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le 2/11/1986

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Mylène Farmer - Interview - Nostalgie - 30 novembre 1996






Michel Cotet : Anamorphosée, bien que ayant déjà quelques mois, il est encore tout frais et tout présent à notre mémoire et on se laisser bercer en ce moment par l'excellent titre Rêver. Et puis, il y a cette tournée, non pas gâchée mais interrompue pour une stupidité. Alors, il ne m'appartient pas de déverser une kyrielle de qualificatifs pour essayer de vous cerner, de vous faire réagir ; c'est toute la magie d'un personnage. Ceci dit, tout ce mystère qui débouche sur un statut de phénomène : est-ce que vous n'avez pas l'impression, quelquefois, que cela fait ombrage à votre vrai statut, qui est avant tout quand même, si je ne m'abuse, auteur-compositeur-interprète ?
Mylene Farmer : Ombrage, je ne sais pas bien. Est-ce que j'en souffre ? Non, pas vraiment. J'ai décidé de ce mystère en ce sens que je parle peu et que je réponds peu aux questions en général. Donc, je crois que j'en suis l'auteur donc je n'ai pas à m'en plaindre.


Je ne parlais pas forcément du mystère mais du fait qu'à force de vouloir justement le percer, on en oublie de parler avec vous de ce qui quand même nous séduit au préalable, c'est-à-dire votre musique, votre façon d'écrire, votre façon de paraître sur scène. Est-ce que quelquefois vous n'avez pas l'impression d'être dépassée par vous-même, en quelque sorte ?
Je ne suis pas sûre de pouvoir répondre à cette question ; si ce n'est que c'est vrai que l'évocation de l'écriture est quelque chose, dans le fond, d'assez rare de la part d'un journaliste parce que je crois qu'il est plus enclin à parler, ou d'une vie privée que l'on ne veut pas dévoiler, ou des choses qui sont "plus racoleuses". Donc, peut-être que je souffre de ça un peu, oui.


On y reviendra et j'espère comme ça que votre passage à Nostalgie vous aura ôté un peu de souffrance parce qu'on évoquera votre écriture. Ce que l'on sait, c'est que vous avez quand même "fui" à Los Angeles pour essayer de retrouver une forme de solitude. Vous avez vos repères, j'ai les miens. Moi, c'est Léo Ferré qui disait : "Dans la solitude, le désespoir est une forme supérieure de la critique. Pour l'instant, nous l'appellerons bonheur". Le désespoir, vous l'avez touché ?
Je crois qu'il a fait partie de mon quotidien. Mais, maintenant, je ne pense pas être la seule. Je pense que le commun des mortels a des moments de bonheur et des moments de détresse absolue. Je crois que même une journée peut être comblée par bonheur et tristesse à la fois. Maintenant, est-ce que je fais l'apologie de la détresse et du malheur : non. Je l'ai exprimé, en tout cas.


Cette solitude, vous la recherchez ?
Je ne suis pas sûre de me définir comme quelqu'un étant solitaire. J'aime parfois avoir des moments, oui, seule. L'écriture est un moment privilégié pour ça. Maintenant, j'aime bien la compagnie de personnes choisies.


Quel est le moment le plus fort, justement ? C'est rentrer dans cette solitude ou en sortir pour retrouver l'autre ou les autres ?
Je crois que les deux sont à déguster. (rires)


Je poursuis avec ce texte de Ferré, toujours sur cette solitude : "je voudrais m'insérer dans le vide absolu et devenir le non ,dit, le non avenu, le non vierge par manque de lucidité". Ne pas rencontrer le bonheur, est-ce que c'est pour autant être lucide ?
Ne pas rencontrer le bonheur... Je ne sais pas. En tout cas, j'aime l'idée de s'approcher de ce vide et de ne faire qu'un avec ce vide. C'est vrai qu'il y a quelque chose dans l'idée du néant qui est quelque chose de très happant. C'est vrai que parfois, on a envie de se confondre avec le vide, avec le rien.


Ce que vous appelez le non-dit, qui est essentiel dans la réussite.
Oui.


Diffusion de California.


Mylène Farmer est votre invitée aujourd'hui dans ce "Déjeuner de gala" sur Nostalgie, avec cette notion de non dit. Ne pas énoncer, ne pas expliquer pour susciter la curiosité : est-ce que c'est bien compatible avec une autre notion, qui est celle de la fidélité ? Je veux dire par là, quand on côtoie des gens ou des habitudes, forcément on perce le mystère, donc là, c'est un peu antinomique, non ? Parce que vous êtes quelqu'un de fidèle, je parle d'un point de vue professionnel.
Je pense être quelqu'un de fidèle, oui, dans tous les sens du terme et toutes les situations. Maintenant, pardonnez-moi, j'ai oublié la question... (rires)


Je disais, parallèlement à cette fidélité, vous êtes porteuse de cette idée de non-dit, de 'je garde le mystère, je ne veux pas qu'on me dévoile et je ne veux pas dévoiler'. Est-ce bien compatible ces deux approches ?
Là encore, je...  Le non dit... j'aime les non-dits. Maintenant, est-ce que je suis caractérisée par le non-dit, je ne le crois pas. Maintenant, j'ai choisi de dire certaines choses, de dévoiler certaines choses, de les clamer parfois et, quand une question ou un sujet me dérange, là effectivement, ce sera ou un non-dit ou un non tout court. (rires)


Donner un sens à tout, c'est ridicule pour vous, finalement ?
Je sais pas si, là encore, c'est ridicule... pardonnez-moi... (rires) Je ne pense pas avoir, d'abord la prétention et, je ne pense pas que la vie vous offre un sens à tout. Je crois que ça fait partie aussi du mystère de la vie, du mystère de la mort, de toutes ces choses qu'on ne sait pas et qu'on ne saura probablement jamais. Parfois, on peut en souffrir de ce silence et des ces nonréponses et, parfois je trouve ça plutôt bien. C'est une forme de liberté aussi en soi.


Je vais peut-être vous soulager, je viens à votre secours - si tant est que vous en ayez besoin. Finalement, c'est pour ça que vous redoutez l'exercice que nous sommes en train de faire, parce qu'il est communément admis qu'à toute question doit correspondre une réponse et en plus logique.
Oui. Oui. C'est vrai que là, dans le fond je n'aime pas la logique, je n'aime pas le rationnel et, c'est un exercice qui est difficile, uniquement parce que je dois parler de moi, dans le fond c'est aussi bête et simple que ça. C'est un exercice difficile pour moi.


Parler de soi, parler d'idées qui vous traversent la tête, c'est peut-être pas forcément parler de vous, c'est peut-être plus facile ?
Oui, mais c'est une façon que de se mettre en avant et c'est vrai que, là, ça fait partie d'un exercice qui est probablement utile à l'artiste, en tout cas on lui demande. Mais si j'avais à choisir, je crois que j'aurais rayé cette mention. (rires)


Le non dit, c'est aussi l'imaginaire. Est-ce un jardin dans lequel vous aimez flâner ?
J'aime surtout, je dirais, au travers de lectures. Quant à mon imaginaire, oui, je cultive ce jardin, je crois, oui. Maintenant, là encore, j'aurais du mal à en parler parce qu'il est imaginaire, justement.


