Guillaume Durand
: (...) Un film, il faut
le vendre. Vous qui êtes si
timide, ça vous barbe pas tout ça ?
Mylène Farmer : Je ne sais pas si "barber" est le
mot juste, mais c'est un exercice difficile pour moi.
Est-ce que vous
avez un petit peu peur, un petit peu d'angoisse parce
que un film, c'est pas comme une tournée, c'est pas comme un
disque. Cc'est énormément de travail et tout se
joue en une semaine. Quel effet ça vous fait ?
C'est quelque chose de presque inhumain. C'est difficile, c'est
difficile. Je crois que je serai contente le jour où
ça sortira, et essayer de se
déposséder de la chose totalement...
Alors, Giorgino
: ça fait combien de temps que ce projet existe pour vous ?
De mémoire, parce que... C'est huit
années, je dirais. Et réellement,
l'écriture a commencé il y a trois ans. Et il a
vu le jour il y a environ un an et demi, je crois.
Donc ça
vous a occupée toutes ces
dernières années, quoi. L'obsession,
c'était de faire ça...
Oui. Surtout Laurent Boutonnat, je dirais, le réalisateur.
Moi, j'ai eu beaucoup plus de temps libre... Assez pénible
là aussi parce que n'ayant pas la faculté que de
me tourner vers la musique, puisqu'il est le compositeur. Donc
ça a été une période
très longue et pas très agréable.
Alors pourquoi
fait-on quelque chose qui n'est pas très
agréable à vivre ? Quelle est l'exigence de fond ?
La passion, je dirais. D'abord, je pense que c'est un besoin pour moi
que de faire des choses, à savoir l'écriture,
ou des films, créer quelque chose. Faire les choses en
termes de plaisir, dans le fond, ce n'est peut-être pas
très, très important ou si important. Je crois
que ça se passe à une autre dimension.
C'est vraiment
quelque chose, on parlait tout à l'heure
d'exigence, c'est plus important que la liberté
ou...
Parce que je ne sais pas gérer cette liberté, de
même que j'ai besoin du regard de l'autre pour exister
même si ça paraît quelque chose d'assez
dramatique comme confidenc... Mais, cette liberté je la
trouve réellement dans mon métier, dans le fond.
Alors, on va
évidemment pas raconter le film, parce que les
films sont faits pour être vus. On va simplement, avec la
bande-annonce que vous avez eu la gentillesse de nous confier, avoir un
petit peu une idée de l'ambiance du film et puis, on va
parler justement de ce monde qui vous habite et qui habite aussi
Laurent Boutonnat. D'abord, donc, des extraits de ce film.
Diffusion de la bande-annonce de Giorgino.
Voilà
donc pour le climat du film. Alors pourquoi ce film
commence en novembre 1918, si ma mémoire est bonne ?
Pourquoi cette date ?
Je vais essayer de répondre pour Laurent Boutonnat. Il me
semble qu'il voulait... La guerre 14-18 est en toile de fond,
réellement. Je crois que ce scénario est
né d'un désir de femmes, de femmes rudes et
violentes donc, dans un univers de guerre. Donc c'était plus
facile pour lui, j'imagine. C'est difficile pour moi que de
répondre à sa place. Pourquoi la guerre de 14-18
? Parce que c'était une période
extrêmement difficile. Avoir des femmes esseulées,
c'est un moment qui est effectivement, la guerre, propice
pour...
Mais ça
vous touche parce que vous connaissez, comme tout le
monde, ce qui s'est passé justement à cette
époque-là : bon, non seulement il y a la mort, et
elle est très présente aussi dans le film. Mais
il y a cette idée aussi que ce sont les femmes qui prennent
la société à bras-le-corps. C'est une
idée qui vous touche, ça ?
Si je ne porte mon regard que sur ce groupe de femmes : non,
définitivement pas ! (rires) Mais une
société de femmes, non en aucun cas,
dirigée par les femmes, non, je pense qu'une balance, une
bonne balance est ce dont nous avons tous besoin.
