Podium : Pourquoi
donnez-vous aussi peu d'interviews ?
Mylène Farmer : C'est une façon de me
protéger. D'abord, c'est plus une contrainte qu'un plaisir.
Je n'ai pas envie de me justifier à tout moment sur tout ce
que je fais. Et puis, je n'ai pas envie que ma vie devienne un lieu
commun. En plus, je ne suis pas une intellectuelle, je n'ai pas
à donner mon avis sur tout. J'écris des chansons,
je les interprète et, tout ce que j'ai à dire, je
le chante. C'est mon écriture.
Podium : Justement,
dans votre dernier album, vous chantez encore la douleur et la
mélancolie... C'est une ligne de conduite ?
Mylène Farmer : Je chante ce qui me touche, ce qui me
poursuit, ce qui me hante. Mais d'Ainsi
soit je... à L'autre..., il y a
une ouverture. Vers l'indéfini... Tellement de choses dans
la vie font qu'on évolue, quoique je n'aime pas tellement ce
mot, cela a un petit coté médical. Il est certain
que mon expérience de la scène a beaucoup
compté dans l'écriture de mon deuxième
album. De toute façon, je ne sais que parler de moi, de
l'autre à travers moi...
Podium : Vous
êtes toujours emmitouflée...
Mylène Farmer : J'adore l'hiver. Je trouve les gens plus
beaux, Paris plus beau. L'été, j'ai du mal
à m'habiller parce que j'aime bien mettre des choses
superposées, qui me cachent. Je déteste
l'été, les vacances, le soleil, je trouve
ça vulgaire... Peut-être aussi parce que le soleil
ne m'aime pas tellement !
Podium : Vous vous
protégez énormément, vous ne sortez
pas beaucoup. Avez-vous changé d'attitude depuis ce
dramatique accident chez Polydor, survenu il y a deux mois ? (Un fan de
Mylène Farmer, désespéré de
ne pas pouvoir la rencontrer, s'est précipité
chez Polydor avec un fusil trafiqué et a tué le
standardiste.)
Mylène Farmer : On m'a proposé de me
protéger, j'ai refusé. Dans ces
cas-là, on ne pense pas à soi, à ce
qui pourrait vous arriver, mais à la famille en deuil,
à cet homme qui est mort et qui n'y était pour
rien. Devant un tel drame, on se sent totalement
dépossédé de mots et de moyens. On
culpabilise, forcément. Cette mort est tellement injuste...
Podium : Vous aimez
beaucoup le noir, le blanc, le gris. Et chez vous, c'est comment ?
Mylène Farmer : Rouge et noir. Et les plafonds sont blancs.
Je suis extrêmement maniaque quant à l'emplacement
des objets ! De toute façon, je ne suis pas très
"bibelots", il y a assez peu de choses. Je vis toujours avec mes deux
singes, E.T. et Léon. Mais ils sont bien
élevés ...
Podium : Vos clips
avec Laurent Boutonnat racontent à chaque fois une histoire.
Vous songez depuis un certain temps déjà
à faire du cinéma ?
Mylène Farmer : La chanson est venue à moi par
hasard, il en sera certainement de même du cinéma.
Pour l'instant, les rôles qu'on m'a proposés ne me
plaisaient pas vraiment. Donc j'attends toujours.
Podium :
Qu'aimeriez-vous interpréter ?
Mylène Farmer : Le rôle d'une autiste. Ou celui
de La Fille de
Ryan, de David Lean, j'adore ce film, je le regarde sans
cesse. Et puis, tout ce à quoi je n'ai pas
pensé...
Podium : Et
l'écriture ?
Mylène Farmer : Le format chanson me convient parfaitement
et me suffit. Je n'ai aucun talent pour écrire quoi que ce
soit d'autre.
Podium : Vous avez
trente ans. Vous songez quelquefois au mariage, aux enfants ?
Mylène Farmer : Le mariage, c'est une belle chose mais ce
n'est pas le plus important pour l'instant, pour moi. Je n'ai pas
besoin de cet anneau pour aimer. Quant aux enfants, je ne saurais pas
les aimer, je ne me sens ni la force, ni l'espoir, ni les
capacités de faire des enfants.
Podium : Votre
dernier album parle de la foi, du mysticisme, et est beaucoup plus
ésotérique qu'érotique. Croyez-vous en
Dieu ?
Mylène Farmer : Je ne crois pas du tout, mais j'aime ce mot
et ce qu'il évoque. On est toujours en quête de
quelque chose après tout, non ? Comme disait Cioran : "Le
vide s'appelle Dieu...". Je me souviens des cours de
catéchisme, des leçons à apprendre par
cœur : c'est terrible. On notait l'aptitude des enfants
à croire en Dieu, c'est terrible ! Je suis violemment
anticléricale, tout cela n'est pas pour moi.
Podium :
Acceptez-vous la critique ?
Mylène Farmer : Bien sûr, quand elle est
justifiée (elle rit). Je suis très dure pour
moi-même, et si dure que je peux un jour décider
de me taire définitivement. Mais j'ai besoin du public,
besoin de réponses et j'ai l'honnêteté
de le dire. Je ne crois pas au créateur qui n'a pas besoin
de se sentir aimé. Ce métier est ma seule raison
de vivre. Si je ne rencontre plus le public, je m'effacerai.