Mais un auteur se doit d'imaginer et l'imagination c'est une forme de liberté que vous recherchez.
Oui.


Diffusion de publicités.


Retour dans "Déjeuner de gala" sur Nostalgie. On parle avec Mylène Farmer, votre invitée, de la liberté. Quels sont les situations, les mots, les événements dans lesquels vous ne vous sentez justement pas libre ?
Les dîners où il y a beaucoup de personnes... (elle hésite - silence- rires)


Une foule, c'est pas beaucoup de personnes, c'est une personne raisonnée ?
Oui. Oui, c'est toujours un peu facile comme détournement,. Mais, dans le fond c'est vrai. C'est vrai, quand on est en face d'un public, quelle que soit la salle, à partir du moment où il y a plus de deux personnes, trois personnes, mais plus le nombre est grand et plus il ne reforme qu'un et qu'une énergie, en tout cas.
 

En tête à tête, vous vous livrez plus ? Parce que sur scène, on peut dire que vous vous livrez... vous vous livrez plus que devant une multitude de gens ?
Non. Je pense que c'est faux. Je pense que je me livre davantage, mais peut-être sans la présence des mots ou en ayant choisi les mots. Maintenant, je crois que l'émotion que moi je ressens sur scène et que je peux offrir est quelque chose qui est... c'est une mise à nu, qui est beaucoup plus importante que dans une interview. J'ai malgré tout le contrôle de moi-même et de mes silences aussi.


Ça fait douze ans, mine de rien, que vous êtes dans ce métier de la chanson. Est-ce que la situation a failli vous échapper une fois durant ces douze ans ?
M'échapper, non, je ne le crois pas. Je ne sais pas à quoi vous faites allusion précisément, mais j'ai...


Être dépassée par ses propres motivations, s'embarquer dans un chemin...
Avoir envie d'arrêter parfois tout, oui, ça m'est arrivé.


C'est une façon de contrôler, justement, comme cette fuite...
De nombreuses fois, oui. Hier encore...


... "J'avais vingt ans"... mais ça c'est Aznavour... (rires) La fuite dans les mots, c'est quand même plus bénéfique que la fuite à Los Angeles ? Vous l'évoquiez tout à l'heure avec mon jardin imaginaire...
Oui. Je crois que j'ai eu besoin pour continuer d'écrire, puisqu'on parle des mots, que j'ai eu besoin de ce passage. Maintenant, il s'est effectué à Los Angeles. Dans le fond, ça aurait pu être ailleurs, en tout cas un pays 'dit' étranger. Mais, j'y ai trouvé, oui, si ce n'est une réelle source d'inspiration, en tout cas, moi, je me suis nourrie, si je puis dire, à ma façon. J'y ai trouvé quelque chose, oui.


C'est Jean-Louis Murat qui, à ce même micro - je fais allusion à lui parce que vous l'avez rencontré, ne serait-ce que pour un duo - qui expliquait que, dans un texte, finalement, le texte n'était jamais aussi beau que lorsque à la fin de la chanson on n'avait pas forcément tout compris.
Oui.


Et pour vous aussi, je crois, à savoir que les mots ont plus d'importance que l'idée.
Je pense qu'il vaut mieux savoir, en tout cas pour soi-même, face à soi-même, savoir ce qu'on a voulu dire. Maintenant, je suis d'accord que la chose trop expliquée, qui ne laisse pas dans le fond à l'autre une liberté, me dérange.


Diffusion de L'Instant X.


Mylène Farmer qui est notre invitée dans ce "Déjeuner de gala" sur Nostalgie aujourd'hui samedi. Je fais une petite digression avec les images, je voulais en parler un petit peu plus tard. Vous parlez de notion de liberté quant à la perception d'une chanson. Le clip, pour le coup c'est bien souvent quelque chose de très cadenassé. On nous impose des images, on nous fait une explication... ça ne vous concerne pas tout le temps, mais n'est-ce pas un piège ?
C'est vrai, c'est un piège. Mais, là encore, est-ce qu'on a le choix de ne pas faire sur une chanson une mise en images ? Là encore, malheureusement, je n'ai pas ce choix-là, parce que ça serait suicidaire. Mai,s sur certaines chansons, c'est vrai que certainement je n'aurais pas fait de clip, parce que justement il y a une réduction du sujet évoqué, et puis parfois c'est magique aussi, donc...


J'ai lu que vous disiez : "Quand j'écris mes textes, je livre beaucoup plus de moi que vous ne croyez. Il suffit de savoir écouter". Est-ce que vos chansons sont codées ? C'est un exercice qui peut vous amuser, ça ?
Ecoutez, non, je ne suis pas sûre d'être aussi intelligente que ça. En tout cas, j'aime bien les mots, donc j'aime jouer avec les mots...


Pas de fausse modestie, jeune fille ! (rires)
... mais codés, non. Non, non, je n'ai pas ce sentiment-là.


Y a-t-il quand même une notion - j'ai cru vous entendre le dire, cette fois-ci, donc la véracité du propos est entière - que vous aimiez cette forme d'irrationalité dans un texte et, comme vous venez de le souligner, à vouloir forcément faire une d'explication, c'est pas le but. Cette notion d'irrationnel, elle vous caractérise lorsque vous écrivez ?
Non, je ne pense pas. Je ne pense pas, maintenant, sans parler de moi, quand je lis par exemple Cioran, puisque ça m'arrive de le lire en ce moment, a cette faculté que vous donner des mots-clés, et là encore de vous laisser votre propre imagination. C'est un peu confus, ce que je dis mais... Un peu comme les haïkus, vous voyez, ces poèmes qui sont très, très courts. On vous donne deux mots, on va vous dire, je dis n'importe quoi : un chien, une fourmi et la senteur du foin et tout à coup, ça va évoquer une multitude de choses. Mais là, ça sera à chacun d'interpréter ou d'imaginer. Donc, j'aime, en tout cas si c'est ce que vous évoquez comme étant une irrationalité, alors, ça en est une, oui, parfois.


C'est finalement l'éducation que l'on reçoit lorsqu'on allait à la maternelle qui se transforme avec des beaux mots. Mais c'est ça en fait. On apprend aux enfants, on leur montre un chat et leur imaginaire... Vous faites allusion, donc, à Emile Michel Cioran, ce philosophe français pessimiste, dont l'œuvre s'exprime souvent par aphorismes. Vous en avez des favoris, vous ? Des proverbes, des...
Je n'ai malheureusement pas beaucoup la mémoire des… (rires) Je retiens difficilement...


"Tomber 7 fois", il y a déjà ça...
"Tomber sept fois", c'était court donc facile à retenir. (rires) Oui, il y a ce proverbe, effectivement, japonais qui dit :"tomber sept fois, toujours se relever huit", donc je l'ai... volé.


