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Mylène Farmer - Interview
Le Journal du Dimanche - 20 novembre 2022



  • Date
    20 novembre 2022
  • Média / Presse
    Le Journal du Dimanche
  • Interview par
    Jérôme Béglé
  • Fichier
  • Catégories interviews
    2022 ; L'Emprise; Nevermore 2023

Mylène fait la Une de ce numéro du "Journal du Dimanche" une semaine avant la sortie de son douzième album studio, L'Emprise.

Cet entretien est annoncé comme l'unique accordé par Mylène avant le lancement de sa tournée des stades en juin 2023.

Jérôme Béglé a raconté le 21 novembre 2022 sur CNews les secrets autour de l'organisation de cette interview.

Interview mise en ligne en quasi intégralité sur le site internet du journal dès le samedi 19 novembre à 18h :
https://www.lejdd.fr/Culture/exclusif-mylene-farmer-se-confie-au-jdd-jai-failli-tout-arreter-4148713


Le Journal du Dimanche : En pleine période MeToo, vous sortez un album intitulé L’Emprise. Est-ce un hasard ?
Mylène Farmer : Oui. Ce thème s’est imposé à moi en dehors de toute actualité. Qui n’a pas croisé le chemin d’une personne dite perverse narcissique ? Qui n’a pas un jour été sous l’emprise d’une telle personne ? Féminine ou masculine, peu importe. Les êtres ultrasensibles ou habités de doutes qui les rongent sont une proie idéale… L’important est de l’identifier et de tenter de combattre cette emprise. C’est un thème qui me bouleverse et me met souvent dans une colère noire. Je suis bien sûr très émue par la solitude des victimes qui, dans le meilleur des cas, n’arrivent à se faire entendre qu’au bout de nombreuses années. Je suis en colère parce que les victimes s’isolent et s’enferment malgré elles en acceptant ce qu’aucun être humain ne devrait tolérer. Plus largement, je trouve le thème de l’emprise universel. Il y a une forme d’emprise dans tous les domaines où le libre arbitre, la libre-pensée sont mis à mal.

Le Journal du Dimanche : Avec quels nouveaux artistes collaborez-vous ? Et qu’est-ce qui a guidé votre choix ?
Mylène Farmer : Ce qui guide mes choix, c’est l’envie. Elle doit venir de moi et de ceux avec qui je travaille. Woodkid est venu à moi alors que j’avais depuis longtemps envie de l’approcher. C’est un surdoué. Un artiste qui ne lâche jamais rien, un ami aujourd’hui. C’est aussi un homme humble, cultivé et curieux de tout. Je me suis retrouvée dans ses orchestrations symphoniques. Nous sommes assez jumeaux finalement, tiraillés entre ombre et lumière. Nous nous sommes dit que ça nous définissait bien. Woodkid m’a aussi amenée jusqu’à la conception d’un autre moi… un avatar. Qui ne me donne pas du tout d’ailleurs l’impression d’un étrange étranger... Tous les titres de Woodkid sont très cinématographiques. C’est un homme d’images après tout. Ce qui fait son unicité. Yoann [Woodkid] a souhaité la présence d’Yvan Cassar, qui a magnifiquement joué les pianos d’Invisibles et d’Ode à l’apesanteur.

Le Journal du Dimanche : On retrouve également les Britanniques d’Archive, avec lesquels vous aviez déjà collaboré en 2010 pour l’album Bleu noir... Mylène Farmer : J’ai éprouvé énormément de plaisir à retrouver Darius, le compositeur. C’est aussi un ami aujourd’hui. L’excellent bassiste Jonathan Noyce est sur scène avec moi dans tous les spectacles. C’est un bonheur. Il y a véritablement un son Archive que l’on reconnaît à la première note. Autre collaboration qui m’est chère : Moby. Il m’a invitée récemment sur un de ses titres, m’a demandé de poser une voix parlée : un extrait de poème. Je lui avais moi-même déjà demandé des titres pour mon nouvel album. Tout chez lui m’enchante. L’artiste, son sens de la mélodie, du rythme. C’est un Martien [rires] et mon ami musical.

Le Journal du Dimanche : Votre album dégage encore plus de gravité que les précédents. Est-ce votre état d’esprit ou l’époque qui vous incite à une telle inclination ?
Mylène Farmer : Difficile de ne pas être sidérée par cette période où l’on assiste à la fin d’un monde… Cela crée un grand vide et un chaos mental. Un monde nouveau se profile dont on ne connaît pas bien les contours. La seule certitude, c’est que le passage d’un monde à l’autre risque de se faire dans la violence. C’est très angoissant. Pour certains l’« à quoi bon » est prédominant, pour d’autres c’est l’envie de liberté, de s’affranchir de tout, et pour beaucoup la peur froide et terrible du lendemain. Quant à moi, il y a aussi l’introspection… Avec cette question essentielle : « Qu’est ce qui est important dans ma vie ? » Pendant longtemps j’ai été incapable d’écrire un seul mo... Je pensais tout arrêter. Puis c’est arrivé d’un seul coup. J’étais comme la marée montante...

