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Mylène Farmer - Interview - Gala - 04 novembre 2015



  • Date
    04 novembre 2015
  • Média / Presse
    Gala
  • Interview par
    Thomas Durand
  • Fichier
    -
  • Catégories interviews


Interview pour le magazine "Gala" publié deux jours avant la sortie de l'album Interstellaires.
Interview importante puisqu'elle est intégrée dans le communiqué de presse envoyé par Polydor aux médias pour la sortie de l'album.
Interview illustrée par des photos inédites de Mylène par Sylvie Lancrenon réalisées (pour les extérieurs) au Raincy en Seine-Saint-Denis le 09 octobre 2015.


Gala : Rêveries d'un promeneur solitaire, c'était le concept de notre shooting. Avec en guest-star, votre chienne Liloup. Il y a près d'un an vous vous êtes doublement fracturée une jambe. Vous aviez déjà la tête dans les étoiles ?
Mylène Farmer : Le 16 mars dernier, j'ai glissé sur des pavés et je me suis fracturé tibia et péroné. La tête dans les étoiles, je ne l'ai eue qu'une fois plâtrée jusqu'à l'entrejambe. Immobilisée, j'ai eu tout le temps pour écrire mon album Interstellaires et illustrer un très beau conte philosophique, L'étoile polaire de Michel Onfray.


Gala : Vous avez enduré une longue convalescence. Votre patience est louée sur des shootings photo et vidéo. Vous vous imposez des tournées marathon. Vous avez survécu à trente ans de carrière... A croire que vous êtes douée pour une certaine souffrance physique !
Mylène Farmer : Quand la souffrance physique est intense, les moments de bonheur, plus rares sont précieux. Mais il y a une différence entre la souffrance que l'on s'inflige porté par une passion, et celle qui s'invite injustement à votre table. C'est relativement peu de chose que de souffrir pour pouvoir exercer sa passion.


Gala : A quelles réflexions vous ont menée ces mois dans le plâtre ?
Mylène Farmer : Que l'être humain n'est pas fait pour être immobilisé ! Mais surtout que le soutien de ceux que vous aiment est fondamental et qu'à tout malheur peut succéder une (re)naissance... Je devais être sous l'ordonnance d'une bonne étoile, car l'écriture et le dessin m'ont fait voyager au-delà de toute espérance durant cette longue période alitée. "Il est grand temps de rallumer les étoiles" a écrit Apollinaire. Je laisse la mienne me guider.


Gala : Votre dixième album studio, Inters­tel­laires, est un autre point de rupture. Nouveau son, nouveaux colla­bo­ra­teurs. Certains de vos fans appré­hendent le chan­ge­ment. Plus que vous semble-t-il...
Mylène Farmer : 
C'était déjà le cas pour Anamor­pho­sée que l'on avait placé sous le ciel de Cali­for­nie, ou Bleu Noir écrit avec Moby, Archive ou RedOne. Je n'ai pas le senti­ment de chan­ger, mais celui d'avan­cer, de décou­vrir… L'ap­pré­hen­sion est compré­hen­sible. Lorsqu'on aime une personne, on a envie de la retrou­ver intacte, telle que dans ses souve­nirs. Mais je ne ne conçois pas un nouvel album sans une dose d'aven­ture.


Gala : Avec Anamorphosée, en 1995, vous imposiez un premier virage, un élan vers la lumière, comme une renaissance. Avec Interstellaires, n'est-ce pas une troisième vie que vous amorcez ?
Mylène Farmer :  Une troisième vie, dites-vous ? C'est un peu exagéré... Je pense plutôt à une continuité dans... le changement ? Il est toujours si difficile de parler de soi.



