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Mylène Farmer - Interview - Top Music - Avril 1999






Top Music : Sur Anamorphosée, une seule chanson était écrite et composée par Mylène Farmer, uniquement. Sur Innamoramento, cinq chansons sur treize sont signées uniquement par vous. Alors, peut-on préjuger d'un album où vous écririez et composeriez toutes les chansons ?
Mylène Farmer : Ecoutez, ça, je ne sais pas. J'aime travailler avec Laurent. J'aime ses musiques, j'aime le travail que nous faisons communément. Donc, je ne peux pas répondre à cette question. Là, le fait d'avoir cinq chansons n'est en aucun cas une revendication. C'était un souhait, elles étaient là et j'avais envie qu'elles existent. Sinon, c'est une négation de soi. Donc, je me suis autorisée cet exercice-là. Est-ce que demain j'aurai envie de le faire ? Je n'ai pas la réponse.


Mylène Farmer, quand on se plonge dans votre écriture, dans votre dernier album particulièrement, on a parfois de la peine à imaginer le sens exact de vos propos. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Alors là, est-ce que c'est prémédité, je ne sais pas moi-même, je ne le crois pas. Maintenant, j'aime l'idée que quand on lit ces textes-là, chacun puisse y puiser ce qu'il a envie d'y puiser, de se raconter dans le fond, sa propre histoire. Même si ce n'est pas la mienne. Mieux vaut avoir deux, trois, quatre interprétations. J'aime cette liberté, et j'aime qu'on me dise ça, dans le fond. J'aime qu'on me dise : "Ce n'est peut-être pas très précis, c'est peut-être elliptique, mais j'y ai trouvé quelque chose." Maintenant, si on me dit : "Je n'y comprends rien", là ce serait inquiétant pour moi ! (rires) Moi, quand j'écris une chanson, je raconte une histoire qui est la mienne. Maintenant, est-ce que c'est intéressant de savoir le pourquoi du comment et le bien-fondé de cette histoire, je ne suis pas sûre...


L'Âme-Stram-Gram est le premier extrait de votre nouvel album, Innamoramento. Comment s'est fait le choix de ce premier simple ?
Ecoutez, ça s'est trouvé comme ça. Quand on a travaillé à nouveau avec Laurent, il a posé une rythmique et j'avoue que j'avais très envie de quelque chose, justement, de rythmique, voire d'un petit peu plus léger. Maintenant, quant à son thème, il me paraît plus ambigu et... si ce n'est que j'ai redétourné ce thème à nouveau avec l'image. Donc là encore, moi-même dans une propre histoire je m'autorise autre chose, une lecture différente.


On peut considérer que ce morceau n'est pas vraiment représentatif de l'album, j'ai même entendu dire qu'il manque d'originalité. Que pensez-vous de cette réflexion ?
(soupir) Là, je suis obligée d'accepter cette critique. Ça fait partie aussi de, comment dirais-je, ça fait partie de l'enjeu de ce métier que de n'être pas appréciée tout le temps. Maintenant, si c'est une déception, c'est dommage...


L'Âme-Stram-Gram est le premier clip également que nous ayons pu voir, bien sûr, de ce nouvel album puisque c'est le premier extrait. Alors, avec ce clip, on retourne à un clip narratif, à un court-métrage. Pourquoi ?
Là encore, ce sont des choses spontanées. J'avais... peut-être parce que les musiques, peut-être parce que les textes... mais une envie tout simplement d'images et d'une histoire. Donc j'avais envie de revenir à des histoires.


Et l'histoire de ce clip, c'est une légende ou bien c'est une histoire que vous avez créée ?
Oui, que j'ai écrite.


Le premier titre de votre nouvel album, Mylène Farmer, Innamoramento, s'appelle L'Amour naissant. Vous l'envisagiez vraiment comme un voyage, comme on a l'impression de le vivre, un voyage en bateau, à la fois musical et réel... C'est comme ça que vous l'avez imaginé ?
C'est tout à fait ce que j'ai voulu évoquer à travers cette chanson. Moi-même, je suis allée en Irlande. D'autre part, j'adore le film La Fille de Ryan de David Lean. J'aime l'histoire qui se dégage, j'aime les amants dans ce film et j'ai tenté moi-même de voyager sur ce fameux bateau, comme vous disiez ! (rires) C'est ce pour quoi j'ai demandé des sons de la nature, l'évocation de la nature, le vent, qui sont proches des sentiments amoureux.


Et les chœurs africains à la fin ?
Les chœurs africains sont arrivés, ils faisaient partie aussi du voyage. Maintenant, vous dire pourquoi chœurs africains... c'était une succession d'onomatopées comme ça, puisque je les ai écrites donc phonétiquement... Et quand ces femmes sont venues, elles étaient cinq, d'ethnies différentes, et elles m'ont dit qu'il y avait une quasi-traduction parfaite dans divers dialectes et que ça voulait dire ceci ou cela. Et on s'est aperçu que c'était très porté vers le haut, spirituellement, donc c'est une surprise même si elles ont quand même modifié quelques sonorités.


