Mylène Farmer - Interview - Gala - 17 mai 2017
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Date17 mai 2017
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Média / PresseGala
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Interview parThomas Durand
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Catégories interviews
Elle venait de terminer quelques mois avant le tournage du film Ghostland (qui avait encore pour titre Incident in a Ghost Land lors de cette interview). L'interview est illustrée de clichés inédits pris quelques jours avant par la photographe Sylvie Lancrenon.
Gala : Il y a cinq mois, vous avez terminé le tournage du film Incident in a Ghost Land. Un thriller éprouvant qui confronte une famille à des esprits malfaisants. Aucune séquelle à déplorer ?
Mylène Farmer : Toujours le même cauchemar : Pascal Laugier, le réalisateur, me poursuit inlassablement avec sa caméra dans les couloirs de la maison du film ! (Rires) C'était impressionnant de le voir au travail, d'observer comment il faisait corps avec son long-métrage. Je garde un souvenir très fort de ce tournage et de "mes filles" à l'écran.
Gala : Vous avez fait confiance à un réalisateur, récent dans votre galaxie, et vous avez endossé un rôle inhabituel, celui d'une mère de famille. Le tout, en langue anglaise. Vous aimez pousser les curseurs de la difficulté ?
Mylène Farmer : Je ne parlerais pas de difficulté, mais d'exigence. J'aime les projets ambitieux, précis, qui demandent l'investissement de toute une équipe pour un résultat encore inconnu... Il y a une certaine beauté dans ce geste collectif. J'ai accepté ce film, essentiellement parce que mon rôle était très bien écrit et parce que Pascal maîtrise remarquablement ce genre. Son scénario est formidable. Me glisser dans la peau d'une mère prête à défendre ses enfants était un challenge, mais je l'ai finalement abordé de façon assez naturelle, instinctive. Quand le tournage a débuté à Winnipeg, j'étais une actrice parmi les autres.
Gala : Revenir au Canada, votre pays de naissance, a-t-il agité quelques émotions ?
Mylène Farmer : Une immense émotion ! J'ai retrouvé la maison de ma petite enfance, à Pierrefonds. J'ai pu en redécouvrir l'intérieur, le jardin... Je suis également revenue dans ma première école, tenue par des religieuses... Alors que j'empruntais la rue du Belvédère, où j'ai grandi, la neige a commencé à tomber. J'étais comme accueillie...
Gala : Ancienne élève du Cours Florent et chanteuse réputée pour vos clips cinématographiques, comment expliquez-vous votre rareté sur le grand écran ?
Mylène Farmer : Le destin est joueur. Malgré ma timidité quasi maladive, j'ai poussé la porte du Cours Florent. Puis, très vite, j'ai rencontré Laurent Boutonnat et nos destins se sont scellés. Nous partagions cet amour pour le cinéma et la musique. C'est, je crois, ce qui nous a poussés à tourner des clips d'un genre nouveau. Et Laurent a vraiment réalisé de très beaux clips. Pour le grand écran, les choses se sont passées différemment. Je ne saurais l'expliquer. Mais je ne crois pas, plus, qu'il existe des frontières infranchissables entre les genres. L'époque est à la disparition des vieux clivages...
Gala : Existe-t-il une liste de rôles que vous auriez laissés passer ?
Mylène Farmer : Quelques propositions et projets fantômes, oui... (Sourire)
Gala : Qu'est-ce qui prime pour vous : désirer ou se sentir désirée ?
Mylène Farmer : Sentir le désir... C'est fondamental pour moi. Vital, même.
Gala : Artiste singulière et obsessionnelle, vous mettez-vous facilement au service d'un autre imaginaire que le vôtre ?
Mylène Farmer : Bien sûr ! C'est très excitant... À condition toutefois de pouvoir rester soi-même... Quoi de plus imprévisible que la rencontre de deux imaginaires ?
Gala : Comment avez-vous préparé votre rôle dans Incident in a Ghost Land ?