Alors, le climat on
en parle. C'est vrai que souvent quand vous avez
fait des clips, des clips longs, des clips qui étaient
proches du cinéma on s'est dit : "Ça y est,
Boutonnat va certainement faire un film. Mylène Farmer a
envie de faire un film". Maintenant, le film est là. Mais ce
climat qui est à la fois historique et à la fois
fantastique, il vient d'où ? Pour lui, forcément
il répondra d'un coté, mais pour vous, pour
l'avoir accepté c'est que ça vous touche
aussi ?
Moi, c'est plus une grande confiance en Laurent Boutonnat et en son
travail. Quant à l'univers, j'ai aimé le
scénario et j'ai aimé le personnage de Catherine.
Maintenant, essayer de réfléchir... Non,
c'est plus des sensations, des odeurs et moi, cette sensation que de
pouvoir justement mettre quelque chose dans ce personnage.
C'est quand
même pas un monde ordinaire, parce que donc, on
va pas raconter, on a dit tout à l'heure le
déroulement mais on peut raconter un petit peu le
début. Donc, c'est un jeune médecin, il sort, il
est démobilisé, il s'occupait d'un asile
d'enfants et il essaye de retrouver ces enfants. On a tout une, comment
dirais-je... c'est un itinéraire, au fond...
Oui, tout à fait, oui.
... qui est un
itinéraire initiatique. Ça
se passe dans la neige, c'est à la montagne, c'est
très beau, il y a un père, il y a les femmes qui
fument... Enfin ce sont des images qui sont des images rares au
cinéma.
Je le pense. Je le pense. Je pense que son cinéma est rare.
Il a une façon de filmer et de raconter des histoires qui
lui sont très, très personnelles.
Alors mettez vous
à sa place : pourquoi ce
monde-là le touche, lui ?
Moi je crois que je ne pourrais pas répondre à sa
place. Pour avoir moi-même posé ces questions dans
le fond et lui ne trouvant pas de réelles
réponses quant à ces fondements, pourquoi
être attiré plus par quelque chose ou autre chose,
je ne sais pas bien. C'est comme la peinture, dans le fond : pourquoi
est-ce qu'on est attiré par un peintre ? Moi je crois que je
ne saurais pas l'expliquer. Pourquoi tel peintre plutôt que
celui-ci ?
Mais c'est un monde
qui est quand même très
poétique et qui est très
détaché, enfin... qui parle un petit peu du
réel, on en a parlé un petit peu au
début, il y a la guerre de 14, il y a des professions, il y
a des gens, il y a des solitudes, il y a des gens ensemble, il y a
beaucoup de violence. Mais en même temps, c'est
très onirique. Enfin, je veux dire...
Oui. C'est sans doute cette attirance pour tout ce qui est conte,
l'irrationnel peut-être, la poésie, je pense, oui.
Mais des choses qui peuvent faire partie de notre monde et de notre vie
de tous les jours. Mais c'est vrai qu'il a une attirance pour
ça. Maintenant, je suis en train de m'embrouiller parce que
je ne sais pas bien pourquoi. Si ce n'est que j'en reviens
à, ne serait-ce que moi à un paysage... Je
préfère un paysage, je vais vous dire,
fracassé qu'un paysage avec des pommiers en fleurs.
Pourquoi ? Je ne le sais pas. Ce sont des choses, comme ça,
qui nous appartiennent.
Qui vous sont donc
sensibles, qui sont exprimées
très largement. Alors il y a aussi une autre chose qui est
très particulière dans le film, bon on va pas
comparer avec des metteurs en scène comme Visconti parce
qu'il y a pas de rapport, mais c'est vrai qu'il y a un parti pris, on
va dire, de lenteur. Parce que si on dit ça, les gens vont
dire "On va pas y aller, c'est lent" ! C'est pas du tout lent et
ennuyeux, mais c'est volontairement, comment dirais-je, c'est un rythme
comme ça, un peu comme une espèce de
mélopée.
