En plein Mylenium Tour,
Mylène accorde un entretien pour le talk-show
québécois de Julie Snyder (qui viendra, quelque
temps plus tard s'essayer à une carrière
à la télévision française,
sans réel succès). Il faut dire que, à
l'époque, il avait été fortement
question que la chanteuse aille donner quelques shows outre-Atlantique.
Mais ça ne s'est finalement pas fait. Curieusement,
l'entretien ne sera illustré qu'avec des images du Tour 96. Autres
curiosités de l'interview : Mylène y rit
vivement... et fume ! C'est la seule télé,
à ce jour, où la chanteuse s'est
autorisée ce 'vice'.
Le sujet commence par un rapide patchwork audio et vidéo,
mêlant des extraits des différentes
tournées et des différents clips de
Mylène, mais aussi des images dans les coulisses de
son Mylenium
Tour, avant d'entrer en scène.
Puis on découvre l'animatrice canadienne, à
l'accent très prononcé, en face de
Mylène, toutes deux assises sur des canapés en
cuir noir, dans ce qui semble être une loge. La chanteuse
porte une longue jupe écrue et une veste en jean bleu.
Julie Snyder : Vous
avez un succès phénoménal. Grasset
disait que la réussite c'est souvent la revanche sur le
bonheur. Est-ce que ça s'applique à vous ? Mylène
Farmer : Probablement, oui. (rires) Oui, c'est
très difficile d'être heureux. Julie
Snyder : Est-ce que quand vous étiez petite, vous
vous disiez : "Quand je serai grande, je serai chanteuse" ? Mylène
Farmer : Non, du tout. Je crois que je ne me
suis jamais posée cette question. En tout cas, je n'en ai
pas le souvenir. Je ne sais pas. Julie
Snyder : Et à quel moment vous avez eu envie de
devenir chanteuse ? Mylène
Farmer : C'est un hasard. Je voulais
être actrice, donc j'ai pris des cours de
théâtre, mais ça c'était
plus tardivement. Et puis, c'est une rencontre qui a fait que j'ai
commencé la chanson. Julie
Snyder : Et puis, vous vous êtes dit : "Je me lance
là-dedans" ? Mylène
Farmer : Là, je crois que c'est
la vie qui m'a happée. En tout cas, je me souviens
m'être dit : "Je sais que c'est ce que je veux faire".
Surtout à travers l'écriture. C'est quelque chose
qui m'a tout de suite beaucoup aidée et
intéressée. Extrait
de Rêver
pendant le Live
à Bercy qui se poursuit pendant les deux
questions suivantes. Julie
Snyder : Votre spectacle est très spectaculaire,
est un grand déploiement. Ça ne ressemble
à rien (sic). Autant c'est très spectaculaire,
autant
c'est très, parfois très émotif,
très intimiste. Quand vous vivez les moments
d'émotion, on sent la foule frissonner avec vous, et vous
pleurez même en interprétant certaines chansons.
Dans quel état êtes-vous ? Mylène
Farmer : D'émotion intense. C'est
quelque chose à la fois qui consume, et à la fois
c'est un partage. Julie
Snyder : Est-ce que vous pleurez systématiquement
à chaque spectacle ? Mylène
Farmer : Ecoutez, je ne sais pas. Je ne
réfléchis pas à tout ça. Si
ce n'est qu'il y a des chansons, oui, dont le texte me touche
profondément. Et puis c'est vrai que l'écoute que
j'ai, qui est d'une grande, grande qualité, d'une grande
chaleur, me provoque aussi, me suscite des émotions. Fin
de l'extrait de
Rêver. Julie
Snyder : Quand on assiste à votre spectacle, on a
l'impression d'être à la messe, à une
cérémonie (sourire de Mylène). Et
après la cérémonie, après
la communion avec le public, parce que c'est très,
très intense, est-ce que vous ressentez un vide
après, après cette grande force ? Mylène
Farmer : Je le ressens fatalement. Mais c'est
plus après une... quand une tournée est
terminée, que c'est vraiment le grand trou noir.
Là, j'ai la chance d'être accompagnée
et entourée. Donc c'est vrai que le plongeon est assez bref.
