Top Music : Sur Anamorphosée, une seule chanson
était
écrite et composée par Mylène Farmer,
uniquement. Sur Innamoramento, cinq chansons
sur treize sont signées uniquement par vous. Alors, peut-on
préjuger d'un album où vous
écririez et composeriez toutes les chansons ? Mylène
Farmer : Ecoutez, ça, je ne sais pas.
J'aime travailler avec Laurent. J'aime ses
musiques, j'aime le travail que nous faisons
communément. Donc, je ne peux pas répondre
à cette question. Là, le fait d'avoir
cinq chansons n'est en aucun cas une revendication. C'était
un souhait, elles étaient
là et j'avais envie qu'elles existent. Sinon, c'est une
négation de soi. Donc, je me suis
autorisée cet exercice-là. Est-ce que demain
j'aurai envie de le faire ? Je n'ai pas la
réponse. Mylène
Farmer, quand on se plonge dans votre
écriture, dans votre dernier album
particulièrement, on a parfois de la peine à
imaginer le sens exact de vos propos. Qu'est-ce que cela vous
inspire ? Alors
là, est-ce que c'est
prémédité, je ne sais pas
moi-même, je ne le crois pas. Maintenant, j'aime
l'idée que quand on lit ces
textes-là, chacun
puisse y puiser ce qu'il a envie d'y
puiser, de se raconter dans le fond, sa propre histoire. Même
si ce n'est pas la mienne. Mieux vaut avoir deux, trois,
quatre interprétations. J'aime cette
liberté, et j'aime qu'on me dise
ça, dans le fond. J'aime qu'on me dise : "Ce n'est
peut-être pas très précis,
c'est
peut-être
elliptique, mais j'y ai trouvé quelque
chose." Maintenant, si on me dit : "Je n'y comprends
rien", là ce serait inquiétant pour moi
! (rires) Moi, quand j'écris une chanson, je
raconte une histoire qui est la mienne. Maintenant, est-ce que
c'est intéressant de savoir le pourquoi du comment
et le bien-fondé de cette histoire, je ne suis pas
sûre... L'Âme-Stram-Gram est le
premier extrait de votre nouvel album, Innamoramento. Comment s'est fait le choix de
ce premier
simple ? Ecoutez,
ça s'est trouvé comme ça.
Quand on
a travaillé à nouveau avec Laurent, il a
posé une rythmique et j'avoue que j'avais très
envie de
quelque chose, justement, de rythmique, voire d'un
petit peu plus léger. Maintenant, quant à son
thème, il me paraît plus ambigu et... si ce
n'est que j'ai redétourné ce
thème à nouveau avec l'image. Donc
là encore, moi-même dans une propre histoire je
m'autorise autre chose, une lecture différente. On peut considérer que
ce morceau
n'est pas vraiment représentatif de
l'album, j'ai même entendu dire
qu'il manque d'originalité. Que
pensez-vous de cette réflexion ? (soupir)
Là, je suis obligée d'accepter
cette critique. Ça fait partie aussi de, comment dirais-je,
ça
fait partie de l'enjeu de ce métier que de
n'être pas appréciée tout le
temps. Maintenant, si c'est une déception,
c'est dommage... L'Âme-Stram-Gram est le
premier clip également que nous ayons pu voir, bien
sûr, de ce nouvel album puisque c'est le premier
extrait. Alors, avec ce clip, on retourne à un clip
narratif,
à un court-métrage. Pourquoi ? Là
encore, ce sont des choses spontanées.
J'avais... peut-être parce que les musiques,
peut-être parce que les textes... mais une envie tout
simplement d'images et d'une histoire. Donc j'avais envie de revenir
à des histoires. Et l'histoire de ce
clip, c'est une légende ou bien c'est
une histoire que vous avez créée ? Oui,
que j'ai écrite. Le premier titre de
votre nouvel album, Mylène Farmer, Innamoramento, s'appelle L'Amour
naissant.
Vous l'envisagiez vraiment comme un voyage, comme
on a l'impression de le vivre, un voyage en bateau, à la
fois musical et réel... C'est comme ça que vous
l'avez imaginé ? C'est
tout à fait ce que j'ai voulu évoquer
à travers cette chanson. Moi-même, je suis
allée en Irlande. D'autre part, j'adore le film La Fille de Ryan de
David Lean. J'aime l'histoire qui se
dégage, j'aime les amants dans ce film et j'ai
tenté moi-même de voyager sur ce fameux bateau,
comme vous disiez ! (rires) C'est ce pour quoi j'ai demandé
des sons de la nature, l'évocation de la nature, le vent,
qui
sont proches des sentiments amoureux. Et les
chœurs africains à la fin ? Les
chœurs africains sont arrivés, ils
faisaient partie aussi du voyage. Maintenant, vous dire pourquoi
chœurs africains... c'était une
succession d'onomatopées comme ça, puisque je les
ai écrites
donc phonétiquement... Et quand ces femmes sont venues,
elles
étaient cinq, d'ethnies différentes, et
elles m'ont dit qu'il y avait une quasi-traduction parfaite dans divers
dialectes et que ça voulait dire ceci ou cela. Et
on
s'est aperçu que c'était très
porté vers le haut, spirituellement, donc c'est une
surprise même si elles ont quand même
modifié quelques
sonorités. Petite question :
est-ce que l'amour passe
par le voyage pour vous ? En
ce qui me concerne, oui. En tout cas, si on peut parler de...
