NOVEMBRE 1996
RADIOS REGIONALES
Audio
Interview enregistrée avant le début de la
seconde partie du Tour
1996 et diffusée sur plusieurs radios
régionales françaises (Wit FM, Top Music...)
Bonjour Mylène. Je
suis tout à fait ravi de vous rencontrer. Je vais commencer
par une question concernant l'album Anamorphosée. Il avait une optique beaucoup
plus rock, dira-t-on, un son plus rock. Est-ce que c'est une
manière d'exprimer la violence, une violence plus
affirmée que dans les précédents
albums qui étaient plus pop ?
Mylène Farmer : Je ne crois pas que
c’était réfléchi de cette
façon-là.
Je crois que c’est simplement une volonté que
d’avoir des… une envie,
plutôt que d’avoir des guitares, mais rien de
réfléchi réellement.
Parce que c'est
vrai qu'on était un peu surpris par rapport à ce
qu'on avait l'habitude d'entendre... ce qui est pas plus mal,
d'ailleurs.
C’est peut-être mon passage en Californie.
Peut-être et probablement.
A force, j’imagine, d’écouter la musique
ou californienne
ou américaine, on s’en imprègne. Et
puis un vrai désir que d’avoir
des instruments live, puisque j’ai
précédemment beaucoup utilisé,
justement, ce qu’on appelle les machines ! (rires)
Donc ça a fait une couleur différente,
oui !
Vous vous
êtes davantage ouvert sur les autres et sur le monde dans ce
dernier album, semblerait-il. Rêver,
par exemple, votre dernier tube, est un véritable appel
à la tolérance, à l'amour de son
prochain. Qu'est-ce qui a nourri ou quel
événement vous a guidé dans cette
écriture de Rêver
?
J’ai, je crois, toujours eu ça en moi. Maintenant,
c’est vrai
que d’affirmer, que de demander aux autres une certaine
tolérance,
il faut être, peut-être, plus en harmonie avec
soi-même, donc
c’est peut-être ce qui m’a
autorisée aujourd’hui à
écrire des choses…
des choses comme Rêver.
Vous dites que vous
êtes plus en harmonie avec vous-même. Est-ce que
c'est une chose que vous avez ressenti ? Enfin, j'ai pu lire
effectivement des interviews dans la presse où vous disiez
qu'entre 30 et 35 ans c'est un peu l'accomplissement, enfin, on arrive
à un moment crucial de sa vie, et...
Crucial, ça, je ne sais pas. En tout cas c’est un
moment qui est
plus tendre pour moi, ou plutôt je suis plus tendre envers
moi-même.
Donc c’est un moment qui est plus agréable pour
moi, oui, la trentaine,
que l’adolescence, que tout ce que j’ai
traversé jusqu’à
présent.
Est-ce à
dire, pour rebondir sur ce que vous dites, que le mythe
Mylène Farmer tombe ? C'est-à-dire ce
mystère qui régnait peut-être autour du
fait que vous étiez moins en harmonie avec
vous-même…
Je ne sais pas. Si vous, vous parlez de mythe, moi je ne pourrai
jamais évoquer ça me concernant. Maintenant,
est-ce qu’un
mystère, puisque vous l’évoquiez
également, tombe parce que,
tout à coup, on est plus réceptif au monde
environnant, je ne le
crois pas.
Maintenant, s’il tombe et s’il est
tombé, peu m’importe. Voilà ! (rires)
Si vous
êtes plus en harmonie avec vous-même, ça
veut dire aussi que l'expression de la dualité s'exprime
moins chez vous, à travers... La dualité,
c'est-à-dire, la violence, la douceur, la vie et la mort ;
un thème sur lequel vous êtes très
souvent intervenue, donc cette dualité, notamment dans Sans Logique.
Je crois que cette dualité fait partie de moi et fera partie
de moi
jusqu’à la fin de mes jours. Maintenant, est-ce
que j’ai envie de l’exprimer
aujourd’hui ? Non ! Je crois l’avoir assez fait. Et
j’ai essayé, moi,
de panser mes douleurs. Maintenant, en aucun cas ça
n’épuise la dualité,
voilà. Mais les douleurs sont moins vives et je suis
guérie de certaines
choses. Donc c’est vrai que je les exprimerai moins
facilement.
Là encore, ce n’est pas une... comment dirais-je ?
On ne change pas
radicalement, on ne passe pas du blanc au noir. Maintenant, on
peut avoir certains changements qui sont profonds, qui font que et
votre écriture et vos thèmes de
prédilection et votre musique va... va
s’en sentir transformée (sic).