Petite question : est-ce que l'amour passe par le voyage pour vous ?
En ce qui me concerne, oui. En tout cas, si on peut parler de... géographiquement en tout cas, oui. J'ai besoin de voyage pour moi-même me régénérer et avoir envie de redécouvrir le sentiment amoureux.


Dessine-moi un Mouton, extrait de l'album Innamoramento, montre une tessiture identique à celle qu'on entendait dans L'Instant X. Par exemple, une voix grave qui ne vous est pas habituelle cela dit...
C'est vrai que je me suis rendue compte que la plupart des chansons nécessitaient une voix plutôt aiguë, et que là pour le coup, ça a été prémédité. C'est-à-dire avoir envie d'avoir, puisque j'ai un registre qui peut aller dans les graves aussi, d'avoir envie de retrouver ces graves-là.


Est-ce que cette voix un peu spéciale suscite des réactions en général ?
Oui oui, tout à fait, ! Parce que j'aime ça, parce que dans le fond ça suggère, au moins en tout cas en moi une surprise et que de reproduire toujours la même chose est ennuyeux.


Quelle ressemblance y a t'il entre Dessine-moi un mouton et L'Instant X, puisqu'on y retrouve les mêmes arrangements ?
La chose que je retrouve ou que je peux envisager, c'est que c'est sans doute un morceau pour la scène. Je vois tout à fait une énergie, la mienne, et je le souhaite celle du public également qui peut être semblable à celle de L'Instant X.


Est-ce qu'aujourd'hui vous composez en pensant également précisément à la scène ?
Ça, je ne sais pas. En tout cas, j'ai le souhait de faire vivre cet album dans sa quasi intégralité sur scène.


Vous êtes plus rassurée maintenant ? C'est vrai qu'à une époque on disait que vous aviez une peur bleue de la scène...
Je ne sais pas si c'est en ces termes-là. J'ai mis beaucoup de temps à monter sur scène. J'ai attendu sept ans avant de faire mon premier spectacle mais parce que je ne m'autorisais pas, en tout cas, cet exercice-là. Maintenant, il faut dire qu'on est habité par la peur, le trac, oui. Aujourd'hui, je crois que j'ai le même trac, les mêmes angoisses, si ce n'est que je sais à quel point j'ai aimé ces moments-là et à quel point j'en ai besoin. Donc je peux... j'allais dire : "Au diable la peur !"


Dans le titre Je te rends ton amour, extrait bien sûr d' Innamoramento, Mylène Farmer, vous êtes dans la peau d'un nu de peintre : il s'agit d'Egon Schiele. Alors, pourquoi Egon Schiele ?
Ecoutez, à chaque fois que je m'envisage ou, dans mes pires moments quand je me vois, je me vois comme un nu d'Egon Schiele. J'aime ce peintre profondément, j'aime sa peinture, j'aime sa torture. Je ne me fais pas un compliment quand je m'envisage être un nu, même d'un maître, parce que ce sont des femmes qui sont acérées, qui sont maigres, qui sont… voilà, oui, voilà comment je peux me voir parfois ! (rires)


Vous aimez d'autres peintres, également ?
Euh... Qu'est-ce que j'aime comme peintres? J'aime Max Ernst, mais c'est pas la même famille...


Vous appréciez l'art moderne, visiblement. Est-ce que vous vous entourez chez vous de peintures d'art moderne ?
J'en ai beaucoup, partout. Non pas sur les murs : je n'accroche pas les tableaux, je les laisse par terre, mais ils sont en revanche tous encadrés et je vis totalement... Il y a une immersion totale ! (rires)


Sur la pochette de l'album Innamoramento figure la photo d'une Mylène Farmer juchée sur une cage à requins, laquelle est immergée dans l'océan. Alors, vous êtes sortie de la cage, ou vous allez y rentrer ?
La porte est ouverte, donc je peux toujours... y rentrer à nouveau, donc c'est l'interrogation que j'ai.


C'est un oiseau, cette Mylène ?
Je sais pas. (soupir) On peut y voir ce qu'on veut, mais c'est vrai qu'à la lecture immédiate, on voit une cage, on voit une silhouette au-dessus, on peut penser à l'oiseau. Maintenant, peu m'importe d'ailleurs si c'est un oiseau ou non. C'est plus l'idée qu'on puisse voir effectivement cette porte entrouverte et que cette cage elle-même est entourée d'eau, donc qui peut être menaçante, qui peut être paisible, on ne sait pas bien...


Pour l'anecdote, la photo a été prise, je crois, à Miami, c'est ça ?
Oui, paradoxalement, parce que c'est vrai que...  on a voulu la mer parce que le climat et surtout le photographe était là-bas. Mais j'aurais pu le faire tout aussi bien, et peut-être plus volontiers en Irlande, par exemple.