Maintenant, la nuit parfois (rire) propose d'autres choses. Julie
Snyder : Les paupières ont du mal à se
fermer ? Mylène
Farmer : Oui, beaucoup de mal, oui. Julie
Snyder : Qu'est-ce que vous faites dans ce cas-là ? Mylène
Farmer : Je crois que j'ai le spectacle qui
revient en boucle. Ce que j'ai considéré comme
étant des erreurs. Je pense à des textes. Je
pense à des mouvements, à tout ce qui fait le
spectacle. Extrait
de Désenchantée
lors du Live
à Bercy. Julie
Snyder : Vous arrivez à tout gérer. Par
exemple, le spectacle, c'est vous qui l'avez conçu. Mylène
Farmer : C'est moi, c'est moi et beaucoup
d'autres. Je crois que faire les choses seule, c'est quelque chose qui
ne m'intéresse pas. J'aime le dialogue, que ce soit avec un,
deux, dix... Maintenant, donner naissance à quelque chose et
puis après faire appel à des gens de talent
autour de moi. Julie
Snyder : Non, mais vous le portez sur vos épaules. Mylène
Farmer : (sourire) Je le porte sur mes
épaules oui, en tout cas au moment X,
c'est-à-dire quand je rentre sur scène. C'est
vrai qu'il n'y a
plus que moi, mais aussi des danseurs et des musiciens, et une
technique. Mais c'est vrai que si moi je flanche, le spectacle n'est
plus. Extrait
de XXL lors
du Live à
Bercy. Julie
Snyder : Vous êtes née au
Québec. (Mylène confirme) Et où vous
avez vécu exactement au Québec ? En
région ? A Montréal ? Mylène
Farmer : Une province du Québec, je ne sais plus.
(silence) Je me souviens simplement du nom
Sainte-Marcelline, si ça peut vous aider. (rire) Le reste,
je ne sais pas. Julie
Snyder : Vous alliez chez les sœurs, chez les
Marcellines ? Mylène
Farmer : Oui. Julie
Snyder : Et pourquoi vos parents, qui sont quand
même français... Parce que vos parents ne sont pas
québécois - on dit souvent que vous
êtes québécoise ; vous l'êtes
parce que vous êtes née au Québec, vous
avez un passeport canadien. (Mylène confirme) Mais pourquoi
vos parents étaient venus au Québec ? Mylène
Farmer : Pour raison professionnelle. Julie
Snyder : Et ils sont retournés en France aussi pour
raison professionnelle ? (Mylène confirme) Et est-ce que
vous étiez contente de retourner en France ? Mylène
Farmer : Je ne peux pas... Je pourrais
mentir. Je n'ai pas ce souvenir là non plus ! (rire) Julie
Snyder : Mais quand même, pour une petite fille,
de passer du Québec à la France, donc c'est une
autre culture, c'est... Avez-vous eu un choc en arrivant ici ? Mylène
Farmer : Ecoutez, on m'a dit, alors
là je vais vous répéter ce qu'on m'a
dit, oui, que c'était quelque chose d'assez difficile.
Maintenant, moi-même, je n'en ai pas le souvenir. Extrait
de Vertige
lors du Live
à Bercy. Julie
Snyder : Il y a des tableaux qui sont très sexy.
Vous êtes quand même, peut-être que vous
n'aimerez pas l'expression-, vous êtes un sex-symbol... Mylène
Farmer : Je ne sais pas. (rire) Julie
Snyder : Non mais que vous le sachiez ou non. (rire de
Mylène) Vous êtes très belle. Est-ce
que vous, vous vous trouvez belle. Quand vous vous voyez sur
scène ou quand vous regardez les vidéos ? Mylène
Farmer : Non, non. Ce sont des moments
difficiles pour moi (rire). Je
préfère voir l'ensemble, voir si le moment est
beau, riche, émouvant, mais quant à moi, me
polariser sur moi, non, c'est toujours très
difficile. Julie
Snyder : Pourquoi c'est quelque chose de si difficile de
parler de vous, de penser à vous... Mylène
Farmer : (la coupant) Il n'y a pas
de réponse. Julie
Snyder : ... de vous regarder ? Mylène
Farmer : Je ne sais pas. Extrait
du clip Libertine. Julie
Snyder : Est-ce que vous êtes aussi libertine que
dans vos clips ? Mylène
Farmer : Je... Là... Je sais que
cette question revient souvent, je ne peux pas répondre
à cette question-là (rire). Julie
Snyder : Ah ben comment je pourrais la formuler ?