Parce que justement, j'en reviens à ces odeurs, à
toutes ces choses. Je crois que ça prend du temps pour des
personnages, plutôt que justement ce cinéma
très monté, très rapide et des
personnages qui sont rétrécis, qui ont cette
valeur. Je crois que lui justement allait vers une expression plus
lente et plus, moi j'oserais dire plus enrichie, mais ça
n'engage que moi. Plus généreuse,
peut-être.
C'est vrai que
c'est un peu le contrepoids de tout ce dont on parle
beaucoup actuellement, de Quentin Tarantino à Luc Besson,
où ce sont des hommes en blanc et noir qui
deviennent...
Oui, qui ont du talent. Mais c'est vrai que c'est, je pense, une autre
expression, une autre façon de raconter les choses.
Comment devient-on
- pardonnez-moi la question - mais comment
devient-on justement quand on est chanteuse, quand on fait de la
scène, comment devient-on actrice ? Même si on a
fait des clips, ça, ça doit pas être
une expérience finalement si facile que ça.
C'est quelque chose que je pense, et sans prétention aucune,
avoir en moi. En tout cas, je l'ai souhaité et je le veux
depuis tellement longtemps. La chanson est venue à moi un
peu par hasard, j'avais envie moi de jouer. J'ai suivi des cours de
théâtre, mais ça on s'en moque un peu.
C'était simplement un passage, comme ça, dans ma
vie. Une envie de jouer, une envie d'interpréter les
personnes qui sont autres que moi-même et cette chose, enfin
ce côté ludique quoi, qui est...
...qu'on trouvait
énormément dans les
clips.
Qu'on trouvait déjà dans les clips, mais en mode
tellement rétréci. Mais malgré tout,
c'est vrai que c'est comme ça que j'ai pu, bon
indépendamment de l'écriture, de la
scène, de tout ce qui fait que ce métier est
vraiment passionnant, qui m'a fait tenir quand même, parce
que c'est long ! J'ai attendu presque dix ans pour
réellement faire un premier film. C'est long...
(rires)
Oui mais justement
alors, est-ce que ça veut dire que
maintenant, parce que finalement quand un film est terminé,
c'est vrai que vous allez être délivrée
par le fait qu'il sorte, de savoir s'il y a un accueil avec le public,
on vous le souhaite évidemment, c'est normal, mais est-ce
que immédiatement, maintenant, vous vous dites "C'est une
autre carrière qui commence et c'est vers ça que
je veux aller définitivement". Et est-ce qu'il va falloir
attendre longtemps que lui refasse un film, ou est-ce que vous pouvez
tout à fait imaginer de jouer, travailler avec d'autres
metteurs en scène ?
Non, je crois qu'aujourd'hui je peux réellement imaginer
travailler avec quelqu'un d'autre. Maintenant, je pense que je serai
difficile dans mes choix, je le sais. Aussi bien par rapport au
réalisateur que l'histoire elle-même. Donc je
pense que je, si je puis me projeter sur quelque avenir, faire
très peu de films, certainement. Certainement.
Et qu'est-ce que
vous aimez, alors, justement ? Parce que ce
cinéma de climat est un cinéma bien particulier,
alors qu'est-ce que vous aimez, vous ?
Je crois avoir des goûts très
éclectiques. Je vais essayer de...J'aime beaucoup
Jane Campion, tous ses films, ses premiers films également.
J'aime Oliver Stone, j'aime Kubrick, j'aime David Lean, j'aime David
Lynch, Bergman...
Donc, c'est un
goût éclectique, quoi...
Oui. Oui, dans le fond oui.
Mais pas
très français, d'après la
liste que vous venez de donner !
Polanski, heu... (rires)
Ha oui, c'est
toujours du cinéma où il y a
beaucoup de spectacle, ou au contraire beaucoup d'onirisme, beaucoup de
choses qui sont quand même... C'est pas le mari, la
femme et l'amant qu'on trouve !
