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Mylène Farmer - Interview - Talk Show - LCI - 05 octobre 1994



  • Date
    05 octobre 1994
  • Média / TV
    Talk Show - LCI
  • Interview par
    Guillaume Durand
  • Fichier
  • Catégories interviews



Guillaume Durand : (...) Un film, il faut le vendre. Vous qui êtes si timide, ça vous barbe pas tout ça ?
Mylène Farmer : Je ne sais pas si "barber" est le mot juste, mais c'est un exercice difficile pour moi.


Est-ce que vous avez un petit peu peur, un petit peu d'angoisse parce que un film, c'est pas comme une tournée, c'est pas comme un disque. Cc'est énormément de travail et tout se joue en une semaine. Quel effet ça vous fait ?
C'est quelque chose de presque inhumain. C'est difficile, c'est difficile. Je crois que je serai contente le jour où ça sortira, et essayer de se déposséder de la chose totalement...


Alors, Giorgino : ça fait combien de temps que ce projet existe pour vous ?
De mémoire, parce que... C'est huit années, je dirais. Et réellement, l'écriture a commencé il y a trois ans. Et il a vu le jour il y a environ un an et demi, je crois.


Donc ça vous a occupée toutes ces dernières années, quoi. L'obsession, c'était de faire ça...
Oui. Surtout Laurent Boutonnat, je dirais, le réalisateur. Moi, j'ai eu beaucoup plus de temps libre... Assez pénible là aussi parce que n'ayant pas la faculté que de me tourner vers la musique, puisqu'il est le compositeur. Donc ça a été une période très longue et pas très agréable.


Alors pourquoi fait-on quelque chose qui n'est pas très agréable à vivre ? Quelle est l'exigence de fond ?
La passion, je dirais. D'abord, je pense que c'est un besoin pour moi que de faire des choses, à savoir l'écriture, ou des films, créer quelque chose. Faire les choses en termes de plaisir, dans le fond, ce n'est peut-être pas très, très important ou si important. Je crois que ça se passe à une autre dimension.


C'est vraiment quelque chose, on parlait tout à l'heure d'exigence, c'est plus important que la liberté ou...
Parce que je ne sais pas gérer cette liberté, de même que j'ai besoin du regard de l'autre pour exister même si ça paraît quelque chose d'assez dramatique comme confidenc... Mais, cette liberté je la trouve réellement dans mon métier, dans le fond.


Alors, on va évidemment pas raconter le film, parce que les films sont faits pour être vus. On va simplement, avec la bande-annonce que vous avez eu la gentillesse de nous confier, avoir un petit peu une idée de l'ambiance du film et puis, on va parler justement de ce monde qui vous habite et qui habite aussi Laurent Boutonnat. D'abord, donc, des extraits de ce film.


Diffusion de la bande-annonce de Giorgino.


Voilà donc pour le climat du film. Alors pourquoi ce film commence en novembre 1918, si ma mémoire est bonne ? Pourquoi cette date ?
Je vais essayer de répondre pour Laurent Boutonnat. Il me semble qu'il voulait... La guerre 14-18 est en toile de fond, réellement. Je crois que ce scénario est né d'un désir de femmes, de femmes rudes et violentes donc, dans un univers de guerre. Donc c'était plus facile pour lui, j'imagine. C'est difficile pour moi que de répondre à sa place. Pourquoi la guerre de 14-18 ? Parce que c'était une période extrêmement difficile. Avoir des femmes esseulées, c'est un moment qui est effectivement, la guerre, propice pour...


Mais ça vous touche parce que vous connaissez, comme tout le monde, ce qui s'est passé justement à cette époque-là : bon, non seulement il y a la mort, et elle est très présente aussi dans le film. Mais il y a cette idée aussi que ce sont les femmes qui prennent la société à bras-le-corps. C'est une idée qui vous touche, ça ?
Si je ne porte mon regard que sur ce groupe de femmes : non, définitivement pas ! (rires) Mais une société de femmes, non en aucun cas, dirigée par les femmes, non, je pense qu'une balance, une bonne balance est ce dont nous avons tous besoin.


