Le Temps Libre
:
Avez-vous le sentiment de ressembler à votre personnage de
Catherine ?
Mylène Farmer : Le point commun c'est sans doute ce
mélange de fragilité et de force qui est en elle.
Mais je ne dirais pas que j'en suis proche, j'ai essayé
d'interpréter. Et je puise évidemment dans mes
détresses et mes propres névroses pour nourrir le
personnage. Catherine est une jeune fille "différente", au
caractère enfantin et anormal. Le fait est qu'on ne m'a
jamais considérée dans le milieu de la chanson
comme quelqu'un de tout à fait normal ! Moi je n'ai aucun
souvenir de mon enfance. Et c'est douloureux. Je peux m'en fabriquer
des souvenirs, mais je n'en ai pas de véritables. Mais en
matière de difficulté de vivre, je n'ai rien
inventé, ça fait partie de moi.
Le Temps Libre :
Vous êtes plus heureuse maintenant...
Mylène Farmer : Ce que je sais, c'est qu'avant de
créer, je n'étais pas très heureuse ;
ma vraie naissance, ou ma renaissance, date du jour où j'ai
pu m'exprimer. Et j'avais besoin du regard de quelqu'un. J'ai eu la
chance de rencontrer cette personne, de faire cette rencontre magique
et fondamentale... Mais je ne peux pas dire que je vais mieux
maintenant. J'ai eu la chance de pouvoir faire ce que je fais mais
aujourd'hui j'envie définitivement les gens qui ne se posent
pas de questions.
Le Temps Libre :
Vous auriez pu vous lancer dans le cinéma avec quelqu'un
d'autre que Laurent Boutonnat ?
Mylène Farmer : Je crois que oui, j'aurais pu, mais soit le
metteur en scène ne me plaisait pas, soit le sujet ne me
plaisait pas. Le rôle de La
leçon de piano, j'aurais dit oui !
Le Temps Libre : La
façon d'être folle de Catherine est une
façon assez douce, c'est un choix de l'actrice ?
Mylène Farmer : Je pense que le personnage est plus
introverti que spectaculaire mais ma personnalité fait sans
doute pencher plus encore vers le murmuré. Je n'aime pas les
cris et, dans cet univers qui tient du conte et qui nous
promène entre le vrai et le faux, le réel et
l'irréel, la lecture ne doit pas être trop
évidente. Quant à moi, je n'aime pas le conflit
et j'aime le silence. Dans la vie, je ne réponds pas aux
agressions. La vie fait payer à ceux qui doivent payer. Je
préfère penser ça et j'ai pu le
vérifier, de nombreuses fois...
Le Temps Libre :
Vos clips étaient déjà ambitieux, et
généralement très
scénarisés, mais là vous vous faites
plaisir dans les grandes largeurs, non ?
Laurent Boutonnat : J'ai toujours été musicien et
j'ai toujours voulu faire du cinéma. La chanson, c'est le
résultat du hasard. Le clip c'est intéressant
comme expérience et je l'ai effectivement abordé
de différentes façons, soit de façon
très rythmique, très musicale, soit de
façon plus écrite et plus
cinématographique. Mais aujourd'hui, il y a un terrorisme de
l'image, de l'image pure. Je crois que c'est d'ailleurs la fin d'un
cycle. Moi, au cinéma, j'ai envie de prendre le temps de
m'arrêter sur un visage, sur un paysage, donner le temps aux
choses et aux situations de se mettre en place, d'exister.
Le Temps libre :
Trois heures, ça existe ! Il y a plusieurs thèmes
dans votre film, le sujet de départ c'est quoi ?
Laurent Boutonnat : Je ne suis pas parti d'histoire
pré-existante. Ni livre, ni rien. Je suis parti de choses
inexplicables et le film a mûri pendant pas mal
d'années. En fait, je suis parti d'envies. Envies de faire
un film, envies primaires. Envies de vent, de neige, de couleurs, de
poussière, d'amour. A partir de ça naît
quelque chose. Dans l'écriture du script, la guerre par
exemple est venue bien plus tard. Cette première guerre
mondiale m'a intéressé parce qu'elle marque tout
simplement le réel commencement de la technologie du
XXè siècle. L'irruption finalement du nouveau
monde dans un univers bien en retard, qui ressemble au
Moyen-Âge. C'est aussi le moment où les femmes se
mettent à prendre pas mal de choses en main...