Interview
réalisée au bar de l'hôtel Georges V
à Paris.
Stars Magazine : A quel moment
avez-vous songé à donner une suite au clip
de Libertine ?
Mylène
Farmer : Le personnage était très fort, nous
avions envie de le
voir vivre plus longtemps. L'idée d'une suite
n'était donc pas exclue dès le tournage
de Libertine.
Tout a resurgi avec Pourvu
qu'elles
soient douces, même s'il était
difficile,
voire complexe, de greffer cette histoire autour de la chanson.
Stars Magazine : Pouvez-vous
revenir sur le tournage de ce clip ?
Mylène
Farmer : Nous avons passé huit jours dans la forêt
de
Rambouillet. Debout à cinq heures du matin et
couchés le
lendemain vers une heure. J'ai tenu à être
présente en permanence, même lorsque je ne
tournais pas.
L'équipe technique était composée de
cinquante personnes, auxquelles il faut ajouter les quelques six cents
figurants. C'étaient des engagés dans
l'armée ou des appelés. Nous avons
également
travaillé avec un conseiller historique. C'était
essentiel pour la crédibilité de tout ce qui
touchait
à cette époque. Il m'a appris, par exemple, que
les
femmes tenaient le pistolet différemment des hommes. Si ce
clip
a été le plus dur à tourner, il s'est
révélé le plus passionnant.
Stars Magazine : Pour vous, le
clip est-il un luxe ou un moyen d'imposer vos chansons ?
Mylène
Farmer : Le clip de Pourvu
qu'elles soient douces a
coûté près de 280 millions (en anciens
francs soit environ 530 000 euros, NDLR). On peut donc
parler de luxe ! Pour ce qui est de la seconde partie de votre
question, je crois aujourd'hui en avoir la réponse. La
chanson a démarré comme une fusée, ce
qui est
toujours un peu effrayant. C'est peut-être le fruit de
quatre années de travail. Toujours est-il que, si ce clip a
enrichi la question, il n'a pas été le facteur
primordial de sa bonne marche.
Stars Magazine : Ce besoin
d'illustrer vos chansons en images correspond-il
à la pensée de Gainsbourg comme quoi la chanson
est un
art mineur ?
Mylène
Farmer : Non, il s'agit d'un art comme les autres.
D'ailleurs, Gainsbourg a rectifié sa déclaration
par la suite en affirmant : "Les arts mineurs sont en train
d'enculer les arts majeurs". La musique est essentielle
à l'homme, comme le sont les images et les mots. Et puis
tout dépend de qui s'immisce dans cet art, hélas
souvent galvaudé !
Stars Magazine : Pourquoi ce
choix du XVIIIè siècle ?
Mylène
Farmer : Je redécouvre aujourd'hui l'histoire, qui ne
m'intéressait guère à
l'école.
J'adore les costumes du XVIIIè,
j'adore me
projeter dans cette époque. Avec Libertine, elle
s'est imposée d'elle-même.
Stars Magazine : Vous
semblez avoir néanmoins un
côté passéiste ?
Mylène
Farmer : Vous faites allusion à mon goût profond
pour les
costumes, les décors ? Certes, je les aime. Je dirais que
j'aime le costume pour le costume. Le fait est que je me sens
mieux dans des costumes d'époque, souvent plus masculins.
Les cols officiers ou les chemises à jabot, je peux tout
aussi
bien les porter dans la vie. En littérature, je suis plus
attirée par le XIXè
siècle. Par contre, si je devais tourner au
cinéma, je
préfèrerais être projetée
dans un univers
antérieur.
Stars Magazine : Et l'Angleterre ?
Mylène
Farmer : C'est un pays que je connais mal, j'ai donc peu de choses
à en dire. Je lui préfère la culture
française. Le clip est un peu ironique envers les anglais,
mais
pas méchant. Tout au plus, souligne-t-il la le
côté
maniéré des anglais de l'époque.
Stars Magazine : Venons en
à la scène et au rendez-vous fixé au
Palais des Sports en mai prochain.
Mylène
Farmer : Je sais être attendue au virage. Les gens me
pousseraient
à placer ma tête sous la guillotine, mais je ne
suis pas
sûre qu'ils vont me la couper. Je ferais tout ce qui est en
mon pouvoir pour ne pas laisser tomber la lame. Mais par provocation,
je l'affûte ! Rien n'est plus excitant... Monter sur
scène est un projet ambitieux, et ce, dans n'importe quelle
salle. Dès le début, j'ai tenu à
placer la
barre très haute. Je ne voulais pas une salle
dite intimiste. La communication avec le public est
évidemment nécessaire mais j'aime aussi
l'idée de distance, d'une scène grande et
profonde. La salle du Palais des Sports est celle qui a
allumé
en moi une petite flamme. Il va falloir que je surprenne, je le sais.