Non, j'aime les choses qui ont une âme, une histoire et une
magie, et qui portent le spectateur. Je peux moi-même
être un spectateur qu'on qualifie de moyen, mais
c'est-à-dire ne pas avoir cet œil trop critique.
Et si un film m'emmène, si une histoire m'emmène,
mais c'est magique ! C'est la chose la plus magique, je crois.
Alors à
la fin, le héros, Jeff Dahlgren, et vous,
vous vous retrouvez dans un cimetière. On va pas dire ce qui
se passe, mais c'est vrai qu'il y a quand même comme en
peinture, puisque vous avez parlé de peinture, une
espèce d'imagerie qui existe : des croix, des
églises etc., etc. Ça vient d'où tout
ça ?
Ce que cela peut suggérer, bien évidemment, mais
d'un point de vue esthétique je crois aussi, qui est
important. Une croix, c'est beau. Une tombe...Je trouve qu'une
tombe, un cimetière est un endroit magique. C'est quelque
chose une fois de plus que nous avons en commun, mais je crois que
c'est expliqué par cette rencontre que nous avons eue et qui
a été une rencontre fondamentale pour moi dans ma
vie et assez immédiate. Donc en ce sens, je crois que c'est
presque normal que d'avoir des mondes un peu communs et des attirances.
Vous voulez dire
que d'une certaine manière,
peut-être, il vous a aussi arrachée à
ce qui pouvait être une carrière de show-business
traditionnelle, que vous n'avez jamais vraiment voulu mener.
Que je n'ai, je crois, jamais menée quoiqu'il arrive !
Mais...envie de faire quelque chose, envie de faire ce
long-métrage et envie de prendre des risques.
Alors comment s'est
passé le tournage ? Parce que je suppose
que les conditions, étant donné que ça
se passe en hiver, en plus y a énormément de
scènes qui se passent en hiver mais il fait beau en
même temps, ce qui sont des conditions
météos pas faciles à trouver parce
qu'en général il fait pas toujours beau,
ça a dû être un peu long et un peu
compliqué. Alors, comment ça s'est
passé ? Racontez-moi...
Le tournage était très, très long, je
crois qu'il a duré cinq mois. Quant aux conditions de
tournage, c'était difficile à cause du temps bien
évidemment, parce que très, très,
très froid. Donc par moments, même le tournage a
dû s'arrêter parce que trop froid, parce qu'on ne
pouvait presque plus jouer. Maintenant, je crois que toutes ces
difficultés sont malgré tout
inhérentes à un tournage. La réelle
difficulté était je crois le...la
difficulté de... (Mylène rit de ne pas
trouver ses mots) j'allais dire la tension qui régnait sur
ce tournage, la tension que toute cette chose que Laurent portait dans
le fond qui est extrêmement lourde.
Vous vous
êtes faits totalement, parce que finalement lui,
c'est son premier film, vous c'est votre premier grand rôle,
vous vous êtes faits mutuellement et
définitivement confiance dès le début,
ou tout d'un coup du coin de l'œil vous vous êtes
un petit peu surveillés l'un l'autre ? Parce que c'est vous
qui portez tout : et lui, et vous.
Je crois qu'il y avait à la fois une grande confiance,
puisque c'est vrai qu'on a très peu parlé du
rôle par exemple. J'ai lu le scénario. Et une fois
sur le tournage bien sûr, des indications de mise en
scène. Mais de sa part, en tous cas, je suppose que c'est
une confiance. 'Regardés du coin de l'œil',
malgré tout de temps en temps. C'est-à-dire moi
je l'ai quand même observé travaillant avec
d'autres, puisqu'il y avait quand même beaucoup d'acteurs. Et
parfois probablement des réactions assez violentes, oui,
parce que c'est vrai que dans ces moments-là, on vous dit
"Moteur, action !" et vous avez une espèce, d'abord
d'angoisse profonde, et de demande qui est énorme quant
à ou le regard ou même un mot, et que parfois ce
mot n'arrive pas et que là on fait abstraction de toute une
vie commune.
Ça
devient professionnel...