Vous êtes charmée par ce genre de formules ?
Là encore, c'est le plaisir des mots et l'intelligence qui peut s'en dégager. En tout cas, sans parler même d'intelligence, là, à la fois la précision dans la non précision. Il y a cette phrase maintenant qui me revient... (rires) Je vais faire mon exercice... (rires)


Allez-y ! Soufflez bien !
"Tout ce qui ne m'a pas tué me rendra plus fort"


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Voilà. De retour avec Mylène Farmer qui est notre invitée aujourd'hui dans ce "Déjeuner de gala". Je faisais référence à cette chanson qui figure sur l'album Anamorphosée. C'est la première fois où vous signez la musique. Tomber 7 fois...
Oui, oui. Absolument. Oui.


Après les mots, la musique. C'est une forme de défi que vous vous êtes lancée à vous-même ?
Non. Là encore, ça s'est passé relativement naturellement. J'ai une guitare à la maison, donc il m'arrive parfois de tenter d'y jouer. Et, ma foi, voilà, j'ai trouvé donc cette chanson. Mais, est-ce que j'ai envie de faire ça et de prolonger ça, non, je ne le crois pas.


Vous vous êtes surprise vous-même ?
D'une certaine façon, oui, probablement. (rires)


Vous avez regardé autour si personne ne vous avait vue commettre cet acte affreux qui était d'écrire une musique...
(rires) Oui, dans la mesure où je n'ai pas de formation de musicienne. J'en ai le goût, en tout cas. Mais je pense qu'il faut plus de talent pour composer.


Vous êtes quand même pluridisciplinaire. On évoquera plus tard le goût de la peinture. Vous écrivez, vous chantez, c'est tout à fait dans vos cordes, en tout cas c'est dans votre mentalité. C'est aussi de la liberté, finalement, que de savoir faire plusieurs choses, non ? C'est pour ça que cette notion de devenir compositrice, compositeur pardon, ça pourrait aussi vous aller, non ? C'est pas un défi qui vous...
Non, parce que là encore, sans parler de talent, je sais ce que je suis "capable" de faire, en tout cas de revendiquer, on va dire. Maintenant, quant à la musique, là encore, la composition, je sais que je m'essoufflerais très, très vite parce que manque tout simplement de connaissance, là encore.


Vous voyez que vous êtes intelligente, puisque l'intelligence c'est de savoir reconnaître ses limites.
Je ne ferai pas de commentaires. (rires)


On saute du coq à l'âne, c'est le cas de le dire. Vous aimez les animaux. Je vous emmène sur le terrain des animaux. Comment va E.T. ?
Très bien !


Ce qu'il y a de fabuleux dans la communication avec les animaux, c'est que l'on émet des mots, eux les perçoivent comme des sons suivant l'intonation. Et, finalement, là on retombe sur... c'est presque une chanson qu'on écrit avec les animaux. Ils interprètent comme ils le veulent. Est-ce que mon parallèle vous choque ?
Non. Vous faites ce que vous voulez, d'abord. (rires) Mais, effectivement, oui, les animaux, en tout cas, ce singe connaît probablement les sonorités, mais les visages aussi. Elle interprète beaucoup l'expression (Mylène parle probablement de E.T.,ndlr), liée au son probablement. C'est un être, là pour le coup, relativement intelligent, caractériel aussi, qui a ses humeurs, mais c'est toujours aussi passionnant d'avoir un singe.


C'est l'animal, nous en parlions tout à l'heure, qui se rapprocherait le plus de nos réflexes. C'est pour ça que vous l'avez choisi ?
Je crois que j'ai tout simplement une passion pour le singe. A chaque fois que je vois un documentaire sur ces animaux, j'ai envie de changer de vie et d'aller les retrouver, de les aider ou d'essayer de dialoguer, de m'y intéresser en tout cas. J'ai vu beaucoup, beaucoup de reportages sur les chimpanzés, les orangs-outans ou les gorilles. C'est vrai qu'une vie comme celle de Diane Fossey est une vie passionnante, mais c'est une vie difficile aussi.


C'est une grande tendresse que vous avez envers les animaux. Tout à l'heure vous étiez avec les chiens. Vous aimez leur naïveté, leur fidélité ? C'est ce qui vous attire ?
Là encore, je vais probablement vous décevoir mais je ne suis pas sûre d'analyser toutes les envies que j'ai, ou les communications que j'ai. J'aime les animaux parce que dans le fond, c'est très spontané. Maintenant, si vous voulez vraiment trouver pourquoi on aime un singe, pourquoi on aime un chat ou un chien, dans le fond, ça, ça ne m'intéresse pas de savoir pourquoi je les aime. Je les aime, tout simplement.


Diffusion de Mylène s'en fout.


Mylène s'en fout. Mais, pas nous. Elle est votre invitée aujourd'hui sur Nostalgie, dans ce "Déjeuner de gala". Alors, on a aimé et on aime toujours cet album, notamment, Anamorphosée. Je voulais juste un petit mot sur cet univers musical. Il y a eu une évolution. Est-ce qu'on peut la qualifier, cette évolution, de tonique, d'énergique ? Ça serait le bon mot ?
Je vais être obligée, moi, de revenir vers mes albums précédents. Je n'ai pas eu le sentiment que ces albums n'étaient pas énergiques. Donc, en ce sens, je ne peux pas aller dans cette idée de 'plus d'énergie'. Je crois que parce qu'il y a des guitares, beaucoup plus de guitares qu'avant, peut-être que l'énergie vient aussi de là. Peut-être dans la façon de chanter qui est probablement un peu différente. Je chante plus grave... en tout cas, je me suis autorisée...


Dans le ton, rassurez-nous... (rires)
Dans le ton ! Plus grave... Là, j'avoue que je ne sais pas bien... Désenchantée, pour moi, par exemple, est une chanson extrêmement énergique... mais ça n'engage que moi ; au même titre que L'Instant X, si ce n'est que la production est très différente. Là, oui.


Voilà, justement. En quatre ans, est-ce que vous avez eu l'impression de vivre une révolution musicale...
... Non…


... d'abord, est-ce que vous avez écouté ce qui se faisait ? Quand se passent comme ça quatre années, est-ce qu'on a le doute de se dire : "je vais décrocher", "je vais avoir un handicap insurmontable" ? Parce que c'est un métier qui va très, très vite ; je parle de la technologie, ne serait-ce que ça.
Oui. Là encore, c'est plus une envie profonde, non pas que de changer radicalement, mais simplement puisque j'ai passé un certain temps aux Etats-Unis, c'est vrai qu'on est enclin à écouter beaucoup plus de musique. Si on écoute la radio, on n'écoute que de la musique américaine en tout cas et qui est essentiellement beaucoup de guitares, beaucoup de... et puis aussi dans les mélodies... Donc, en ce sens je ne me suis pas dit, là encore : "Pour le prochain album, il va falloir faire attention". C'est simplement un désir, tout simplement, que d'aller vers quelque chose de plus ce qu'on appelle 'live', moins de gimmicks. Je sais pas si j'ai répondu à votre question ? (rires)


Si ! Faire office de référence, comme vous le faites aujourd'hui, est-ce que c'est une forme de reconnaissance éternelle ?
Référence ?


