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Mylène Farmer - Interview - Studio Magazine - Janvier 1994



  • Date
    Janvier 1994
  • Média / Presse
    Studio Magazine
  • Interview par
    Jean-Pierre Lavoignat
  • Fichiers
    Mylène Farmer Presse Studio Magazine Janvier 1994 Mylène Farmer Presse Studio Magazine Janvier 1994   Mylène Farmer Presse Studio Magazine Janvier 1994  Mylène Farmer Presse Studio Magazine Janvier 1994   Mylène Farmer Presse Studio Magazine Janvier 1994  Mylène Farmer Presse Studio Magazine Janvier 1994   Mylène Farmer Presse Studio Magazine Janvier 1994  Mylène Farmer Presse Studio Magazine Janvier 1994   Mylène Farmer Presse Studio Magazine Janvier 1994  Mylène Farmer Presse Studio Magazine Janvier 1994  Mylène Farmer Presse Studio Magazine Janvier 1994  Mylène Farmer Presse Studio Magazine Janvier 1994
  • Catégories interviews



Studio Magazine : On dit qu'à l'origine, vous vouliez être actrice et que la chanson est venue presque par hasard. Vous rappelez-vous quand est né ce désir d'être actrice ?
Mylène Farmer : Vers seize ans, lorsque j'ai décidé que l'équitation (je faisais beaucoup de cheval) n'était pas un métier pour moi. Je me suis alors dirigée vers le théâtre. J'y avais peut-être pensé avant, mais je ne l'avais jamais formulé. C'est sûr cependant, qu'il y avait en moi depuis longtemps, cette envie de sortir du lot, de faire quelque chose que les autres ne font pas...


Quand vous étiez enfant, vous jouiez à vous inventer des personnages ?
J'ai très peu de souvenirs de mon enfance. Je n'essaie pas de me créer un personnage, de créer un mystère, c'est juste que je n'ai pas de souvenirs, que je ne sais pas qui j'étais...


Vous êtes-vous interrogée là-dessus ?
Pas vraiment. Je sais simplement que ce n'est pas une enfance malheureuse, et qu'il n'y a pas eu un événement qui a fait que, tout d'un coup, j'ai été complètement bloquée et qu'il a fallu tout effacer... Peut-être est-ce juste un désintérêt total pour moi, enfant...


Quand vous avez abandonné l'équitation, qu'est-ce qui vous a donné envie d'être comédienne ? Des films ? Des acteurs et des actrices ?
Je ne sais pas, c'est assez confus. Sans parler de vocation, j'avais le sentiment que c'était quelque chose d'évident pour moi - même si ça ne veut pas dire que c'était évident à faire ! (rires) Je savais simplement que c'était ça que je devais faire, je ne me suis jamais demandé pourquoi. Peut-être était-ce seulement l'envie de s'oublier et la volonté de créer. Je ressentais, en tout cas, que c'était pour moi un besoin vital. A tel point que je disais : "Si je ne fais pas de cinéma, j'en mourrai...". Certes, ce n'était que des mots et c'était sans doute un peu exagéré. Je ne voulais pas forcément dire que je me tirerais une balle dans la tête, mais on peut mourir d'autres façons. On peut s'éteindre, faire le deuil de ce qu'on est...


Comment expliquez-vous ce besoin vital ?
Par le besoin du regard de l'autre. Totalement. Définitivement, oui


Ce besoin, la chanson et la scène ne l'avaient pas satisfait ?
La scène, si. Le courrier que je reçois, évidemment aussi. Le fait même que quelqu'un achète un de vos disques, c'est déjà une preuve d'amour capitale. Mais il n'empêche...


Bette Davis disait que beaucoup d'acteurs sont devenus acteurs parce qu'ils ne se supportaient pas eux-mêmes...
(dans un éclat de rire) J'épouse tout à fait ce point de vue ! Se haïr soi-même et, en même temps avoir envie d'être sous les lumières... C'est une dualité paradoxale mais tellement vraie...


