Le
Havre Presse : Qu'est-ce qui vous a séduit dans le
scénario de Laurent, et tout particulièrement
dans le rôle de Catherine que vous interprétez ?
Mylène Farmer : L'histoire de ce jeune médecin
démobilisé un mois avant l'armistice de 1918 qui,
enquêtant sur la mort suspecte d'enfants dits
"retardés", va rencontrer l'amour en la personne de cette
jeune fille solitaire, réfugiée dans l'enfance et
d'une fragilité psychique que certains n'hésitent
pas à qualifier de folie, est un sujet qui m'a
immédiatement attirée par son
étrangeté et son originalité. Quant au
personnage lui-même, j'ai tout de suite senti qu'il pourrait
me permettre de faire passer beaucoup d'émotions, car
Laurent y avait indiscutablement intégré
plusieurs facettes de ma personnalité.
Qui est-elle
vraiment, cette femme-enfant mystérieuse que les gens disent
folle ?
Catherine est assurément différente des autres et
elle paiera cette différence, surtout en raison du
conformisme du microcosme que constitue ce petit village de montagne
où elle vit.
Je crois que c'est avant tout sa fragilité qui m'a
émue. Par ailleurs, j'aime beaucoup les aspects enfantins de
son comportement que sont l'innocence et la violence
intérieure. Les enfants ont ça en eux :
naïveté, pureté et colère. En
fait, je suis très sensible à son
incapacité, malgré son âge,
à s'intégrer au monde des adultes.
Vous
interprétez ce personnage, que l'on perçoit errer
parfois aux limites de la folie d'une façon très
mesurée. Vos gestes et vos regards sont certes intenses mais
ne versent jamais dans le registre expressionniste. Est-ce une
volonté imposée par Laurent Boutonnat, ou la
façon dont vous teniez absolument à incarner
Catherine ?
Me connaissant très intimement (sourire), Laurent savait que
c'était de cette façon que j'aurais les
meilleures chances de m'investir totalement dans le personnage. Donc,
quand je lui ai suggéré cette approche, il a
immédiatement accepté. En fait, je
préfère les paroles murmurées aux mots
criés, je n'aime pas imposer, je
préfère proposer. Cela vient d'une pudeur et
d'une timidité qui font partie de moi. C'est ma
personnalité profonde et sans doute que mon jeu s'en
ressent.
Par ailleurs, dans cet univers qui un peu celui du conte, où
il y a un constant va-et-vient entre le réel et
l'irréel, la compréhension du personnage ne
devait bien sûr pas, pour ménager un maximum
d'ambiguïté, être trop
évidente.
Vous venez
d'insister sur votre timidité et votre pudeur. Ne pensez
vous pas que cette confidence peut paraître pour le moins
sujette à caution, quand on sait que vous montez des
spectacles durant lesquels vous devez nécessairement
éprouver un immense plaisir à vous exposer aux
regards de milliers de spectateurs ?
C'est vrai que cela peut paraître paradoxal. Mais, en ce qui
me concerne, il s'agit sans doute d'un plaisir masochiste, car
j'éprouve tout à la fois un désir
névrotique à m'exhiber sous les sunlights et une
folle envie de me cacher. Je bascule constamment entre ce
désir et ce refus et, quand je fais de la scène,
il est vrai que je suis angoissée par la perspective du
rendez-vous avec le public. Mais, d'un autre côté
j'en ai besoin pour vivre car je préfère les
choses brûlantes, même dangereuses, aux choses
tièdes.
On le sait, vous
manifestez depuis longtemps de l'intérêt pour le
cinéma. Mais, quels sont les films et les
cinéastes qui ont le plus fortement marqué votre
imaginaire ?
Côté films, le premier est
indiscutablement M.
le Maudit de Fritz Lang. Plus récemment, je
citerais Witness
de Peter Weir que je trouve en tous points parfait, et La leçon de piano
de Jane Campion que je n'hésite pas à qualifier
de chef-d'œuvre. Pour ce qui est des réalisateurs,
il y en a beaucoup, mais ceux qui me viennent spontanément
à l'esprit sont David Lean, notamment pour La fille de Ryan,
Ingmar Bergman, David Lynch, Steven Spielberg et Oliver Stone.
En fait, j'aime les projets ambitieux, les metteurs en scène
qui ont une démesure, une folie, comme celui que j'ai
gardé pour la bonne bouche, c'est-à-dire Stanley
Kubrick.
Pour conclure,
pouvez-vous nous parler de votre prochain projet ?
Sans doute un album. Ou alors un nouveau film. Mais franchement,
après ces longs mois de préparation et de
tournage, au demeurant totalement passionnants, j'aimerais chanter de
nouveau et refaire de la scène. Mais, pour cela, il faut
attendre que le réalisateur veuille bien
délaisser sa caméra pour que le compositeur
puisse retourner à son piano !