Vous êtes une entité.
Oh ! Pardon ! Moi ?


Oui ! Est-ce que c'est une forme de reconnaissance ?
Est-ce que je suis une référence ?


Quoiqu'il advienne, à partir de ce jour vous resterez quelque chose auquel on pourra s'identifier, auquel on fera référence. Est-ce que cette reconnaissance, vous la percevez ? Et, comment vous l'acceptez ?
Je la perçois parfois. Quand je monte sur scène, je crois que c'est le moment où l'on vous applaudit, tout simplement. Donc, on vous dit que vous êtes quelqu'un d'important à ce moment-là. C'est important au moment où je le fais. Maintenant, vous dire est-ce que ça me rassure ou est-ce que c'est important pour moi, je ne suis pas sûre, là encore, de pouvoir répondre à cette question. Je ne sais pas... (rires) J'aurais plutôt une humeur aujourd'hui de 'nous somme peu de choses' donc ça va être difficile pour moi que de vous dire : "Je suis une référence". (rires)


Mais nous sommes peu de choses, je vous le confirme. (rires) C'est pour ça qu'il vaut mieux en rire.
J'aime ce que je fais. Je crois que je vais essayer, là encore, de faire ou une pirouette ou une réponse plus concise. J'aime profondément ce que je fais. Donc, c'est le plus important.


Diffusions de publicités.


Bien. De retour dans "Déjeuner de Gala" sur Nostalgie avec Mylène Farmer. Il y a quelque chose que vous aimez et que vous ne faites pas encore et que vous allez certainement faire parce que vous n'êtes pas être à vous laisser abattre, c'est le cinéma. Et, tout ce que vous entreprenez sur scène, sur disque, sur les clips, il y a, j'ai l'impression - arrêtez-moi si je me trompe - une approche cinématographique.
Oui.


Votre bonheur total serait aujourd'hui, ou dans quelques années d'avoir une pile de disques de diamant et puis une pile de bobines de films, quand même, non ?
Là encore, je ne suis pas sûre. Il y a quelques années, j'aurais... et je l'ai dit, que de ne pas faire de cinéma, j'en mourrais.


Je vous le confirme... Oublions tout ça ! Voyons devant...
Non, non. Je le révoque, parce qu'aujourd'hui je crois que je peux m'en passer tout à fait. Ça, c'est pour répondre à la notion de pile (rires) et de collection. J'aimerais refaire un film, avoir un rôle qui, bien sûr, m'intéresse. Maintenant, me projeter dans un avenir de cinéma, pas du tout. Honnêtement, pas du tout.


Mais, cette approche, et j'en finirai avec le cinéma...
Mais j'aime le cinéma donc voilà pourquoi j'aime l'image.


Voilà ! Ce qui explique peut-être votre petite différence, enfin, pas votre différence, ce que j'expliquais tout à l'heure, le phénomène musical parce que vous appréhendez les choses avec un autre regard, celui de la caméra, même si on parle d'une chanson.
Là encore, parce que mon goût probablement pour oui, le cinéma, pour l'image, pour l'évocation. Donc, là c'était une rencontre formidable... en tout cas, quand j'ai commencé ce métier, à savoir que le clip était un élément essentiel pour un artiste et ça a été quelque chose de magique pour moi ; déjà d'avoir travaillé avec Laurent Boutonnat, qui a fait quand même la plupart de mes clips et qui est quelqu'un de grand talent. Et, là encore, c'est l'idée de rencontre, que de pouvoir aller voir Abel Ferrara et lui demander de travailler avec lui, Marcus Nispel, autant de gens qui ont beaucoup de talent. Et là, c'est plus l'idée - on parlait de solitude tout au début- là c'est l'idée réellement de deux ou de trois, de ne pas être seule justement dans une création.


Vous citez Bergman, Polanski, Annaud - je lis, hein - Sergio Leone, dans le monde du cinéma. Est-ce que vous avez eu des rencontres fascinantes, au-delà des œuvres, avec ces gens ou avec d'autres ? Ou est-ce qu'il y a des gens que vous aimeriez rencontrer ? Vous aussi, certainement, vous êtes titillée par ces...
J'aurais adoré rencontrer Bergman mais il ne m'a pas attendue. (rires) Maintenant, là encore, est-ce que j'ai des vœux : non. J'aurais aimé rencontrer Cioran, mais il n'est plus. J'avais très, très envie de rencontrer Abel Ferrara et, c'est chose faite.


Vous avez percé un peu le mystère ?
De ce Monsieur ?


Ben oui !
C'est quelqu'un d'assez fascinant, aussi bien dans la destruction que dans l'énergie. Mais c'est quelqu'un de fascinant en tout cas.


Donc c'est intéressant, finalement, d'essayer de percer le mystère des gens et de les rencontrer ?
Oui. Bien sûr. Bien sûr. Mais, là encore, c'est quelqu'un qui se dévoile très, très peu.


C'est d'autant plus passionnant...
Il faut comprendre des choses, accepter d'autres, tolérer, parfois. (rire) Mais, c'est quelqu'un de très riche, oui.


"A force d'ignorer la tolérance, nous ne marcherons plus ensemble".
Oui. (rires)


Diffusion de Rêver.


Juste avant ce titre, on parlait justement de chansons, du disque. En parlant de chanson, c'était l'album L'autre... : "Agnus Dei, moi l'impie je suis saignée aux quatre veines". A défaut de mépriser la religion, le bouddhisme c'est quand même quelque chose que vous avez cerné avec le livre de Sogyal Rinpoché, auquel vous rendez hommage d'ailleurs sur la dédicace de l'album. Vous avez lu Le livre tibétain de la vie et de la mort. Cette philosophie consiste à vivre le moment présent. Concrètement, c'est quoi ne pas vivre les moments avant et après qui peuvent redonner le sourire comme ça ?
Ne pas vivre les moments avant ou après ?


Puisque la définition, je vais droit...
Oui, oui. C'est une façon de ne plus se mettre en réel danger. Mais ça, c'est une notion dans le fond que je n'aime pas parce que j'aime le danger, j'aime l'inconnu. Mais, en tout cas, d'un danger qui n'est pas réellement intéressant, à savoir, c'est vrai que le passé peut être un fardeau. L'avenir, l'idée de l'avenir, que de se projeter dans l'avenir et de se dire : "Qu'est-ce que je vais faire demain ?" est quelque chose de terriblement angoissant. Donc, quand on a à la fois la connaissance qui est celle des autres, puisque vous évoquiez ce livre, cette philosophie est un pansement. Maintenant, il y a des choses que l'on accepte et puis d'autres que l'on rejette. Et, c'est vrai que l'idée, la notion de vivre son présent est quelque chose de cicatrisant, dans le fond.