Puisque vous parlez de dualité, il y a quelque chose d'assez troublant dans l'image que vous donnez de vous à travers vos clips : plus vous vous montrez, plus vous vous exposez et plus vous êtes insaisissable...
Sans doute est-ce ma nature profonde... Et si vous avez cette sensation-là, c'est justement parce que c'est quelque chose qui ne se fabrique pas...


Et il y a toujours aussi ces ambiguïtés : moitié fille-moitié garçon, moitié victime-moitié bourreau...
Ça fait partie de moi. Si je n'avais pas peur d'enfoncer des portes ouvertes, je vous dirais qu'on a de multiples facettes et de multiples personnages. Ça tient de la schizophrénie - mais, à mon niveau, elle est encore vivable, voire agréable...


Revenons à votre désir d'être actrice. Vous êtes donc allée dans des cours de comédie, qu'est-ce que vous y avez appris ?
Je suis souvent restée sur les bancs ! J'y ai rencontré un professeur que j'aimais beaucoup, mais c'est tout... Quant au jeu et tout le reste, je ne pense pas avoir appris grand-chose. Mais parce que je ne voulais rien apprendre. J'ai toujours su qu'il fallait que j'attende le moment opportun pour donner ce que j'avais à donner. Ce n'était sans doute pas le moment. J'aimais regarder les autres travailler, c'était un univers que j'aimais bien mais, par exemple, je n'avais pas très envie de monter sur scène. J'étais trop introvertie et j'avais trop peur de ne pas pouvoir m'en sortir. Pourtant, je me suis aperçue bien plus tard - en montant sur scène pour chanter - que c'était un combat qui pouvait se terminer par quelque chose de plus heureux... Monter sur scène, ça peut paraître naturel, mais pour moi, c'est extrêmement violent et conflictuel. Heureusement, il y a ce bonheur tellement intense...


Vous vous souvenez de la première fois où vous avez chanté sur scène ?
Oui. C'était à Saint-Etienne. Une image me vient pour exprimer très précisément ce que j'ai ressenti ce jour-là. Je vous la livre, bien qu'elle ne soit pas très jolie et que j'ai toujours peur de l'impact que ce type d'images peut avoir : j'ai eu la sensation d'avoir vomi toutes mes entrailles... Et avec un bonheur intense... La scène, c'est forcément quelque chose qui vous élève... Ce qui fait la différence avec le cinéma, c'est que sur scène, j'ai l'impression de dire "J'ai besoin de vous", or, j'attends du cinéma qu'un metteur en scène vienne me dire "J'ai besoin de vous". Certes, j'ai ressenti ça avec Laurent (Boutonnat) mais c'est différent, puisqu'on se connaissait et qu'on savait qu'on travaillerait ensemble. Je sens que j'ai besoin de cette déclaration-là...


Pourquoi avez-vous arrêté les cours de comédie ?
Ce n'était qu'un passage... Il y a des choses qui ne s'expliquent pas. On se laisse porter par les jours qui passent et, un matin, on se dit : "Stop j'ai terminé mes classes." Et c'est ce qui s'est passé. Je devais avoir 18-19 ans.


Et là, donc, qu'avez-vous fait ?
Là, ça a été le trou noir ! On a beau se dire : "Je veux être actrice, je veux faire du théâtre ou du cinéma...", s'il ne se trouve personne pour vous écouter, vous n'êtes guère plus avancée... Toute cette période-là a été bien sûr parsemée de boulots divers. J'ai vendu des chaussures, j'ai fait le mannequin, j'ai même assisté un gynécologue... (rires) C'est une période que je déteste. Comme je déteste (j'ai quand même quelques souvenirs d'école !) l'adolescence... La mienne en tout cas.


C'est étonnant, parce que vos chansons et vos clips dégagent toujours une sorte d'adolescence éternelle...
C'est peut-être justement que je n'en finis pas de la rechercher...