Alors, le climat on en parle. C'est vrai que souvent quand vous avez fait des clips, des clips longs, des clips qui étaient proches du cinéma on s'est dit : "Ça y est, Boutonnat va certainement faire un film. Mylène Farmer a envie de faire un film". Maintenant, le film est là. Mais ce climat qui est à la fois historique et à la fois fantastique, il vient d'où ? Pour lui, forcément il répondra d'un coté, mais pour vous, pour l'avoir accepté c'est que ça vous touche aussi ?
Moi, c'est plus une grande confiance en Laurent Boutonnat et en son travail. Quant à l'univers, j'ai aimé le scénario et j'ai aimé le personnage de Catherine. Maintenant, essayer de réfléchir... Non, c'est plus des sensations, des odeurs et moi, cette sensation que de pouvoir justement mettre quelque chose dans ce personnage.


C'est quand même pas un monde ordinaire, parce que donc, on va pas raconter, on a dit tout à l'heure le déroulement mais on peut raconter un petit peu le début. Donc, c'est un jeune médecin, il sort, il est démobilisé, il s'occupait d'un asile d'enfants et il essaye de retrouver ces enfants. On a tout une, comment dirais-je... c'est un itinéraire, au fond...
Oui, tout à fait, oui.


... qui est un itinéraire initiatique. Ça se passe dans la neige, c'est à la montagne, c'est très beau, il y a un père, il y a les femmes qui fument... Enfin ce sont des images qui sont des images rares au cinéma.
Je le pense. Je le pense. Je pense que son cinéma est rare. Il a une façon de filmer et de raconter des histoires qui lui sont très, très personnelles.


Alors mettez vous à sa place : pourquoi ce monde-là le touche, lui ?
Moi je crois que je ne pourrais pas répondre à sa place. Pour avoir moi-même posé ces questions dans le fond et lui ne trouvant pas de réelles réponses quant à ces fondements, pourquoi être attiré plus par quelque chose ou autre chose, je ne sais pas bien. C'est comme la peinture, dans le fond : pourquoi est-ce qu'on est attiré par un peintre ? Moi je crois que je ne saurais pas l'expliquer. Pourquoi tel peintre plutôt que celui-ci ?


Mais c'est un monde qui est quand même très poétique et qui est très détaché, enfin... qui parle un petit peu du réel, on en a parlé un petit peu au début, il y a la guerre de 14, il y a des professions, il y a des gens, il y a des solitudes, il y a des gens ensemble, il y a beaucoup de violence. Mais en même temps, c'est très onirique. Enfin, je veux dire...
Oui. C'est sans doute cette attirance pour tout ce qui est conte, l'irrationnel peut-être, la poésie, je pense, oui. Mais des choses qui peuvent faire partie de notre monde et de notre vie de tous les jours. Mais c'est vrai qu'il a une attirance pour ça. Maintenant, je suis en train de m'embrouiller parce que je ne sais pas bien pourquoi. Si ce n'est que j'en reviens à, ne serait-ce que moi à un paysage... Je préfère un paysage, je vais vous dire, fracassé qu'un paysage avec des pommiers en fleurs. Pourquoi ? Je ne le sais pas. Ce sont des choses, comme ça, qui nous appartiennent.


Qui vous sont donc sensibles, qui sont exprimées très largement. Alors il y a aussi une autre chose qui est très particulière dans le film, bon on va pas comparer avec des metteurs en scène comme Visconti parce qu'il y a pas de rapport, mais c'est vrai qu'il y a un parti pris, on va dire, de lenteur. Parce que si on dit ça, les gens vont dire "On va pas y aller, c'est lent" ! C'est pas du tout lent et ennuyeux, mais c'est volontairement, comment dirais-je, c'est un rythme comme ça, un peu comme une espèce de mélopée.
Parce que justement, j'en reviens à ces odeurs, à toutes ces choses. Je crois que ça prend du temps pour des personnages, plutôt que justement ce cinéma très monté, très rapide et des personnages qui sont rétrécis, qui ont cette valeur. Je crois que lui justement allait vers une expression plus lente et plus, moi j'oserais dire plus enrichie, mais ça n'engage que moi. Plus généreuse, peut-être.


C'est vrai que c'est un peu le contrepoids de tout ce dont on parle beaucoup actuellement, de Quentin Tarantino à Luc Besson, où ce sont des hommes en blanc et noir qui deviennent...
Oui, qui ont du talent. Mais c'est vrai que c'est, je pense, une autre expression, une autre façon de raconter les choses.