Malgré cette référence, je crois savoir que vous n'épousez pas pour autant la cause du bouddhisme, parce que, en gros c'est...
Non. C'est-à-dire que c'est toujours pareil. Puisque j'ai évoqué ce livre dans mon album, après c'est toujours difficile, parce que si les médias s'en emparent, on va vous dire : "Donc vous êtes bouddhiste". Et c'est vrai que moi j'ai quelques nuances, en ce sens que je ne le pratique pas tous les jours, je n'ai jamais rencontré le Dalaï-lama, je n'ai jamais réellement rencontré de bouddhistes mais je m'y suis intéressée et c'est quelque chose, une fois de plus, qui m'a fait beaucoup de bien, que je trouve très sensé et surtout très réparateur. Et ce n'est pas une religion, c'est plus une philosophie donc c'est quelque chose de plus tendre.


Je parlais de tolérance tout à l'heure. C'est une de vos valeurs essentielles.
Là encore, j'en ai besoin et c'est vrai que je le réclame chez l'autre. Là encore, c'est un apprentissage parce qu'on ne devient pas tolérant comme ça, du jour au lendemain. Il suffit de quelque chose qui vienne percuter votre esprit, quelque chose de violent par exemple et j'aurais presque envie de nier tout ce que je viens de dire donc, là encore, c'est un chemin qui est long. Mais c'est vrai que cette notion de tolérance est quelque chose d'indispensable pour l'être humain.


Et quand la tolérance confine presque au pardon, c'est un peu facile quand même, non ?
Pardon ?


Lorsque la tolérance confine au pardon, c'est un peu facile comme attitude : il faut quand même se révolter, se battre, non ?
Oui. Maintenant, l'idée du pardon, là, je pense...


Je ne parle pas du grand pardon. (rires)
Non, non... brutalement à un article que j'ai lu sur ces femmes et hommes qui ont perdu des êtres chers et qui sont allés voir les bourreaux de ces personnes perdues. Là, c'est une idée du pardon qu'on pourrait qualifier de presque insoutenable mais c'est quand même une grande idée. Donc, j'aime, j'aime cette idée du pardon.


Un que vous pardonnez, parce que je présume qu'il est toujours numéro un dans votre cœur, dans la littérature, c'est Edgar Allan Poe. Allan, la chanson, oui, c'était ça ?
Oui, bien sûr !


Bon, on ne sait jamais !
Non ! (rires)


Il y a le corbeau, avec l'emblème sur... C'est toujours le numéro un dans votre cœur ?
C'est quelqu'un que j'aimerai éternellement, ça oui ! Maintenant, j'ai des lectures un petit peu plus légères en ce moment, qui sont Mary Higgins Clark...


Très en vogue, oui.
...dont je suis en train de dévorer tous ses livres. C'est plus léger, mais c'est assez passionnant. C'est bien écrit, en tout cas. (rires)


C'est très en vogue, presque à la mode d'ailleurs.
Oui. C'est plus vulgaire. (rires)


Ça lave l'esprit ?
C'est une détente en tout cas, oui. (rires)


Diffusion de publicités et des infos.


Effectivement, retour sur Nostalgie dans ce "Déjeuner de gala" avec Mylène Farmer. On parlait de littérature, on parlait d'Edgar Allan Poe et puis de Mary Higgins Clark et de sa soi-disante légèreté. Parmi les lectures qui sont plus tendues,alors, j'avais noté Henry James et puis Julien Green - c'est drôle, on en parle alors qu'il veut être révoqué de l'Académie Française alors qu'il n'en a pas le droit, ce brave homme - avec ses angoisses métaphysiques. Est-ce qu'ailleurs c'est toujours mieux que là où on est ?
Je le pense de moins en moins. Est-ce que c'est le voyage qui vous donne ces...


Vous vous éloignez de notre ami Julien, là.
Oui. (rires) Là encore, c'est l'idée de projection ou d'anticipation, d'imaginer effectivement que l'autre va vivre mieux, que l'ailleurs est un meilleur. Dans la mesure où j'essaye de vivre des moments présents, ce seront mes moments à moi ; non pas que je n'envisage pas l'autre, mais je me dis que dans le fond j'ai de la chance de vivre ce que je vis, même si parfois c'est difficile donc, de ne pas chercher justement cet ailleurs hypothétique.


Alors, j'évoquais Julien Green, philosophe mais aussi photographe avec des autoportraits, des photos de famille (Michel Cottet se trompe et prononce "des autos de famille" avant de se reprendre ce qui fait rire Mylène). Le pauvre, il est né au début du siècle, des autos il devait pas tellement en voir.
Changez la question ! (rires)


Non, non  je la conserve ! Julien Green, j'aimais beaucoup sa définition d'un cliché parfait. Je lis les trois points : savoir voir, être rapide et être patient pour réussir donc, une photo. Est-ce que ce ne sont pas un procédé qu'on pourrait appliquer à une chanson, finalement, pour sa réussite ?
 Savoir voir, être rapide et être patient... Oui ! Oui, ça peut être... (Mylène est très hésitante)



Non... c'est pas grave, c'est pour mes enchaînements comme ça on arrive...
Oui, oui, j'entends bien ! (rires)


... on arrive sur la peinture, n'est-ce pas, vous voyez...
Parce que vous, tout est écrit ! Moi, rien ! (rires)


Je suis obligé de prendre des notes, sinon j'aurais été... (rire de Mylène) Donc, je voulais faire un parallèle entre la photo, la chanson et la peinture, qui est quand même un art aussi qui, si je ne m'abuse, vous titille...
J'adore la peinture. Je la connais depuis peu, dans le fond. J'ai rencontré certaines personnes qui font partie de ce métier, donc de la peinture, qui m'ont, d'une certaine façon éduquée.


Lesquelles ? Enfin, si toutefois ça...
Pierre Nahon, que je connais peu mais... Albert Koski  est quelqu'un qui m'a aidée et puis, ma foi, après ce sont des expositions, ce sont des livres. J'adore acheter des livres de peinture, j'adore acheter quand je le puis quelques peintures.


Des livres pour essayer de reproduire ou simplement pour la beauté de...
Pour une évasion, là encore. C'est aussi intéressant de feuilleter un livre de peinture qu'un roman. J'aime beaucoup Egon Schiele, j'aime Max Ernst, j'aime Klimt...


Je suis largué en peinture. Alors là, je dis rien, je fais celui qui connaît, mais alors là, non...
Non, non mais... Henri Michaux, l'écrivain, qui était également un peintre. Et puis, beaucoup d'autres.


Vous aimez la peinture, c'est pas pour autant que vous aimez vous emmêler les pinceaux, ha-ha-ha...
(rires) Je dois répondre ? (rires)


Non ! J'en aurai presque fini avec mes références littéraires, enfin celles d'une époque qui n'est pas forcément celle que vous vivez actuellement ; il y avait notre ami Kafka. J'avais lu un bel article sur Prague, vous dévoiliez la ville de Prague avec beaucoup de bonheur (article paru dans le magazine "Femme" en juin 1996 - à lire dans la rubrique Presse 1996, ndlr). C'est parce qu'elle vous rappelle Montréal, de par son climat, de par...
Très honnêtement, je ne me souviens pas de Montréal, si ce n'est que j'ai le goût de la neige donc,  probablement lié à cette époque. Je n'y suis retourné qu'une fois et extrêmement brièvement et c'était quelque chose que je qualifierais de pas très agréable. Donc, je ne me souviens pas de Montréal, en somme.


