Interview pour le
magazine "Première" pour la promotion du film
Ghostland réalisé
par Pascal Laugier sorti dans les salles en France le 14 mars 2018.
Première :
Vous avez souvent
dit que le cinéma vous était "plus que
nécessaire". Qu'il s'agissait d'un "besoin vital".
Ça
veut dire quoi ?
Mylène Farmer : Composer un personnage, évoluer
au sein
d'une famille imaginaire, devenir une mère qui risque sa vie
pour sauver ses enfants est un cadeau que m'offre le cinéma.
L'opportunité de vivre autre chose est un besoin vital... oui
!
Bien sûr oui. C'est un peu comme une
récréation de
l'âme. La promesse de vies multiples avant le retour, parfois
pesant, au quotidien. J'ai l'incroyable chance de rencontrer le public
depuis des décennies dans mon domaine de
prédilection et
je n'ai qu'une chose à leur offrir : ce que je suis. Le
cinéma est un "ce que je pourrais être..."
Pourquoi n'avoir tourné que deux films ?
J'ai
concentré toute mon énergie
vitale à ma passion : écrire et
interpréter,
monter sur scène. Allez vers "l'autre" est ma
raison de vie. La
puissance électrique d'un concert est une
expérience quasi mystique. C'est le plus beau
métier du monde. Le cinéma est avant tout une
question de
rencontre avec un personnage, une histoire, un metteur en
scène.
Ces rencontres sont rares mais pas impossibles !
Ghostland en
est
la preuve. De mon côté l'envie a
toujours
été présente mais il fallait
qu'elle soit
pleinement partagée. C'est ce qui s'est
passé
avec Laurent Boutonnat et Pascal Laugier. Le désir de
quelqu'un est un moteur puissant pour se
réinventer… Il n'y a pas
d'aventures sans
frissons.
Je me suis toujours demandé d'où
venait votre obsession des stars de l'âge
d'or
hollywoodien. Votre nom de scène fait clairement
référence à Frances Farmer et vous
avez
signé une chanson en hommage à
Garbo... Ce sont des inspirations ?
Oui ! Elles m'inspirent le respect. Leur courage est
immense. Ce sont des pionnières d'un combat, celui de la
reconnaissance des femmes dans un domaine artistique. Ces femmes ont du
caractère, sont insolentes, fragiles et sans concession.
Elles ont dit "non" quand le "oui"
était de mise. C'est
probablement pour cela que certaines d'entre elles ont
été broyées par le système.
Il faut du
courage pour faire accepter sa différence.
Aujourd'hui,
j'ai l'impression que l'on tend vers une
uniformité de genre, où tout le monde se
ressemble.
L'uniformité et l'art ne sont pas de
bons amis.
Parmi les artistes à qui vous avez
confié vos clips (de Luc Besson à Marcus Nispel,
Abel
Ferrara ou Ching Siu-tung) beaucoup pratiquaient un cinéma
de
genre. Quel est votre rapport à ce cinéma si
présent dans votre univers ?
Dans le cinéma fantastique ou
d'horreur, il y a un contrat moral très intime
entre le
réalisateur et le spectateur qui l'autorise
à le
laisser explorer vos peurs les plus primales, vos angoisses, vos
névroses. Tout ce qui est de l'ordre du
"jardin secret".
C'est, j'imagine,
la raison pour laquelle ce genre de cinéma est
très
clivant. Il y a ces contes cruels auxquels on s'abandonne
volontiers lorsqu'on est enfant et ces films
d'horreur qui
viennent vous bousculer à l'âge adulte.
Au fond, il
n'y a aucune différence. Ce cinéma vous
rappelle
que vous avez été un enfant. Dans ce genre, de
nombreux
films me touchent :
Le
Labyrinthe de Pan,
Le
Locataire ou
Rosemary's baby,
L'Exorciste
forcément,
Suspiria,
Inferno,
Carrie,
Pulsion... Mais il
y en a tant
d'autres...
Comme Martyrs ?