Comment devient-on - pardonnez-moi la question - mais comment devient-on justement quand on est chanteuse, quand on fait de la scène, comment devient-on actrice ? Même si on a fait des clips, ça, ça doit pas être une expérience finalement si facile que ça.
C'est quelque chose que je pense, et sans prétention aucune, avoir en moi. En tout cas, je l'ai souhaité et je le veux depuis tellement longtemps. La chanson est venue à moi un peu par hasard, j'avais envie moi de jouer. J'ai suivi des cours de théâtre, mais ça on s'en moque un peu. C'était simplement un passage, comme ça, dans ma vie. Une envie de jouer, une envie d'interpréter les personnes qui sont autres que moi-même et cette chose, enfin ce côté ludique quoi, qui est...


...qu'on trouvait énormément dans les clips.
Qu'on trouvait déjà dans les clips, mais en mode tellement rétréci. Mais malgré tout, c'est vrai que c'est comme ça que j'ai pu, bon indépendamment de l'écriture, de la scène, de tout ce qui fait que ce métier est vraiment passionnant, qui m'a fait tenir quand même, parce que c'est long ! J'ai attendu presque dix ans pour réellement faire un premier film. C'est long... (rires)


Oui mais justement alors, est-ce que ça veut dire que maintenant, parce que finalement quand un film est terminé, c'est vrai que vous allez être délivrée par le fait qu'il sorte, de savoir s'il y a un accueil avec le public, on vous le souhaite évidemment, c'est normal, mais est-ce que immédiatement, maintenant, vous vous dites "C'est une autre carrière qui commence et c'est vers ça que je veux aller définitivement". Et est-ce qu'il va falloir attendre longtemps que lui refasse un film, ou est-ce que vous pouvez tout à fait imaginer de jouer, travailler avec d'autres metteurs en scène ?
Non, je crois qu'aujourd'hui je peux réellement imaginer travailler avec quelqu'un d'autre. Maintenant, je pense que je serai difficile dans mes choix, je le sais. Aussi bien par rapport au réalisateur que l'histoire elle-même. Donc je pense que je, si je puis me projeter sur quelque avenir, faire très peu de films, certainement. Certainement.


Et qu'est-ce que vous aimez, alors, justement ? Parce que ce cinéma de climat est un cinéma bien particulier, alors qu'est-ce que vous aimez, vous ?
Je crois avoir des goûts très éclectiques. Je vais essayer de...J'aime beaucoup Jane Campion, tous ses films, ses premiers films également. J'aime Oliver Stone, j'aime Kubrick, j'aime David Lean, j'aime David Lynch, Bergman...


Donc, c'est un goût éclectique, quoi...
Oui. Oui, dans le fond oui.


Mais pas très français, d'après la liste que vous venez de donner !
Polanski, heu... (rires)


Ha oui, c'est toujours du cinéma où il y a beaucoup de spectacle, ou au contraire beaucoup d'onirisme, beaucoup de choses qui sont quand même... C'est pas le mari, la femme et l'amant qu'on trouve !
Non, j'aime les choses qui ont une âme, une histoire et une magie, et qui portent le spectateur. Je peux moi-même être un spectateur qu'on qualifie de moyen, mais c'est-à-dire ne pas avoir cet œil trop critique. Et si un film m'emmène, si une histoire m'emmène, mais c'est magique ! C'est la chose la plus magique, je crois.


Alors à la fin, le héros, Jeff Dahlgren, et vous, vous vous retrouvez dans un cimetière. On va pas dire ce qui se passe, mais c'est vrai qu'il y a quand même comme en peinture, puisque vous avez parlé de peinture, une espèce d'imagerie qui existe : des croix, des églises etc., etc. Ça vient d'où tout ça ?
Ce que cela peut suggérer, bien évidemment, mais d'un point de vue esthétique je crois aussi, qui est important. Une croix, c'est beau. Une tombe...Je trouve qu'une tombe, un cimetière est un endroit magique. C'est quelque chose une fois de plus que nous avons en commun, mais je crois que c'est expliqué par cette rencontre que nous avons eue et qui a été une rencontre fondamentale pour moi dans ma vie et assez immédiate. Donc en ce sens, je crois que c'est presque normal que d'avoir des mondes un peu communs et des attirances.


Vous voulez dire que d'une certaine manière, peut-être, il vous a aussi arrachée à ce qui pouvait être une carrière de show-business traditionnelle, que vous n'avez jamais vraiment voulu mener.
Que je n'ai, je crois, jamais menée quoiqu'il arrive ! Mais...envie de faire quelque chose, envie de faire ce long-métrage et envie de prendre des risques.