Oui. Oui, dans le fond oui. Beaucoup plus cruel et plus...Mais
je crois que c'était aussi essentiel. Je n'aime pas moi
être trop protégée. J'étais
réellement considérée comme une
actrice engagée sur un film, et non pas comme le petit
oiseau qu'on va couver. En aucun cas, non.
On se retrouve dans un instant pour parler de ce film de Laurent
Boutonnat, avec Mylène Farmer et Jeff Dahlgren.
Flash info.
On se retrouve donc
avec Mylène Farmer qui a la gentillesse
de nous recevoir pour un film qui va, je l'espère, vous
surprendre : Giorgino, donc, de Laurent Boutonnat,
avec Jeff
Dahlgren. Alors est-ce qu'on peut Mylène parler du fait que
le film a été tourné en anglais ? Il
est tourné en Tchécoslovaquie, il est
tourné en hiver et en plus il est tourné en
anglais. Pourquoi ? C'est pour rechercher la plus grande audience
possible à travers le monde, ou c'est l'histoire...
(elle l'interrompt) Non, sincèrement non. C'est parce que
Laurent Boutonnat voulait travailler avec des acteurs comme Louise
Fletcher, Joss Ackland, et a trouvé son premier
rôle aux Etats-Unis, donc c'est plus une volonté
que d'aller vers des acteurs, donc une langue qui s'est
imposée.
Louise Fletcher,
tout le monde connaît, c'était
l'infirmière de Vol
au Dessus d'un Nid de Coucou et donc
qui parle français, si mes souvenirs sont bons et elle
était très charmante. C'est pour aller vers ces
acteurs-là qu'il a choisi ce parti pris là ?
Absolument, oui parce que...Mais lui-même dit
ça "J'aurais pu tourner ce film en espagnol,
russe...". Peu lui importait la langue, dans le fond.
Alors donc un
travail qui a été
compliqué, et tout à l'heure vous nous disiez que
c'était très difficile d'expliquer les raisons
pour lesquelles vous étiez dans ce monde-là, dans
à la fois ces rêveries, cette poésie et
aussi ces fantasmes. Et pourtant quand on essaie de trouver une logique
à tout ça, parce qu'après tout il y a
forcément une logique même si on la veut pas, la
première chanson c'était Maman a tort,
après c'était Libertine, et
maintenant c'est un
film où il y a énormément de femmes,
même si c'est une envie de l'auteur. Est-ce que cette logique
vous apparaît ou est-ce que c'est un hasard total ?
Je pense que c'est un hasard. Mais là une fois de plus,
c'est difficile, pardonnez-moi de le redire... (rires)
C'est pas grave !
...parce que ce film, dans le fond, ne m'appartient pas, en
tous cas son histoire et son...
Mais vous
êtes sûre qu'il ne l'a pas
écrit pour vous ? Parce que quand vous dites qu'il ne vous
appartient pas, il l'a quand même probablement en partie,
enfin il savait que vous alliez jouer le rôle principal de
Catherine.
Oui. Maintenant je... (elle cherche ses mots)
C'est du
sur-mesure, quand même...
C'est une bonne couture. Est-ce que c'est du sur-mesure ? Je ne sais
pas bien, mais là c'est peut-être plus par pudeur,
je ne sais pas bien. Est-ce qu'il a écrit
réellement ce rôle pour moi ? Je ne sais pas,
parce que le personnage principal c'est peut-être lui qui a
voyagé avec lui le plus longtemps, et peut-être
que Catherine est arrivée plus tard, donc...
Et est-ce que lui
justement, sans sombrer dans une espèce de
simplification extrême, est-ce que lui il s'est
vécu un petit peu comme Jeff Dahlgren, donc qui est le
héros du film, à savoir ce médecin qui
recherche des enfants ?
Je crois qu'il est...Cette chose commune d'avec ce personnage,
c'est cette âme d'enfant qu'il a en lui et cette
quête, cette quête essoufflée. Je crois
qu'il a ça en lui.