Je ne sais pas si vous vous souvenez de cet article sur Prague que vous avez formidablement bien rédigé...
Non, je ne m'en souviens pas. (sic)


C'est un art que vous aimez aussi. Il était axé sur les monuments historiques, sur les gens de la littérature etc. Ça vous passionne, ça, l'Histoire des villes, l'histoire des...
Oui. Je suppose que c'est à peu près normal quand on découvre une ville que de savoir ce qui s'y est passé, quels étaient les écrivains, qui a hanté qui (rire) ou qui a hanté quoi. Oui, là c'est encore un intérêt pour l'autre.


Il y a Kafka. Il y a notre ami le marquis. Ça, vous aimez bien, aussi ?
Le marquis, oui.


Le marquis de Sade.
Le divin marquis ! (rires)


Il va bien ?
Je l'ai délaissé, lui, un petit peu. (rires) Il trépigne !


Justine va être en colère.


Diffusion de Comme j'ai mal.


Comme j'ai mal. C'est bien entendu Mylène Farmer, extrait de l'album Anamorphosée. Mylène, notre invitée aujourd'hui sur Nostalgie dans ce "Déjeuner de gala", invitée avec des chansons, avec des livres. Parmi toutes ces lectures, qui une nouvelle fois, ça a pu changer ou évoluer, ceci dit, celles qu'on a évoqué et que vous revendiquez, c'est quand même un monde fantastique et morbide. Est-ce que le suicide peut flirter, être limitrophe de cet univers que représentent les Julien Green, les Cioran etc. ?
Est-ce que je...


Le suicide, la notion de suicide peut être limitrophe de cet univers pessimiste...
Là encore, est-ce que ce sont des thèmes de prédilection ? Je m'y sens bien...


Pour l'époque où vous vous sentiez bien. Je ne veux pas vous...
Non, non. Je m'y sens toujours très bien.


Est-ce que cette notion de suicide, qui est quand même une limite à franchir ou ne pas franchir après tout, est-ce qu'elle était présente dans vos lectures ? Le Mythe de Sisyphe de Camus, est-ce que vous l'avez lu par exemple ?
Non, non, non. Est-ce que vous faites allusion à moi, est-ce c'est quelque chose qui m'a hantée ou est-ce que c'est quelque chose...


Oh non ! Je n'irais pas jusque là. Non, non. D'une façon générale, quand on est "imbibé", non pas d'alcool - bien que vous appréciez le Bordeaux et je vous en félicite - mais imbibé de ce genre de lectures, aussi divers soient-ils...
Oui. Ce sont des chemins dangereux. Effectivement, si on s'imbibe et fait une indigestion d'auteurs comme ça, de lectures, ça devient sa vie de tous les jours, ses pensées de tous les jours donc on finit par... A la fois c'est passionnant et pourquoi c'est passionnant ? Parce qu'on ressent ces mêmes choses. Donc, fatalement, se crée un lien entre l'auteur et le lecteur. Maintenant, ça peut être dangereux si on ne s'abreuve que de...


C'est pour ça qu'il y a Mary Higgins Clark...
... Oui, peut-être. Parce qu'il y a toujours ces ingrédients mais il y a toujours une notion d'espoir, j'imagine. Oui, il faut avoir le recul nécessaire pour ne pas effectivement essayer d'illustrer ce que l'on lit, en tout cas de l'appliquer à sa vie, voilà.


Vous êtes en train de nous avouer quand même, professionnellement, à travers vos lectures, vous avez une formidable conscience des limites, un recul, une sérénité par rapport à vous-même...
Oui, je le pense. Parfois, je n'aime pas ça, je n'aime pas cette maîtrise.


Ça vous empêche une folie, ça empêche une folie d'être trop maître de soi, d'être trop lucide finalement ?
D'une certaine manière, oui. Et une trop grande lucidité mène à un cynisme parfois. Et ça, je m'en défends aussi parce qu'être cynique, je crois, ce n'est pas très intéressant pour sa vie ni pour les autres. Mais, là encore, c'est moi qui suis responsable de ça.


Diffusion de publicités.


Retour sur Nostalgie dans ce "Déjeuner de gala" avec Mylène Farmer. Un petit clin d'œil à votre nom : 'Farmer', c'était un personnage d'un film que Jessica Lange a tourné etc. Enfin, bref... Aujourd'hui, si vous deviez choisir un autre nom en référence, ça serait Greta ?
Non ! (rires)


Non ? Ça changerait pas ?
E.T., ça me conviendrait parfaitement. (rires)


Greta, ça m'arrange, c'était sur Cendres de lune...
J'ai bien compris, oui ! (rires)


Léo Ferré, j'y reviens - oui, chacun les siens - c'était la mélancolie, "la mélancolie, c'est revoir Garbo" dans La reine Christine. Pour vous, c'est quoi, la mélancolie ?
Qu'est-ce que pour moi la mélancolie ?


Vous avez autant de temps que vous voulez pour répondre...
Oui, mais plus je vais mettre du temps et plus la réponse sera décevante...


Non, peut-être que vous n'êtes pas mélancolique. Donc, c'est un sentiment qui n'évoque rien de spontané, justement.
Je la trouve très souvent dans la musique. Ecouter une musique évoque chez moi une mélancolie. Mais là, précisément, non, je n'ai pas de réponse...


Ecouter les Doors, les Eagles, Gainsbourg, Dutronc, ça c'est de la mélancolie, c'était votre...
Oui.


Vous êtes allée voir, par exemple, Dutronc au Casino y a quatre ans ?
Non.


Barbara, aussi, qui a bercé votre... Non ?
Non. Le dernier spectacle que j'ai vu, c'était Alanis Morissette.


Barbara, qui vient de sortir un album. "Il me revient, il me revient en mémoire, il me revient une histoire, il me revient des images". Ça, c'est pas votre cas, ça, hein ?
Qu'il me revienne des images ? J'essaye le moins possible. (rires)


L'adolescence ne revient jamais ? Vous n'aimez pas l'adolescence d'une façon générale. Est-ce que c'est parce que vous n'appréciez pas le manque de personnalité chez l'autre ? Est-ce qu'on peut faire le lien ?
Je n'aime pas l'adolescence... Là encore, je n'ai évoqué que la mienne. C'est un passage que je n'ai pas aimé du tout, du tout.


Peut-être dans le regard des autres adolescents que vous croisiez à l'époque ?
Ça, de toute façon. Mais avant tout, on ne s'aime pas soi-même et là, pour ça, je crois que je n'avais même pas besoin du regard de l'autre.


Ça vous plaît aujourd'hui d'être presque adulte ?
Je crois que je ne le serai jamais !


J'ai dit : "presque"...
(rires) Oui, je me préfère aujourd'hui qu'il y a cinq ans, six ans, dix ans, vingt ans. La trentaine est quelque chose, oui, de plus doux pour moi en tout cas.