Gala : On dit que le temps est un apprentissage. J'ai l'impression qu'en ce qui vous concerne, il s'agit plus d'un délestage. Qu'avez-vous "désappris" au cours de toutes ces années ?
Mylène Farmer :  Le temps peut encombrer l'esprit. Heureusement, la mémoire sélective nous permet d'échapper à la sédimentation de certaines émotions. Il est essentiel de "désapprendre" pour se remettre en question, rompre avec les peurs qui paralysent et qui gangrènent, accueillir tout ce qui se présente à vous et le transformer. Nous sommes tous des alchimistes avec ce pouvoir d'améliorer les choses. Bon, parfois, on s'emmêle un peu les pinceaux ! (Rires)


Gala : En sautant dans l'inconnu avec Interstellaires, ne vous-êtes vous pas rapprochée de vous-même, en fin de compte ? De quoi aviez-vous peur avant cette ouverture artistique à l'autre ?
Mylène Farmer :  La peur n'est pas un moteur chez moi. Par contre, l'ennui, ou la crainte de l'ennui, est bien souvent ce qui me fait évoluer vers d'autres mondes. J'ai aussi besoin de nourritures. Apprendre des autres est important.


Gala : "Mystérieuse", "sexy", "provocante" sont des adjectifs qui collent à l"icône Farmer. A la limite du cliché, Mylène la femme s'y retrouve-t-elle ?
Mylène Farmer :  J'aurais plutôt tendance à prendre ces qualificatifs comme un compliment. Je ne sais, à vrai dire, que vous répondre... La femme, elle, reste privée !


Gala : Vos proches sont extrêmement protecteurs à votre égard, comme si vous étiez en cristal. Je vous sens bien plus forte, capable de verticalité dans vos choix, même. Forte, déterminée, vous l'avez toujours été ou c'est un réflexe acquis de survie ?
Mylène Farmer :  Mes proches ont essentiellement à coeur le respect de ma vie privée. Il faut une certaine dose de détermination, c'est vrai, mais aussi de fragilité, pour exercer ce métier. Je pense que cet étrange équilibre est là, en vous, dès le départ, et qu'il se renforce avec les années. La vie a ses angles durs qui vous mettent à l'épreuve, si ce n'est à terre. J'ai en tête la fable de Jean de La Fontaine, Le chaîne et le roseau, qui dit que le roseau plie et ne rompt pas. Mais vous n'avez pas tort, c'est aussi un réflexe de survie.


Gala : Accorder votre confiance, vous y parvenez spontanément ou est-ce un élan que vous réfrénez ?
Mylène Farmer :  C'est, comme pour la plupart des gens, s'engager dans un chemin long et périlleux. Il ne suffit pas d'exiger la confiance de l'autre, il faut également s'en montrer digne. Si je ne sais pas faire confiance spontanément, en revanche, mon instinct m'indique immédiatement les personnes qu'il faut fuir ! (Rires)


Gala : A une époque où les stars communiquent directement avec leurs fans via les réseaux sociaux, vous faites de la résistance. Vous n'avez pas l'impression de manquer quelque chose ?
Mylène Farmer :  Il me semble, que je suis, au contraire, très présente sur les réseaux sociaux. Ce n'est pas de mon fait, certes. Mais je préfère laisser les gens s'exprimer librement, sans intervenir. Ce que j'ai à partager se trouve dans mes albums, mes concerts, mes clips et, plus rarement, dans quelques interviews. Les internautes se sont organisés autour de mon silence et je suis impressionnée par leur créativité et leur niveau d'exigence.


Gala : Vos fans se damneraient pour un son, une ligne, un mot. Jusqu'à quel point êtes-vous attentive à leurs attentes ?
Mylène Farmer :  Un son, une ligne, un mot ? Vous décrivez des chansons en quelque sorte ! J'essaie de répondre aux attentes de mon public en lui proposant un nouvel album, en restant moi-même et, je l'espère, en ne trahissant pas sa confiance.



Gala : Vous avez commencé à promouvoir Interstellaires, aux Etats-Unis. Vous n'êtes pas un visage familier pour le public américain. C'est excitant de tout reprendre à zéro ?
Mylène Farmer :  La sortie d'Interstellaires aux Etats-Unis est un alignement planétaire. Sting m'a fait l'honneur de partager son titre Stolen Car, revisité avec talent par Tristan Casara (The Avener), et Martin Kierszenbaum, en plus d'être un compositeur talentueux, est aussi le président du label américain Cherrytree Records. L'idée d'une distribution outre-Atlantique est amusante. Je la vis comme une jolie surprise et non pas comme un enjeu.