Je ne peux rien en
dévoiler, mais je travaille déjà tous
les jours
sur la chorégraphie du spectacle. Je me suis
imposée un
rythme de travail draconien.
Stars Magazine : Avez-vous une
idée du public qui viendra vous voir ?
Mylène
Farmer : Il sera composé en grande majorité de
jeunes, mais pas
seulement. C'est normal, vus les thèmes abordés
dans
mes chansons. Ce qui prouve qu'on peut être une artiste
populaire tout en cultivant un certain élitisme. De toute
évidence, il existe une envie de démolir les
tabous, de
se violer, soi et le public, avec des thèmes qui ne sont pas
populaires. Seul Gainsbourg avait su jusqu'à
présent les aborder. J'ai envie de succès mais,
depuis mes débuts, je n'ai fait aucune concession. De Maman a tort
à Libertine,
nous
ne sommes pas dans le mouvement pop. D'autres facteurs rentrent
d'évidence en jeu, comme la médiatisation. Une
partie du public s'attache à la personnalité
d'une artiste, l'autre à son image.
Stars Magazine :
Êtes-vous perfectionniste dans tous les domaines ?
Mylène
Farmer : Je suis en quête de perfection. C'est une faille de
ma
personnalité, un défaut. On peut ne pas aimer ce
propos. C'est pourtant l'image transparente de mon original. Ne pas
être attaquable, c'est ne pas tendre de perches.
Stars Magazine : Justement,
parlons un peu de vos rapports avec la presse. Vous ne la
recevez qu'en échange d'une couverture...
Mylène
Farmer : La couverture ou rien, c'est ce à quoi vous faites
allusion ? Quand vous démarrez, on vous rappelle souvent ce
que
vous n'êtes pas encore. J'ai souffert et beaucoup
travaillé pendant quatre ans. Maintenant, je suis en droit
de
demander quelque chose, une récompense peut-être.
Pour
moi, une couverture c'est magique et beau. La demander peut
sembler agressif à certains. Je les laisse libres de ne pas
parler de moi. Ce n'est pas grave.
Stars Magazine : Auriez-vous un
ego surdéveloppé par rapport aux autres artistes ?
Mylène
Farmer : J'ai assurément un ego très fort. Mais
pour moi,
c'est plus la couverture en tant qu'objet qui compte.
J'ai toujours admiré l'emballage d'un cadeau.
C'est vrai, je suis narcissique !
Stars Magazine : Qui est
Mylène par rapport à Farmer ?
Mylène
Farmer : Mylène et Farmer sont mon identité, mon
nom. Le tout
forme sur moi et sur ma popularité une protection. Il n'y
a pas de différence entre Mylène, ma vie intime,
et
Farmer, ma vie professionnelle. Je suis toujours la même,
quelles
que soient les situations dans lesquelles je me trouve.
Stars Magazine : Parvenez-vous
à écrire pendant les périodes de
promotion ?
Mylène
Farmer : Je voudrais dire tout d'abord que l'écriture a
été pour moi une thérapie. Je l'ai
découverte seule quand je vivais mal le passage de
l'adolescence à l'âge adulte. Je l'ai
ressentie comme un viol. Écrire, c'est s'avouer des choses.
Il m'est arrivé de rayer des phrases que ma main
écrivait. Mon esprit me poussait à les retirer.
Je ne me
sentais pas encore prête pour les
révéler.
Pour
en revenir à la question, je ne peux pas écrire
en
période de promotion car j'ai besoin d'une
concentration permanente. Tout ce que je peux faire, c'est
extraire des phrases de mes lectures ou des pensées. Le plus
gênant, c'est que j'arrive de moins en moins à
ouvrir un livre. Pour lire, j'ai besoin de temps, de repos, comme
un recueillement, ce qui m'est impossible quand je travaille
beaucoup. Je parviens heureusement à dévorer un
livre de
temps en temps. Je vous recommande L'apprentissage de la ville
et Le bonheur
des tristes de Luc
Dietrich. Il est mort d'une blessure de guerre alors qu'il
écrivait un troisième bouquin sur les
hôpitaux
psychiatriques.
Stars Magazine : Vous prenez un
malin plaisir à brouiller votre personnage ?
Mylène
Farmer : Je n'aime pas jouer. Quand je parle, je ne joue pas. Je hais
les jeux, sous toutes leurs formes. Sans doute par
appréhension
de perdre. De plus je ne triche pas. Tricher, c'est mentir. La
façon dont je me présente est le reflet de mes
sentiments
internes. La monotonie est si laide...
Stars Magazine : Dans Ainsi soit
je...,
avez-vous
l'impression de vous être entièrement
dévoilée ?
