L'interview a été réalisée
le vendredi 08 octobre 1999 après les deux premiers concerts
de Mylène à Bruxelles.
Le Soir : Pourquoi refusez-vous
que les journalistes enregistrent
l'interview ?
Mylène Farmer : C'est un tout. Je n'aime pas
l'idée qu'on emmène ma voix
quelque part.
Votre entrée
en scène est assez
réussie. Vous semblez léviter, telle une
cariatide sortie de la bouche d'une
divinité...
Ce sentiment de magie ainsi créé et que le
spectateur
ressent, moi aussi je le vis ainsi. Je l'ai
fantasmé ce moment mais je ne l'ai encore jamais
vu.
La statue du
décor, la divinité, quel sens lui
donnez-vous ?
Quand j'ai demandé à Giger de pouvoir
utiliser et transformer son œuvre, je voulais une
entité. J'ai remplacé le visage qui
était celui de sa femme par celui d'Isis et
j'ai ajouté des bras. J'ai choisi Isis
car elle a plusieurs visages. J'ai donné naissance
à une créature qui, pour moi, est la
mère de la nature vivante. Elle évoque les
quatre éléments naturels, elle est le
cinquième.
La position de ses mains
fait penser à
l'hindouisme et au bouddhisme...
Ce serait mentir de dire que je suis une adepte du bouddhisme mais
cette pensée m'a intéressée
et m'a aidée. Cette divinité donne en
fait naissance à une personne qui reste très
humaine. Ça procède de la magie, je pense.
Ça reste
très impalpable. J'aime la poésie et la
magie.
Vous riez, vous pleurez...
Dans ce spectacle, plus que dans les deux premiers sans doute,
j'accepte l'idée que je peux recevoir du
public et pas seulement lui donner. Mais c'est difficile pour
moi de m'analyser comme ça. Quand je pleure,
j'ai les mots pour moi. Ça me touche, ce sont mes
textes. L'évocation de ces mots plus
l'émotion née du regard des gens me
font cet effet. C'est une telle concentration
d'amour ce concert. Il y a aussi la
théâtralisation des chansons, au travers des
costumes, de la mise en scène...
C'est la
première fois que Laurent Boutonnat,
votre partenaire de composition attitré, ne supervise pas un
de vos spectacles. Il a entièrement produit
l'album de Nathalie Cardone. Peut-on parler de rupture ?
Non, ça s'est fait comme ça. Il avait des
projets, il suit sa voie et moi la mienne. Nathalie et Laurent, ce
n'est pas mon problème, je leur souhaite seulement
de faire quelque chose de différent. Ce spectacle, je le
porte dorénavant seule sur mes épaules, c'est un
travail énorme, c'est vrai,
mais je suis très bien entourée.
Le fait de tirer en
longueur les chansons pour plaire au public vous
attire de mauvaises critiques. Peu importe ?
Je suis quelqu'un d'ouvert aux critiques mais
quand je suis sur scène, peu m'importe ce
qu'on peut en dire.
Vous avez une fois de
plus été très
loin avec votre dernier clip (Je
te rends ton amour, ndlr) que la plupart des TV refusent
de passer aux heures
de forte écoute...
On ne se lève pas un jour en se disant : aujourd'hui, je
vais choquer. Il se
fait que j'ai voulu évoquer Dieu et le diable et
que je savais que j'allais avec un tel sujet au-devant de
problèmes périlleux. Dois-je
m'autocensurer ? J'en mourrais... La
réaction des TV, c'est dommage mais le clip
s'est très bien en cassette et les
bénéfices ont été
reversés pour la lutte contre le sida.
Cette tournée
ne dure pas très longtemps alors que
l'investissement est énorme... (la tournée sera
finalement prolongée avec de nombreuses nouvelles dates et
villes en 2000, ndlr)
La scène n'a jamais eu un but lucratif pour moi.
Une tournée, c'est fatigant mais peu importe,
j'ai suffisamment d'énergie mais comme
je veux préserver l'émotion et le
plaisir de ces moments rares, je m'arrête avant
d'angoisser. Je ne veux pas tricher, je refuse que
s'installe la routine. J'arrête donc
avant. C'est un choix que j'ai toujours fait. Sinon, en allant
au-delà de mes limites, je me consumerais.
Après la tournée, il y a évidemment ce
trou noir à gérer tant bien que mal.
C'est un moment difficile à vivre. Sinon, je
n'ai pas de projets pour la suite...