Oui. J'avais aimé
l'audace de ce
film "coup de poing". Je pense
que
Martyrs
est
une œuvre sans concession dans laquelle Pascal Laugier nous
dit
clairement qu'il assume ce genre (qu'il
maîtrise
très bien par ailleurs). C'est une
étape importante
dans son parcours qui lui a probablement donné la
possibilité d'écrire un
Ghostland
vraiment
réussi, plus sophistiqué et tout aussi efficace.
Me
voilà critique de cinéma ! (Rires.)
Pourquoi avoir choisi Pascal Laugier
pour réaliser votre clip City of Love ?
J'ai suivi attentivement son
travail depuis
son premier film,
Saint
Ange. Il a un univers extrêmement
dense
que chacun de ses films révèle peu à
peu. Pascal
est un cinéaste très érudit. Mais
c'est
surtout un auteur passionnant et un metteur en scène
très
exigeant. Je le trouve courageux dans ses choix, son parcours. Et
comment ignorer qu'il a eu l'audace de me proposer
Ghostland ?
Mais c'est moi qui ai fait le premier
pas pour
City of Love.
Je cherchais un réalisateur capable de
créer un univers étrange, gothique et
poétique
à la fois, tout en ayant le sens du rythme. Le choix de
Pascal
était évident.
Dans City of Love,
Pascal Laugier se
mettait au
service de votre univers, avec Ghostland
vous intégrez le
sien.
Le passage de l'un à l'autre
s'est-il fait
naturellement ?
C'est valorisant de confronter
son
expérience comme le feraient deux personnes qui‘n'ont pas les mêmes outils mais
travaillent de la
même manière. Nous avons des points communs, nous
sommes
viscéralement "dark"
mais attirés
par la lumière.
Vous acceptez facilement de vous mettre
au service d'un autre créateur ?
S'il s'agit de
partage, oui. S'il
s'agit de dictature, non ! Je suis un être
libre qui
ne supporte pas l'autorité. Mais la plupart du
temps cela
se passe très bien. Il n'y a des morts dans dans
le
script. (Rires.)
Qu'est-ce qui vous a
séduire dans l'offre de Pascal Laugier ?
Sa confiance totale et
irréversible. Son
désir de travailler avec moi. Pascal est quelqu'un
qui ne
se préoccupe pas des préjugés, il
sait, il veut,
il fait. Il vouait que je sois une mère prête
à
tout pour sauver ses deux filles de la barbarie. Je le suis devenue
pour lui.
Vous vous souvenez de ce que vous
ressenti en lisant le scénario ?
Il m'est apparu dès
la première
lecture que le script était incroyablement captivant et bien
ficelé en jouant sur les dimensions rêve et
réalité. C'est un peu un train
fantôme en
trois dimensions dans lequel on prend plaisir à prendre
place
même si on sait que le voyage risque
d'être
chaotique. Je n'ai suggéré aucune
modification,
vous pensez ! Si ce n'est le prénom de
mon
personnage. À l'origine, elle s'appelait Colleen.
Nous
avons beaucoup échangé sur le rôle de
Pauline avant
que Pascal ne me laisse "l'habiter".
Quand je suis arrivé à Winnipeg pour les
essayages des
costumes, j'ai choisi un manteau qu'il a
apprécié. J'ai senti que
c'était
important que j'adopte une silhouette qui correspondait au
personnage. J'aime bien son approche, vous laisser vous
approprier l'âme et la coquille.
Une des questions qui sous-tend Ghostland
pourrait
être : doit-on
s'échapper du réel ou au contraire
l'affronter ?
La vraie question serait
plutôt : peut-on
s'échapper du réel ? La
réponse est
malheureusement négative. S'il existe un domaine
où
la règle impose que l'on doive fuir le
réel,
c'est bien l'art en général
et le
cinéma en particulier. Je suis définitivement du
côté du rêve, là
où la vie prend toute
sa dimension.
On retrouve dans votre personnage de
Ghostland,
une
constante de votre musique et de vos clips : vos personnages
sont
toujours des femmes fortes, individualistes,
libérées...
Fortes et fragiles à la fois.
Et un peu
barrées aussi... (Rires.) On dit des hommes
qu'ils
évoluent et se façonnent tout au long de leur
vie.
Imaginez les femmes !
merci à
@MoiMylene
pour la retranscription