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Mylène Farmer - Interview - France Soir - 01er octobre 1994



  • Date
    01er octobre 1994
  • Média / Presse
    France Soir
  • Interview par
    Richard Gianorio
  • Fichier
    Mylène Farmer - Presse - France Soir - 01 octobre 1994
  • Catégories interviews


France Soir : Vous avez négligé la chanson trois ans durant pour ce film. Un risque calculé ?
Mylène Farmer : Je n'aime pas ce mot de risque. Je ne calcule rien, je n'ai rien à prouver, aucun défi à relever. Je préfère ne pas me mesurer, je n'aime pas les choses tièdes. J'ai attendu ce film pendant dix ans.


Avez-vous appris à jouer la comédie ?
Avant que je ne rencontre Laurent Boutonnat, j'ai suivi le cours Florent pendant trois ans. Est-ce qu'on y apprend quelque chose ? C'était en tout cas une période intéressante. Pour Giorgino, je ne m'autorisais pas le droit à l'erreur : une, deux prises maximum. Au-delà, mes inhibitions auraient repris le dessus et je me serais enfuie pour me cacher dans ma loge. Alors, on se lance, sans réfléchir, et on puise l'émotion dans ses propres névroses, ses propres douleurs...


Quelle scène vous a paru le plus difficile à jouer ?
Celle de la pendaison. C'est la seule image que j'ai voulu voir pendant le tournage. Mon corps suspendu, comme si j'étais morte, cela me semblait si réel. J'étais très troublée...


Giorgino capture tous les maux et les fantasmes de l'univers "farmerien" naguère défini dans vos clips. Toujours pas guérie ?
Je ne guéris d'aucun de ces maux-là, bien au contraire. Les choses ne se cicatrisent pas, le temps ne fait pas son œuvre. On laisse des choses, on en trouve d'autres... Ou peut-être que je ne suis pas faite pour le bonheur... Mais je ne veux pas être dramatique. Je n'ai pas le monopole de la souffrance.


Qu'est-ce qui vous chagrine ?
Le manque d'ambition artistique, le manque de générosité, le manque de démesure. Je me sens un peu à l'étroit dans un pays où l'on condamne l'ambition et les différences...


Justement, vous êtes plutôt "différente"...
Je me suis toujours sentie différente par rapport au monde environnant. Je suis incapable de converser ou de me sentir bien quelque part. J'ai très peu d'amis, je ne sors pas. Au fond, je mène une vie très aliénante... Je fais parfois des efforts, je fais un pas, mais je me rétracte aussitôt. Il y a toujours ce paradoxe : j'ai besoin de me montrer, d'être dans la lumière et, en même temps, je ne pense qu'à me cacher, à rester dans ma forteresse. J'ai peur du jugement. En fait, j'ai une vraie maladie, qui s'appelle la paranoïa. Voilà, on a tout dit...


Avez-vous déjà pensé à une analyse ?
Une fois, oui, récemment. J'étais en état d'urgence, je suis allé voir quelqu'un. J'ai arrêté après la première séance. Je ne peux pas m'abandonner, la confession m'est impossible.


La sérénité ?
Elle ne sera jamais au rendez-vous, ce n'est pas pour moi.


Etes-vous capable de légèreté ?
J'ai un côté simiesque et enfantin. Alors, il m'arrive d'être comique. Je n'ai pas l'impression d'être une grande personne.


Justement, vous n'en finissez pas de ne pas guérir de votre enfance. A-t-elle été trop belle ou trop terrible ?
Je n'ai pas de souvenir d'enfant jusqu'à l'âge de 15 ans environ. C'est très perturbant.


Que ressentez-vous ?
J'ai comme une colère qui ne m'a pas quittée, et qui va grandissant... J'ai l'impression de ne pas être comprise.


Même par Laurent Boutonnat, votre Pygmalion ?
Il perçoit des choses, mais j'ai aussi mes secrets à moi. C'est mon double. J'ai du mal à expliquer cette relation.


Mylène Farmer dans vingt ans ?
Je ne peux pas l'envisager. Les cinq jours à venir m'angoissent déjà, alors, 20 ans, vous pensez, c'est l'infini.


Une certitude ?
Oui. On finit tous les pieds devant...