Mylène
Farmer : Oui, par rapport à une volontaire inhibition
antérieure. Cet album est presque un viol
organisé de ma
personne, dû à des contextes, à une
écriture. Ce viol était un besoin, comme celui de
me
dévoiler par l'écriture. J'ai
l'impression d'avoir dit des choses qui
m'étonnent moi-même. Sur mon premier album, je
n'avais écrit que trois textes. Avec Ainsi soit je...,
je suis arrivée à transmettre
d'autres choses, sur des thèmes que je juge
inépuisables.
Stars Magazine : Vous brillez
dans l'ombre du mystère de votre personne. Est-ce
consciemment ?
Mylène
Farmer : C'est plutôt une volonté, pas toujours
affirmée certes. Je suis dans la position suivante : avoir
besoin de points couverts pour mieux me dévoiler.
Stars Magazine : Et si
l'inspiration, un jour, n'était plus au rendez-vous ?
Mylène
Farmer : Si je sens en moi une faiblesse, je n'écrirai plus.
S'il y a une qualité que je m'accorde, c'est
bien l'honnêteté. Je n'aime pas jouer, je ne
sais pas tricher.
Stars Magazine : Parlons du duo
Farmer - Boutonnat.
Mylène
Farmer : C'est la magie d'une rencontre dans le domaine
créatif. Je crois qu'on peut parler d'une source
intarissable. Peut-être, un jour, aurons-nous besoin de nous
échapper mais pour l'instant nous ne vivons ni tension
ni fatigue, du moins pour ce qui regarde le public.
Stars Magazine : Vous laissez
volontairement planer un doute sur votre relation ?
Mylène
Farmer : Je ne veux pas de jardin secret qui devienne lieu commun. Ma
vie
privée m'appartient, je n'ai aucune envie d'en
parler. Je préfère écrire des textes.
C'est
de toute façon complexe. Je pourrais vous dire une chose
aujourd'hui et son contraire demain. Il n'est pas facile de
se protéger. Quelquefois, j'éprouve
même un
malaise car j'aimerais répondre. Mais il existe ce barrage
du journaliste et de la projection sur le public. Je suis
néanmoins, beaucoup moins bloquée en interview
que je ne
l'étais à mes débuts.
C'était
vraiment terrible !
Stars Magazine : Le terme
de Pygmalion employé par beaucoup pour
évoquer Laurent Boutonnat vous gêne-t-il ?
Mylène
Farmer : Ça me laisse indifférente. Je
réponds simplement que
deux personnes sont nées en même temps. Bien
sûr le
terme de producteur est toujours plus magique aux yeux des gens que
celui d'interprète. Mais je suis en paix avec
moi-même et mon album Ainsi soit je....
Stars Magazine : Laurent
Boutonnat a su vous rendre dans vos clips à la fois
pudique et provocante. Imaginez-vous quelqu'un d'autre
derrière la caméra ?
Mylène
Farmer : Fameux paradoxe que ma nudité dans les clips. Elle
était certainement liée à Laurent. Si
demain un autre me le demandait, je ne sais comment je
réagirais. Là, je savais qu'il n'y avait
aucune trahison, aucune vulgarité. Laurent ne m'impose
jamais rien. Il y a avant tout dialogue entre nous.
Stars Magazine : Vous parlez de
nudité au passé ?
Mylène
Farmer : Certainement et pourtant je n'ai aucune idée du
sujet
de mon prochain clip. Mais cette fois, je crois que c'est
terminé.
Stars Magazine : Même
pour un long-métrage ?
Mylène
Farmer : C'est différent : si ça
présente une
utilité évidente pour le sujet, pourquoi pas ? Un
corps
de femme est beau s'il est bien filmé.
Stars Magazine :
Mylène et l'érotisme, un phantasme ?
Mylène
Farmer : Oui. J'aime l'érotisme, c'est très
beau, mais je dis non au sexe. Je l'abolis. Je suis une
romantique, violente et sensuelle.
Stars Magazine : Vous disiez
pourtant auparavant ne pas aimer votre personne ?
Mylène
Farmer : Paradoxe ! Je suis propulsée dans le courant avec
une
étiquette paradoxe. Comme dit le proverbe :
"Apprends à cultiver ce dont les autres se moquent".
Mais je ne le fais pas par jeu !
Stars Magazine :
Êtes-vous désormais en parfait accord avec votre
corps ? La fameuse question du miroir...
Mylène
Farmer : Le miroir est fondamental dans ma vie. J'ai en permanence
besoin de mon reflet. Il n'est pas toujours celui que
j'espérais mais il ne m'empêche pas de me
jeter au devant d'une scène.
Stars Magazine : Vous
êtes très attachée à la
notion d'androgynie ?