Ça correspond à ce que vous imaginiez lorsque vous étiez adolescente ?
Non. Là encore, je me suis toujours envisagée... c'est plus une détresse qui venait à moi, donc de s'envisager plus grand dans le temps est quelque chose qui n'était pas là encore très doux. Mantenant, j'ai toujours entendu : "Vous verrez, l'âge de trente ans ou la trentaine pour une femme est bien plus magique que cette période qu'est l'adolescence" et, j'avoue que je puis dire oui, en tout cas me concernant.


Là, c'est à demi magique. Vous êtes au milieu de cette décennie exceptionnelle.


Diffusion de Vertige.


Vertige, toujours extrait de votre album, Mylène Farmer, Anamorphosée. Je vous parle, puisque vous êtes notre invitée aujourd'hui sur Nostalgie dans ce "Déjeuner de gala". On parlait juste avant de votre adolescence. Vous ne répondrez pas si je vais un peu trop loin. Vous dites aussi avoir été en manque d'affectif. Est-ce qu'avec le recul vous avez l'impression d'être passée à côté d'une bonne thérapie pour soigner cette blessure ?
Là encore, puisque c'est une inconnue pour moi, je ne peux pas répondre, en ce sens que je n'ai pas fait cette démarche. Non, non... nous sommes tous d'abord des êtres très sensibles mais il y a une hypersensibilité que vous ayez dans le fond ou non cet amour, vous ne le percevez pas ou en tout cas pas peut-être à sa juste valeur, ou peut-être que vous en demandez une surproduction donc, en ce sens, vous allez souffrir. Donc, je dois faire partie, si je peux me caractériser, de cette catégorie d'êtres hypersensibles donc, difficiles.


Et tournoie... : "Ton pire ennemi, tu peux l'expulser de toi".
Là, ça fait partie, oui, de cette...


Il rôde encore ?
Bien sûr. C'est pour ça. Là encore, je pensais à ça et à l'évocation du bouddhisme et toutes ces choses qui sont très belles et très reposantes mais, malgré tout, on se lève le matin et on peut toujours avoir cette notion du mal qu'on a en soi, cette capacité à faire le mal et cette négation de soi et toutes ces choses qui font que ça perturbe votre esprit. Et, c'est là où c'est difficile, parce que c'est là où vous décidez, vous êtes réellement maître ou de votre vie ou de votre journée et décidez que non, ça va aller mieux parce que ça vaut le coup.


Ce méchant, il s'appellerait Alice, l'araignée malicieuse ?
Oui, tout à fait. (rires)


Alors, ça m'amène à la scène. Entre le spectacle de 1989 et celui-ci, qu'est-ce que vous vouliez absolument ne pas reproduire ?
Trop de tristesse.


Voilà. On sait toujours ce qu'il faut pas faire. On sait pas forcément ce qu'il faut faire. Mais voilà, c'est ça...
Oui, j'avais envie de... Mais là encore, ça a commencé par l'écriture de l'album. Donc, fatalement, la scène est différente puisque j'ai suggéré, moi, des choses avant, en tout cas, mes changements intimes.


Ceci dit, si je peux me permettre, le spectacle comporte la quasi-totalité des nouvelles chansons mais, dans sa globalité, ça ne représente que 40% et pourtant le spectacle a une tenue, c'est la même. Il est quand même...
J'ai eu envie d'abord d'évoquer le blanc, avec tout ce que ça peut évoquer pour l'autre. Essayer de donner de la joie. Maintenant de la réflexion, bien évidemment, mais l'idée du show en soi. L'idée du show qui est quelque chose de à la fois factice, rapide mais quelque chose de fondé.


Diffusion de publicités.


Voilà. C'est toujours votre "Déjeuner de gala" sur Nostalgie. On est pratiquement en tournée. On parlait de votre disque. C'est la scène actuelle. Ce soir vous serez à Nîmes. Cet écran géant, c'est votre idée ? C'est pour avoir un spectacle à deux vitesses ? Ce fameux show que vous venez de décrire et puis, également, qu'on puisse vraiment lire dans vos yeux ?
D'une certaine manière, oui. Là encore, c'est peut-être extrêmement narcissique mais c'est... pensons aux personnes qui sont tout au fond et qui ne voient que des petites choses sur scène qui bougent donc... j'allais dire je me devais, non je ne me devais pas de le faire mais, moi étant spectateur, c'est vrai que j'ai une frustration si je ne vois pas les yeux de la personne. Donc, voilà pourquoi cette idée de l'écran géant et parce qu'il y a eu...


Surtout quand ils sont jolis...
(rire) Et puis, l'envie aussi de projeter des choses sur cet écran, parce que bien évidemment il n'y a pas que moi. Evoquer l'abstraction et, là encore, c'était une...


Et vos sourires, on dirait - c'est peut-être fait exprès - mais il y a des expressions très agréables qui nous propulsent vers le blanc, couleur de...
Là, c'est peut-être la différence alors là par exemple entre la première scène et la deuxième. Sur la première, je n'aurais jamais pu avoir une caméra qui reproduise justement mon visage en gros plan. Ça, c'est quelque chose qui m'aurait mortifiée parce que peut-être que je n'étais pas prête pour ça alors que là, c'est quelque chose que je... c'est sans doute, ça, le vrai changement : c'est de devancer ça et de dire : "Voilà, maintenant je vais vous donner aussi mes clignements d'œil, mes larmes, mes joies, mes sourires, mauvais ou bons profils, peu importe, je me livre." (rires)


"Dieu vomit les tièdes", ça c'est vous qui l'avez...
C'est dans la Bible ! (rires)


Oui, oui. Je vous cite. Je l'ai noté et je voulais rebondir là-dessus. Vous êtes dure dans le travail ? Vous avez l'œil à tout ? Vous maîtrisez tout ?
Maîtriser, je ne sais pas, mais en tout cas je fais en sorte, oui, que de maîtriser le maximum. Dure, probablement. Pénible, à mes heures sans doute. Mais, maintenant, je respecte l'autre, donc je pense que...


Les réactions, lorsqu'il y a un point qui vous agace, elles sont spontanées ou réfléchies pour apporter la solution ou pour essayer d'imposer votre vision des choses ?
Elles sont... Là encore, c'est pas aussi simple que ça. Je m'enflamme très, très vite. Donc, parfois, je... Même si dans le fond, la réponse a été donnée tout de suite, parfois elle est un petit peu trop... je ne trouve plus le mot... démesurée, mais, en tout cas, elle est instinctive.


Diffusion de Laisse le vent emporter tout.


Laisse le vent emporter tout. C'est Mylène Farmer, extrait de votre album Anamorphosée. Continuons ce "Déjeuner de gala" sur Nostalgie. On faisait référence tout à l'heure sur l'album aux guitares de Jeff Dahlgren. Est-ce qu'il y a eu d'autres ingrédients comme ça sur l'album et sur la scène que vous vouliez absolument avoir à vos côtés pour perdurer ce nouvel élan ?
Sur la scène, oui. Avoir des musiciens qui ont envie de jouer.