(Mylène, qui tient désormais une cigarette, fixe
silencieusement l'animatrice du regard, tout en lui souriant) Vous me
regardez et : "Allez, rame ! Rame, ma vieille ! Je t'écoute
!" (rires). Mylène
Farmer : Passez à une autre
question, en tout cas (rires). Julie
Snyder : Ah, c'est ça ! Ma prochaine question, euh
: est-ce que vous aimeriez être comme dans vos clips ? Mylène
Farmer : Vous savez, une chanson, c'est une
chanson. (sur un extrait du clip Sans
contrefaçon)
Après, on a envie d'y mettre des images, de raconter une
histoire à travers cette chanson. Donc c'est un moment
choisi, un morceau choisi. Vous dire que si j'exprime "Sans
contrefaçon, je suis un garçon", si vous me posez
la question : "Est-ce qu'aujourd'hui, vous avez toujours envie de
mettre un mouchoir dans votre pantalon ?", je vais vous dire : "Non,
c'était le passé". Maintenant j'ai
exprimé ce moment-là. Ça ne veut pas
pour autant dire que je dois véhiculer ou cette image ou ce
sentiment toute ma vie. Extrait
de Sans
contrefaçon lors du Live à Bercy. Julie
Snyder : Je vous oblige en ce moment à parler de
vous, parce que je n'ai pas le choix puisque je fais une interview sur
vous, et qu'on ne va pas parler du canapé en cuir sur lequel
vous êtes assise (rires) ! Est-ce que vous avez
l'impression, par exemple, d'être chez le dentiste et qu'on
va vous arracher une dent ? Mylène
Farmer : Ce n'est pas à ce
point-là, mais c'est une sensation de malaise, oui...
(rires). Extrait
du clip Comme
j'ai mal. Julie
Snyder : Vous le dites vous-même : vous avez une
araignée en vous. Vous êtes une petite
‘bibite'. (Mylène reste silencieuse, perplexe,
puis fait les gros yeux et rit) Non mais euh... Parce que pour moi,
vous êtes une petite ‘bibite' dans le sens
où... Mylène
Farmer : (la coupant) Ça veut
dire quoi ? (elle éclate de rire, et porte sa cigarette
jusqu'au cendrier posé par terre) Julie
Snyder : Une ‘bibite', ça n'existe pas en
France ? Y'a pas de mot ‘bibite' ici ? (Mylène est
morte de rire) En France, une ‘bibite', c'est... Euh, en
québécois, une ‘bibite' c'est un petit
moustique (Mylène éclate de rire en tenant sa
cigarette, tandis que l'animatrice mime l'insecte), genre avec des
pattes. Mylène
Farmer : D'accord. Extrait
de Alice
lors du Live
à Bercy. Julie
Snyder : (sur un extrait du clip Pourvu qu'elles soient douces,
la scène de la poursuite à cheval)
Mylène, dans vos clips, vous prenez beaucoup de risques :
vous faites les cascades, vous galopez à cheval, vous
êtes attachée sur des trains. Est-ce que vous vous
êtes déjà blessée ? Mylène
Farmer : Brûlée deux
fois, sur le train (clip XXL,
ndlr), et pendant le dernier clip (Souviens-toi
du jour, ndlr), il y avait du feu à
proximité et il faisait très, très
chaud. Probablement des bleus, oui (sourire). Je suis quelqu'un de
très physique. J'aime ça. J'aime cette prise de
risque. Julie
Snyder : Est-ce que vous aimez souffrir ? Mylène
Farmer : D'une certaine manière,
oui, certainement. Certainement. Extrait
du clip Je
t'aime mélancolie (quand Mylène
reçoit de nombreux coups de poing). Julie
Snyder : Vous partagez votre vie avec un singe qui s'appelle
E.T. (sourire de Mylène). Comment ça s'est
passé ? Est-ce que vous vous êtes levée
un matin en vous disant : "Tiens, aujourd'hui, je vais me procurer un
singe" ? Mylène
Farmer : Je crois que ça s'est
passé comme ça. J'avais envie d'un animal, et je
suis allée dans les magasins qui, malheureusement, vendent
des animaux et je suis tombée sur cette petite fille.
