Télé
Moustique : Pourquoi êtes-vous si avare d'interviews ?
Pourquoi
est-ce si difficile de vous rencontrer ?
Mylène Farmer : Je n'aime pas banaliser les interviews, ni
répéter
toujours les mêmes choses... Et puis encore et encore parler
de
moi, ça devient aliénant. Je n'ai pas envie non
plus de
prolonger les chansons, de m'expliquer, de me justifier...
Télé
Moustique : Je pensais que ça vous était vraiment
trop pénible
de devoir aborder des sujets intimes face à face avec un
étranger dans un système de questions /
réponses
contre nature...
Mylène Farmer : ... (Son nez se pince et elle secoue la
tête pour acquiescer, comme embarrassée
d'être prise sur le fait.)
Télé
Moustique : Choisir le silence, c'est aussi parfois donner le champ
libre aux rumeurs...
Mylène Farmer : J'y suis vraiment indifférente.
Elles sont souvent basées sur du ressentiment et de la
mauvaise foi.
Télé
Moustique : Comme la rumeur du play-back pendant les concerts ?
Mylène Farmer : Bien sûr. Je n'ai jamais
accepté de faire une seule
émission de télévision en chantant en
direct. Sur
un plateau de télé, je n'ai aucun
contrôle sur le
son. Je ne veux pas jouer à la roulette russe avec mes
chansons. Elles me sont trop importantes. Donc, on a
immédiatement conclu
que je ne savais pas chanter et que mes concerts seraient en play-back.
Ca m'est égal. Je sais d'où vient la rumeur, je
sais
où je vais et ce qu'en pensent ceux qui viennent me voir.
Tant
pis pour les autres.
Télé
Moustique : Si la critique ne vous touche pas, êtes-vous
émue par les
récompenses ? Je me souviens de cette soirée des
"Victoires de la Musique" où vous avez reçu votre
trophée en déclarant : "Je suis contente et
triste"... Mais qu'est-ce qui vous a poussée à
dire
que vous étiez triste alors qu'on vous
récompensait ?
Mylène Farmer : J'ai passé des heures en
coulisses pour les
répétitions de cette soirée
télévisée. Tout le gratin du
show-business
était là et ces gens m'ont
écoeurée. Ils se
détestent tous. J'étais triste d'avoir
été
récompensée et reconnue par ces
gens-là. Ce sont
les Victoire de l'Hypocrisie. J'ai failli m'enfuir, mais je suis
restée pour faire plaisir aux gens qui regardaient
l'émission. Ils n'auraient pas compris...
Télé
Moustique : Vous n'avez pas d'amis dans ce métier ?
Mylène Farmer : J'aime bien Lio et Jean-Jacques Goldman.
Mais je les connais assez peu...
Télé
Moustique : C'est si important, pour vous, d'être rousse ?
Mylène Farmer : ... (Silence) ... Cela a
été important à une
époque... Maintenant, ça l'est moins puisque
ça
fait partie intégrante de moi... Je ne me défie
plus en me
regardant dans un miroir...
Télé
Moustique : Votre date de naissance imaginaire (1985, dans sa
biographie officielle)
correspond très exactement au moment où vous avez
choisi
de vous teindre les cheveux... (ce qui est faux,
Mylène s'est teint les cheveux en roux en 1986, ndlr)
Mylène Farmer : ... C'est vrai... C'est quelque chose que je
devais vomir. J'ai toujours
eu ça en moi sans oser l'afficher. Cette façon
d'être différente... Et en l'incarnant
physiquement, je ne
pouvais plus reculer. J'ai détruit quelqu'un pour en devenir
un
autre... C'était difficile, comme un défi aux
autres...
Télé
Moustique : "Ainsi soit je, ainsi va ma vie, tant pis..." ? (erreur
dans les paroles, ndlr)
Mylène Farmer : ... Oui... (Elle sourit, regarde le sol.)
Télé
Moustique : Vous vous souvenez de votre première rencontre
avec Laurent Boutonnat ?
Laurent Boutonnat : Non.
Télé
Moustique : Vous semblez si catégorique sur l'absence de
souvenirs...
Mylène Farmer : En fait, j'y repense très souvent
et je n'arrive pas à
me rappeler... Même pas son visage... Je me souviens que
quelqu'un
était là, mais rien de plus... Ça
m'ennuie…
Télé
Moustique : Jusqu'au deuxième single, On est tous
des imbéciles,
Laurent écrivait les chansons avec
Jérôme Dahan, qui a disparu ensuite...
Mylène Farmer : C'est lui qui est parti... Je pense qu'il
s'est senti comme un intrus
dans la relation exceptionnelle qui se dessinait entre Laurent et moi...
Télé
Moustique : Relation exceptionnelle ?
Mylène Farmer : C'est mon jumeau, mon double, mon
complément vital. Il comble
mes vides... On ne peut pas être doué pour tout.
Ensemble,
nous complétons deux personnalités pour faire un
tout.
Télé
Moustique : On est tous
des imbéciles est un disque hybride. Il n'est
repris sur aucun album, n'a pas eu droit a une vidéo.
Il a été écarté comme une
bavure.