Pourquoi... ça existe...
Oui. Parce que dans ce métier, ça peut devenir une routine très facilement. Donc, on vient en studio, on fait une séance et on s'en va... Qu'il y ait une énergie centrale sur scène, qui sera la mienne puisque je vais être le point central et, à la fois des danseurs et des musiciens. Si i'il n'y a pas une osmose parfaite, en tout cas un réel désir commun, je crois que c'est quelque chose qui est à moitié gagné. Donc, outre les capacités et les talents de musicien, il y a aussi ce vrai désir que de se dire qu'à chaque fois un spectacle est quelque chose d'exceptionnel et qu'il faut tout donner.


Cette osmose, on la ressent tout de suite ? Non. Bien entendu, il faut du temps.
Je crois que là encore, c'est plus l'idée de l'instinct qui vient quand on fait le choix des musiciens et puis après, je crois que c'est, malgré tout à la fois et un travail et un partage. C'est-à-dire, c'est vrai qu'il y a beaucoup de moments, par exemple pendant les répétitions, que ce soit avec des danseurs ou avec des musiciens, il y a beaucoup de moments, après la scène, avant le spectacle, et tous ces moments-là sont... à la cantine... Ça peut paraître ridicule, mais ce sont des moments qui sont importants à chaque fois parce qu'il y a une vraie ou communication, ou communion et que c'est là que se construit réellement ce que les gens vont ressentir sur scène.


A la cantine, comment on se détend ? On parle de blagues ou on continue à peaufiner les détails ou se dire : "Ca, c'était pas bien ; ça, c'était bien" ?
Il y a toujours ces choses-là qui surviennent. Mais en général, pour un tel spectacle, parce que c'est quelque chose qui est obligé d'être extrêmement calibré. Après, vient le temps de...


Ça doit être parfait avant qu'on l'ait commencé ?
Parfait... là encore, je me méfie un petit peu de ces mots en parlant de moi et de ce spectacle, mais en tout cas les choses techniques, par exemple, doivent être extrêmement étudiées sinon, on va à une catastrophe.


Vous vous aimez, parfois ?
(hésite, soupire puis rit) Sans doute, oui. Sans doute.


Vous aimeriez être l'amie de Mylène Farmer ?
Je... Euh... Posez-moi une autre question ! (rires)


"De ce paradoxe je ne suis complice - Souffrez qu'une autre en moi se glisse".  Eh, Eh ! Est-ce que l'illogisme serait donc la seule logique possible ? Oh ! C'est compliqué !
Je vais avoir mal à la tête bientôt ! (rires)


On a bientôt fini, ... docteur ! C'est vous qui... c'est en lisant vos chansons, en les écoutant ça inspire ce genre de... Mon imaginaire a fonctionné, vous voyez. Donc, forcément, c'est vrai que vous avez peut-être des difficultés à y répondre puisque... "Mais qui est l'autre" ?


Diffusion de Et tournoie...


Et tournoie... C'est Mylène Farmer, bien entendu, notre invitée aujourd'hui dans ce "Déjeuner de gala". Je reviens sur la scène. C'est Paco Rabanne qui vous habille. Vous voyez, j'ai tout noté parce que je peux pas tout me souvenir, moi... En 1989, c'était Thierry Mugler, qui avait fait aussi le clip de XXL...
Oui...


Il y a eu Gaultier sur le clip de Je t'aime mélancolie, Alaïa Azzedine sur le clip de Que mon cœur lâche... Non ? C'est pas ça ?
Oui !


Bref... C'est une vraie collection ! C'est drôle, ça... (ironique)
Oui. J'aime bien les couturiers.


Vous jouez sur scène avec ces tenues ? C'est une façon de vous...
Oui. Là encore, j'ai travaillé assez longtemps avec l'équipe de Paco Rabanne.


C'est une volonté de changer, comme ça, d'aller de l'un à l'autre qui ont quand même des styles très différents ? C'est pour...
Oui. Encore que sur la première scène, à part deux ou trois tenues, Thierry Mugler n'était pas si en avant que ça. C'est-à-dire qu'il a accepté de prêter son talent mais de respecter aussi mon univers. Je fais allusion à Tristana, par exemple, qui était des manteaux russes avec des écharpes, des gants : c'est pas très Thierry Mugler ! Maintenant, pour Paco Rabanne, l'idée c'était que ce soit près du corps, que ce soit ce qu'on appelle sexy ! (rires)


Et talons hauts, cette fois-ci !
Et talons qui sont très, très hauts. (rires) Et Paco Rabanne, là encore, ça fait partie des rencontres et des choses qui deviennent presque une évidence une fois que c'est choisi. C'est quelqu'un qui aime le blanc, c'est quelqu'un qui aime l'énergie, qui aime autant de choses qui avaient un rapport avec ce show.


Alors, dans le monde de la mode, dans le monde de la chanson, il y a forcément moult personnes qui essaient de vous approcher, non ? Des projets, vous devez en avoir...
Non. Pas tant que ça.


Pourquoi ? Vous faites peur ?
Je ne sais pas. Mais non, il y a pas tant de...


Restons sur le domaine de la mode. Il y a pas beaucoup de personnes au monde qui réclament autant de tenues pour une scène et surtout des tenues qui sont mises en valeur, qui servent à quelque chose, non pas simplement à dire : "Vous avez vu ? J'ai une belle tenue !". Donc forcément, ça doit attiser les esprits fertiles.
Mais non ! Alors, est-ce que c'est propre à ce pays ? J'en sais rien. Mais c'est plus à soi à chaque fois de faire des démarches et d'avoir des désirs et d'aller vers l'autre plus que créer de réelles envies chez l'autre. Non...


J'avais juste noté : il y avait Baudelaire aussi, j'ai oublié, avec L'Horloge, que vous aviez... sur l'album Ainsi soit je... : "Trois mille six cents fois par heure, la seconde chuchote : souviens-toi'. Ça, ça doit vous énerver, ça ! C'est pas vous, ça !
(rires) C'est plus moi. Ou j'essaye de ne plus l'être. (rires)


J'avais noté également, pour essayer d'en finir avec cet album, Anamorphosée, sur Mylène s'en fout, cette pureté à travers le jade, ce minéral chinois. La pureté, ça pourrait être aussi un mot pour vous définir ?
Oh ! Là encore, c'est un exercice que je ne ferai pas, tenter de me définir. Donc, je vous laisse ces mots-là, mais le jade, l'évocation du jade qui évoque effectivement la pureté, l'idée aussi d'un matériau brut, d'un matériau qui n'est pas précieux mais qui devient avec le temps quelque chose de précieux... mais là, je ne m'évoquais pas moi, précisément.


Alors, j'espère que 'c'est sexy' Nostalgie... En tout les cas, c'est vrai qu'essayer de découvrir quelqu'un, de percer un mystère, ça peut amener un grand risque : la déception. Je peux vous dire que vous êtes l'exception qui confirme la règle !
C'est gentil ! Mais, je pensais exactement à ça, à savoir est-ce que je n'ai pas déjà trop parlé ? (rires)


Et, je voulais finir en vous paraphrasant : laissons le vent emporter tout, laissons Mylène prendre soin de tout. Voilà !
(rires) C'est gentil à vous en tout cas ! Merci !


Merci.


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