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Mylène Farmer - Interview - Télé 7 Jours - 03 octobre 1994



  • Date
    03 octobre 1994
  • Média / Presse
    Télé 7 Jours
  • Interview par
    Martine Bourillon
  • Fichiers
    Mylène Farmer Presse Télé 7 Jours 03 octobre 1994  Mylène Farmer Presse Télé 7 Jours 03 octobre 1994  Mylène Farmer Presse Télé 7 Jours 03 octobre 1994  Mylène Farmer Presse Télé 7 Jours 03 octobre 1994
  • Catégories interviews



Télé 7 Jours : Depuis deux ans vous avez disparu. On disait : "Mylène fait son film." Le film, c'est Giorgino, film romantique en pleine guerre de 14-18 où vous jouez le rôle d'une jeune fille un peu autiste, élevée au milieu d'orphelins rejetés du monde. Ce film était-il si important pour que vous lui sacrifiez deux grandes années de votre carrière ?
Mylène Farmer : Le cinéma était devenu essentiel pour moi. On m'a même entendue dire : "Si je ne fais pas de cinéma, j'en mourrai". C'était sans doute un peu exagéré, mais cela traduisait ce que je ressentais à ce moment-là. La nécessité de sortir de moi-même, de me regarder vivre à travers un autre personnage.


Par lassitude d'être devenue un personnage dont on attendait trop ?
D'être un personnage qui ne parvenait toujours pas à s'aimer, malgré tout l'amour que j'ai reçu du public. Cette envie de cinéma, c'était très ancien. A 16 ans, quand j'ai admis que l'équitation, que je pratiquais avec passion, ne serait pas mon métier, j'ai voulu me lancer dans le théâtre. Par un besoin de sortir du lot peut-être... plus sûrement par envie de me regarder dans le regard des autres.


La chanson est venue un peu par hasard.
Quand j'ai rencontré Laurent Boutonnat, il avait écrit avec un ami Maman a tort. Il m'a proposé de chanter cette chanson. J'ai accepté comme un rôle d'actrice. C'est plus tard que je me suis aperçue que j'aimais écrire et m'exprimer par des chansons. Tout s'est enchaîné. Le désir de jouer la comédie, lui, était toujours là.


Auriez-vous accepté de débuter au cinéma, dirigée par un autre que Laurent Boutonnat ?
Cela a failli. Hélas, pour des raisons de date, je n'ai pas pu accepter. Ensuite, le film de Laurent a été tellement long à monter... Finalement, cela me rassurait un peu de tourner mon premier film sous la direction de Laurent. J'avais confiance en son talent, en son amitié. Je savais qu'il ne laisserait rien passer, qu'il ne me permettrait pas de l'à peu près.


Avec quelqu'un que l'on aime beaucoup, on peut avoir peur de blesser par des réticences. On peut craindre de décevoir.
D'autant plus qu'avec Laurent, nous nous connaissons si bien qu'il n'est pas nécessaire de nous dire les choses clairement pour savoir ce qu'en pense l'autre. Ce tournage a été terriblement pénible.


En raison des conditions de tournage : cinq mois en ex-Tchécoslovaquie, dont une bonne partie, l'hiver, dans les montagnes de Slovaquie ?
C'était assez rude. Courir des après-midi entiers par moins vingt degrés, dans la neige ou sur la glace avec des petites robes serrées. Mais ça n'est pas le côté 'physique' du tournage qui a été le plus dur. Le plus pénible, ce sont ces sentiments de doute, de solitude que j'ai éprouvés. Parce qu'il avait à porter, sur ses seules épaules, toute la responsabilité du tournage, Laurent se protégeait du dialogue. Il me donnait des indications pour la scène et me laissait seule avec mes angoisses, exigeant beaucoup plus de moi que des autres. A certains moments, ma tension était telle que j'ai violemment explosé, ce qui m'arrive rarement quand je travaille.


