Mylène
Farmer : C'était
un tournage difficile, avec des émotions difficiles
à donner mais… mais maintenant, avec le recul,
c'est quelque chose que j'ai aimé profondément,
même si
violence, même si les difficultés de
tournage…
Jean-Luc Hees : Le
metteur en scène est un de vos amis,
enfin c'est quelqu'un qui est très proche de vous…
Mylène Farmer : Oui…
Jean-Luc Hees :
… donc ça devrait faciliter le
travail, non ?
Mylène Farmer : En ce sens que je connais sa
caméra, que je connais sa direction d'acteurs, que j'ai une
grande, grande confiance, et que je savais qu'il était
là pour me demander le meilleur. Et
après, lui, c'est sa magie de création, de
montage, et de toutes ces choses qui font
que c'est certainement, et c'était, une facilité
pour moi
et à la fois une difficulté, parce que c'est
difficile que de travailler avec des gens que l'on connaît
très, très bien et qu'on n'a
pas envie de décevoir. Et c'était une telle,
telle entreprise ! Ce n'est pas un très joli mot pour
ça (elle sourit), mais c'était quelque chose de
lourd à porter pour
lui, donc c'était un climat assez tendu, assez violent.
Jean-Luc Hees : On
a peut-être peur aussi… enfin,
je ne sais pas, moi, je ne suis pas actrice… mais quand
c'est la
première fois qu'on tourne un film, on n'a
peut-être pas envie de montrer tout de soi ? Ou on se sent un
peu tout nu ?
Mylène Farmer : (qui parle alors que Jean-Luc Hees n'a pas
terminé sa phrase) Je crois que je me suis pas
posée ce genre de
problème. J'ai essayé d'être le plus
juste (sic) possible par rapport au
rôle de Catherine, le rôle qui m'a
été donné. Avec
toujours ces choses, cette pudeur, qu'on peut avoir en soi et
cette volonté que de se mettre sous la
lumière. Et c'est toujours un dilemme et un paradoxe qui est
difficile
à gérer.
Jean-Luc Hees :
Qu'est-ce qui vous a semblé difficile encore
? Parce que je sais que les conditions du tournage étaient
difficiles.
C'était en Tchécoslovaquie, il faisait
froid…
Mylène Farmer : Oui…
Jean-Luc Hees :
… mais qu'est-ce qui vous a
semblé encore difficile ? J'ai l'impression qu'on est un
petit peu seule, aussi, quand on est comédienne ?
Mylène Farmer : (qui parle alors que Jean-Lus Hees n'a pas
terminé sa phrase) Je crois qu'on est toujours seule !
(Rires) Toujours seule !
Mais… Je crois à la fois quelque chose de
magnifique, qui est le
travail d'équipe, et… à la fois qui
est,
là aussi, quelque chose de difficile, parce qu'on est
confronté à des personnes qu'on ne
connaît pas, et on est obligé de vivre en
autarcie. Et ça, ce sont des
choses qui sont un peu difficiles pour moi, puisque je m'en suis
beaucoup
protégée.
Jean-Luc Hees :
Vous recommencerez, quand même ?
Ça vous a plu !
Mylène Farmer : Oui !
Jean-Luc Hees :
Vincent Josse ?
Vincent Josse :
Moi, je voudrais dire que c'est un film, justement, qui m'a plu. C'est
un film intéressant parce que je le trouve un
petit peu atypique. Il ne ressemble pas aux films que font
traditionnellement les jeunes auteurs, notamment pour un premie film.