Le Journal du Dimanche : La vie d’une artiste se partage entre l’écriture, l’enregistrement et la scène, que préférez-vous ?
Mylène Farmer : Ce sont trois moments intimes. L’écriture, c’est le moment où l’on tisse les mots, les émotions. L’enregistrement, c’est le choix de l’interprétation qui donne un sens aux mots. Et la scène est l’aboutissement, le partage... Enfin ! en un mot : l’essentiel... le public.

Le Journal du Dimanche : La plupart des artistes anglo-saxons ou français s’engagent dans des causes sociétales ou politiques. Pas vous. Est-ce une marque de désintérêt pour ce qui vous entoure ?
Mylène Farmer : Sincèrement, vous pensez que je pourrais manquer d’intérêt pour les choses, les événements, et finalement pour les autres ? C’est mal me connaître. J’ai choisi la voie de la vie privée. Je ne ressens pas le besoin de faire savoir mes engagements. Ils existent mais restent anonymes. C’est mon choix et c’est mon droit. Ma liberté. Je comprends tout à fait les artistes qui se font porte-parole, mais cela ne correspond pas à ma personnalité. Pour ceux qui écoutent mes chansons, quelques-uns de mes textes accompagnent les défenseurs de certaines causes depuis de nombreuses années.

Le Journal du Dimanche : À force de laisser planer un savant mystère autour de vous, de ne jamais parler ou de façon très elliptique, on se demande si vous n’avez pas un lourd secret à dissimuler ?
Mylène Farmer : Mais certainement, oui. Et puisque c’est un secret, laissons-le reposer en paix.

Le Journal du Dimanche : Des dizaines de livres sur vous ont été publiés. Les avez-vous lus ?
Mylène Farmer : Non. Je sais néanmoins qu’il y en a de qualité mais aussi beaucoup de prétendues biographies qui ne savent rien de moi. Qu’importe.

Le Journal du Dimanche : Quelle est celle qui s’approche le plus de la vérité ?
Mylène Farmer : Celle qui n’a pas encore été écrite ?

Le Journal du Dimanche : Vous chantez volontiers Eros et Thanatos. Quel est votre rapport aux hommes ?
Mylène Farmer : Eros et Thanatos résument bien mon rapport aux hommes. Entre pulsion de vie et pulsion de mort, les hommes sont une grande source d’inspiration dans mes textes. Ils sont tout à la fois attirants pour leur sexualité, leur ambition, leur grandeur d’âme et destructeurs par leur volonté de puissance, leur égocentrisme régressif, leur cruauté. La tension qu’ils créent entre ces deux pulsions est un chemin qui mène de l’amour à la haine et vice versa. C’est le chemin chaotique de la vie et probablement à l’origine de la plupart des œuvres depuis l’aube des temps.

Le Journal du Dimanche : Comme souvent, un mot revient très souvent dans votre album : « ciel ». Que vous inspire-t-il ?
Mylène Farmer : L’infiniment mystérieux, l’existence d’un au-delà… Un ciel poétique…. Le divin. Mais c’est aussi la possibilité d’un ailleurs pour les générations futures. Le ciel n’est sans doute plus synonyme d’un voyage uniquement spirituel, mais dans l’avenir une possible conquête… La réalité va peut-être rejoindre la science-fiction.

Le Journal du Dimanche : On devine chez vous une part de mysticisme. Vrai ou faux ?
Mylène Farmer : Si l’on parle de sentiment, ­d’intuition, c’est vrai. La plupart de mes choix sont intuitifs. J’ai besoin parfois d’être hors de ma zone de confort, d’être portée par un sentiment. C’est exaltant, c’est angoissant et c’est la vie.

Le Journal du Dimanche : Avez-vous recours à la prière dans votre vie de tous les jours ?
Mylène Farmer : C’est trop personnel, cette question. Je peux néanmoins vous dire que je pense souvent à la vie de Padre Pio, je lis la vie de sainte Thérèse d’Avila ou de sainte Thérèse de Lisieux. Que j’aime entrer dans des églises, qu’elles soient petites ou grandes, parce que c’est un lieu apaisant, tout simplement. L’odeur de l’encens est divine. On le sait, l’homme est un loup pour l’homme, mais je crois aussi à la bonté, à la puissance de l’esprit, des égrégores.

Le Journal du Dimanche : Que lisez-vous ? Quelles sont les derniers livres que vous avez lus ?
Mylène Farmer : Le dernier est L’Amour suprême, de Villiers de L’Isle-Adam​… J’ai ce livre depuis si longtemps, il déménage avec moi et nous nous retrouvons avec plaisir.