Alors comment s'est passé le tournage ? Parce que je suppose que les conditions, étant donné que ça se passe en hiver, en plus y a énormément de scènes qui se passent en hiver mais il fait beau en même temps, ce qui sont des conditions météos pas faciles à trouver parce qu'en général il fait pas toujours beau, ça a dû être un peu long et un peu compliqué. Alors, comment ça s'est passé ? Racontez-moi...
Le tournage était très, très long, je crois qu'il a duré cinq mois. Quant aux conditions de tournage, c'était difficile à cause du temps bien évidemment, parce que très, très, très froid. Donc par moments, même le tournage a dû s'arrêter parce que trop froid, parce qu'on ne pouvait presque plus jouer. Maintenant, je crois que toutes ces difficultés sont malgré tout inhérentes à un tournage. La réelle difficulté était je crois le...la difficulté de... (Mylène rit de ne pas trouver ses mots) j'allais dire la tension qui régnait sur ce tournage, la tension que toute cette chose que Laurent portait dans le fond qui est extrêmement lourde.


Vous vous êtes faits totalement, parce que finalement lui, c'est son premier film, vous c'est votre premier grand rôle, vous vous êtes faits mutuellement et définitivement confiance dès le début, ou tout d'un coup du coin de l'œil vous vous êtes un petit peu surveillés l'un l'autre ? Parce que c'est vous qui portez tout : et lui, et vous.
Je crois qu'il y avait à la fois une grande confiance, puisque c'est vrai qu'on a très peu parlé du rôle par exemple. J'ai lu le scénario. Et une fois sur le tournage bien sûr, des indications de mise en scène. Mais de sa part, en tous cas, je suppose que c'est une confiance. 'Regardés du coin de l'œil', malgré tout de temps en temps. C'est-à-dire moi je l'ai quand même observé travaillant avec d'autres, puisqu'il y avait quand même beaucoup d'acteurs. Et parfois probablement des réactions assez violentes, oui, parce que c'est vrai que dans ces moments-là, on vous dit "Moteur, action !" et vous avez une espèce, d'abord d'angoisse profonde, et de demande qui est énorme quant à ou le regard ou même un mot, et que parfois ce mot n'arrive pas et que là on fait abstraction de toute une vie commune.


Ça devient professionnel...
Oui. Oui, dans le fond oui. Beaucoup plus cruel et plus...Mais je crois que c'était aussi essentiel. Je n'aime pas moi être trop protégée. J'étais réellement considérée comme une actrice engagée sur un film, et non pas comme le petit oiseau qu'on va couver. En aucun cas, non.


On se retrouve dans un instant pour parler de ce film de Laurent Boutonnat, avec Mylène Farmer et Jeff Dahlgren.

Flash info.


On se retrouve donc avec Mylène Farmer qui a la gentillesse de nous recevoir pour un film qui va, je l'espère, vous surprendre : Giorgino, donc, de Laurent Boutonnat, avec Jeff Dahlgren. Alors est-ce qu'on peut Mylène parler du fait que le film a été tourné en anglais ? Il est tourné en Tchécoslovaquie, il est tourné en hiver et en plus il est tourné en anglais. Pourquoi ? C'est pour rechercher la plus grande audience possible à travers le monde, ou c'est l'histoire...
(elle l'interrompt) Non, sincèrement non. C'est parce que Laurent Boutonnat voulait travailler avec des acteurs comme Louise Fletcher, Joss Ackland, et a trouvé son premier rôle aux Etats-Unis, donc c'est plus une volonté que d'aller vers des acteurs, donc une langue qui s'est imposée.


Louise Fletcher, tout le monde connaît, c'était l'infirmière de Vol au Dessus d'un Nid de Coucou et donc qui parle français, si mes souvenirs sont bons et elle était très charmante. C'est pour aller vers ces acteurs-là qu'il a choisi ce parti pris là ?
Absolument, oui parce que...Mais lui-même dit ça "J'aurais pu tourner ce film en espagnol, russe...". Peu lui importait la langue, dans le fond.