géographiquement en tout cas, oui. J'ai besoin de voyage
pour moi-même me régénérer
et avoir envie de redécouvrir le sentiment amoureux. Dessine-moi
un Mouton,
extrait de l'album Innamoramento, montre une tessiture identique
à celle qu'on entendait dans L'Instant X. Par exemple, une voix
grave qui ne vous est pas
habituelle cela dit... C'est
vrai que je me suis rendue
compte que la plupart des chansons nécessitaient une voix
plutôt aiguë, et que là pour le coup,
ça a été
prémédité. C'est-à-dire
avoir envie d'avoir, puisque j'ai un registre qui peut aller dans les
graves aussi, d'avoir envie de retrouver ces graves-là. Est-ce que cette
voix un peu spéciale suscite des
réactions en général ? Oui
oui, tout à fait, ! Parce que j'aime ça,
parce que dans le fond ça suggère, au moins en
tout cas en moi une surprise et que de reproduire toujours la
même
chose est ennuyeux. Quelle ressemblance
y a t'il entre Dessine-moi
un mouton
et L'Instant X, puisqu'on y
retrouve les mêmes arrangements ? La
chose que je retrouve ou que je peux envisager, c'est que c'est sans
doute un morceau pour la scène. Je vois tout
à fait une énergie, la mienne, et je le souhaite
celle du public également qui peut être semblable
à celle de L'Instant
X. Est-ce
qu'aujourd'hui vous
composez en pensant également
précisément à la scène ? Ça,
je ne sais pas. En tout cas, j'ai le souhait de
faire vivre cet album dans sa quasi intégralité
sur scène. Vous êtes
plus rassurée maintenant ? C'est vrai
qu'à une époque on disait que vous aviez une
peur bleue de la scène... Je
ne sais pas si c'est en ces termes-là. J'ai mis
beaucoup de temps à monter sur scène.
J'ai
attendu sept ans avant de faire mon premier spectacle mais parce que je
ne m'autorisais
pas, en tout cas, cet exercice-là. Maintenant, il faut dire
qu'on est habité par la peur, le trac, oui.
Aujourd'hui, je crois que j'ai le même trac,
les mêmes angoisses, si ce n'est que je sais à
quel point j'ai aimé ces moments-là et
à quel point j'en ai besoin. Donc je peux... j'allais dire
: "Au diable la peur !" Dans le
titre Je te
rends ton amour, extrait
bien sûr d' Innamoramento,
Mylène Farmer, vous êtes dans la peau d'un nu de
peintre : il s'agit d'Egon Schiele. Alors, pourquoi Egon Schiele ? Ecoutez,
à chaque fois que je m'envisage ou, dans mes
pires moments quand je me vois, je me vois comme un nu d'Egon Schiele.
J'aime ce peintre profondément, j'aime sa peinture, j'aime
sa torture. Je ne me fais pas un compliment quand je m'envisage
être un nu, même d'un maître, parce que
ce sont des femmes qui sont acérées, qui sont
maigres, qui sont… voilà, oui, voilà
comment je peux me voir parfois ! (rires) Vous aimez d'autres
peintres, également ? Euh...
Qu'est-ce que j'aime comme peintres? J'aime Max Ernst, mais
c'est
pas la même famille... Vous
appréciez l'art moderne, visiblement. Est-ce que
vous vous entourez chez vous de peintures d'art moderne ? J'en
ai beaucoup, partout. Non pas sur les murs : je n'accroche
pas les tableaux, je les laisse par terre, mais ils sont en revanche
tous encadrés et je vis totalement... Il y a une immersion
totale !
(rires) Sur la pochette de
l'album Innamoramento figure
la photo d'une Mylène Farmer juchée sur une cage
à requins, laquelle est immergée dans
l'océan. Alors, vous êtes sortie de la cage, ou
vous allez y rentrer ? La
porte est ouverte, donc je peux toujours... y rentrer à
nouveau, donc c'est l'interrogation que j'ai. C'est un oiseau,
cette Mylène ? Je
sais pas. (soupir) On peut y voir ce qu'on veut, mais c'est vrai
qu'à la
lecture immédiate, on voit une cage, on voit une
silhouette au-dessus, on peut penser à l'oiseau. Maintenant,
peu m'importe d'ailleurs si c'est un oiseau ou non. C'est plus
l'idée qu'on puisse voir effectivement cette porte
entrouverte et que cette cage elle-même est
entourée d'eau, donc qui peut être
menaçante, qui peut être paisible, on ne sait pas
bien... Pour l'anecdote, la
photo a été prise, je crois,
à Miami, c'est ça ? Oui,
paradoxalement, parce que c'est vrai que... on a voulu
la mer
parce que le climat et surtout le photographe était
là-bas. Mais j'aurais pu le faire tout aussi bien, et
peut-être plus volontiers en Irlande, par exemple. Dans la
chanson Optimistique-moi,
vous chantez "Papa, reviens-moi...". Que se cache-t-il
derrière cette expression ? Là,
j'ai pas envie de justification… (petit rire
nerveux) Dans la
chanson Serais-tu
là, on a l'impression que vous demandez
vraiment, vraiment beaucoup. En amour, vos chansons placent toujours la
barre
très, très haut. Est-ce que vous-même,
vous pensez être à la hauteur des exigences que
vous avez ? Je
crois que j'en suis capable en tout cas. Maintenant, est-ce
qu'on m'a mis à l'épreuve, peut-être
pas... Mise à l'épreuve, pardon... Dans la
chanson Consentement, il y a une expression qui est
la suivante : "Je
veux du vous quand les dessous sont tutoiements".. C'est...