Gala : On vous a proposé de partir à l'assaut du marché anglophone il y a vingt ans. Vous avez refusé (par crainte) que l'écriture de vos textes vous échappe. Regrettez-vous d'avoir manqué cette opportunité ?
Mylène Farmer :  Pas du tout. Cela m'a permis de m'exprimer dans ma langue maternelle sur tous les sujets qui me tenaient à cœur et de porter ces chansons dans une grande partie de l'Europe finalement. Je n'ai aucun regret. C'était ma décision. Ma liberté est à ce prix.


Gala : De quoi vous accommodez-vous le mieux : des regrets ou des remords ?
Mylène Farmer :  Je préfère sans hésitation les regrets aux remords. Si les regrets sont le signe d'un échec, ils témoignent aussi du mérite d'avoir essayé.


Gala : Aujourd'hui, images, mots, tout se bouscule et se chasse. La rareté devient un risque d'extinction. Vous l'assumez ?
Mylène Farmer : Permettez que j'exprime mon désaccord. Depuis l'origine des temps, la rareté est un indice de valeur et de référence. Les hommes n'ont cessé de se mettre en danger pour s'emparer de ce qui est rare, le protéger. La "confusion" à laquelle vous faites référence est un épiphénomène médiatique. On lance des trajectoires éphémères pour le seul profit immédiat. Cela entretient le quotidien mais, quel que soit le domaine, les grands rendez-vous sont toujours rares. Les étoiles filantes ne font pas la voie lactée.


Gala : Vous avez une véritable empathie pour les êtres en péril. Vous avez notamment déclaré à Claire Chazal que vous la trouviez belle, à une époque où l'on cherchait déjà à la faire vaciller. L'esprit de meute vous afflige ou vous effraie ?
Mylène Farmer : Je le trouve déroutant et destructeur. Il répond au diktat de la pensée unique, comme si les plus nombreux ou les plus influents détenaient la vérité par rapport aux autres dans l'obligation de se soumettre ou de périr. Ce rapport de force n'est pas nouveau, mais il a pris de l'ampleur dans le jeu médiatique. Quand il n'y a plus de place pour la différence, le dialogue, la contradiction ou la nuance, la pensée décline.


Gala : A l'inverse, quelles attentions sont susceptibles de vous émouvoir, de vous toucher ?
Mylène Farmer : La simplicité, la gentillesse spontanée.


Gala : Dans plusieurs titres de l'album, les mots "aimer" et "dissonance" reviennent. Comme si ce n'était plus l'altérité, mais la séparation, la déchirure, qui vous inquiétait. Pour vous, elle est là l'horreur du temps qui passe ?
Mylène Farmer : Le temps qui passe est un maître despotique. On a beau aimer, pleurer, rire, partager, vivre... Nous sommes les héros d'un film et nous n'ignorons pas que nous allons mourir à la fin. Nus et, je l'espère, dignes.



Gala : Le thème de la délivrance court également tout au long de l'album. A l'inverse de Sartre qui disait "l'enfer, c'est les autres", diriez-vous que l'autre, c'est la providence ?
Mylène Farmer : Nous sommes notre propre enfer ou notre propre délivrance. Certes, je ne suis pas optimiste, mais je ne suis pas pessimiste non plus, plutôt tragique. L'optimiste s'attache au meilleur autour de lui. A l'inverse, le pessimiste n'envisage que le pire. Le tragique, lui, tâche de voir le réel tel qu'il est. J'essaie de voir le réel tel qu'il est. L'autre en fait partie.



Gala : Pour Honoré d'Urfé, écrivain de la fin de la Renaissance et auteur de L'Astrée, "aimer c'est mourir en soi pour revivre en autrui". Un avis ?
Mylène Farmer : Aimer n'est jamais mourir pour l'autre ou avec l'autre, mais naître à l'autre, par l'autre. Sans avoir eu besoin de mourir pour cela.


Gala : On vous dit solitaire. Indépendante, vous l'êtes, cela ne fait pas de doute. Mais brisons un mythe : vous n'êtes pas du tout faite pour la solitude, n'est-ce pas ?
Mylène Farmer : Je suis solitaire, indépendante, libre, mais rarement seule... L'autre est essentiel à ma vie. Et à ma santé mentale ! (Rires)



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