Alors donc un travail qui a été compliqué, et tout à l'heure vous nous disiez que c'était très difficile d'expliquer les raisons pour lesquelles vous étiez dans ce monde-là, dans à la fois ces rêveries, cette poésie et aussi ces fantasmes. Et pourtant quand on essaie de trouver une logique à tout ça, parce qu'après tout il y a forcément une logique même si on la veut pas, la première chanson c'était Maman a tort, après c'était Libertine, et maintenant c'est un film où il y a énormément de femmes, même si c'est une envie de l'auteur. Est-ce que cette logique vous apparaît ou est-ce que c'est un hasard total ?
Je pense que c'est un hasard. Mais là une fois de plus, c'est difficile, pardonnez-moi de le redire... (rires)


C'est pas grave !
...parce que ce film, dans le fond, ne m'appartient pas, en tous cas son histoire et son...


Mais vous êtes sûre qu'il ne l'a pas écrit pour vous ? Parce que quand vous dites qu'il ne vous appartient pas, il l'a quand même probablement en partie, enfin il savait que vous alliez jouer le rôle principal de Catherine.
Oui. Maintenant je... (elle cherche ses mots)


C'est du sur-mesure, quand même...
C'est une bonne couture. Est-ce que c'est du sur-mesure ? Je ne sais pas bien, mais là c'est peut-être plus par pudeur, je ne sais pas bien. Est-ce qu'il a écrit réellement ce rôle pour moi ? Je ne sais pas, parce que le personnage principal c'est peut-être lui qui a voyagé avec lui le plus longtemps, et peut-être que Catherine est arrivée plus tard, donc...


Et est-ce que lui justement, sans sombrer dans une espèce de simplification extrême, est-ce que lui il s'est vécu un petit peu comme Jeff Dahlgren, donc qui est le héros du film, à savoir ce médecin qui recherche des enfants ?
Je crois qu'il est...Cette chose commune d'avec ce personnage, c'est cette âme d'enfant qu'il a en lui et cette quête, cette quête essoufflée. Je crois qu'il a ça en lui.


Mais quand on a fait un film comme ça, qui est justement un film poétique, est-ce que c'est, comment dirais-je, vous savez que la critique en France n'aime pas trop le mélange des genres, ça peut être aussi bien un artiste qui a réussi dans un domaine qui est la variété, le fait de faire du cinéma, ça paraît presque pour beaucoup de gens qui sont extrêmement bien-pensants et extrêmement rigides...
Obscène ? (rires)


Oui. C'est pas obscène, mais on n'a pas le droit de changer de registre, et pourtant vous, vous avez ce besoin et vous en avez même exprimé tout à l'heure l'envie. Ça vous gêne qu'on vous oblige à vous enfermer dans un même registre ?
L'idée de l'enfermement me gêne. Maintenant, est-ce que moi j'ai été gênée par ça : non. Non, parce que j'ai essayé au maximum de me protéger et de ne pas écouter, de ne pas entendre. Sinon, effectivement si on écoutait et si on entendait réellement, je pense que c'est trop mutilant. Non. J'oserais dire je me moque de ce qu'on pense et de ce qu'on dit. C'est presque vrai.


C'est pour ça que depuis des années vous avez toujours choisi de faire votre métier, d'être extrêmement discrète sur vous, sur votre vie, enfin sur beaucoup d'aspects du travail d'artiste qui en général sont surexploités et plombent votre carrière ?
Oui, parce que je pense... Moi, j'essaye de ne pas m'essouffler et de ne pas essouffler l'autre. Donc en ce sens, je suis obligée d'être absente. Et puis je crois que c'est ma nature profonde, tout simplement donc je n'ai pas à me faire violence pour ça.


Et vous, quand les disques se vendent comme ça énormément, ça veut dire, bien au-delà du succès commercial, qu'il y un intérêt profond entre un artiste et les gens. Vous croyez que les gens vous aiment pour quoi, au fond ?
Je ne sais pas ! Non... (large sourire)


Pour ce mélange entre la fragilité et la provocation ?
Je crois pour, s'il y a à trouver une expression, peut-être pour la sincérité, parce que je crois que c'est une valeur qui existe toujours. Mais c'est difficile que d'exprimer pourquoi l'autre vous aime. Je ne sais pas...


Et quand est-ce que vous vous êtes rendue compte, vous dans votre carrière, parce que en général les carrières de chanteurs démarrent, elles surfent un petit peu sur les vagues adolescentes, ça a été aussi le début de votre carrière quand vous avez chanté "Maman a Tort" etc. Quand est-ce qu'on se dit "Moi, je vais faire autre chose", c'est-à-dire je pars sur ce plongeoir-là mais je vais aller dans une autre piscine, quitte à être décrédibilisée un petit peu ?
Là, vous parlez d'un genre plus que de changement radical de vie ?