Mylène
Farmer : Je me sens éternellement androgyne. Adolescente,
j'étais une fille manquée, je rejetais toute
féminité. J'ai vécu une
période pas
très agréable. Aujourd'hui j'ai
l'impression de changer un peu. Une transformation à la
fois physique et mentale.
Stars Magazine : Une
personnalité complexe se dégage de vous...
Mylène
Farmer : On parle de fragilité. Elle existe certainement
mais je
ne suis pas que fragilité. Je crois avoir une force de
caractère masculine.
Stars Magazine : Comment vous
séduit-on ?
Mylène
Farmer : C'est un sujet un peu difficile à aborder. Disons
que
les choses immédiates me séduisent : n'importe
quoi, un regard, une façon de se mouvoir. Mais je veux
bien m'échapper de ce sujet.
Stars Magazine : Parlons de
solitude.
Mylène
Farmer : J'aime la solitude. Plus on devient un personnage public et
plus on y plonge. Il faut s'y faire et l'apprivoiser.
Stars Magazine : Vous donnez
l'impression de vivre en dehors du temps présent.
Mylène
Farmer : Je ne me désintéresse pas de
l'actualité
mais mes jouissances viennent d'ailleurs. Je refuse
néanmoins l'isolement total, qui deviendrait dangereux.
Stars Magazine : Pourtant vous
évoquez la mort, le suicide ?
Mylène
Farmer : Des thèmes et des actes. J'ai croisé la
mort sans m'en être approchée. Ça
marque à
vie. Je pense à une phrase d'Edgar Poe : "La vie est
une longue tragédie dont le héros est un ver
conquérant". Si je devais choisir, je
préférerais la congélation
à la déchéance physique.
Stars Magazine : Croyez-vous en
la réincarnation ?
Mylène
Farmer : Je voudrais bien croire à l'immortalité
et
à l'existence d'un dieu. J'aime cette
idée d'un être supérieur. Une petite
histoire
me revient en tête. Deux poissons sont dans un bocal. L'un
d'eux demande : "Dieu existe-t-il ?". L'autre
répond : "Si Dieu n'existait pas, qui nous
changerait notre bocal ?"
Stars Magazine : Croyez-vous au
destin ?
Mylène
Farmer : Il y a les élus et les autres. De cette
élection
peut naître soit une grande élévation,
soit
l'abîme le plus profond. Certaines choses nous sont
données, à nous de les enrichir.
Stars Magazine : Si vous n'aviez
pas été Mylène Farmer ?
Mylène
Farmer : Comme je suis très attirée par les
singes, je dirais
Diane Fossey. Elle a vécu avec les gorilles. Dans une vie
antérieure, je crois avoir été une
souris. Dans
mes rêves, il y a souvent des souris.
Stars Magazine : Les nuits de
Mylène ?
Mylène
Farmer : Je ne suis pas insomniaque. Mais j'ai des nuits difficiles,
sans réveils subits mais tourmentées, faites de
rêves et de cauchemars. Des nuits surpeuplées. Je
n'ai pas un sommeil réparateur qui me laisse
fraîche
et dispose le lendemain matin.
Stars Magazine : Votre attirance
pour les animaux est-elle le signe d'une fuite du monde des humains ?
Mylène
Farmer : C'est une forme de solitude, de lâcheté
peut-être. Ne pas vouloir affronter la
réalité des êtres. Par ailleurs, j'ai
un
besoin tactile de les caresser.
Stars Magazine : Le masque ?
Mylène
Farmer : On rejoint ce que j'ai dit précédemment.
Je
n'ai pas de masque qui me voile la face. Même si, parfois,
je dois faire des efforts par rapport aux autres. J'essaie de
leur faire partager le moins possible mes moments difficiles.
L'artiste n'est pas seul à souffrir.
Stars Magazine : Parlons de la
musique que vous écoutez.
Mylène
Farmer : J'ai une attirance pour les musiques de film. En ce moment,
j'écoute celle de The
Mission. J'aime
aussi Moricone, John Barry, Delarue, Goldschmitt. Mais
j'écoute aussi Peter Gabriel, Kate Bush, Laurie Anderson
et beaucoup de classique. Mais là encore j'ai
besoin de temps, comme pour la lecture. Une préparation est
nécessaire...
Stars Magazine : Vous ne faites
partie d'aucun courant musical, d'aucune bande d'artistes. Est-ce
volontaire ?
Mylène
Farmer : C'est vrai, j'ai très peu d'amis dans ce
métier. Je préfère être
entourée de
personnes qui font un métier éloigné
du mien.
Stars Magazine : Si nous
terminions par vos passions ?
Mylène
Farmer : J'aime les animaux mais nous en avons
déjà
parlé. J'ai deux singes. J'ai plutôt des
passions artistiques. J'admire tout ce qui est création.
Plus jeune, j'ai pratiqué le modelage, la poterie. Le
contact avec la terre est si particulier...