Dans la chanson Optimistique-moi, vous chantez "Papa, reviens-moi...". Que se cache-t-il derrière cette expression ?
Là, j'ai pas envie de justification… (petit rire nerveux)


Dans la chanson Serais-tu là, on a l'impression que vous demandez vraiment, vraiment beaucoup. En amour, vos chansons placent toujours la barre très, très haut. Est-ce que vous-même, vous pensez être à la hauteur des exigences que vous avez ?
Je crois que j'en suis capable en tout cas. Maintenant, est-ce qu'on m'a mis à l'épreuve, peut-être pas... Mise à l'épreuve, pardon...
 

Dans la chanson Consentement, il y a une expression qui est la suivante : "Je veux du vous quand les dessous sont tutoiements".. C'est... léger...
C'est en tout cas érotique. (rires) J'aime l'idée du "vous", j'aime sa sensualité. J'aime l'inconnu qui se cache derrière ce "vous".


Le tutoiement, c'est le déchaînement de l'amour, alors ?
C'est le...?


Le déchaînement de l'amour ?
Non, là j'y voyais plutôt une non saveur, quelque chose de trop... d'acquis.


Dans l'amour charnel, par exemple ?
J'aime la distance du "vous", j'aime ce que ça peut suggérer à la fois de mystère, cette chose décharnée, éventuellement.


C'est une distance qui permet d'aller peut-être plus loin, alors ?
Qui électrise, en tout cas...


Vous allez décidément tout nous dire sur Top Music, Mylène Farmer ! Extrait de votre nouvel album, Et si vieillir m'était conté. La nuit me semble comparée peut-être à... peut-être à la mort, elle a des doigts de fée, et c'est aussi une femme...
Oui,... Mais la lune est une femme aussi ! (rires)


Est-ce qu'il faut voir une assimilation à cette force féminine, vous y faisiez allusion aussi dans un autre morceau ?
J'ai peut-être besoin de rendre des comptes, c'est sans doute vrai. Le "méfie-toi" se voulait menaçant et, je crois, il l'est ! (rires)


Avez-vous peur de vieillir ?
Je n'aime pas cette idée-là, oui...


Dans Souviens-toi du jour, vous chantez des paroles qui ne sont pas en français. Qu'évoquent-elles ?
Oui, ça c'est de l'hébreu, et ça veut dire justement "souviens-toi du jour", c'est dans la Torah. Quand j'ai écrit cette chanson, c'est parce que j'ai lu énormément de... enfin énormément... J'ai un livre de chevet qui s'appelle Si c'est un homme, justement, de Primo Levi, et qui évoque la déportation. J'avais envie de parler de ça, tout en ne l'imprimant pas avec évidence. Donc là encore, il y a plusieurs lectures possibles. Mais, c'est ce à quoi j'ai pensé, cette idée et cette nécessité que de se souvenir de ces choses-là.


Beaucoup de vos musiciens sont étrangers . Est-ce que, quand vous travaillez avec eux, vous arrivez à leur faire comprendre la consistance des paroles et est-ce que vous arrivez à leur faire traduire musicalement ce que vous voulez exactement, pour accompagner vos poèmes ?
J'ai la chance en tout cas d'avoir travaillé avec des musiciens qui m'ont toujours demandé, effectivement, quels sont les textes, qu'est-ce que vous avez voulu dire... Donc avec une traduction approximative, parce que c'est toujours difficile de traduire précisément, quand il y a des jeux de mots, ces choses-là, mais... J'arrive tout à fait à communiquer, si je puis dire l'âme de la chanson. Maintenant, ils ont aussi des choses assez précises à faire. On n'est pas en terme d'improvisation. J'ai aimé le fait qu'ils s'intéressent et qu'ils ne viennent pas faire uniquement des séances pour des séances. Ce sont des personnes qui ont travaillé pour la plupart sur l'album précédent, sur la tournée. On a créé maintenant des liens, et ils ont vu le public, ils ont vu ce qui se passait sur scène et je sais qu'ils sont très amoureux de ces instants-là. Donc, ils étaient heureux de reparticiper à tous ces moments-là.


On découvre bien sûr le dernier morceau, qui est un morceau grandiloquent... on dira une grande aventure. Il s'intitule Mylenium. Est-ce que cet album est important parce qu'il va passer le cap du millénaire ?
Non. Tous les albums ont été, et sont, importants pour moi... Dans le fond, je me moque totalement de l'an 2000 et de ce passage-là, ça n'évoque pas grand chose pour moi. 1999 est assez noir comme ça ; là, je ne parle pas de moi mais d'une généralité, une actualité. Maintenant c'est vrai que j'ai approprié (sic) le "millenium" avec le prénom, c'était tentant ! (rires)

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