Non, pas de vie pour vous, mais quand est-ce que vous vous êtes dit que vous alliez prendre au fond tout ça en mains, sérieusement pour obtenir, pour aller vers des objectifs précis ?
Je crois, le goût du risque. Là encore, c'est...Le calcul n'y est pas pour grand-chose, si ce n'est que une ‘carrière', même si c'est un mot qui n'est pas très joli, c'est quelque chose qui se pense, qui se gère. Maintenant, c'est quelque chose qui, je ne sais pas, qui s'est construit comme ça...


Petit à petit...
Oui, qui s'est fait lentement. Mon début n'a pas été fulgurant. J'ai eu trois bonnes années pour apprendre mon métier et apprendre ce que j'aimais et ce que je n'aimais pas, dans le fond, par rapport à moi-même et par rapport à l'extérieur également.


C'est-à-dire ?
C'est-à-dire de Maman a Tort, qui a été un succès mais j'étais quand même encore pas très connue jusqu'alors. Et après il y a eu deux autres 45-tours qui étaient plus discrets. Et puis après, le fameux Libertine qui là a été réellement...les projecteurs ont été mis sur moi. Mais donc, pendant cette période...Enfin, tout ça pour essayer d'expliquer que ça n'a pas été quelque chose, comme ça, d'immédiat, on vous donne tout. Ça a été quelque chose d'assez progressif, donc probablement de moins perturbant pour moi.


Donc d'une certaine manière, vous pouvez vous dire que la même attitude, vous allez, c'est donc la même expérience, vous allez l'utiliser pour le cinéma ? C'est-à-dire que c'est quelque chose qui commence, vous êtes habituée aux hauts et aux bas de ce qui s'est passé dans la chanson, et comme vous semblez avoir derrière la fragilité une assez grande volonté, vous allez attaquer un deuxième monde, tranquillement et avec le temps. C'est ça l'idée ?
Oui, là c'est plus une façade sereine, qui en aucun cas n'existe, dans le fond, si ce n'est que là je suis plus posée que d'ordinaire. Mais c'est plus un parcours angoissant qu'autre chose. Maintenant, pour répondre à votre question, je le ferai effectivement avec un maximum de réflexion et de réelles envies. C'est-à-dire, me perdre dans quelque chose pour le rien : non, en aucun cas.


Donc, ça veut dire qu'il faut forcément trouver des textes extrêmement forts, des scénarios extrêmement forts...
Ça va être de plus en plus difficile, je le sais. Mais c'est...


Mais est-ce que vous avez envie, puisque vous avez dit tout à l'heure que vous aimez bien les choses très différentes, d'Oliver Stone à d'autres metteurs en scène, ça veut dire est-ce que vous pouvez jouer une comédie, par exemple, par goût du fait de jouer ? Ou est-ce que tellement pas dans votre registre que ça vous paraît surréaliste ?
Si vous me proposez Woody Allen, je vous dis oui, j'accours ! (rires) Maintenant, tous les genres de comédie : non, je pense pas. Je ne sais pas, d'ailleurs, mais je ne pense pas avoir ce talent-là, et peut-être cette envie tout simplement. Une bonne comédie, oui c'est aussi intéressant et passionnant qu'un...


Sûrement, mais je veux dire tout le monde a envie de jouer avec Woody Allen, parce que on entre sans frapper, enfin si jamais il vous appelle, on s'assoit, vous lui dites de s'asseoir et on lit même pas le scénario, à la limite ! Mais le monde, le fait de changer de monde, parce que c'est un monde tellement particulier, celui du film donc qui sort mercredi, que c'est vrai qu'il y a aussi le risque d'être cataloguée dans une espèce de fantastique, onirique...
Ma foi, j'en ai pris le risque, et puis j'espère avoir la chance que d'avoir des propositions différentes. Je fais appel, j'allais dire, à l'intelligence du metteur en scène, plus qu'à quelque chose, comme ça, qui...