léger... C'est
en tout cas érotique. (rires) J'aime
l'idée du "vous", j'aime sa
sensualité. J'aime l'inconnu qui se cache
derrière ce "vous". Le tutoiement,
c'est le déchaînement de l'amour,
alors ? C'est
le...? Le
déchaînement de l'amour ? Non,
là j'y voyais plutôt une non saveur,
quelque chose de trop... d'acquis. Dans l'amour
charnel, par exemple ? J'aime
la distance du "vous", j'aime ce que ça peut
suggérer à la fois de mystère, cette
chose décharnée, éventuellement. C'est une distance
qui permet d'aller peut-être plus loin,
alors ? Qui
électrise, en tout cas... Vous allez
décidément tout nous dire sur Top
Music, Mylène Farmer ! Extrait de votre nouvel
album, Et si
vieillir m'était conté. La nuit me semble
comparée peut-être
à... peut-être à la mort, elle a des
doigts de fée, et c'est
aussi une femme... Oui,...
Mais la lune est une femme aussi ! (rires) Est-ce qu'il faut
voir une assimilation à cette force
féminine, vous y faisiez allusion aussi dans un autre
morceau ? J'ai
peut-être besoin de rendre des comptes, c'est sans
doute vrai. Le "méfie-toi" se
voulait menaçant et, je crois, il l'est ! (rires) Avez-vous peur de
vieillir ? Je
n'aime pas cette idée-là, oui... Dans Souviens-toi
du jour,
vous chantez
des paroles qui ne sont pas en français.
Qu'évoquent-elles ? Oui,
ça c'est de l'hébreu, et ça
veut dire justement "souviens-toi du jour", c'est
dans la Torah. Quand j'ai écrit cette chanson, c'est parce
que j'ai lu énormément de... enfin
énormément... J'ai un livre de chevet
qui s'appelle Si
c'est un homme, justement, de
Primo Levi, et qui évoque la déportation. J'avais
envie de parler de ça, tout en ne l'imprimant pas
avec évidence. Donc là encore, il y a plusieurs
lectures possibles. Mais, c'est ce à quoi j'ai
pensé, cette idée et cette
nécessité que de se souvenir de ces
choses-là. Beaucoup de vos
musiciens sont étrangers . Est-ce que,
quand vous travaillez avec eux, vous arrivez à leur faire
comprendre la consistance des paroles et est-ce que vous arrivez
à leur faire traduire musicalement ce que
vous voulez exactement, pour accompagner vos poèmes ? J'ai
la chance en tout cas d'avoir travaillé avec des
musiciens qui m'ont toujours demandé, effectivement, quels
sont les textes, qu'est-ce que vous avez voulu dire... Donc avec une
traduction approximative, parce que c'est toujours difficile de
traduire précisément, quand il y a des jeux de
mots, ces choses-là, mais... J'arrive tout
à fait à communiquer, si je puis dire
l'âme de la chanson. Maintenant, ils ont aussi des choses
assez précises à faire. On n'est pas en terme
d'improvisation. J'ai aimé le fait qu'ils
s'intéressent et qu'ils ne viennent pas faire uniquement des
séances pour des séances. Ce sont des personnes
qui ont travaillé pour la plupart sur l'album
précédent, sur la tournée. On a
créé maintenant des liens, et ils ont vu le
public, ils ont vu ce qui se passait sur scène et je sais
qu'ils sont très amoureux de ces instants-là.
Donc, ils étaient heureux de reparticiper à tous
ces moments-là. On
découvre bien sûr le dernier morceau, qui est
un morceau grandiloquent... on dira une grande aventure. Il
s'intitule Mylenium. Est-ce que cet album est
important parce qu'il va passer le cap du
millénaire ? Non.
Tous les albums ont été, et sont,
importants pour moi... Dans le fond, je
me moque totalement de l'an 2000 et de ce passage-là,
ça
n'évoque pas grand chose pour moi. 1999 est assez noir comme
ça ; là, je ne parle pas de moi mais d'une
généralité, une actualité.
Maintenant c'est vrai que j'ai approprié (sic) le
"millenium"
avec le prénom, c'était tentant ! (rires)