Pendant ce trou noir, avez-vous douté de vous et de votre vocation artistique ?
Je doute toujours ! Mais je pense que j'ai quelque chose en moi qui, en permanence, fait la balance. On peut se détester, n'avoir aucune confiance en soi et, en même temps, posséder une force, une détermination, une énergie que les autres n'ont pas. Je crois que j'ai ces deux éléments-là... C'est même sûr, sinon je ne serais pas là ! Même si je sais que je vais souffrir davantage, il y a toujours en moi l'envie d'aller plus loin, plus haut, plus fort ou plus vite...


C'est après ce "trou noir" que vous avez rencontré Laurent Boutonnat et que, d'un seul coup, vous avez fait irruption dans la chanson. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
C'est un ami commun qui nous a présentés. Ils avaient écrit une chanson qui était Maman a tort. Je devais correspondre au personnage qu'ils recherchaient.


Et vous, vous aviez le sentiment de correspondre à cette chanson ?
C'est le côté acteur justement qui, là, l'a emporté. A savoir qu'il y avait une part de moi qui se retrouvait dans la chanson, et une autre qui jouait à s'y retrouver. Après, tout s'est enchaîné. Mais, sincèrement, je n'avais jamais imaginé que je pourrais faire des choses dans le domaine de la chanson. Cela a donc été très soudain, et la rencontre avec Laurent quelque chose de très très important.


Qu'est-ce qui vous a le plus frappée quand vous avez rencontré Laurent Boutonnat ?
Ses yeux, je pense (rires). A la fois des yeux très doux et des yeux de fou ! Et puis, j'ai tout de suite su que j'avais affaire à quelqu'un de très très talentueux mais de très secret, et qui a du mal à s'exprimer...


Est-ce que vous avez senti très vite senti une conjonction d'univers ? Parce qu'il y a dans tous vos clips, un univers esthétique très cohérent, très singulier et, de l'extérieur, on ne sait ce qui vous revient et ce qui revient à Laurent Boutonnat...
Les univers se rejoignent, c'est vrai... On est comme des jumeaux. Sa faculté à révéler cet univers-là est sans doute plus grande que la mienne. Moi, je n'ai pu le faire qu'en écrivant. Mais l'écriture m'a passionnée très vite... Dès le premier album. Au début, Laurent écrivait, mais je me suis aperçu que j'en avais besoin. J'ai donc pris sa place et je crois que ça l'a soulagé ! (rires)


Et pour les clips, comme ça s'est passé ?
Pour les clips, j'ai laissé faire Laurent. Certes, il y avait les mots, mes mots, au départ, mais le propos d'un clip n'est pas d'illustrer chaque mot, donc à un moment donné, il faut bien se débarrasser du texte. Et j'ai laissé Laurent travailler sans intervenir. De même qu'il n'intervient pas quand j'écris. Chacun ses territoires. Pour mieux les confondre après.


Est-ce que le cinéma est pour vous une source d'inspiration ? Je pense à des chansons comme TristanaGreta...
Ce serait abuser que de dire que c'est une source d'inspiration. La réelle source d'inspiration, c'est... mon nombril ! Je ne suis capable que de parler de mon nombril. En tout cas, c'était ça au début, peut-être qu'aujourd'hui ce serait différent... Il faudrait que j'essaie de parler des autres...


Allez-vous beaucoup au cinéma ?
J'y vais de plus en plus. Il faut dire que, maintenant, je n'ai plus cette peur que j'avais il y a quelques années, de sortir dans la rue, d'aller au cinéma, d'être regardée. Je commence à m'en débarrasser... Depuis le film.


C'est le tournage de Giorgino qui vous a libérée de cette appréhension-là ?
Le tournage, je ne sais pas, en tout cas la rencontre de certaines personnes. Et puis aussi, sans que je sache vraiment l'exprimer ou le définir, c'est comme si, pendant le film, je m'étais libérée de quelque chose qui était enfoui en moi depuis très longtemps.


Quels sont vos cinéastes préférés ?
J'aime profondément Jane Campion, dont j'ai vu tous les films. J'aime beaucoup Bergman... Ses mots. Ses silences surtout... Mais j'aime aussi David Lean, Polanski, Annaud, Sergio Leone...