Mais quand on a
fait un film comme ça, qui est justement un
film poétique, est-ce que c'est, comment dirais-je, vous
savez que la critique en France n'aime pas trop le mélange
des genres, ça peut être aussi bien un artiste qui
a réussi dans un domaine qui est la
variété, le fait de faire du cinéma,
ça paraît presque pour beaucoup de gens qui sont
extrêmement bien-pensants et extrêmement
rigides...
Obscène ? (rires)
Oui. C'est pas
obscène, mais on n'a pas le droit de changer
de registre, et pourtant vous, vous avez ce besoin et vous en avez
même exprimé tout à l'heure l'envie.
Ça vous gêne qu'on vous oblige à vous
enfermer dans un même registre ?
L'idée de l'enfermement me gêne. Maintenant,
est-ce que moi j'ai été
gênée par ça : non. Non, parce que j'ai
essayé au maximum de me protéger et de ne pas
écouter, de ne pas entendre. Sinon, effectivement si on
écoutait et si on entendait réellement, je pense
que c'est trop mutilant. Non. J'oserais dire je me moque de ce qu'on
pense et de ce qu'on dit. C'est presque vrai.
C'est pour
ça que depuis des années vous avez
toujours choisi de faire votre métier, d'être
extrêmement discrète sur vous, sur votre vie,
enfin sur beaucoup d'aspects du travail d'artiste qui en
général sont surexploités et plombent
votre carrière ?
Oui, parce que je pense... Moi, j'essaye de ne pas
m'essouffler et de ne pas essouffler l'autre. Donc en ce sens, je suis
obligée d'être absente. Et puis je crois que c'est
ma nature profonde, tout simplement donc je n'ai pas à me
faire violence pour ça.
Et vous, quand les
disques se vendent comme ça
énormément, ça veut dire, bien
au-delà du succès commercial, qu'il y un
intérêt profond entre un artiste et les gens. Vous
croyez que les gens vous aiment pour quoi, au fond ?
Je ne sais pas ! Non... (large sourire)
Pour ce
mélange entre la fragilité et la
provocation ?
Je crois pour, s'il y a à trouver une expression,
peut-être pour la sincérité, parce que
je crois que c'est une valeur qui existe toujours. Mais c'est difficile
que d'exprimer pourquoi l'autre vous aime. Je ne sais pas...
Et quand est-ce que
vous vous êtes rendue compte, vous dans
votre carrière, parce que en général
les carrières de chanteurs démarrent, elles
surfent un petit peu sur les vagues adolescentes, ça a
été aussi le début de votre
carrière quand vous avez chanté "Maman a Tort"
etc. Quand est-ce qu'on se dit "Moi, je vais faire autre chose",
c'est-à-dire je pars sur ce plongeoir-là mais je
vais aller dans une autre piscine, quitte à être
décrédibilisée un petit peu ?
Là, vous parlez d'un genre plus que de changement radical de
vie ?
Non, pas de vie
pour vous, mais quand est-ce que vous vous
êtes dit que vous alliez prendre au fond tout ça
en mains, sérieusement pour obtenir, pour aller vers des
objectifs précis ?
Je crois, le goût du risque. Là encore,
c'est...Le calcul n'y est pas pour grand-chose, si ce n'est
que une ‘carrière', même si c'est un mot
qui n'est pas très joli, c'est quelque chose qui se pense,
qui se gère. Maintenant, c'est quelque chose qui, je ne sais
pas, qui s'est construit comme ça...
Petit à
petit...
Oui, qui s'est fait lentement. Mon début n'a pas
été fulgurant. J'ai eu trois bonnes
années pour apprendre mon métier et apprendre ce
que j'aimais et ce que je n'aimais pas, dans le fond, par rapport
à moi-même et par rapport à
l'extérieur également.
C'est-à-dire
?
