Mylène Farmer - Interview - Salut - 08 mai 1991
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Date08 mai 1991
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Média / PresseSalut !
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Interview parMarc Thirion
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Fichiers
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Catégories interviews
Salut : Pensez-vous que le désenchantement général de cette génération soit quelque chose d'ancien, ou que c'est la fin de siècle qui veut ça ?
Mylène Farmer : Je ne veux pas faire de généralisation, mais depuis que je suis née, je vis dans cet état d'esprit. Et les temps s'avèrent de plus en plus durs, de plus en plus difficiles. Il n'y a plus de grand enchantement c'est vrai, on ne nous offre plus grand-chose. C'est de mal en pis. Mais finalement, ce que j'en dis, c'est plus du domaine du constat que de la rébellion. Même si j'ai des envies de rébellion (sourire). Ce n'est pas quelque chose de négatif que ce constat, c'est un autre regard. C'est se dire "ma foi, tout cela n'est pas terrible, ce sont les eaux troubles". Mais ces états-là mènent toujours à de grandes créations, alors il faut espérer qu'il va se passer des choses intéressantes.
Salut : Les thèmes que vous abordez dans ce troisième album restent les mêmes que dans les deux premiers. L'amour, la mort, ce qui se passe entre les deux...
Mylène Farmer : Oui, ce sont mes thèmes de prédilection, c'est la peur du lendemain, une certaine mélancolie, une tristesse... Peut-être que mon regard a changé, mes mots aussi, par rapport à ce que j'ai pu vivre entre-temps. La forme est un peu différente, mais le fond en aucun cas. Du coup, je me trouve dans le rôle du critique, et avoir ce genre de recul, c'est difficile. Mais enfin un artiste se répète inlassablement, inexorablement. Et c'est normal.
Salut : Avec le sida, l'amour et la mort n'ont jamais été aussi proches l'un de l'autre. Comment réagissez-vous par rapport à cela ?
Mylène Farmer : (Enorme silence) C'est une pirouette bien macabre de la vie. Je ne dirai que des lieux communs par rapport à ça. C'est vrai qu'amour et mort n'ont jamais été dissociés. Mais le vivre dans un état de maladie c'est intolérable. Cette maladie-là est horrifiante, parce qu'elle est lourde de sens. Ça ne vous réconcilie pas avec la vie, voilà.
Salut : Qui sont vos amis, Mylène ?
Mylène Farmer : Les amis que j'ai sont tous dans un métier artistique. Que ce soit costumière, photographe, peintre ou scénariste. Ils ont tous cette fibre artistique. Je crois que pour une entente et un dialogue, c'est indispensable. Ce qui ne veut pas dire que je ne peux pas trouver de points communs avec quelqu'un d'autre. Mais à un moment donné de ma relation avec mes amis, on s'est rejoint dans le travail. C'est important pour moi.
Salut : Est-ce que vous ne regrettez pas un peu quelquefois votre anonymat ?
Mylène Farmer : Non, jamais. Jamais je ne l'ai regretté. Jamais. Dans la mesure où je m'expose très peu, finalement je n'en souffre pas. Je ne souffre pas en tout cas du fait que l'on puisse me demander quelque chose ou essayer de me parler. Je suis allée vers ça parce que c'était ma raison d'être aussi. Donc je ne crois pas que je pourrais un jour le regretter.
Salut : Et dans la rue quand vous êtes sollicitée, ça vous dérange, vous êtes gênée ?
Mylène Farmer : Le peu de fois où ça se produit...Vous savez, je crois que l'on fait son malheur soi-même, ou son bonheur d'ailleurs. Il y a des personnalités vers qui l'on va plus facilement. Il y en a d'autres qui se font peu remarquer... Enfin, je vis mal ces choses-là. Je vis mal la reconnaissance immédiate. Cela dit, sur scène avec un public, là c'est fabuleux. Mais je le vis mal parce que je ne sais pas le vivre bien, en tout cas pour le regard de l'autre. Je préfère m'effacer. Ce n'est pas quelque chose de désagréable, jamais. C'est dur pour quelqu'un de venir dire "voilà, j'aime bien ce que vous faites", ce n'est pas facile du tout, ça je le sais très bien. Mais je sais aussi que ces personnes-là ne peuvent sentir forcément ce que vous voulez leur exprimer, donc je préfère me protéger de ça. Et je ne vais pas au devant de ça, jamais.
Salut : Leur exprimer dans l'instant ?
Mylène Farmer : Oui, dans l'instant. Dans mon travail, je fais en sorte de donner un maximum de choses.
Salut : Pensez-vous que quelquefois les gens passent à côté de certaines choses dans vos disques ?
Mylène Farmer : Ce sont des personnes qui ne sont pas sensibles à ce que je fais. Ou qui veulent le porter en dérision et c’est la loi des choses. Maintenant il y a critique et critique. La critique ne me dérange pas. Quand elle est niaise, elle me fait sourire.
Salut : Il y a aussi beaucoup d'humour dans ce que vous faites, et ça tout le monde ne s'en aperçoit pas toujours. On vous décrit comme morbide, triste, etc.
Mylène Farmer : Je pense que dans une lecture, il y a toujours un troisième et un quatrième degré. Je ne peux pas condamner la personne qui ne veut pas le lire. En tout cas, il y a un regard sur moi-même qui est "S'ils savaient...". (sourire)
Salut : Vous avez chanté Garbo dans votre premier album (Greta). Est-ce que la façon qu'elle a eu de gérer sa célébrité, en se coupant du monde, vous a servi de modèle ?
Mylène Farmer : Non, dans la mesure où je n'envie pas ce qu'elle a vécu. On a envie de dire de Garbo, comme les gens qui m'écoutent : "on comprend". Je comprends beaucoup de ses états et de ses refus. Mais je ne pense pas qu'elle était réellement en harmonie avec ce qu'elle a vécu et ce qu’elle souhaitait réellement. On ressent une fêlure et ça doit être très dur à vivre aussi.