Jean-François
Rabilloud : Mylène revient ! Vous connaissez
peut-être son dernier clip, mais c'est le nouvel album de
Mylène Farmer qui sort cette semaine. (l'album est sorti la
veille, le 17 octobre, ndlr) Ça s'appelle Anamorphosée.
Bonjour Mylène Farmer !
Mylène Farmer : Bonjour !
Jean-François
Rabilloud : Dans le dictionnaire, l'anamorphose, c'est l'image
d'un objet déformée par un dispositif optique :
une déformation. Pourquoi vous avez choisi ce titre ?
Mylène Farmer : J'ai choisi
"Anamorphosée" parce que j'ai pensé à
ma perception du monde qui s'est élargie. Et,
l'idée de l'anamorphose c'était pour moi, le
moyen de rassembler toutes ces impressions, ces sentiments, pour n'en
faire qu'un et pur.
Jean-François
Rabilloud : Oui ! Ça ne veut pas dire que c'est un
monde déformé que vous voyez ?
Mylène Farmer : Absolument pas ! Non, non
!
Jean-François
Rabilloud : Alors, il y a une douzaine de chansons... douze
chansons... dont la musique est signée Laurent Boutonnat et
les paroles Mylène Farmer (en fait, sur l'album, la musique
de la chanson Tomber 7
fois a été composée par
Mylène, ndlr). Ça a été
écrit aux Etats-Unis ?
Mylène Farmer : Oui, à Los Angeles !
Jean-François
Rabilloud : Oui... Est-ce que l'air du temps, si ce n'est
l'actualité, vous ont inspirée dans cet album ?
Mylène Farmer : Fatalement. Je parle de moi, mais
je parle de l'autre. Oui, le monde m'intéresse !
Jean-François
Rabilloud : Oui... Vous n'êtes en France que depuis
un mois après, donc, ce séjour
prolongé aux Etats-Unis. Comment est-ce que vous avez
retrouvé la France ? Dans quel climat, sur fond d'attentats,
puisque vous êtes arrivée, donc, il y a un
mois, c'est ça ? (deux attentats ont
touché Paris durant l'été 1995, ndlr)
Mylène Farmer : Oui ! Climat extrêmement
difficile, extrêmement lourd.
Jean-François
Rabilloud : Oui...
Mylène Farmer : Paris est plombé. Et, ma
foi, c'est difficile... difficile de trouver un sourire.
Jean-François
Rabilloud : Mais vous sentez ça en marchant dans la
rue ? C'est quelque chose de pesant ?
Mylène Farmer : Je crois que le ciel est bas. Bas
et lourd ! (Petit rire) Et puis, ma foi, l'actualité. Et
puis, je crois, c'est presque vibratoire...
Jean-François
Rabilloud : Vous trouvez que ça se sent ?
Mylène Farmer : Oh oui ! Oui, bien sûr !
Jean-François
Rabilloud : Et quand on marche dans les rues de Los Angeles,
on sent quoi, par rapport à Paris ?
Mylène Farmer : C'est plus spacieux, je dirais !
Peut-être que c'est plus hypocrite dans le fond...
Jean-François
Rabilloud : Vous ne trouvez pas que les français
réagissent bien, finalement ? Que les gens ne se comportent
pas mal ? Que ça soit les parisiens ou les autres ?
Mylène Farmer : Qu'est-ce que vous entendez par "se
comporter mal ou bien" ?
Jean-François
Rabilloud : Ils gardent leur calme, par exemple !
Mylène Farmer : Ça, je ne sais pas... je
ne sais pas bien. Je ne vais pas dans le métro. Moi, je suis
quelqu'un, dans le fond, de très
protégé. Ils le vivent probablement
très, très mal. Est-ce qu'ils sont calmes ? Je ne
le pense pas.
Jean-François
Rabilloud : Vous dites qu'on sent ce mal de vivre à
Paris. Vous allez repartir, vous, aux Etats-Unis, ou vous resterez en
France ?
Mylène Farmer : J'ai envie de bouger, j'ai envie du
voyage. Maintenant, repartir aux Etats-Unis, je ne sais pas. Mais c'est
vrai que ça donne, en tout cas, oui, l'envie que de partir,
c'est vrai.
