996)
Dès
janvier 1987, le magazine
"Gay
Pied"
auquel
Mylène a accordé une interview pose la
question: "Tu
es une fille à pédés ?".
Mylène
répond ainsi: "Non. J'aime les gens que
j'ai envie d'aimer. Peu importe leur sexualité. Les
homosexuels m'ont toujours porté un grand
intérêt et de la chaleur. J'en suis ravie, mais je
ne vis pas dans leur monde. Il est vrai que je travaille avec des
homosexuels et que je m'en porte bien ! "
Lire l'intégralité de
l'interview à Gai pied en janvier 1987 dans la rubrique
Interviews ICI
Mylène
s'est impliquée très tôt dans la
lutte contre le Sida.
En avril 1987,
elle fait partie des nombreuses personnalités
qui font la Une de VSD pour encourager l'usage du
préservatif.
En 1992,
sur l'inititative d'Etienne Daho sort la compilation
"Urgence", un double album regroupant les chansons de 27 artistes
francophones. Mylène propose une nouvelle version du titre
Dernier sourire que
l'on avait pu découvrir en 1987 en face B du 45 tours
Sans Logique. Les
fonds récoltés sont
destinés à la recherche contre le sida.
En 1992
toujours et à nouveau pour la lutte contre le sida
est proposé l'album "Life Aids: Love is the answer". Cette
compilation regroupe les chansons de 16 artistes internationaux.
Mylène est l'unique artiste française
présente avec
Je
t'aime mélancolie. Ce disque est
mis en vente uniquement en Allemagne.
En 1999, le
clip
Je te
rends ton amour est censuré par certaines
chaînes de télévision. La version
intégrale ne peut être diffusée
qu'après minuit.
Mylène réagit en
mettant en vente une VHS du clip en intégralité
accompagné d'un livret "story-board" illustré de
nombreuses photos inédites du tournage du clip de Claude
Gassian.
Plus de 30 000 exemplaires s'arracheront en quelques jours.
L'intégralité des fonds
récoltés sera reversée au sidaction
.
En 1988, Pourvu
qu'elles soient douces, ode osée
à
la sodomie devient le premier numéro 1 de Mylène
en France.
En 1991,
Mylène
réapparaît avec un
nouveau
look très garçon manqué,
cheveux courts. Elle joue donc à nouveau avec une certaine
ambiguité sexuelle.
Photo: Marianne
Rosenstiehl
(1991 - Tournage du clip Désenchantée)
En 1995, nouveau
clin d'oeil à son public homo dans
le texte de XXL:
"qu'on soit Paul en Pauline" (...) "On a besoin d'amour".
L'année
suivante, le 09 mars 1996 Mylène
interprète L'Instant
X
dans
l'émission "Top... aux Carpentier".
Instant X ou
Instant culte: Mylène embrasse
sur la bouche
l'une de ses danseuses.
Terriblement
osé en prime-time sur TF1. Des
"ménagères de moins de cinquante ans" ont du
frôler la syncope et ceux, qui depuis Libertine restent
convaincus que Mylène "serait peut-être
bien lesbienne" ont pu s'en donner à coeur joie.
Peut-être sont-ce d'ailleurs les mêmes qui pensent
que Mylène dort dans un cercueil et mange des
araignées.
Regarder la vidéo sur la Web TV
ICI
L'ère Point
de Suture
(2008 / 2010) débute avec le clip Dégénération
réalisé
par Bruno Aveillan dans lequel
Mylène transforme la haine en des torrents d'amour. Ce clip
montre
des images d'ébats entre hommes et femmes, tous les choix
sexuels étant représentés, chacun se
laissant guider par ses vrais désirs. Les militaires
s'enlaçant avec fougue représentent un
nouveau
clin d'oeil évident et cette fois plutôt
appuyé de
Mylène à son public gay.
Photo: Claude Gassian
(2008 - Tournage du clip Dégénération
)
Mylène
choisit d'accorder son unique interview à
la presse pour la sortie de l'album Point
de Suture
au
magazine gay-friendly "Têtu".
On
retrouve
à la Une un cliché de Robin montrant
Mylène coupe à la garçonne, mousse
à raser sur les joues et prenant ainsi la place
des
habituels cover boy dénudés.
Pour
la première fois, Mylène évoque
directement son public gay et son statut d'icône:
"Je me
méfie du terme "icône"... Ce sont celles
que l'on
brûle en premier! {Silence.} J'ai le sentiment
d'être
privilégiée. C'est un public sensible, pointu et
avant-gardiste. Nous nous suivons depuis de nombreuses
années,
c'est important pour moi. Je pense aussi que je partage avec le public
gay, comme avec d'autres publics d'ailleurs, le sentiment
d'être
"différent", sensation qui provoque des
diffcultés de
vivre dans ce monde."
Lire l'intégralité de
l'interview de "Têtu" dans la rubrique interviews ICI
Sextonik,
la huitième
piste de l'opus et cinquième single extrait est
dédiée aux
sextoys. Mylène crée un mini buzz en proposant
sur le
merchandising du Tour
2009 un sex
toy.
Il est d'ailleurs
intéressant de noter que cet objet de
(plutôt) petite taille s'apparente à un
objet
"vibrant" destiné à la gent féminine.
Cependant, les
médias ont vite fait de le présenter,
à
tort, comme
un "gode" destiné à son public gay.
Anecdotique, mais
démontrant bien que le
lien
étroit et
définitif entre Mylène et les gays est devenu une
simple
évidence.
Photo: Laurent Schill
(1987)
Tout
est
réuni pour que Mylène devienne
comme d'autres (longue liste de Dalida à Lady Gaga en
passant
par Madonna)
une femme pas comme les autres pour des
garçons pastout à fait comme les autres.
Ambiguité,
provocation, sexe.
Femme fatale,
sexy, culte de l'esthétisme,
métamorphoses.
Démesure,
contrôle strict de l'image et
perfectionnisme, strass et paillettes.
Pour certains
gays Mylène ne représenterait-elle
pas la
femme idéale, inaccessible,
aimée d'un
amour pur sans la moindre arrière-pensée
sexuelle,
parfois vénérée à outrance
mais que l'on
aime aussi
critiquer tout en cherchant en même temps à la
protéger des affronts des "autres", ceux qui ne comprennent
pas.
Peut-être
est-ce de "l'homovigilance".
Des
spécificités tout de même,
peut-être.
Les
thématiques récurrentes de certains textes:
le mal de vivre, le sexe déculpabilisé.
Mais aussi,
l'importance accordée à la
différence et la tolérance chez
Mylène.
Artiste souvent
malmenée par la presse ou les critiques,
refusant de céder aux sirènes de la
médiatisation
à outrance quite à devoir subir en retour un
boycot
ou affronter le
désir évident qu'ont certains de lui nuire,
desseins
restés toujours vains face à l'impavide
intégrité morale de Mylène.
Être
comme elle souhaite et non pas comme les autres
voudraient qu'elle soit.
Faire de sa ou
leur différence un atout.
Et, en retour
accepter les autres tels qu'il sont y compris avec ce
qu'ils peuvent avoir de plus gênants pour nous.
"Les
cabossés vous dérangent / Tous les
fêlés sont des anges " (Mylène Farmer -
C'est
dans l'air -
2008)