Quelles ont été les scènes les plus difficiles ?
Celle où mon partenaire s'efforce de me ranimer, celle où je me pends. Jouer des scènes où l'on mime sa mort est très éprouvant. Ce sont les seules scènes que j'ai demandé à voir sur la petite télévision de contrôle où le réalisateur regarde la scène qu'il vient de tourner.


Vous refusiez de regarder au fur et à mesure ?
Après les scènes, je n'avais plus qu'une envie : aller me cacher. Quand on sort de soi ce que l'on ne s'autorise pas à laisser voir dans la vie de tous les jours, il faut un moment pour se reprendre, pour ne pas imposer aux autres, une fois le mot "coupez" prononcé, l'indécences de ses pulsions secrètes. C'est très fatigant, aussi, cette extériorisation de soi, très violent.


Catherine, votre personnage, est à moitié autiste. Comment vous êtes-vous préparée pour ce personnage ?
J'ai demandé à un ami psychiatre l'autorisation d'assister à des consultations de malades mentaux. Pour saisir, par exemple, leur façon de se mouvoir : ces mains qui s'agitent pendant que le regard vous traverse sans vous voir.


C'est un monde que vous découvriez ?
Celui de la maladie mentale, oui. En revanche, les hôpitaux d'enfants, je connaissais. Quand j'avais 11, 12 ans, dans le cadre du catéchisme, je me suis rendue avec ma classe au chevet d'enfants lourdement handicapés. J'y suis ensuite retournée assez longtemps.


C'est une expérience qui vous a marquée.
C'est à cette expérience que je dois mon impossibilité à jamais de me sentir complètement heureuse. Le sort de ces enfants condamnés a fait naître en moi une colère dont je ne me débarrasserai, je crois, jamais. Il m'a rendue irrémédiablement pessimiste.


Vous avez, en tournant ce film, réalisé un de vos plus chers désirs, et ça ne s'arrange pas !
J'ai honte de le dire, mais j'ai l'impression que plus j'avance, plus j'ai peur. C'est comme une spirale qui m'aspire.


Vous avez pourtant des projets ?
J'ai très envie de travailler de nouveau sur un album. J'en ressens impérieusement la nécessité. Je sais qu'au début de l'an prochain, je me retrouverai en studio et je piaffe d'impatience. Comme toujours, plus l'échéance approche, plus j'ai de doutes sur la validité de mon désir de rechanter.


Et la scène ?
On ne peut pas chanter sans penser à la scène. Un moment, j'ai songé que je n'y remonterais plus jamais. Le plaisir avait été si violent que je ne voyais pas comment je pourrais renouveler ce plaisir une autre fois. Le désir m'en est revenu. Là encore, je me dis : "Ce sera la dernière fois". C'est du moins ce que je pense aujourd'hui. Je ne suis sûre de rien. J'ai du mal à me projeter dans le futur.


Le cinéma, vous y goûterez de nouveau ?
Je l'espère car, ce dont je suis certaine, c'est que je l'aime définitivement !


En dépit de la souffrance ?
Avant de jouer, c'est l'horreur et, en même temps, c'est une jouissance que de surmonter l'insurmontable. La peur est mon moteur. Je vis très mal les moments, comme celui-ci, où je ne fais rien.


Comment vivez-vous votre oisiveté ?
Je ne la vis pas, je la subis. Je n'en peux plus d'attendre. Pendant le montage du film, l'attente m'était devenue si insupportable que j'ai fui. Je ne trouve le repos qu'en voyage. Je suis allée passer un mois à Bali. Je rêve de Bornéo, de Madagascar. Sous des cieux très différents, au milieu de gens, au contact de cultures à l'opposé de la mienne je m'oublie un peu, je vis moins mal.


Qu'attendez-vous de la sortie de ce film ?
Je n'attends rien. J'aimerais que les gens l'aiment parce que je trouve que c'est un beau film mais, pour moi, je n'attends rien de précis. Simplement, je suis heureuse de ce film. Vous avez remarqué le mot ? Heureuse, j'ai dit "Heureuse" ! Ce n'est pas exactement le mot, mais vous pouvez l'écrire...

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