Mylène Farmer : J'ai travaillé. Claude Berri m'a dit un jour : "Mylène, si tu connais ton texte à la virgule près, ainsi que les répliques de tes partenaires, tu pourras tout oublier et t'abandonner." Depuis le Cours Florent, je suis amie avec Vincent Lindon, qui m'impressionne infiniment dans chacun de ses rôles. Son aide fut précieuse. Il m'a conseillé son coach. J'ai répété et puis... j'ai fait le grand saut dans le vide !
Gala : Le jeu, c'est pour vous un exorcisme ou, au contraire, une possession ?
Mylène Farmer : Etymologiquement, "jouer", c'est "s'amuser, se divertir". En se glissant dans la peau d'un personnage, cela devient "amuser et divertir". Il est important de s'oublier soi-même pour offrir aux autres. Quelles qu'elles soient, les émotions sont un transport, elles permettent à chacun de sortir du temps. C'est une promesse d'éternité. Un abandon, aussi. Ce fut le plus exigeant pour moi. Je suis habituée à construire, à mener à terme des aventures au long court. Là, il me fallait tout oublier, me déconstruire pour laisser le réalisateur réassembler son puzzle.
Gala : Isabelle Adjani a récemment déclaré : "jouer, c'est réparer." Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Mylène Farmer : C'est une définition qui correspond parfaitement à cette grande actrice. Mais pour moi... Je ne crois pas à la réparation. Je dirais plutôt qu'on apprend à vivre avec soi. Ce qui, déjà, n'est pas une partie de petits chevaux...
Gala : Pardonnez la question, mais la disparition de votre maman, quelques mois avant de tourner avec Pascal Laugier, a-t-elle influencé votre interprétation d'une mère de famille ?
Mylène Farmer : Permettez que je ne vous réponde pas directement. Chacun d'entre nous est touché par des deuils. J'ai la chance de pouvoir écrire sur "mes"' absents... Sans les nommer... Et de pouvoir, par la magie des mots, aspirer un peu du chagrin des autres.
Gala : Isabelle Huppert, que vous connaissez bien, a dit : "Être actrice, c'est transformer en excellence ce qui ne l'était pas : la fragilité en force, la timidité en assurance." Cela vous ressemble, non ?
Mylène Farmer : J'ai beaucoup d'admiration pour Isabelle Huppert, sa détermination, ses choix artistiques, son jeu unique. Je ne sais pas si ses mots me ressemblent, mais je partage son point de vue. Le dépassement de soi est un minimum, lorsqu'on veut partager avec les autres. Vivre est une aventure exigeant que l'on se réinvente sans cesse, sans jamais se trahir, ni sacrifier aux modes. Je suis une instinctive et ma timidité, que j'assume, m'a sans doute protégée !
Gala : Vincent Lindon rencontré au Cours Florent, Luc Besson qui vous aurait fait figurer dans son premier film Le Dernier combat, David Lynch qui vous a initiée à la lithographie, Claude Berri qui voulait vous diriger dans une adaptation d'un roman de sa compagne Nathalie Rheims, mais encore Jean Rochefort, Robert De Niro... Vous cultivez de nombreuses amitiés dans le milieu du cinéma. Les acteurs sont plus fascinants que les chanteurs ?
Mylène Farmer : Je ne cultive rien. La vie vous permet de faire des rencontres et, encore une fois, je me fie à mon instinct. J'ai peu d'être présents dans ma vie, mais ils sont importants. Vous citez des noms, mais il y en a d'autres. Les acteurs sont-ils plus fascinants que les chanteurs ? Non. Il y a des personnes plus fascinantes que d'autres, tout simplement. On pourrait ajouter à votre liste nombre d'inconnus qui suscitent tout autant mon admiration.
Gala : Acteur et pop star, est-ce si différent ?
