Mylène Farmer - Interview - Lyon Matin - 11 mai 1989
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Date11 mai 1989
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Média / PresseLyon Matin
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Interview parJocelyne Blanchard
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Fichiers
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Catégories interviews
Lyon Matin : Que représente pour vous cette première scène au Palais des Sports ?
Mylène Farmer : Je sais être attendue au virage. Les gens me pousseraient à placer ma tête sous la guillotine, mais je ne suis pas sûre qu'ils vont me la couper. Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour ne pas laisser tomber la lame. Trois mois pleins de préparation... Très physique ! Aller en scène ne s'improvise pas.
Il faut se donner tous les moyens de faire quelque chose qui ne donne pas à l'arrivée la moitié d'une chanteuse ou d'un décor.
L'important, de la chorégraphie à la préparation physique, type olympique, avec musculation, course à pied et assouplissement, c'est de faire un spectacle que l'on trouve tout à fait naturel aux U.S.A. et complètement anormal en France. Je transporterai le décor parisien en province. Car il n'est pas question de présenter la moitié de quelque chose.
Lyon Matin : A l'occasion du tournage de l'un de vos clips dans le Vercors, quel contact avez-vous eu avec Rhône Alpes ?
Mylène Farmer : Laurent Bat, assistant de Laurent Boutonnat pour mes clips avait fait des repérages pour la chanson Tristana. Il recherchait des lieux de tournage intemporels, des étendues féériques pour servir de cadre au récit de cette fille au coeur qui a pris froid. Dans le Vercors, nous avons trouvé un endroit désert, magique et superbe. Nous sommes restés là une semaine avec seulement une voiture à skis, une caravane et des chenilles pour monter le matériel. Et nous nous sommes perdus en fin de tournage ! Si j'en avais eu le temps, je serais bien revenue en hiver. Ou alors cet automne. La tournée me permettra peut-être de retrouver aussi une marraine à Meyzieu !
Lyon Matin : Qui est Mylène par rapport à Farmer ?
Mylène Farmer : Il n'y a pas de différence entre Mylène, ma vie intime et Farmer, ma vie professionnelle. On est tous doubles, mais c'est plus violent chez moi, par la confrontation de sentiments et d'états très différents. Tout être a ses paradoxes, les miens sont plus connus : c'est comme une mer qui ne serait jamais calme. Mais les plus grandes oeuvres se sont faites en état de crise. Combien d'artistes ont créé, au moment où ils sont anéantis partout...
Lyon Matin : A propos d'artistes, de quels créateurs aimeriez-vous être la muse ?
Mylène Farmer : De Villiers de l'Isle Adam. J’aime son désir d'absolu et son style d'écriture métaphorique. Rilke, quitte à voler son homme à Lou Salomé ! Sans oublier David Lean, Jérôme Bosch, Baudelaire. Comme lui, je pense que le beau est bizarre. Il suscite des sensations indéfinissables, donc étranges. Il peut faire pleurer. Quand j'ai fait "Mon Zénith à Moi", l'émission de Michel Denisot, j'ai choqué beaucoup de monde en évoquant une certaine beauté, dégagée par les images d'évènements tragiques au Mexique.
Lyon Matin : Votre prédilection pour les 18ème, 19ème siècles n'est elle pas un moyen de fuir les réalités présentes ?
Mylène Farmer : Parlons plutôt de distanciation. Sans penser que j'aurais pu vivre plus heureuse à ces époques-là, j'adore m'y projeter. Pour les costumes et le caractère magique des gens qui ne sont plus de ce monde. Et puis surtout, j'ai découvert aujourd'hui des écrivains que je n'avais pas eu envie de lire à l'école !
Lyon Matin : L'écriture de vos chansons constitue, dites-vous, une sorte de thérapie ?
Mylène Farmer : L'écriture m'aide à ne pas me taire. Ce qui m'insupporte c'est que l'on vous demande à l'école de vous taire. Quand on naît, on crie. Pourquoi n'aurait-on pas le droit de crier tout le temps. Je suis lucide : je n'écris que des chansons, même si pour moi, c'est très sérieux.
Lyon Matin : Comment peut-on être à la fois populaire et élitiste ?
Mylène Farmer : On peut franchir la barrière populaire sans se sentir une intellectuelle ; mais on aime à séduire d'autres personnes que celles du Top 50 ; même si ce public est pour moi le plus direct, le plus sensitif et le plus bouleversant.
Lyon Matin : L'amour a-t-il une place aussi discrète dans votre vie que dans vos chansons ?
Mylène Farmer : Ce succès qui a l'air d'être là... Il est vrai que c'est fondamental dans ma vie. L'amour, c'est la plaie ! Je n'arrive pas à en parler en termes de bonheur, de sérénité. Car je suis en quête d'un idéal qui n'existe pas. Ce qui ne m'empêche pas de multiplier les moments de bonheur. Comme l'héroïne du film La fille de Ryan, je cours après des chimères. Mais je ne suis pas complètement pessimiste !