Mais est-ce qu'après on se dit pas, quand on a fait un film comme ça, ou quand on a eu une expérience comme ça qui est très profonde, parce que vous avez attendu plusieurs années, vous avez tourné pendant cinq mois, et puis c'est compliqué etc. et puis le film sort, est-ce qu'on a envie après, j'allais dire, de retourner dans le travail d'avant ? Est-ce que vous pourriez vous dire "Bon, ben maintenant, il faut s'y remettre", ou est-ce que vous y avez déjà pensé, écrit, travaillé, fait des musiques, ou pas du tout ?
Non. J'ai eu pendant effectivement le tournage même, plutôt juste après le tournage, quand le tournage s'est terminé, une envie que de tout abandonner, tout délaisser. Pour aller vers quoi, c'était le point d'interrogation et plutôt une période d'anéantissement qu'autre chose. Aujourd'hui, oui j'ai très envie de retourner vers l'écriture, enfin mon écriture, en tous cas, pour essayer de découvrir des choses que je ne connais pas moi-même, je suppose, parce que je ne sais pas ce que je vais faire, je ne sais pas ce que je vais écrire. Mais non, j'ai toujours cette envie. Je sais que si cette envie me quitte, j'arrêterai. J'aurai en tous cas cette honnêteté.


Il y a quelque chose qui peut apparaître paradoxal, c'est que finalement vous êtes très pudique, réservée, timide, et en même temps vous faites des choses qui sont toujours, qu'elles soient habillées ou pas habillées, toujours un peu explosives. C'est jamais... Pourquoi ?
Parce que je crois que ça fait partie de mon propre paradoxe. C'est cette envie que de se cacher, cette envie de lumière et qui se reproduit dans le moindre de mes actes et pensées. C'est quelque chose de conflictuel mais nécessaire.


Vous savez que par rapport justement aux années précédentes, on a appelé ça un peu pompeusement les années 80, celles qui s'annoncent sont plus tellement les années de la provocation. Mais quand je dis "la provocation", c'est pas la provocation au sens idiot mais la provocation au sens presque artistique des choses. Maintenant, ceux qui essaient de sortir le bout du nez pour faire des choses un peu différentes, on leur tape sur le bout du nez. Ça vous fait peur, ça ?
J'ai l'impression que ça a existé toujours, ça, que c'est omniprésent, que dès qu'on essaye de faire quelque chose qui n'est pas, effectivement, dans ce chemin balisé, on vous tape sur les doigts. Mais...


On vous a tapé, vous, sur les doigts ?
Attaquée, bien évidemment ! Mais une fois de plus, peu m'importe, ça ne nous touche pas. Un artiste existe parce qu'un public est là. Au fond, j'enfonce des portes ouvertes, mais c'est la vérité vraie! Donc, tant qu'un public me dit "Continue ! C'est quelque chose que nous aimons", je continue !


Est-ce que vous vous reconnaissez, non pas personnellement, mais dans des attitudes qui peuvent vous ressembler, par exemple pour quelqu'un comme Isabelle Adjani qui vit un peu...qui au fond montre à l'écran des choses souvent excessives et puis qui le reste du temps disparaît ?
Je ne sais pas si nous sommes pareilles, mais c'est vrai que on m'a fait souvent cette réflexion, par exemple, que nous avions... Mais c'est plus pour évoquer des choses, dans le fond, des choses négatives en fait. Cette comparaison a été...


Non, mais là c'est dit...
Non, je le sais mais là je pense à ça parce que c'est quelqu'un qui, je crois, a essayé réellement de gérer sa carrière et son image et de faire ce qu'il lui plaisait, et parfois de s'évanouir et qu'on le lui a reproché. Maintenant, est-ce que je...Je ne sais pas, c'est quelqu'un qui a un grand talent.


La dernière question : est-ce que la vie quotidienne, c'est-à-dire celle qui est ni sur les planches, ni dans les studios, ni en tournage, est-ce qu'on y trouve un peu de bonheur, de plaisir, ou est-ce que finalement il faut attendre désespérément de faire quelque chose et de se montrer ?
Je crois que j'ai besoin effectivement de faire quelque chose, et ce métier... Sinon, je le vis mal.


En tous cas, on vous souhaite le plus grand succès pour le film...
Merci beaucoup.


...à vous et à Laurent Boutonnat. Le film donc qui est sorti aujourd'hui sur les écrans et que je vous encourage vivement à aller voir, parce que c'est un film qui ne ressemble pas aux autres et c'est tant mieux ! Ciao, à demain.
Merci beaucoup...


Générique de fin de l'émission.


Source retranscription : Inside Of - Spécial Mylène Farmer - Référentiel des TV - 2007 - Editions Why Not


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