Mylène Farmer : J'aime beaucoup cette chanson, mais elle
marquait la fin d'une
époque, la fin d'un cycle... Un peu comme aujourd'hui, on
est
à la fin d'un cycle... Il va y avoir des choix à
faire... Je
ne sais pas encore lesquels. Les choses s'imposeront
d'elles-mêmes.
Télé
Moustique : C'est la phrase de A quoi je
sers... : "A
présent, je peux me taire si tout devient
dégoût" ?
Mylène Farmer : Non, non. C'est un peu léger,
comme le clip avec les
fantômes qui m'emmènent. C'est une image un peu
facile,
même si elle contient une partie de
vérité.
Télé
Moustique : Et la pochette en noir et blanc comme un faire-part
mortuaire, comme des adieux...
Mylène Farmer : Non, il y aura d'autres disques...Plus
tard...Vous aimez cette photo
? C'est Marianne (Marianne Rosenstiehl, ndlr) qui l'a prise dans ma
loge au
Palais des Sports... Je l'adore.
Télé
Moustique : Y a-t-il un but secret que vous vous êtes
fixée depuis le premier jour ?
Mylène Farmer : Oui, j'ai un but à atteindre...
Télé
Moustique : Très précis ?
Mylène Farmer : Oui, très
précis... (Catégorique.)
Télé
Moustique : Quand vous vous déshabillez dans un clip, c'est
pour répondre à l'attente de qui ?
Mylène Farmer : Du scénariste, donc de Laurent.
S'il pense que c'est utile
pour son film... J'ai confiance en lui. Mais aujourd'hui, je sais que
c'est fini et qu'on ne le refera plus.
Télé
Moustique : Quand vous parlez de Laurent Boutonnat, vous citez la
confiance, le
respect, l'admiration. On n'est pas très loin d'un sentiment
amoureux...
Mylène Farmer : (Sourire.) Je ne veux pas parler de ma vie
privée. Je vous
dirai seulement que je ne peux pas la dissocier de ma vie
professionnelle.
Télé
Moustique : Vous êtes possessive ? Vous accepteriez qu'il
travaille avec quelqu'un d'autre ?
Mylène Farmer : Je sais qu'il ne le ferait pas. Pour
l'instant, il ne pourrait pas
trouver ailleurs ce que je peux lui apporter. L'inverse est vrai
aussi...
Télé
Moustique : Toutes vos idoles sont des personnages historiques : Louis
II de
Bavière, Edgar Allan Poe, Baudelaire... Rien ne vous
rattache
vraiment à vos contemporains ?
Mylène Farmer : Vous savez, je ne suis pas très
cultivée... Il y a
probablement beaucoup de gens que j'admirerais
énormément
si je les connaissais... J'ai mes références,
celles que
j'ai trouvées dans les livres. J'ai lu beaucoup quand
j'étais petite. Aujourd'hui, je ne lis presque plus. Je le
regrette.
Télé
Moustique : Où en est le projet de long métrage
pour le cinéma de Laurent Boutonnat ?
Mylène Farmer : Il va le faire. On a trouvé
l'argent pour le monter. Il
commence le tournage après la tournée.
Télé
Moustique : Il y a un rôle pour vous ?
Mylène Farmer : Je ne sais
pas…Peut-être...
Télé
Moustique : Vous avez envie de tourner dans ce film ?
Mylène Farmer : Oui...
Télé
Moustique : Eh bien alors ?
Mylène Farmer : Bon ! Oui, je jouerai dans le film.
Télé
Moustique : Ça parle de quoi ?
Mylène Farmer : Il est trop tôt... Je vous le dis,
mais vous me promettez de ne pas l'écrire...
Télé
Moustique : C'est juré. Alors ?
Mylène Farmer : ...
Télé
Moustique : Vous vous êtes bien amusée sur
scène, pendant les
concerts ? Je veux dire dans le sens purement enfantin du terme.
Mylène Farmer : Oui, il y a eu de ça. Mais pas
que ça. C'est
très stimulant. En deux heures, on passe par autant de
sentiments différents qu'en dix ans de vie. Je
n'étais
pas sûre d'aimer ça avant de le faire. C'est pour
ça que ce spectacle a été
conçu comme le
dernier. Je n'étais pas certaine de remonter sur
scène
après cette première expérience. Tout
dépendra de la tournée. J'ai très peur
de me
retrouver sur les routes, dans une chambre différente tous
les
soirs... Je ne sais pas...
Télé
Moustique : En décembre, vous clôturerez la
tournée par deux
dates exceptionnelles à Bercy. La grandeur de la salle (15
000 personnes) vous fait
peur ?
Mylène Farmer : Oh ! non. Pas du tout. J'aurais
tremblé à l'Olympia mais pas à Bercy.
Télé
Moustique : Un peu comme la peur du
tête-à-tête en interview ?
Mylène Farmer : ... Oui, une peur de
promiscuité et d'intimité.
Télé
Moustique : Vous êtes heureuse de tout ce qui vous arrive ?
Mylène Farmer : (Soupir.) ... (Silence.) ... Mary Shelley
(auteur du roman Frankenstein
en 1818) a dit un jour : "Je ne veux pas
être de celles que l'on aime, je veux être de
celles dont
on se souvient"...
Télé
Moustique : Mais pour en arriver là, elle a
été obligée
de créer un monstre... !
Mylène Farmer : ... Oui...oui...