C'est-à-dire de Maman
a Tort, qui a
été un succès mais j'étais
quand même encore pas très connue jusqu'alors. Et
après il y a eu deux autres 45-tours qui étaient
plus discrets. Et puis après, le fameux Libertine qui
là a été
réellement...les projecteurs ont
été mis sur moi. Mais donc, pendant cette
période...Enfin, tout ça pour essayer
d'expliquer que ça n'a pas été quelque
chose, comme ça, d'immédiat, on vous donne tout.
Ça a été quelque chose d'assez
progressif, donc probablement de moins perturbant pour moi.
Donc d'une certaine
manière, vous pouvez vous dire que la
même attitude, vous allez, c'est donc la même
expérience, vous allez l'utiliser pour le cinéma
? C'est-à-dire que c'est quelque chose qui commence, vous
êtes habituée aux hauts et aux bas de ce qui s'est
passé dans la chanson, et comme vous semblez avoir
derrière la fragilité une assez grande
volonté, vous allez attaquer un deuxième monde,
tranquillement et avec le temps. C'est ça l'idée ?
Oui, là c'est plus une façade sereine, qui en
aucun cas n'existe, dans le fond, si ce n'est que là je suis
plus posée que d'ordinaire. Mais c'est plus un parcours
angoissant qu'autre chose. Maintenant, pour répondre
à votre question, je le ferai effectivement avec un maximum
de réflexion et de réelles envies.
C'est-à-dire, me perdre dans quelque chose pour le rien :
non, en aucun cas.
Donc, ça
veut dire qu'il faut forcément trouver
des textes extrêmement forts, des scénarios
extrêmement forts...
Ça va être de plus en plus difficile, je le sais.
Mais c'est...
Mais est-ce que
vous avez envie, puisque vous avez dit tout
à l'heure que vous aimez bien les choses très
différentes, d'Oliver Stone à d'autres metteurs
en scène, ça veut dire est-ce que vous pouvez
jouer une comédie, par exemple, par goût du fait
de jouer ? Ou est-ce que tellement pas dans votre registre que
ça vous paraît surréaliste ?
Si vous me proposez Woody Allen, je vous dis oui, j'accours ! (rires)
Maintenant, tous les genres de comédie : non, je pense pas.
Je ne sais pas, d'ailleurs, mais je ne pense pas avoir ce
talent-là, et peut-être cette envie tout
simplement. Une bonne comédie, oui c'est aussi
intéressant et passionnant qu'un...
Sûrement,
mais je veux dire tout le monde a envie de jouer
avec Woody Allen, parce que on entre sans frapper, enfin si jamais il
vous appelle, on s'assoit, vous lui dites de s'asseoir et on lit
même pas le scénario, à la limite !
Mais le monde, le fait de changer de monde, parce que c'est un monde
tellement particulier, celui du film donc qui sort mercredi, que c'est
vrai qu'il y a aussi le risque d'être cataloguée
dans une espèce de fantastique, onirique...
Ma foi, j'en ai pris le risque, et puis j'espère avoir la
chance que d'avoir des propositions différentes. Je fais
appel, j'allais dire, à l'intelligence du metteur en
scène, plus qu'à quelque chose, comme
ça, qui...
Mais est-ce
qu'après on se dit pas, quand on a fait un film
comme ça, ou quand on a eu une expérience comme
ça qui est très profonde, parce que vous avez
attendu plusieurs années, vous avez tourné
pendant cinq mois, et puis c'est compliqué etc. et puis le
film sort, est-ce qu'on a envie après, j'allais dire, de
retourner dans le travail d'avant ? Est-ce que vous pourriez vous dire
"Bon, ben maintenant, il faut s'y remettre", ou est-ce que vous y avez
déjà pensé, écrit,
travaillé, fait des musiques, ou pas du tout ?