Justement, par
rapport aux blessures : la compassion, c'est une valeur, une notion
importante pour vous ? Je pense notamment à un titre qui
s'appelle Et tournoie... : "Sous ton âme la
plainte amère - Panse-la, donne-la". "Donne-la",
donc, "partage-la".
Je crois qu’elle est devenue fondamentale, oui ! Je crois
qu’avant de s’intéresser à
soi-même, il est plus intéressant de
s’intéresser
à l’autre. Maintenant, vous dire que
j’en fais une nourriture
quotidienne… Je ne suis pas une sainte ! Mais quant
à ces mots
comme "tolérance" ou "compassion" et... ce sont des choses
qui
sont importantes dans ma vie, oui, qui dirigent ma vie. Je crois
qu’on a tous une
difficulté que de vivre, peut-être pas pour tout
le monde, mais on a
tous nos problèmes et que d’être
concentré et être totalement
nombriliste est quelque chose de totalement stérile !
A toutes ces
questions qu'on vous pose sur l'enfance, votre vie affective ou
amoureuse etc., votre sexualité, pensez-vous que vous avez
déjà répondu dans toutes vos chansons,
dans toute votre carrière jusqu'à
présent à toutes ces questions qui sont
insidieuses et qui, à la limite, ne regardent personne ?
C’est-à-dire, ça les regarde et ne les
regarde pas. C’est toujours
l’ambiguïté de ce métier, en
tout cas, ce métier d’écriture.
C’est vrai
que si j’évoque quelque chose, on va me demander
une justification.
Maintenant, je suis d’accord avec vous. Dès
l’instant où j’ai écrit et
mis
ces mots sur un papier, je considère que j’ai fait
ce que j’avais à faire,
donc que je n’ai plus besoin de cette justification. Ou
qu’alors on
aura une lecture effectivement suffisante pour que je n’aie
pas à rajouter
des choses par rapport à ça. Mais c’est
impossible puisqu’on
demande éternellement une justification, le pourquoi du
comment.
Et puis il ne faut pas oublier qu’une chanson,
c’est un moment, ça peut retranscrire un moment
précis, mais qui va s’évanouir deux
heures plus tard. Maintenant, on a jeté ces mots sur le
papier, donc
trois jours plus tard, il va falloir se justifier quant à
ça. Et si je n’ai
pas envie de me justifier ? Mais donc voilà, là,
c’est l’ambiguïté de ce
métier…
Et alors, est-ce
que, par exemple, quand on écrit une chanson, on
l'écrit, on la chante, ensuite on la produit, on passe dans
le studio etc. Donc, il y a tout un processus et ensuite, on va la
produire sur scène. En l'occurrence, pour vous, c'est vrai
que la scène ne suit pas automatiquement chaque album et
qu'il y a un moment... est-ce que vous arrivez à ressentir
les mêmes choses ou à faire ressentir les
mêmes choses, parce que c'est ça aussi la magie de
l'artiste, c'est arriver à faire passer, même
quelques mois après avoir jeté comme
ça ses mots sur le papier, à faire repasser...
Est-ce que c'est facile, une fois arrivée sur
scène, vraiment devant le public, de continuer, d'aller
jusqu'au bout de ses paroles ?
Ça me l’est relativement, si tant est
qu’il y a certainement des
chansons que j’ai mis de côté.
Maintenant, ne me demandez pas
lesquelles parce que je ne sais pas moi-même ! (rires) Mais
à partir
du moment où je décide
d’interpréter une chanson sur scène, il
ne
s’agit pas de se dire : "Voilà, parce que le
dernier album est sorti on va
mettre tout le dernier album". Je crois que c’est un peu plus
humain
que ça. Donc pour répondre à votre
question, toutes les chansons qui
sont sur scène sont des chansons que je vis et que
j’essaye de faire
vivre avec le plus d’honnêteté que je
puis. Une chanson comme...
je ne sais pas... je pourrais chanter Ainsi soit je....
Maintenant j’ai
préféré Rêver
parce que c’est une chanson plus récente et qui
est
plus près de moi aujourd’hui. Mais si je devais
chanter Ainsi
soit
je..., je le chanterais avec la même
motion… (elle se reprend) pardon,
la même émotion que sur la scène
précédente. Parce que c’est
quelque chose qui a fait partie de moi, donc j’ai la
mémoire de tout ça !
(Mylène intègrera Ainsi soit je...