Aujourd'hui, les jeunes cinéastes nous font surtout du
cinéma intimiste, et c'est d'ailleurs
intéressant. Mais certains, même, on leur reproche
de parler de leur nombril. Et
visiblement, Laurent Boutonnat n'a pas eu envie de parler de son ego ou
de son moi, mais il a eu envie de nous raconter une belle histoire,
comme quand on était petit, vous vous souvenez ? On se
mettait dans notre lit, et on écoutait nos parents
ouvrir un livre et nous raconter une histoire. Alors ça
commence comme ça… On pourrait dire
que… il
était une fois un jeune médecin qui rentre de la
guerre, qui a une trentaine
d'années et qui recherche des enfants. Il s'est
occupé de ces enfants avant la guerre, et il ne trouve plus
trace de ces enfants. Son enquête le mène dans un
village
très, très mystérieux, un village qui
est peuplé d'êtres pas vraiment
ordinaires, comme votre personnage, Catherine, qui est cette jeune
femme
accusée par les villageoises d'avoir tué ces
enfants. Et il va
chercher la vérité. Alors c'est un conte, un
conte pour
enfants, pour adultes aussi, parce qu'il y a une violence certaine, une
cruauté certaine. Et il y a tous les ingrédients
d'un conte, tout ce qui fait la saveur d'un conte. Il y a cette
atmosphère
très inquiétante, cette atmosphère de
suspens, de
suspicion. Il y a des femmes qui ressemblent à des
sorcières, il y
a des spectres. On se croirait quelques fois dans un tableau de
Goya… Je
voudrais savoir comment…
Mylène Farmer : (qui le coupe) Sans le soleil ! (Rires)
Vincent Josse : Oui
! (Rires) Je voudrais
savoir… Il est
né de quelle envie, ce scénario. Est-ce que
Laurent Boutonnat, justement, a voulu retrouver ce frisson
qu'était le frisson de l'enfance ?
Mylène Farmer : Probablement. Ça, c'est
plutôt une question qu'il faudrait lui poser directement.
Moi, c'est vrai que je suis là pour
parler du film, mais en aucun cas je ne peux me prononcer pour lui, si
ce n'est que c'est quelqu'un qui a son propre univers et qui aime les
contes, qui aime la cruauté des contes...
Vincent
Josse : C'est un univers quand même commun avec le
vôtre ?
Mylène Farmer : Oui ! Je pense que c'est pour ça
que nous nous sommes rencontrés, et c'est pour ça
que nous avons travaillé
ensemble, et que cette rencontre a été magique
pour moi. C'est parce que
nous avions des choses très, très proches,
très
communes.
Jean-Luc
Hees : Mylène Farmer, vous vous
intéressez de près aux enfants ?
Mylène Farmer : J'aime les enfants, oui !
Jean-Luc
Hees : Mais vous avez de l'intérêt pour
eux ? Parce que j'ai ouï dire… j'ai lu
ça dans une
gazette… que quand vous étiez très
jeune, enfin adolescente, vous aviez visité
un hôpital où il y avait des enfants
handicapés…
Mylène Farmer : Je m'occupais, mais de temps en temps,
d'enfants handicapés, oui. C'est quelque chose que j'avais
envie de faire et tous les
dimanches, je crois, j'allais les voir et essayer de communiquer avec
eux et de jouer, de leur apporter quelque chose. Et c'est quelque chose
qui vous marque fatalement à vie.
Jean-Luc
Hees : Ça vous a marquée positivement ou
négativement ?
Mylène Farmer : Je ne sais pas si on peut qualifier
ça de positif ou de négatif. Ça rend
triste, définitivement. Même si
ces enfants prétendent être heureux, c'est quand
même une condamnation qui est lourde, et
une injustice. Ça, c'est mon regard, donc c'est quelque
chose
qui est intolérable.
Jean-Luc
Hees : Mais est-ce que c'est apparu pendant ce tournage,
justement, cette expérience-là ?
Mylène Farmer : Probablement ! Des choses enfouies en moi,
des… Vous expliquer et vous dire que, là, j'ai
fait
référence à telle ou telle chose, non.
Je crois que ça fait partie de moi également.
Maintenant, j'ai souhaité pour le tournage…
peut-être vous faites allusion
à ça... ?