Non. J'ai eu pendant effectivement le tournage même,
plutôt juste après le tournage, quand le tournage
s'est terminé, une envie que de tout abandonner, tout
délaisser. Pour aller vers quoi, c'était le point
d'interrogation et plutôt une période
d'anéantissement qu'autre chose. Aujourd'hui, oui j'ai
très envie de retourner vers l'écriture, enfin
mon écriture, en tous cas, pour essayer de
découvrir des choses que je ne connais pas
moi-même, je suppose, parce que je ne sais pas ce que je vais
faire, je ne sais pas ce que je vais écrire. Mais non, j'ai
toujours cette envie. Je sais que si cette envie me quitte,
j'arrêterai. J'aurai en tous cas cette
honnêteté.
Il y a quelque
chose qui peut apparaître paradoxal, c'est que
finalement vous êtes très pudique,
réservée, timide, et en même temps vous
faites des choses qui sont toujours, qu'elles soient
habillées ou pas habillées, toujours un peu
explosives. C'est jamais... Pourquoi ?
Parce que je crois que ça fait partie de mon propre
paradoxe. C'est cette envie que de se cacher, cette envie de
lumière et qui se reproduit dans le moindre de mes actes et
pensées. C'est quelque chose de conflictuel mais
nécessaire.
Vous savez que par
rapport justement aux années
précédentes, on a appelé ça
un peu pompeusement les années 80, celles qui s'annoncent
sont plus tellement les années de la provocation. Mais quand
je dis "la provocation", c'est pas la provocation au sens idiot mais la
provocation au sens presque artistique des choses. Maintenant, ceux qui
essaient de sortir le bout du nez pour faire des choses un peu
différentes, on leur tape sur le bout du nez. Ça
vous fait peur, ça ?
J'ai l'impression que ça a existé toujours,
ça, que c'est omniprésent, que dès
qu'on essaye de faire quelque chose qui n'est pas, effectivement, dans
ce chemin balisé, on vous tape sur les doigts.
Mais...
On vous a
tapé, vous, sur les doigts ?
Attaquée, bien évidemment ! Mais une fois de
plus, peu m'importe, ça ne nous touche pas. Un artiste
existe parce qu'un public est là. Au fond, j'enfonce des
portes ouvertes, mais c'est la vérité vraie!
Donc, tant qu'un public me dit "Continue ! C'est quelque chose que nous
aimons", je continue !
Est-ce que vous
vous reconnaissez, non pas personnellement, mais dans
des attitudes qui peuvent vous ressembler, par exemple pour quelqu'un
comme Isabelle Adjani qui vit un peu...qui au fond montre
à l'écran des choses souvent excessives et puis
qui le reste du temps disparaît ?
Je ne sais pas si nous sommes pareilles, mais c'est vrai que on m'a
fait souvent cette réflexion, par exemple, que nous
avions... Mais c'est plus pour évoquer des choses,
dans le fond, des choses négatives en fait. Cette
comparaison a été...
Non, mais
là c'est dit...
Non, je le sais mais là je pense à ça
parce que c'est quelqu'un qui, je crois, a essayé
réellement de gérer sa carrière et son
image et de faire ce qu'il lui plaisait, et parfois de
s'évanouir et qu'on le lui a reproché.
Maintenant, est-ce que je...Je ne sais pas, c'est quelqu'un
qui a un grand talent.
La
dernière question : est-ce que la vie quotidienne,
c'est-à-dire celle qui est ni sur les planches, ni dans les
studios, ni en tournage, est-ce qu'on y trouve un peu de bonheur, de
plaisir, ou est-ce que finalement il faut attendre
désespérément de faire quelque chose
et de se montrer ?
Je crois que j'ai besoin effectivement de faire quelque chose, et ce
métier... Sinon, je le vis mal.
En tous cas, on
vous souhaite le plus grand succès pour le
film...
Merci beaucoup.
...à
vous et à Laurent Boutonnat. Le
film donc qui est sorti aujourd'hui sur les écrans et que je
vous encourage vivement à aller voir, parce que c'est un
film qui ne ressemble pas aux autres et c'est tant mieux ! Ciao,
à demain.
Merci beaucoup...
Générique de fin de l'émission.
Source retranscription : Inside Of - Spécial
Mylène Farmer - Référentiel des TV -
2007 - Editions Why Not