à la setlist de la seconde partie du Tour 1996 qui
débutera après l'enregistrement de cette
interview, ndlr)
Par rapport
à ces deux chansons que vous citez, c'est assez curieux
parce que, Ainsi soit
je..., c'est un espèce de 'Amen', comme
ça, alors que Rêver,
ça projette des choses dans l'avenir. Est-ce que c'est
ça le changement chez Mylène Farmer aujourd'hui
ou...
Probablement ! Là encore, vous
me demandez de m’expliquer, ou de tenter de
m’expliquer. Il y a fatalement
un changement en moi qui s’est produit. Mais
peut-être que je... Je ne sais
pas bien... Peut-être l’acceptation de certaines
choses, ou, en tout cas,
la démission d’autres choses...
On va parler du
spectacle puisque c'est un grand moment, ça, pour
un artiste. C'est-à-dire qu'on est jeté en
pâture, comme ça, à son public. Moi,
j'ai eu l'impression en voyant ce deuxième concert - j'avais
vu le premier- qu'il y avait peut-être plus une
volonté de grand show, comme ça et
d'avant-gardisme, même. Est-ce que vous avez
réussi au final à faire ce que vous vouliez ?
Totalement, et là sans prétention aucune !
C’est uniquement
par rapport à ce que j’ai, moi, j’ai pu,
moi, me sentir, totament... (elle
se reprend) pardon... totalement en harmonie avec ce que je voulais
et évoquer et faire et vivre. Donc c’est un joli
cadeau pour moi.
Et, est-ce qu'on
peut mettre ça en parallèle avec,
systématiquement une manière de faire des remixes
pour chaque morceau ? C'est vrai que c'est une tradition, je dirais,
chez Mylène Farmer, que de remixer des morceaux. Est-ce que
c'est des choses sur lesquelles vous donnez juste votre aval ou est-ce
que vous le sentez bien ?
Là encore, parfois, on est un petit peu bridé par
ce genre de choses. C'est vrai que moi j'aime bien les remixes en
général et j’aime bien donner ma
chanson à quelqu’un qui ne fait pas partie,
entre guillemets, de mon univers, qu’on va prendre en
Allemagne
ou en Angleterre, et qui va posséder la chanson ou la
détruire pour
en faire quelque chose d’autre. C’est toujours
intéressant ! Maintenant,
est-ce que c’est une réussite à chaque
fois, je n’en suis pas sûre !
Il y a des choses qui, moi-même, me surprennent, et je me dis
peutêtre
que, sur une chanson... parce que souvent ou les anglais
ou les allemands procèdent de cette façon : ils
enlèvent totalement
la chanson, laissent un mot, et vont faire après tout le
délire qu’on
peut faire autour ! (rires) Maintenant, je l’ai
accepté ! Est-ce qu’on
désincarne totalement une chanson ? Peut-être.
Mais est-ce que c’est
aussi l’avenir d’une chanson ? En tout cas est-ce
qu’elle perdure ? Je ne sais pas bien. Peut-être
que c’est volontaire,
dans le fond, que de détruire et désincarner
quelque chose. Ce sont
des choses qui devraient passer et s’oublier.
Est-ce que vous
avez la même démarche quand vous vous jetez en
pâture à un photographe comme Herb Ritts ? Est-ce
que, je dirais, on paye pour voir quand on va chercher Herb Ritts ou
bien est-ce qu'on se dit : "J'ai vraiment envie de travailler avec cet
homme talentueux" ?
Non ! On paye pour avoir ! Et ça, c'est un
privilège, d'abord, que de pouvoir payer pour avoir. Et
puis,
c'était un moment agréable pour moi, parce qu'on
sait déjà qu'on fait appel à un talent
qui est certain. Donc, il y a une angoisse qui est diminuée.
Et puis c'est toujours intéressant... Je n'ai pas beaucoup
travaillé avec des photographes hommes, masculins et
c'était un regard qui était différent.
Et c'est quelqu'un qui, je crois, malgré tout me connaissant
très peu, a respecté ma personnalité
tout en mettant son talent et tout ce qu'il a l'habitude de, lui,
projeter.
Concernant le
concert encore, est-ce que pendant la tournée le concert a
évolué ?
Evolué... Je pense que plus on fait les concerts et mieux
c'est. Mais des changements, aucun. Ni l'ordre des chansons, ni le
choix des chansons. Non parce que, là encore, je crois que
quand j'ai construit le spectacle, je savais ce que je faisais, en tout
cas ce dont j'avais envie. En ça, ça n'a pas
été modifié.
merci à Styx Magazine spécial
Mylène Farmer Référentiel des radios -
2013 - Editions Sunset Publishing
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