Il est clair que, pour Laurent Boutonnat, faire des clips était un moyen détourné de faire du cinéma. Est-ce que c'était la même chose pour vous ?
Pas tout à fait quand même. Surtout, dans les clips, il n'y a pas la voix d'un personnage, il n'y a que le chant. Sur le tournage de Giorgino, j'avais la sensation étrange de ne pas toujours reconnaître ma voix puisque c'était à la fois la mienne et celle du personnage...


Est-ce que vous auriez imaginé faire votre premier film avec quelqu'un d'autre que Laurent Boutonnat ?
Ce n'était pas mon souhait, mais il a fallu tellement de temps pour monter Giorgino que cela a failli arriver. J'ai eu certaines propositions, mais il faut croire que ce ne devait pas être les bonnes ! (rires)


Qu'est-ce que vous avez refusé ?
Je ne peux pas vous le dire. Plus d'ailleurs pour protéger le film ou le metteur en scène que moi... Un seul m'a vraiment tentée, mais c'était en même temps que mon concert. (il s'agit du film Un week-end sur deux réalisé par Nicole Garcia et sorti en 1990, ndlr)


Vous avez fait une infidélité à Laurent Boutonnat en demandant à Luc Besson de réaliser votre dernier clip... (Que mon cœur lâche en 1992, ndlr)
Il nous avait invités sur le tournage d'Atlantis, c'était un bon moment. C'est quelqu'un qui peut être extrêmement gentil... Mais on se voit très peu... Si on a fait appel à Luc, c'est justement parce que c'est tombé à une période où je ne pouvais plus rien demander à Laurent, qui lui-même n'avait peut-être plus rien à me donner tellement il était immergé dans la volonté de faire Giorgino.


Quel a été votre sentiment lorsque vous avez lu le scénario de Giorgino ?
J'aimais beaucoup l'univers. Et cette histoire sombre et tourmentée. Le titre aussi me plaisait : il y a dans ce mot quelque chose d'enfantin et de mystérieux...


Le tournage s'est déroulé dans le plus grand secret. Vous n'avez montré aucune image jusqu'à aujourd'hui. La seule chose que Boutonnat a bien voulu nous dire, c'est qu'il s'agissait d'une grande histoire d'amour romantique. Comment définiriez-vous votre personnage ?
C'est une jeune fille qui a du mal à quitter l'enfance, qui a quasiment le comportement d'une autiste la plupart du temps. C'est quelqu'un d'un peu perdu et, en même temps, d'une grande lucidité. Ce pourrait être une enfant de dix ans, mais avec une clairvoyance étonnante. C'est quelqu'un que les gens ne comprennent pas bien, il y a donc forcément une violence à son égard...


Comment avez-vous travaillé ? Vous y avez longtemps réfléchi toute seule ? Vous en avez beaucoup parlé avec Laurent Boutonnat ?
Non, très peu. Je lui ai demandé comment il voyait mon personnage, je l'ai écouté et puis on n'en a plus jamais reparlé. Moi, de mon côté, j'ai souhaité rencontrer des personnes en hôpital psychiatrique. Pour écouter, pour regarder... De toute façon, je suis fascinée par les enfants autistes,. Par le mystère qu'ils gardent. Par leur incapacité à communiquer avec le monde extérieur, sans qu'on sache s'il s'agit d'une envie profonde ou d'un dérapage de la nature. Je me sens plus proche de ces gens-là que... j'allais dire du commun des mortels... Ils sont tellement émouvants... En tout cas, pour le film, je ne voulais pas de choses trop évidentes ni trop outrancières. Il faut faire attention : c'est si facile de se laisser porter par le spectacle de la folie, par la gestuelle de la folie... J'ai donc observé, juste pour trouver des petites choses qui seront d'ailleurs, j'imagine, totalement imperceptibles aux autres. Après, ma foi, le fait de porter un vêtement particulier vous aide mieux que tout le reste. Tout d'un coup, on bascule dans un univers qui n'est plus le sien. Ce n'est plus le quotidien...