Le Journal du Dimanche : Annie Ernaux a été couronnée par le prix Nobel de littérature. L’avez-vous lue ? Aimez-vous son œuvre ?
Mylène Farmer : J’en suis désolée mais je ne connais pas son œuvre. Je vais m’y intéresser puisque vous m’en parlez. J’imagine sa joie. C’est immense, un prix Nobel.

Le Journal du Dimanche : Vous avez noué une amitié avec Salman Rushdie , avez-vous des nouvelles de sa santé ?
Mylène Farmer : Oui, j’ai des nouvelles de Salman Rushdie comme tout le monde. Je suis heureuse qu’il ait survécu à cet acte barbare. L’idée qu’un homme libre de sa pensée soit condamné à se protéger toute sa vie pour avoir exercé son travail d’écrivain me révolte. C’est vertigineux.

Le Journal du Dimanche : Que vous inspire son parcours littéraire et malgré lui politique ?
Mylène Farmer : C’est un parcours atypique. Une collision entre un artiste et l’Histoire qui engloutit l’ensemble de son œuvre. Salman Rushdie ne s’inscrivait pas dans une démarche politique, si je ne me trompe pas… Il est victime de l’intolérance, il est devenu un objet politique malgré lui.

Le Journal du Dimanche : Dessinez-vous toujours ? Pourquoi n’organisez-vous pas une exposition de vos œuvres ?
Mylène Farmer : Je ne me sens pas prête pour ça... Je le fais par plaisir, une façon pour moi de m’évader, de laisser mon imaginaire voyager… De me défouler, parfois.

Le Journal du Dimanche : Votre prochaine tournée s’appelle Nevermore. Le titre doit-il être pris au pied de la lettre ? Ce peut être la toute dernière ?
Mylène Farmer : Comment répondre à une telle question ? Je vis le moment présent. Je refuse de me projeter, c’est une source d’angoisse terrible pour moi. Le présent reste mon refuge. J’ai si hâte de retrouver le public, même si je suis toujours très angoissée de n’être pas à la hauteur de leur attente.

Le Journal du Dimanche : Comment envisagez-vousla suite de votre carrière ?
Mylène Farmer : En étant libre. Libre de me réinventer, de croiser le chemin de personnes talentueuses qui m’enrichissent intellectuellement, artistiquement ou tout simplement humainement. Je n’ai pas la réponse que vous attendez, j’imagine. Vous posez beaucoup trop de questions à mon goût. [Rires.] Je suis là pour ça, je crois...

Le Journal du Dimanche : Que rêvez-vous de faire dans les années à venir que vous n’ayez pas encore accompli ?
Mylène Farmer : Monter dans une soucoupe volante et m’envoler vers d’autres galaxies.

Le Journal du Dimanche : Avez-vous peur de vieillir ? Et peut-être de faire l’album ou la tournée de trop ? Mylène Farmer : Je n’ai pas de réponse à cette question. Mais pourquoi ne pas ajouter l’interview de trop, aussi… [Rires.]

Le Journal du Dimanche : Le débat sur la fin de vie agite la France : avez-vous un avis ? Faut-il légaliser l’euthanasie ?
Mylène Farmer : Je suis depuis très longtemps sensible à ce sujet. Il y a quelques années, j’ai rencontré Marie de Hennezel, femme incroyable, dévouée à ces personnes qui ont tant besoin d’être soutenues et accompagnées. Alors oui, demander qu’on « assiste ma fin de vie » est ce que je souhaiterais pour moi.

Le Journal du Dimanche : Quels sont les personnages, anonymes ou célèbres, que vous admirez ?
Mylène Farmer : Les médecins, les chirurgiens qui sauvent des vies, les souffleurs de verre, les gens simples qui mettent du cœur à l’ouvrage, Hélène Grimaud, pianiste envoûtante. Et tant d’autres…

Le Journal du Dimanche : Y a-t-il des rencontres qui ont marqué votre vie ?
Mylène Farmer : Mes chiens et mes chats et leur amour inconditionnel.

Le Journal du Dimanche : Madonna est-elle un modèle, une source d’inspiration, une amie ?
Mylène Farmer : Elle est une artiste qui a marqué, innové, et qui a comblé son public dans le monde entier. C’est impressionnant.

Le Journal du Dimanche : Vous n’avez jamais eu d’enfants. Avez-vous réfléchi à ce que deviendrait votre œuvre et son exploitation ?
Mylène Farmer : Non, mais ma famille est tout pour moi. Merci de me rappeler la finitude. [Rires.]

Le Journal du Dimanche : Qui vous fait rire ?
Mylène Farmer : Pierre Desproges et les Minions.

Le Journal du Dimanche : Qu’est-ce qui vous fait pleurer ?
Mylène Farmer : La poésie… et les oignons.

Le Journal du Dimanche : Beaucoup d’artistes quittent la France. N’avez pas été tentée de vous installer à l’étranger ?
Mylène Farmer : Dans l’Arctique avec les Inuits.


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