(sourire) Julie
Snyder : Et vous l'avez vue tout de suite, comme ça
? Mylène
Farmer : Immédiatement. C'est
tentant d'avoir un singe. (sourire) Julie
Snyder : Oui ? (Mylène confirme) C'était
un coup de foudre ? Mylène
Farmer : Oh oui, total ! (sourire) Julie
Snyder : Instinctivement, on sait comment élever un
chien ou un chat, mais est-ce que instinctivement, vous saviez quoi
faire avec le singe ? Mylène
Farmer : Oui. J'ai dû
être singe dans une autre vie donc ça a
été très facile (rires). Julie
Snyder : Vous croyez à la réincarnation ? Mylène
Farmer : J'aime cette idée, elle
est très poétique. Julie
Snyder : Et qu'est-ce que vous voudriez être dans
une autre vie ? Mylène
Farmer : Ben puisqu'on ne peut pas
être un animal, c'est forcément un humain.
Maintenant... peu m'importe. Vivons celle-ci ! Extrait
du clip Je
te rends ton amour. Julie
Snyder : Vous êtes proche de Salman Rushdie pour
qui, en quelque sorte, le monde est une prison (Mylène
confirme). Et vous, vous avez déjà dit :
"Parfois, je me sens enterrée vivante". Est-ce que vous avez
l'impression que votre liberté, à vous aussi,
vous échappe ? Mylène
Farmer : Parfois. Mais je ne suis pas
sûre que ce soit le monde environnant qui m'impose
ça ; je crois que c'est moi toute seule effectivement. Et
quant à Salman Rushdie (la couverture de son livre
polémique Les
versets sataniques apparaît à
l'écran), c'est quelqu'un de très gai dans la vie
qui a beaucoup d'humour. Julie
Snyder : Est-ce qu'il vous communique cet humour ? Mylène
Farmer : Oh oui totalement ! On a de grands
éclats de rire ensemble (sourire). Julie
Snyder : Qu'est-ce qui vous attirait chez lui ? Pourquoi vous
avez eu envie d'aller vers lui ? Mylène
Farmer : Parce que c'est quelqu'un de
charismatique. Parce que c'est un grand écrivain - je n'ai
pas tout lu ses livres (sic), mais certains. Et puis parce que ce
qu'il a vécu est quelque chose qui m'a
profondément touchée. Et j'avais envie...
Voilà, il s'est trouvé qu'on s'est
rencontrés lors d'une soirée ; je suis
allée spontanément vers lui parce que j'avais
envie de le connaître. Julie
Snyder : On vous sent moins sombre qu'avant ? Mylène
Farmer : (silence et haussement
d'épaules) Ça, je suis pas sûre que je
puis répondre à une question comme
celle-là. Je... (silence) Je crois qu'on a tous... (silence)
ses ombres. Donc je les porte en moi, et je les porterai
jusqu'à la fin de mes jours. (silence) Je crois qu'on
apprend aussi avec la vie, avec le temps, ses expériences.
Là encore, tenter que de laisser ses fardeaux de
côté parfois, mais maintenant, ça
resurgit tellement vite. La
fin de l'entretien se fait avec Désenchantée
en fond sonore. Julie
Snyder : Votre plus grand hit, ou en tout cas un de vos plus
grands hits, c'est Désenchantée.
(Mylène confirme) Qu'est-ce qui vous enchante ? Mylène
Farmer : La gentillesse. La
générosité. (silence) Toute forme
d'art : la peinture, la littérature, le cinéma...
Et puis... (silence) Beaucoup de choses. Le voyage ; j'aime voyager. Julie
Snyder : Merci beaucoup. Mylène
Farmer : Merci à vous... d'avoir
souffert avec moi (rires). Julie
Snyder : Oh oui j'ai souffert autant que vous ! Il y avait une
belle réciprocité dans la
souffrance (rires). Les
deux femmes se lèvent. L'interview se termine sur la
toute dernière image du DVD Live à Bercy,
quand on voit Mylène dans les coulisses, après sa
sortie de scène - le tout sur la musique de Désenchantée.
Source
retranscription : Inside Of Mylène
Farmer - Référentiel des TV - Edition Why
Not - 2007