Ce goût évident pour les costumes, vous l'avez toujours eu ? Il est lié au goût de jouer la comédie ? D'où vient-il ?
Je ne peux pas vous répondre, je ne sais pas d'où ça vient ! (rires) J'ai toujours aimé, en tout cas, le vêtement, le tissu, le toucher... Et j'aime me travestir, changer mon apparence. C'est donc lié au besoin aussi d'être quelqu'un d'autre... J'ai une passion pour les vêtements. Et plus grande encore pour les chaussures ! Mais vous dire d'où ça vient...


Lorsque vous vous êtes retrouvée sur le tournage de Giorgino, vous avez eu la confirmation que vous ne vous étiez pas trompée dans votre désir d'être actrice ?
Totalement. C'était comme une évidence. Attention, ce n'est pas prétentieux de ma part, cela veut juste dire que j'ai eu le sentiment que cela faisait partie de moi, tout naturellement. Le plateau de cinéma était une évidence. La caméra était une évidence. Dire que je l'aime, non, mais c'est une évidence.


Vous la considérez comment ? Comme un miroir ? Comme une ennemie ?
Je ne peux répondre que pour la caméra de Laurent, puisque je n'ai pas travaillé avec d'autres. Ce que je sais, c'est que cette caméra m'aime, qu'elle est là pour me donner et me faire donner le meilleur de moi-même. Ce n'est pas une ennemie.


Le film s'est tourné en anglais, c'était un défi supplémentaire ?
C'est une langue que j'aime beaucoup et que je trouve très belle, donc ça n'a pas été difficile. C'était encore un sentiment de décalage supplémentaire. Jouer dans une langue qui n'est pas la sienne, c'est étrange et agréable parce que étrange, justement. Le film s'est fait en anglais parce que Laurent, ne trouvant pas le personnage en France, est allé le chercher à l'étranger.


Vous souvenez-vous de votre état d'esprit à la veille la veille du premier jour de tournage de Giorgino ?
J'étais angoissée, bien sûr ! (rires) J'avais peur d'aller jouer... Monter sur scène, c'est très différent. On est seule. Seule au monde. Même s'il y a des techniciens, même s'il y a eu préméditation. Au cinéma, il faut soudain se confronter, se heurter même, à cinquante personnes qui sont autour de vous. C'est très difficile, soudain, de faire abstraction de ses inhibitions, de ses angoisses, de soi-même. Mais une fois que c'est enclenché, on n'a plus le temps de réfléchir et il faut y aller... En plus, ce tournage s'est déroulé dans des circonstances particulièrement éprouvantes... Physiquement d'abord. Parce que Laurent m'a toujours fait beaucoup courir ! (rires) Éventuellement avec des robes serrées, dans la neige, par moins vingt degrés, et à en perdre haleine ! Mon côté garçon manqué m'a servi... En tout cas, je voulais être là tous les jours. Même quand je ne tournais pas. J'ai donc passé cinq mois à me lever à 5 h du matin. J'adorais voir ce puzzle se mettre en place petit à petit. Voir ces personnages qui prenaient vie...


Vous est-il arrivé de faire des cauchemars liés au tournage ?
Vous savez, des cauchemars, j'en fais tous les jours, alors... Je crois même que je les aime. (rires) Au point de les susciter. J'aime les rêves, mais les cauchemars suggèrent parfois des choses beaucoup plus intéressantes. Bizarrement, pendant le film, les cauchemars étaient plus liés aux relations humaines qu'au métier d'acteur lui-même. Et ça, c'est quelque chose qui était assez violent. Cinquante personnes, ou plus, qui vivent ensemble les unes sur les autres pendant cinq mois, c'est très révélateur de... de l'âme humaine... C'est beaucoup de tricheries, beaucoup de mensonges. Certes, ça fait partie de la vie, mais disons qu'on n'a pas besoin de ça en plus. Surtout dans ces moments-là.


Vous n'aviez jamais éprouvé ça, en tournée, par exemple ?
Ce qui est certain, c'est que je me suis toujours beaucoup protégée. Je vois très peu de monde. Je me suis crée mon propre univers, et je ne vois que des personnes que j'aime. Et tout d'un coup, on vous oblige sinon à apprécier, du moins à côtoyer des personnes avec lesquelles vous n'avez rien en commun. Et c'est difficile...