Jean-Luc
Hees : Oui…
Mylène Farmer : … rencontrer des personnes
malades en milieu psychiatrique, pour essayer de capter des choses que
Catherine pouvait avoir en elle, donc un regard. Parce qu'ils ont
ça, quelque chose de
très, très fort ! C'est le regard et les mains,
les gestes…
Vincent
Josse : Une démarche un peu cassée,
aussi ?
Mylène Farmer : La démarche, là, c'est
plus la mienne ! (Rires) Je crois que ça se situait plus
dans le regard et dans les mains. Il y a une gestuelle qui leur est
très propre.
Jean-Luc Hees : Et
ça a été difficile,
par exemple, d'aller à ces consultations en
hôpital psychiatrique ?
Mylène Farmer : Je l'ai fait une fois et
brièvement. Donc ce serait mentir que de dire…
Mais c'est troublant, parce qu'on est…
à la fois il y a ce côté voyeur, et qui
est aussi dérangeant pour soi. Et…
J'ai une anecdote qui me revient à l'esprit. C'est pendant
une consultation,
il y avait cette personne en face de son médecin, et qui
avait beaucoup
d'humour. Et c'est vrai que j'avais envie d'éclater de rire
et
c'était la seule chose qu'il ne fallait pas faire ! (Petit
rire) Parce que c'est
étrange que d'arriver dans cet univers-là
et… C'est troublant
!
Jean-Luc Hees :
L'humour pourrait soigner certains problèmes
! On en parlera peut-être avec Georges Wilson, quand on
parlera d'Henri IV de
Pirandello. Vincent… ? (allusion
à Henri
IV pièce de Luigi Pirandello datant de 1922, et
mise en
scène par Georges Wilson en 1994, ndlr)
Vincent
Josse : Parler de Giorgino,
c'est aussi parler de la mort, parce qu'elle est
omniprésente dès le début
du film. Puisque quand on vous découvre en Catherine, votre
mère vient
de se pendre. On apprend aussi que votre père est
interné.
Vous-même allez essayer de vous pendre, mais vous allez
survivre. Est-ce que
ça fait froid dans le dos, tout bonnement, de jouer un
rôle comme celui-là, avec des scènes
comme
celles-là ?
Mylène Farmer : (elle soupire) Je dirais que ça
fait partie de la vie… (Petit rire) Pas la vie de tous les
jours, mais ça fait partie de la vie
! La mort et la vie sont des choses qui sont, qui sont…
inséparables !
Vincent
Josse : Et avoir un rôle aussi difficile dans cette
ambiance ? Je rappelle que le film fait trois heures, donc il y a
souvent des scènes d'une grande intensité et
d'une grande
violence, justement. Est-ce que ça vous a fait
découvrir des choses en
vous, des choses que vous ne connaissiez pas ?
Mylène Farmer : Sincèrement… Non !
Vincent
Josse : Non ?
Mylène Farmer : Non ! Si ce n'est la volonté que
de faire un autre film ! (Rires) Mais sinon…
Jean-Luc Hees : (qui la
coupe) Sans avoir froid aux pieds, cette fois, parce qu'il faisait
très froid, il paraît !
Mylène Farmer : (qui rit) Il faisait froid, oui !
Vincent Josse : Un
autre film qui sortirait peut-être
complètement de cet univers ? Pourquoi pas un film comique,
une comédie ?
Jean-Luc Hees : Ce
n'est pas votre genre…
Mylène Farmer : (qui rit) Tout le monde me le demande, si je
veux faire quelque chose de comique ! Pourquoi pas ? J'avoue que c'est
l'inconnu,
ça, ça ne m'appartient pas. Pour l'instant, je
n'en sais
rien…
Vincent Josse :
Vous n'avez pas de désir particulier ?
Mylène Farmer : Non ! J'ai plus une… un
souhait…
Jean-Luc Hees :
(qui la coupe) Vous êtes qui,
Mylène Farmer ? Vous êtes qui ? Vous
êtes quelqu'un de pessimiste ou vous
êtes quelqu'un de joyeux ? Vous êtes quelqu'un
de… Vous
n'êtes pas obligée de répondre ! (Rires)
Mylène Farmer : Si, je peux vous répondre ! Je ne
suis pas optimiste. Et je peux avoir des moments de gaieté,
de grande gaieté,
oui… (Petit rire)
Jean-Luc Hees :
Gérard Zénoni ?