Mylène Farmer : Le rapport au public est très différent. Un acteur met son talent au service d'un texte, d'un metteur en scène, de nombreux intervenants, pour qu'un film rencontre son public en salles, puis sur d'autres écrans... La scène, c'est une énergie immédiate, électrique, vertigineuse, qui se dissipe quand un concert est terminé. Je n'aime d'ailleurs pas le terme de "pop star". Il sonne comme un bouchon de champagne un soir de réveillon ! (Rires)
Gala : Comme de nombreuses jeunes actrices, Taylor Hickson ou Emilia Jones, vos "filles" dans Incident in a Ghost Land, n'hésitent pas à mettre en scène leur vie sur les réseaux sociaux. Cela vous intrigue, vous amuse ou vous déconcerte ? Ont-elles tenté de vous convertir ?
Mylène Farmer : Elles vivent avec leur époque. Cela me paraît tout à fait normal, mais nécessite aussi une plus grande vigilance sur la frontière entre vie privée et vie publique. Les nouveaux médias ont tendance à la rendre plus floue. Quant à une conversion... Elles n'ont pas osé, je pense ! (Rires)
Gala : Qu'est-ce qui vous bluffe dans la vie ?
Mylène Farmer : Le courage.
Gala : Quelle est l'émotion que vous maîtrisez le moins ?
Mylène Farmer : Toutes ! Par définition, une émotion ne se maîtrise pas. C'est pour ça qu'elles nous transportent.
Gala : Quels sont les mots qui vous touchent le plus ?
Mylène Farmer : Les mots prononcés au moment où l'on ne s'y attend pas. Je suis fascinée par la puissance des mots portés par la bonne personne, au bon moment. Et "Mon amour" m'émeut tellement...
Gala : Vous avez incarné Zézette dans une adaptation du Père Noël est une ordure au Cours Florent. Vos proches vous disent capable d'humour. Jouer dans une comédie, c'est pour vous envisageable ?
Mylène Farmer : La comédie est probablement ce qui se rapproche le plus de la musique. C'est avant tout une question de rythme. Je ne sais pas si j'en serais capable, mais je trouve le défi intéressant. À condition que ce soit finement écrit. Tout est dans l'écriture. Woody Allen donc ? (Rires)
Gala : Le pire scénario qu'on pourrait vous soumettre ?
Mylène Farmer : Un biopic sur ma vie...
Gala : La plus belle réplique de cinéma dont vous vous souvenez ?
Mylène Farmer : Ces mots de Romy Schneider dans César et Rosalie : "Ce n'est pas ton indifférence qui me tourmente, c'est le nom que je lui donne..." ("la rancune, l'oubli", poursuit l'actrice dans le film, ndlr)
Gala : Quel couple ou quelle histoire d'amour cinématographique vous inspire ?
Mylène Farmer : Richard Burton et Liz Taylor, John Cassavetes et Gena Rowlands.
Gala : Si votre vie était un titre de film ?
Mylène Farmer : Rencontres du troisième type ! (Rires)
Gala : Vous venez de signer avec Sony Music. Vos fans attendent logiquement un album et une tournée. Rassurez-les : le clap de fin de votre carrière musicale n'est pas près de retentir ?
Mylène Farmer : Bien sûr que non... Il me tarde d'ailleurs de les rejoindre.
Encadré associé à l'article au sujet du Festival du film de Cannes qui se déroule au moment où cette interview est publiée.
Mylène Farmer : C'est une institution qui permet à la France de rayonner dans le monde entier. Gilles Jacob, un ami, y a beaucoup contribué pendant de nombreuses années. Aujourd'hui, il consacre son temps à l'écriture de romans. C'est un homme si attachant. J'aime son humour. Je ne me lasse pas de ses anecdotes sur le monde du cinéma. Cannes porte une part de rêve, mais je me souviens aussi d'épisodes plus houleux, de moments d'émotions et de déceptions. Pendant une quinzaine de jours, c'est un spectacle vivant avec ses acteurs, son suspense, ses rebondissements. Mais, dans le fond, je ne sais pas comment on peut décider qu'un film est meilleur qu'un autre. Exercice difficile !