Malgré les rapports proches et complices que vous avez avec Laurent Boutonnat ?
Il faut oublier les rapports complices avec Laurent ! (rires) Parce que, sur le tournage, c'était un autre homme. Il a changé du tout au tout. C'est quelqu'un qui, pour moi, était totalement nouveau. Il y avait d'un côté une confiance absolue - Laurent sait tellement ce qu'il veut et ce qu'il fait, il est tellement précis, il a l'œil tellement fait pour la caméra... Et de l'autre côté, une absence de dialogue. Il a certainement eu besoin, pour mener cette entreprise jusqu'à son terme, de se protéger du monde. Je respecte ça. En tout cas, aujourd'hui. Maintenant que c'est terminé. Et parce que c'était finalement conflictuel pour lui-même.


Le tournage a-t-il changé vos rapports à tous les deux ?
Forcément, puisque j'ai découvert un autre homme. Il n'y a pas à se demander si c'est en bien ou en mal. Ils ont simplement changé. C'était avec moi qu'il était certainement le plus dur, mais ça, c'est assez normal. Ce qui était surprenant, c'était de le voir basculer dans une espèce de folie, dans sa propre folie, très raisonnable bien sûr, mais quand même... C'était une machine de guerre ! Et j'ai parfois eu le sentiment d'être là, moi, l'être le plus fragile au monde, face à une machine de guerre ! (rires) Ne vous y trompez pas, il n'y a pas de rancœur dans ce que je dis. C'est juste un constat. Cela, sans doute, ne pouvait pas être autrement...


Qu'est-ce que vous attendez d'un metteur en scène ?
Qu'il me demande des choses insurmontables. Que je joue l'insurmontable...


Simone Signoret disait que ce n'est pas l'acteur qui entre dans la peau du personnage, mais plus le personnage qui entre dans la sienne...
Justement, pendant le tournage, je me demandais si c'était Mylène qui nourrissait Catherine ou si c'était Catherine qui nourrissait Mylène... Je ne sais toujours pas... J'avais juste le sentiment, pendant les scènes, que la frontière entre le normal et la folie est très mince, très mince...


Avez-vous l'impression, en passant de la chanson au cinéma, d'avoir accompli un saut dans le vide ?
Il me semble en tout cas que je n'ai pas le droit à l'erreur, et peut-être moi moins qu'une autre. Il y a là quelque chose de très violent. Et puis il y a aussi cette peur de ne pas être à sa place. C'est bien beau d'avoir dit "Je veux, je veux...", mais maintenant que je l'ai fait...


Pourquoi dites-vous : "Moi, moins qu'une autre" ?
D'abord, vis-à-vis de moi, parce que j'en ai longtemps rêvé, parce que j'ai longtemps attendu ce moment. Ensuite, vis-à-vis des autres, parce que j'ai eu ce parcours-là, ce succès-là, et que les gens ne sont pas toujours sympathiques, et que certains m'attendent donc au tournant...


Et vous en avez peur ?
Maintenant qu'on en parle, oui ! C'est pour ça qu'actuellement, je travaille beaucoup pour ne pas y penser.


On sent chez vous, très pressante, la quête d'un absolu...
Oui. De ne pas se satisfaire de ce que l'on fait. De vouloir s'étonner soi-même. D'avoir envie de progresser. D'avoir besoin de se mettre en péril.


Il y a dans vos clips une espèce de fascination pour le tragique qui est comme l'illustration de la phrase d'Edgar Poe, "La beauté est synonyme de mort"... Vous avez d'ailleurs fait une chanson qui s'appelle Allan, comme le deuxième prénom d'Edgar Poe... (Allan est le nom de famille des parents adoptifs d' Edgar Poe et non son second prénom, ndlr)
C'est sûr que c'est un écrivain que j'évoque souvent. J'aime beaucoup Julien Green aussi. Et Henry James... Toutes ces atmosphères un peu étranges, cette confusion des genres et des sentiments... Je m'y retrouve. Dans un paysage détruit, je vois toute la beauté du monde. Alors que quelqu'un d'autre dira qu'il la voit dans un arbre qui fleurit. Moi, définitivement, je préfère l'arbre calciné. Pourquoi ? Je ne sais pas. Sans doute parce que c'est ma nature profonde. Ça me parle davantage, ça m'émeut...