Gérard
Zénoni : Moi je me demandais…
C'est vrai que votre
grand-mère vous emmenait visiter les cimetières ?
Mylène Farmer : Oui ! (Dans un sourire) C'est
le seul souvenir que j'ai de cette femme. Mais je l'ai
découvert au travers de lettres que je
lui avais adressées. Et c'est vrai, je crois, tous les
dimanches, elle
m'emmenait au cimetière, donc c'était
une… (Rires)
Gérard
Zénoni. : Et vous croyez que ça peut expliquer un
goût, que vous revendiquez plus que d'autres, et je dirais
morbide, mais bon… ?
Mylène Farmer : Mais quand on me demande… parce
qu'on vous demande toujours des justifications, ce qui est
naturel… "Pourquoi
aimezvous ci, pourquoi ça, pourquoi être
attirée
par telle chose ou telle chose ?", j'avoue que je n'en ai pas les
clés
moi-même, si ce n'est que… vous dire pourquoi,
donc j'ai eu ce souvenir-là, je me suis
dit peutêtre que ça a été le
détonateur
de quelque chose mais… Mais je suis… Ou cette
fascination, ce désir que d'aller vers ces
choses-là !
Jean-Luc Hees :
C'est bien d'être une comédienne,
mais c'est bien d'être une chanteuse aussi ! Vous n'allez pas
abandonner la chanson, le disque, la scène, non ?
Mylène Farmer : (qui parle alors que Jean-Luc Hees n'a pas
fini sa phrase) Bien sûr que non ! Non ! Non, non !
Gérard
Zénoni : Parce que là, ça a tout de
même
fait une parenthèse de deux ans, je crois, dans votre vie,
dans votre
carrière…
Mylène Farmer : Oui, qui m'a été un
peu imposée parce que le réalisateur est
luimême le compositeur de mes chansons ! Donc je…
je l'attends !
(Rires)
Jean-Luc Hees : Une
toute dernière question, Vincent ?
Vincent Josse :
Oui, très courte ! On vous
connaît bien
sûr, Mylène Farmer, en France. Mais on ne
connaît pas le comédien
principal qui a le rôle-titre de Giorgino,
qui incarne Giorgio. C'est Jeff Dahlgren ! (Vincent Josse prononce,
à tort,
"Dahlgreen", ndlr)
Mylène Farmer : (qui le corrige) Dahlgren !
Vincent
Josse : Vous pouvez nous dire deux mots de ce
comédien ?
Mylène Farmer : C'est quelqu'un qui est
américain, de nationalité américaine.
C'est quelqu'un qui a une grande, grande sensibilité et qui
a un charisme que je juge étonnant. Et… qui est
quelqu'un dans
la retenue quant à son jeu. Et…
Vincent
Josse : Les filles qui ont vu le film sont
déjà
toutes folles de lui, parce qu'il est beau, il faut le
préciser !
Mylène Farmer : Oui, il est très beau mais il est
au-delà de ça, Dieu merci ! Il a une
âme, une très belle âme !
Vincent Josse :: Il
avait une expérience de
comédien aux
Etats-Unis ?
Mylène Farmer : Oui… De la même
façon que moi j'ai pris des cours de
théâtre, lui a dû passer aussi par des
cours et... Mais je pense qu'il
aime ça aussi.
Jean-Luc Hees : Je
vous remercie, Mylène Farmer !
Mylène Farmer : Merci !
Jean-Luc Hees :
Donc le film s'appelle Giorgino,
ça sort
aujourd'hui. Il faut y aller, à 14h !
Mylène Farmer : Merci !
Source
retranscription : Styx
Magazine spécial
Mylène Farmer / Référentiel des radios
- 2013 - Editions Sunset Publishing