Jean-François
Rabilloud : Alors aux Etats-Unis, il y a toujours plein
d'actualités. La solidarité, par exemple,
retrouvée entre Noirs américains après
le succès d'une grande marche de ces Noirs
américains sur Washington. Est-ce que vous pensez, par
exemple, avec votre expérience américaine, que
les deux communautés, noire et blanche, finiront par
vraiment vivre ensemble un jour ?
Mylène Farmer : Ça, je ne sais pas. Ce
n'est pas à moi de me prononcer. C'est le souhait de tout un
chacun. Maintenant, c'est vrai que ça paraît...
ça paraît presque utopique.
Jean-François
Rabilloud : On a fait des progrès quand
même !
Mylène Farmer : On a fait des progrès.
Mais c'est vrai que la violence est... j'oserais dire,
inhérente à ce pays. C'est vrai qu'il y a ce
conflit qui est... qui est là. Une fois de plus, on le voit
quand on se promène dans Los Angeles. Je ne suis pas
sûre de l'avoir, moi, rencontré. Maintenant c'est
vrai qu'il y a des quartiers qui sont... qui sont plus
difficiles, et que c'est quelque chose qui est omniprésent,
oui !
Jean-François
Rabilloud : Vous me disiez que vous êtes
arrivée aux Etats-Unis au moment où
commençait le procès Simpson. Vous l'avez suivi
là-bas ? C'était impossible de ne pas le suivre !
(le procès d'O.J. Simpson accusé
d'avoir assassiné son ex-femme et l'amant de celle-ci, ndlr)
Mylène Farmer : Presque malgré moi,
j'oserais dire ! (Rires) C'est vrai que c'est assez passionnant et
assez dérangeant. C'est du voyeurisme, mais c'est aussi de
l'information. Nous ne sommes pas éduqués et
habitués à pénétrer...
Jean-François
Rabilloud : (qui la coupe) Donc vous ne tranchez pas ? Vous
dites que c'est trop... Trop de reportages à la
télé ? Trop de direct sur ce procès,
par exemple ? Ou est-ce que c'est bien ?
Mylène Farmer : Non, je pense que c'est trop ! Que
c'est trop. C'est allé trop loin et... Mais c'est tout de
même passionnant !
Jean-François
Rabilloud : Oui... Vous avez une idée, comme on en
a tous une, sur sa présumée
culpabilité ? Il est coupable, il n'est pas coupable ?
Mylène Farmer : Ah non ! Je ne me
permettrais pas de dire quoi que ce soit sur ce sujet parce que c'est...
Jean-François
Rabilloud : Et pourtant, toute l'Amérique a un avis
là-dessus ! Pour ou contre...
Mylène Farmer : Tant pis pour l'Amérique
!
Jean-François
Rabilloud : Vous êtes rentrée en France
il y a quelque temps. Les collections, par exemple, c'est aussi
l'actualité à Paris. Vous allez beaucoup aux
défilés ?
Mylène Farmer : Non ! Très,
très peu, mais j'avais très envie d'aller voir le
défilé de Jean-Paul Gaultier. (Mylène
a assisté au défilé
prêt-à-porter printemps /
été
de Jean-Paul Gaultier la veille de la diffusion de cette interview, le
17 octobre 1995, ndlr) J'aime beaucoup ce créateur.
Jean-François
Rabilloud : Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il a de plus que les
autres
?
Mylène Farmer : De plus ? Peut-être la
fantaisie. Mais il a surtout un grand talent, une grande
maîtrise de son métier. Une folie,
peut-être, en plus, oui...
Jean-François
Rabilloud : Le coup de coeur de Mylène Farmer ces
jours-ci, qu'est-ce que c'est ?
Mylène Farmer : Depuis un petit moment, c'est un
livre je crois que beaucoup, beaucoup de personnes ont
découvert, qui est L'alchimiste
et...
Jean-François
Rabilloud : Oui ! Qui est un gros, gros succès de
ces dernières semaines !
Mylène Farmer : Oui... Et qui est un livre qu'on a
plaisir à conseiller, et c'est une très,
très jolie histoire !
Jean-François
Rabilloud : Oui ! Alors on va se quitter sur un hymne
à l'amour, quoi ! XXL, c'est l'une
des chansons de cet album. (Mylène acquiesce) En
résumé, c'est : "On a tous besoin d'amour", c'est
ça ?
Mylène Farmer : Oui, c'est ça ! (Rires)
Merci !