Vous n'avez jamais fait d'analyse, de thérapie ?
Non. Je n'ai pas très envie de connaître les raisons de mes angoisses. Il y en a sûrement. Certaines que je n'évoquerais pas. D'autres que je ne veux pas savoir...


Il y a aussi dans vos paroles et vos clips, quelque chose qui relève non pas de la nostalgie, mais de la mélancolie. On ressent vos héroïnes à la fois riches de tout un passé...
... et porteuses de rien ? Oui, c'est ça.


Est-ce que cela tient plus à vous qu'à Laurent Boutonnat ?
Il faudrait le lui demander à lui aussi. Je dirais plus volontiers que ça vient de moi, mais que lui a les moyens d'exprimer visuellement tout ça... Mais je ne sais pas bien. Même si on a eu une enfance totalement différente, on est sensibles aux mêmes choses. On parle très peu de ça entre nous. On parle très peu, tout court. On est même un peu malades pour ça... (rires)


Et vous partagez aussi sa passion pour les vastes étendues de neige ?
Oui, d'autant que j'ai été projetée dans le cosmos au beau milieu de la neige (elle est née au Canada). Et ces paysages-là me touchent profondément. Sans doute à cause de l'absence d'empreintes. Et puis, cela évoque la tristesse, la mélancolie. Des choses qui peuvent être délicieuse : parfois, on aime se faire du mal. Il y a une sorte de délectation dans cet état-là. Appelez ça du sadomasochisme si vous voulez...


Il y a quelque chose de touchant dans votre univers et dans votre démarche, c'est comme si un certain mal de vivre devenait, comme le chante Barbara, une rage de vivre certaine...
La difficulté d'être, c'est universel, non ? C'est vrai que c'est quelque chose que je suis en train de grignoter, mais qu'on ne pense pas que je m'en sers comme d'un outil de travail. Ce serait tellement malsain d'utiliser son mal de vivre à des fins de marketing, par exemple...


Vous n'avez pas eu peur qu'on vous le reproche, tant votre univers est cohérent ?
On me l'a reproché. Mais j'ai appris à lutter. J'ai appris à ne plus être heurtée par ça : il y aura toujours des mots pour vous faire du mal ou vous faire fléchir. Mais si l'on est trop réceptif au jugement d'autrui, c'est une catastrophe. On finit par s'y perdre. Oui, on me le reproche... De même qu'il est plus difficile pour une femme, me semble-t-il, et encore aujourd'hui, d'avouer qu'elle est un être désespéré. J'ai l'impression que c'est quelque chose qui a plus une entité masculine...


Avez-vous l'impression que le succès et la gloire ont guéri un peu ce mal de vivre, ou au contraire l'ont alimenté ?
M'en guérir ? Définitivement, non. Ce n'est pas quelque chose qui progresse, c'est là, latent, depuis toujours et pour toujours. Je sais que jusqu'à la fin de mes jours, je serai comme ça. Est-ce que ça l'alimente ? Je ne sais pas. Disons peut-être que du coup les abîmes sont plus profonds mais les sommets plus hauts...


Ce qui est émouvant dans l'aventure de Giorgino, c'est qu'on a véritablement le sentiment que le film est né de la conjonction de deux désirs de cinéma très forts et très anciens, le vôtre et celui de Laurent Boutonnat...
... C'est vrai. Dès qu'on s'est rencontrés, on a parlé cinéma. D'ailleurs, on en a toujours parlé...


... tant et si bien que l'on ne sait pas si c'est l'aboutissement de deux démarches ou le départ d'une nouvelle aventure...
J'ai plutôt le sentiment que c'est le départ d'une nouvelle aventure...

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